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Vous êtes mort. – Et après ? Crois-tu que ça me gêne pour vivre, d’être mort ? » Et, comme l’autre semblait de plus en plus confondu, il lui posa la main sur l’épaule et lui dit : « Qui est-ce qui t’a fait entrer à la Préfecture de police ? – Le chef de la Sûreté, M. Lenormand. – Et qui était-ce, M. Lenormand ? – C’était le patron. – C’est-à-dire Arsène Lupin, n’est-ce pas 1? – Oui. – Eh bien, Alexandre, ne sais-tu pas qu’il était beaucoup plus difficile pour Arsène Lupin d’être chef de la Sûreté, et il le fut magistralement, que d’être don Luis Perenna, que d’être décoré, que d’être légionnaire, que d’être un héros, et même que d’être vivant tout en étant mort ? » Le brigadier Mazeroux examina silencieusement son compagnon. Puis ses yeux tristes s’animèrent, son visage terne s’enflamma, et soudain, frappant la table d’un coup de poing, il mâchonna, la voix rageuse : « Eh bien, soit, mais je vous avertis qu’il ne faut pas compter sur moi ! Ah ! non, alors. Je suis au service de la société, et j’y reste. Rien à faire. J’ai goûté à l’honnêteté. Je ne veux plus manger d’autre pain. Ah ! non, alors, non, non, non, plus de sottises ! » Perenna haussa les épaules. « T’es bête, Alexandre. Vrai, le pain de l’honnêteté ne t’engraisse pas l’intelligence. Qui te parle de recommencer ? – Cependant... – Cependant, quoi ? – Toute votre manigance, patron... – Ma manigance ! Crois-tu donc que j’y sois pour quelque chose, dans cette affaire-là ? – Voyons, patron... – Mais pour rien du tout, mon petit. Il y a deux heures, je n’en savais pas plus long que toi. C’est le bon Dieu qui m’a bombardé héritier sans crier gare, et c’est bien pour ne pas lui désobéir que... – Alors ? – Alors j’ai mission de venger Cosmo Mornington, de retrouver ses héritiers naturels, de les protéger et de répartir entre eux les deux cents millions qui leur appartiennent. Un point, c’est tout. Est-ce une mission d’honnête homme, cela ? – Oui, mais... – Oui, mais si je ne l’accomplis pas en honnête homme, c’est ça que tu veux dire, n’est-ce pas ? – Patron... – Eh bien, mon petit, si tu distingues à la loupe la moindre chose qui te déplaise dans ma conduite, si tu découvres un point noir sur la conscience de don Luis Perenna, pas d’hésitation, fiche-moi tes deux mains au collet. Je t’y autorise. Je te l’ordonne. Ça te suffit-il ? – Il ne suffit pas que ça me suffise, patron. – Qu’est-ce que tu chantes ? – Il y a encore les autres. – Explique. – Si vous êtes pincé ? – Comment ? – Vous pouvez être trahi. – Par qui ? – Nos anciens camarades... – Partis. Je les ai expédiés hors de France. – Où ça ? – C’est mon secret. Toi, je t’ai laissé à la préfecture, au cas où j’aurais eu besoin de tes services. Et tu vois que j’ai eu raison. – Mais si l’on découvre votre véritable personnalité ? – Eh bien ? – On vous arrête. – Impossible. – Pourquoi ? – On ne peut pas m’arrêter. – La raison ? – Tu l’as dite toi-même, bouffi, une raison supérieure, formidable, irrésistible. – Laquelle ? – Je suis mort. Mazeroux parut suffoqué. L’argument le frappait en plein. D’un coup il l’apercevait, dans toute sa vigueur et dans toute sa cocasserie. Et, subitement, il partit d’un éclat de rire fou, qui le tordait en deux et convulsait de la façon la plus drôle son mélancolique visage... « Ah ! patron, toujours le même !... Dieu, que c’est rigolo !... Si je marche ? Je crois bien que je marche !... Et deux fois plutôt qu’une !... Vous êtes mort ! enterré ! supprimé ! Ah ! quelle rigolade ! quelle rigolade ! Hippolyte Fauville, ingénieur, habitait, sur le boulevard Suchet, le long des fortifications, un hôtel assez vaste flanqué à gauche d’un jardin où il avait fait bâtir une grande pièce qui lui servait de cabinet de travail. Le jardin se trouvait ainsi réduit à quelques arbres et à une bande de gazon, en bordure de la grille habillée de lierre et percée d’une porte qui le séparait du boulevard Suchet. Don Luis Perenna se rendit avec Mazeroux au commissariat de Passy, où Mazeroux, sur ses instructions, se fit connaître et demanda que l’hôtel de l’ingénieur Fauville fût surveillé, durant la nuit, par deux agents de police, qui mettraient en arrestation toute personne suspecte tentant de s’introduire. Le commissaire promit son concours. Après quoi don Luis et Mazeroux dînèrent dans le quartier. À neuf heures, ils arrivaient devant la porte principale de l’hôtel. « Alexandre, fit Perenna. – Patron ? – Tu n’as pas peur ? – Non, patron. Pourquoi ? – Pourquoi ? Parce que, en défendant l’ingénieur Fauville et son fils, nous nous attaquons à des gens qui ont un intérêt considérable à les faire disparaître, et que ces gens n’ont pas l’air d’avoir froid aux yeux. Ta vie, la mienne... un souffle, un rien... Tu n’as pas peur ? – Patron, répondit Mazeroux, je ne sais pas si je connaîtrai la peur un jour ou l’autre. Mais il y a un cas où je ne la connaîtrai jamais. – Lequel, mon vieux ? – Tant que je serai à vos côtés. » Et résolument il sonna. La porte s’ouvrit et un domestique apparut, Mazeroux fit passer sa carte. Hippolyte Fauville les reçut tous deux dans son cabinet. La table était encombrée de brochures, de livres et de papiers. On voyait, sur deux pupitres soutenus par de hauts chevalets, des épures et des dessins, et, dans deux vitrines, des réductions en ivoire et en acier d’appareils construits ou inventés par l’ingénieur. Un large divan s’étalait contre le mur. À l’opposé se trouvait un escalier tournant qui montait à une galerie circulaire. Au plafond, un lustre électrique. Au mur, le téléphone. Tout de suite, Mazeroux, après avoir décliné son titre et présenté son ami Perenna comme envoyé également par le préfet de police, exposa l’objet de leur démarche. M. Desmalions, sur des indices très graves dont il venait d’avoir connaissance, s’inquiétait. Sans attendre l’entretien du lendemain, il priait M. Fauville de prendre toutes les précautions que lui conseilleraient ses agents. Fauville montra d’abord une certaine humeur. « Mes précautions sont prises, messieurs, et bien prises. Et je craindrais, d’autre part, que votre intervention ne fût pernicieuse. – En quoi donc ? – En éveillant l’attention de mes ennemis, et en m’empêchant, par là même, de recueillir les preuves dont j’ai besoin pour les confondre. – Pouvez-vous m’expliquer ? – Non, je ne peux pas... Demain, demain matin... pas avant. – Et s’il est trop tard, interrompit don Luis Perenna. – Trop tard, demain ? – L’inspecteur Vérot l’a dit au secrétaire de M. Desmalions : « Le double assassinat aura lieu cette nuit. « C’est fatal, c’est irrévocable. » – Cette nuit ? s’écria Fauville, avec colère... Je vous dis que non, moi. Pas cette nuit, j’en suis sûr... Il y a des choses que je sais, n’est-ce pas ? et que vous ne savez pas... – Oui, objecta don Luis, mais il y a peut-être aussi des choses que savait l’inspecteur Vérot et que vous ignorez. Il avait peut-être pénétré plus avant dans le secret de vos ennemis. La preuve, c’est qu’on se méfiait de lui. La preuve, c’est qu’un individu, porteur d’une canne d’ébène, l’espionnait. La preuve, enfin, c’est qu’il a été tué. » L’assurance d’Hippolyte Fauville diminuait. Perenna en profita pour insister, et de telle façon que Fauville, sans toutefois sortir de sa réserve, finit par s’abandonner à cette volonté, plus forte que la sienne. « Eh bien, quoi ? Vous n’avez pourtant pas la prétention de passer la nuit ici ? – Précisément. – Mais c’est absurde ! Mais c’est du temps perdu ! Car enfin, en mettant les choses au pire... Et puis, quoi, encore, que voulez-vous ? – Qui habite cet hôtel ? – Qui ? Ma femme d’abord. Elle occupe le premier étage. – Mme Fauville n’est pas menacée. – Non, nullement. C’est moi qui suis menacé, moi et mon fils Edmond. Aussi, depuis huit jours, au lieu de coucher dans ma chambre, comme d’habitude, je m’enferme dans cette pièce... J’ai donné comme prétexte des travaux, des écritures qui m’obligent à veiller très tard, et pour lesquels j’ai besoin de mon fils. – Il couche donc ici ? – Au-dessus de nous, dans une petite chambre que je lui ai fait aménager. On n’y peut accéder que par cet escalier intérieur. – Il s’y trouve actuellement ? – Oui. Il dort. – Quel âge a-t-il ? – Seize ans. – Mais, si vous avez ainsi changé de chambre, c’est que vous redoutiez qu’on ne vous attaquât ? Qui ? Un ennemi habitant l’hôtel ? Un de vos domestiques ? Ou bien des gens du dehors ? En ce cas, comment pourrait-on s’introduire ? Toute la question est là. – Demain... demain... répondit Fauville, obstiné. Demain, je vous expliquerai... – Pourquoi pas ce soir ? reprit Perenna avec entêtement. – Parce qu’il me faut des preuves, je vous le répète... parce que le fait seul de parler peut avoir des conséquences terribles... et que j’ai peur... oui, j’ai peur... » De fait, il tremblait et il paraissait si misérable, si terrifié, que don Luis n’insista plus. « Soit, dit-il. Je vous demanderai seulement, pour mon camarade et moi, la permission de passer la nuit à portée de votre appel. – Comme vous voudrez, monsieur. Après tout, cela vaut peut-être mieux. » À ce moment, un des domestiques frappa et vint annoncer que madame désirait voir monsieur avant de sortir. Presque aussitôt, Mme Fauville entra. Elle salua, d’un signe de tête gracieux, Perenna et Mazeroux. C’était une femme de trente à trente-cinq ans, d’une beauté souriante, qu’elle devait à ses yeux bleus, à ses cheveux ondulés, à toute la grâce de son visage un peu futile, mais aimable et charmant. Elle portait, sous un grand manteau de soie brochée, une toilette de bal qui découvrait ses belles épaules. Son mari lui dit avec étonnement : « Tu sors donc ce soir ? – Rappelle-toi, dit-elle, les Auverard m’ont offert une place dans leur loge, à l’Opéra, et c’est toi-même qui m’as priée d’aller ensuite quelques instants à la soirée de Mme d’Ersinger. – En effet... en effet... dit-il, je ne me souvenais plus... Je travaille tellement ! » Elle acheva de boutonner ses gants et reprit : « Tu ne viendras pas me retrouver chez Mme d’Ersinger ? – Pour quoi faire ? – Ce serait un plaisir pour eux. – Mais pas pour moi. D’ailleurs, ma santé me le défend. – Je t’excuserai. – Oui, tu m’excuseras. » Elle ferma son manteau, d’un joli geste, et elle resta quelques secondes immobile, comme si elle eût cherché une parole d’adieu. Puis elle dit : « Edmond n’est donc pas là ? Je croyais qu’il travaillait avec toi. – Il était fatigué. – Il dort ? – Oui. – J’aurais voulu l’embrasser. – Mais non, tu le réveillerais. D’ailleurs, voici ton automobile. Va, chère amie. Amuse-toi bien. – Oh ! m’amuser... dit-elle, comme on s’amuse à l’Opéra et en soirée. – Ça vaut toujours mieux que de rester dans ta chambre. » Il y eut un peu de gêne. On sentait un de ces ménages peu unis, où l’homme, de mauvaise santé, hostile aux plaisirs mondains, s’enferme chez lui, tandis que la femme cherche les distractions auxquelles lui donnent droit son âge et ses habitudes. Comme il ne lui adressait plus la parole, elle se pencha et l’embrassa au front. Puis, saluant de nouveau les deux visiteurs, elle sortit. Un instant plus tard, on perçut le bruit du moteur qui s’éloignait. Aussitôt Hippolyte Fauville se leva et, après avoir sonné, il dit : « Personne ici ne se doute du danger qui est sur ma tête. Je ne me confie à personne, pas même à Silvestre, mon valet de chambre particulier, qui me sert cependant depuis des années, et qui est la probité même. » Le domestique entra. « Je vais me coucher, Silvestre, préparez tout », dit M. Fauville. Silvestre ouvrit le dessus du grand divan, qui forma ainsi un lit confortable, et il disposa les draps et les couvertures. Ensuite, sur l’ordre de son maître, il apporta une carafe, un verre, une assiette de gâteaux secs et un compotier de fruits. M. Fauville croqua des gâteaux, puis coupa une pomme d’api. Elle n’était pas mûre. Il en prit deux autres, tâta et, ne les jugeant pas à point, les remit également. Puis il pela une poire et la mangea. « Laissez le compotier, dit-il au domestique. Si j’ai faim cette nuit, je serai bien aise... Ah ! j’oubliais, ces messieurs restent ici. N’en parlez à personne. Et demain matin ne venez que quand je sonnerai. » Le domestique, avant de se retirer, déposa donc le compotier sur la table. Perenna, qui remarquait tout, et qui, par la suite, devait évoquer les plus petits détails de cette soirée que sa mémoire enregistrait avec une fidélité pour ainsi dire mécanique, Perenna compta, dans le compotier, trois poires et quatre pommes d’api. Cependant Fauville montait l’escalier tournant, et, suivant la galerie, gagnait la chambre où couchait son fils. « Il dort à poings fermés », dit-il à Perenna qui l’avait rejoint. La pièce était petite. L’air y arrivait par un système spécial d’aération, car un volet de bois cloué bouchait hermétiquement la lucarne. « C’est une précaution que j’ai prise l’an dernier, expliqua Hippolyte Fauville. Comme c’est dans cette pièce que je faisais mes expériences électriques, je craignais qu’on ne m’épiât. J’ai donc fermé l’issue qui donnait sur le toit. » Et il ajouta, la voix basse : « Il y a longtemps que l’on rôde autour de moi. » Ils redescendirent. Fauville consulta sa montre. « Dix heures et quart... C’est l’heure du repos. Je suis très las, et vous m’excuserez... » Il fut convenu que Perenna et Mazeroux s’installeraient sur deux fauteuils qu’ils transportèrent dans le couloir qui menait du cabinet de travail au vestibule même de l’hôtel. Mais, avant de les quitter, Hippolyte Fauville, qui jusqu’ici, bien que fort agité, semblait maître de lui, eut une défaillance soudaine. Il exhala un faible cri. Don Luis se retourna et vit que la sueur lui coulait comme de l’eau sur le visage et sur le cou, et il grelottait de fièvre et d’angoisse. « Qu’est-ce que vous avez ? – J’ai peur... j’ai peur... dit-il. – C’est de la folie, s’écria don Luis, puisque nous sommes là tous les deux ! Nous pourrions même fort bien passer la nuit auprès de vous, à votre chevet. » L’ingénieur secoua violemment Perenna par l’épaule, et, la figure convulsée, bégaya : « Quand vous seriez dix... quand vous seriez vingt auprès de moi, croyez-vous que cela les gênerait ? Ils peuvent tout, vous entendez... Ils peuvent tout !... Ils ont déjà tué l’inspecteur Vérot... ils me tueront... et ils tueront mon fils... Ah ! les misérables... Mon Dieu, ayez pitié de moi !... Ah ! quelle épouvante !... Ce que je souffre ! » Il était tombé à genoux et se frappait la poitrine en répétant : « Mon Dieu, ayez pitié de moi... Je ne veux pas mourir... Je ne veux pas que mon fils meure... Ayez pitié de moi, je vous en supplie... » Il se releva d’un bond, conduisit Perenna devant une vitrine qu’il poussa et qui roula aisément sur ses roulettes de cuivre, et, découvrant un petit coffre scellé dans le mur même : « Toute mon histoire est ici, écrite au jour le jour depuis trois ans. S’il m’arrivait malheur, la vengeance serait facile. » Hâtivement, il avait tourné les lettres de la serrure, et, à l’aide d’une même clef qu’il tira de sa poche, il ouvrit. Le coffre était aux trois quarts vide. Sur l’un des rayons seulement, parmi des tas de papiers, il y avait un cahier de toile grise ceinturé d’un ruban de caoutchouc rouge. Il saisit ce cahier et scanda : « Tenez... voici... tout est là-dedans. Avec ça on peut reconstituer l’abominable chose... Il y a mes soupçons d’abord, et puis mes certitudes... et tout... tout... de quoi les prendre au piège... de quoi les perdre... Vous vous rappellerez, n’est-ce pas ? un cahier de toile grise... je le replace dans le coffre... » Peu à peu son calme revenait. Il repoussa la vitrine, rangea quelques papier, alluma la poire électrique qui dominait son lit, éteignit le lustre qui marquait le milieu du cabinet et pria don Luis et Mazeroux de le laisser. Don Luis, qui faisait le tour de la pièce et qui examinait les volets de fer des deux fenêtres, nota une porte en face de l’entrée et questionna l’ingénieur... « Je m’en sers, dit Fauville, pour mes clients habituels... et puis quelquefois aussi je sors par là. – Elle donne sur le jardin ? – Oui. – Elle est bien fermée ? – Vous pouvez voir... fermée à clef et au verrou de sûreté. Les deux clefs sont à mon trousseau, avec celle du jardin. » Il déposa le trousseau sur la table, ainsi que son portefeuille. Il y plaça également sa montre, après l’avoir remontée. Sans se gêner, don Luis s’empara du trousseau et fit fonctionner la serrure et le verrou. Trois marches le conduisirent au jardin. Il fit le tour de l’étroite platebande. À travers le lierre il aperçut et il entendit les deux agents de police qui déambulaient sur le boulevard. Il vérifia la serrure de la grille. Elle était fermée. « Allons, dit-il en remontant, tout va bien, et vous pouvez être tranquille. À demain. – À demain », dit l’ingénieur en reconduisant Perenna et Mazeroux. Il y avait entre son cabinet et le couloir une double porte, dont l’une était matelassée et recouverte de moleskine. De l’autre côté le couloir était séparé du vestibule par une lourde tapisserie. « Tu peux dormir, dit Perenna à son compagnon. Je veillerai. – Mais enfin, patron, vous ne supposez pas qu’une alerte soit possible ! – Je ne le suppose pas, vu les précautions que nous avons prises. Mais toi, qui connais l’inspecteur Vérot, crois-tu que c’était un type à se forger des idées ? – Non patron. – Eh bien, tu sais ce qu’il a prédit. C’est qu’il avait des raisons pour cela. Donc j’ouvre l’œil. – Chacun son tour, patron, réveillez-moi quand ce sera mon heure de faction. » Immobiles l’un près de l’autre, ils échangèrent encore de rares paroles. Peu après, Mazeroux s’endormit. Don Luis resta sur son fauteuil, sans bouger, l’oreille aux aguets. Dans l’hôtel, tout était calme. Dehors, de temps en temps passait le roulement d’une auto ou d’un fiacre. On entendait aussi les derniers trains sur la ligne d’Auteuil. Don Luis se leva plusieurs fois et s’approcha de la porte. Aucun bruit. Sans nul doute, Hippolyte Fauville dormait. « Parfait, se disait Perenna. Le boulevard est gardé. On ne peut pas pénétrer dans la pièce par un autre passage que celui-ci. Donc rien à craindre. » À deux heures du matin, une auto s’arrêta devant l’hôtel, et un des domestiques qui devait attendre du côté de l’office et des cuisines, se hâta vers la grande porte. Perenna éteignit l’électricité dans le couloir et, soulevant légèrement la tapisserie, aperçut Mme Fauville qui rentrait, suivie de Silvestre. Elle monta. La cage de l’escalier redevint obscure. Durant une demi-heure encore, des murmures de voix et des bruits de chaises remuées se firent entendre aux étages supérieurs. Et ce fut le silence. Et, dans ce silence, Perenna sentit sourdre en lui une angoisse inexprimable. Pourquoi ? Il n’eût pu le dire. Mais c’était si violent, l’impression devenait si aiguë qu’il murmura : « Je vais voir s’il dort. Les portes ne doivent pas être fermées au verrou. » De fait, il n’eut qu’à pousser les battants pour ouvrir. Sa lanterne électrique à la main, il s’approcha du lit. Hippolyte Fauville, tourné vers le mur, dormait. Perenna eut un soupir de soulagement. Il revint dans le couloir et secouant Mazeroux : « À ton tour, Alexandre. – Rien de nouveau, patron ? – Non, non, rien, il dort. – Comment le savez-vous donc ? – J’ai été le voir. – C’est drôle, je n’ai pas entendu. C’est vrai que je pionçais comme une brute. » Il suivit dans la pièce Perenna, qui lui dit : « Assieds-toi et ne le réveille pas. Je vais m’assoupir un instant. » Il reprit encore une faction. Mais, même en sommeillant, il gardait conscience de tout ce qui se passait autour de lui. Une pendule sonnait les heures à voix basse, et, chaque fois, Perenna comptait. Puis ce fut la vie du dehors qui s’éveilla, les voitures de laitiers qui roulèrent, les premiers trains de banlieue qui sifflèrent. Dans l’hôtel aussi, l’agitation commença. Le jour filtrait par les interstices des volets, et la pièce peu à peu s’emplissait de lumière. « Allons-nous-en, dit le brigadier Mazeroux. Il vaut mieux qu’il ne nous trouve pas ici. – Tais-toi, ordonna don Luis en accompagnant son injonction d’un geste impérieux. – Mais pourquoi ? – Tu vas le réveiller. – Vous voyez bien qu’il ne se réveille pas, fit Mazeroux sans baisser le ton. – C’est vrai... c’est vrai... » chuchota don Luis, étonné que le son de cette voix n’eût pas troublé le dormeur. Et il se sentit envahi par la même angoisse qui l’avait bouleversé au milieu de la nuit. Angoisse plus précise, quoiqu’il ne voulût pas, qu’il n’osât pas, se rendre compte du motif qui la suscitait. « Qu’est-ce que vous avez, patron ? Vous êtes tout chose. Qu’y a-t-il ? – Rien... rien... j’ai peur. » Mazeroux frissonna. « Peur de quoi ? Vous dites ça comme il le disait hier soir, lui. – Oui... oui... et pour la même cause. – Mais enfin ?... – Tu ne comprends donc pas ?... Tu ne comprends donc pas que je me demande... – Quoi donc ? – S’il n’est pas mort ! – Mais vous êtes fou, patron ! – Non... je ne sais pas... seulement... seulement... j’ai l’impression de la mort. » Sa lanterne à la main, il demeurait comme paralysé en face du lit, et, lui qui ne craignait rien au monde, il n’avait pas le courage d’éclairer le visage d’Hippolyte Fauville. Un silence terrifiant s’accumulait dans la pièce. « Oh ! patron, il ne bouge pas... – Je sais... je sais... et je m’aperçois maintenant qu’il n’a pas bougé une seule fois cette nuit. Et c’est cela qui m’effraie. » Il dut faire un réel effort pour avancer. Il toucha presque au lit. L’ingénieur ne semblait pas respirer. Résolument il lui prit la main. Elle était glacée. D’un coup Perenna reprit tout son sang-froid. « La fenêtre ! ouvre la fenêtre ! » cria-t-il. Et, lorsque la lumière jaillit dans la pièce, il vit la figure d’Hippolyte Fauville tuméfiée, tachée de plaques brunes. « Oh ! dit-il à voix basse, il est mort. – Cré tonnerre !... cré tonnerre !... » bégaya le brigadier. Durant deux ou trois minutes, ils restèrent pétrifiés, stupides, anéantis par la constatation du plus prodigieux et du plus mystérieux des phénomènes. Puis une idée soudaine fit sursauter Perenna. En quelques bonds il monta l’escalier intérieur, galopa le long de la galerie, et se précipita dans la mansarde. Sur son lit, Edmond, le fils d’Hippolyte Fauville, était étendu, rigide, le visage terreux, mort aussi. « Cré tonnerre !... cré tonnerre ! » répéta Mazeroux. Jamais peut-être, au cours de sa vie aventureuse, Perenna n’avait éprouvé une telle commotion. Il en ressentait une sorte de courbature, et comme une impuissance à tenter le moindre geste, à prononcer la moindre parole. Le père et le fils étaient morts ! On les avait tués au cours de cette nuit ! Quelques heures auparavant, bien que la maison fût gardée, et toutes les issues hermétiquement closes, on les avait, à l’aide d’une piqûre infernale, empoisonnés tous deux, comme on avait empoisonné l’Américain Cosmo Mornington. « Cré tonnerre ! redit encore Mazeroux, c’était pas la peine de nous occuper d’eux, les pauvres diables, et de faire tant d’épate pour les sauver ! » Il y avait un reproche dans cette explication. Perenna le saisit et avoua : « Tu as raison, Mazeroux, je n’ai pas été à la hauteur de la tâche. – Moi non plus, patron. – Toi... toi... tu n’es dans l’affaire que depuis hier soir. – Eh bien, vous aussi, patron. – Oui, je sais, depuis hier soir, tandis qu’eux la combinent depuis des semaines et des semaines... Mais tout de même, ils sont morts, et j’étais là ! J’étais là, moi, Lupin... La chose s’est accomplie sous mes yeux, et je n’ai rien vu... Je n’ai rien vu... Est-ce possible ? » Il découvrait les épaules du pauvre garçon et, montrant la trace d’une piqûre en haut du bras : « La même marque... la même évidemment que l’on retrouve sur le père... L’enfant ne semble pas avoir souffert non plus. Malheureux gosse ! Il n’avait pas l’apparence bien robuste... N’importe... une jolie figure... Ah ! comme la mère va être malheureuse ! » Le brigadier pleurait de rage et de pitié, tout en mâchonnant : « Cré tonnerre !... cré tonnerre ! – Nous les vengerons, hein, Mazeroux ? – À qui le dites-vous, patron ? Plutôt deux fois qu’une ! – Une fois suffira, Mazeroux. Mais ce sera la bonne. – Ah ! je le jure bien. – Tu as raison, jurons-le. Jurons que ces deux morts seront vengés. Jurons que nous ne désarmerons pas avant que les assassins d’Hippolyte Fauville et de son fils soient punis selon leurs crimes. – Je le jure sur mon salut éternel, patron. – Bien, fit Perenna. Maintenant à l’œuvre. Toi, tu vas téléphoner immédiatement à la préfecture de police. Je suis sûr que M. Desmalions trouvera bon que tu le fasses avertir sans retard. Cette affaire l’intéresse au plus haut point. – Et si les domestiques viennent ? Si Mme Fauville... – Personne ne viendra avant que nous ouvrions, et nous n’ouvrirons les portes qu’au préfet de police. C’est lui qui se chargera ensuite d’annoncer à Mme Fauville qu’elle est veuve et qu’elle n’a plus de fils. Va, dépêche-toi. – Un instant, patron, nous oublions quelque chose qui va singulièrement nous aider. – Quoi ? – Le petit cahier de toile grise contenu dans le coffre, où M. Fauville racontait la machination ourdie contre lui. – Eh ! parbleu, fit Perenna, tu as raison... d’autant plus qu’il avait négligé de brouiller le chiffre de la serrure, et que, d’autre part, la clef est au trousseau laissé sur la table. » Ils descendirent rapidement. « Laissez-moi faire, dit Mazeroux. Il est plus régulier que vous ne touchiez pas à ce coffre-fort. » Il prit le trousseau, dérangea la vitrine et introduisit la clef, avec une émotion fébrile que don Luis ressentait plus vivement encore. Ils allaient enfin connaître l’histoire mystérieuse ! Le mort allait leur livrer le secret de ses bourreaux ! « Dieu, que tu es long ! » ronchonna don Luis. Mazeroux plongea les deux mains dans le fouillis des papiers qui encombraient le rayon de fer. « Eh bien, Mazeroux, donne-le-moi. – Quoi ? – Le cahier de toile grise. – Impossible, patron. – Hein ? – Il a disparu. » Don Luis étouffa un juron. Le cahier de toile grise que l’ingénieur avait placé devant eux dans le coffre avait disparu ! Mazeroux hocha la tête. « Cré tonnerre ! ils savaient donc l’existence de ce cahier ? – Parbleu ! et bien d’autres choses. Nous ne sommes pas au bout de notre rouleau avec ces gaillards-là. Aussi, pas de temps à perdre. Téléphone. » Mazeroux obéit. Presque aussitôt, M. Desmalions lui fit répondre qu’il venait à l’appareil. Il attendit. Au bout de quelques minutes, Perenna, qui s’était promené de droite et de gauche en examinant divers objets, vint s’asseoir à côté de lui. Il paraissait soucieux. Il réfléchit assez longuement. Mais, son regard s’étant fixé sur le compotier, il murmura : « Tiens, il n’y a plus que trois pommes au lieu de quatre. Il a donc mangé la quatrième ? – En effet, dit Mazeroux, il a dû la manger. – C’est bizarre, reprit Perenna, car il ne les trouvait pas mûres. » Il garda de nouveau le silence, accoudé à la table, visiblement préoccupé, puis, relevant la tête, il laissa tomber ces mots : « Le crime a été commis avant que nous n’entrions dans la pièce, exactement à minuit et demi. – Qu’est-ce que vous en savez, patron ? – L’assassin, ou les assassins de M. Fauville, en touchant aux objets rangés sur cette table, ont fait tomber la montre que M. Fauville y avait déposée. Ils l’ont remise à sa place. Mais sa chute l’avait arrêtée. Elle marque minuit et demi. – Donc, patron quand nous nous sommes installés ici, vers deux heures du matin, c’est un cadavre qui reposait à côté de nous, et un autre au-dessus de nous ? – Oui. – Mais par où ces démons-là sont-ils entrés ? – Par cette porte, qui donne sur le jardin, et par la grille qui donne sur le boulevard Suchet. – Ils avaient donc les clefs des verrous et des serrures ? – De fausses clefs, oui. – Mais les agents de police qui surveillent la maison, de dehors ? – Ils la surveillent encore, comme ces gens-là surveillent, en marchant d’un point à un autre, et sans songer que l’on peut s’introduire dans un jardin tandis qu’ils ont le dos tourné. C’est ce qui a eu lieu, à l’arrivée comme au départ. » Le brigadier Mazeroux semblait abasourdi. L’audace des criminels, leur habileté, la précision de leurs actes, le confondaient. « Ils sont bougrement forts, dit-il. – Bougrement, Mazeroux, tu l’as dit, et je prévois que la bataille sera terrible. Crebleu ! quelle vigueur dans l’attaque !» La sonnerie du téléphone s’agitait. Don Luis laissa Mazeroux poursuivre sa communication, et, prenant le trousseau de clefs, il fit aisément fonctionner la serrure et le verrou de la porte, et passa dans le jardin avec l’espoir d’y trouver quelque vestige qui faciliterait ses recherches. Comme la veille, il aperçut, à travers les rameaux de lierre, deux agents de police qui déambulaient d’un bec de gaz à un autre. Ils ne le virent point. D’ailleurs ce qui pouvait se passer dans l’hôtel leur paraissait totalement indifférent. « C’est là ma grande faute, se dit Perenna. On ne confie pas une mission à des gens qui ne se doutent pas de son importance. » Les investigations aboutirent à la découverte de traces sur le gravier, trop confuses pour que l’on pût reconstituer la forme des chaussures qui les y avaient faites, assez précises cependant pour que l’hypothèse de Perenna fût confirmée : les bandits avaient passé par là. Tout à coup, il eut un mouvement de joie. Contre la bordure de l’allée, entre les feuilles d’un petit massif de rhododendrons, il avait aperçu quelque chose de rouge qui l’avait frappé. Il se baissa. C’était une pomme, la quatrième pomme, celle dont il avait remarqué l’absence dans le compotier. « Parfait, se dit-il, Hippolyte Fauville ne l’a pas mangée. C’est l’un d’eux qui l’aura emportée... Une fantaisie... une fringale soudaine... et elle aura roulé de sa main sans qu’il ait eu le temps de la rechercher. » Il ramassa le fruit et l’examina. « Ah ! fit-il en tressaillant, est-ce possible ? » Il restait interdit, saisi d’une véritable émotion, n’admettant pour ainsi dire point la chose inadmissible qui s’offrait cependant à ses yeux avec l’évidence même de la réalité. On avait mordu dans la pomme, dans la pomme trop acide pour qu’on pût la manger. Et les dents avaient laissé leur empreinte ! « Est-ce possible ? répétait don Luis, est-ce possible que l’un d’eux ait commis une pareille imprudence ? Il faut que la pomme soit tombée à son insu... ou qu’il n’ait pu la retrouver au milieu des ténèbres. » Il n’en revenait pas et cherchait des explications. Mais le fait était là. Deux rangées de dents, trouant en demi-cercle la mince pellicule rouge, avaient laissé dans la pulpe même leur morsure bien nette et bien régulière. Il y en avait six en haut, tandis qu’en bas cela s’était fondu en une seule ligne courbe. « Les dents du tigre !... murmurait Perenna, qui ne pouvait détacher son regard de cette double empreinte. Les dents du tigre ! celles qui s’inscrivaient déjà sur la tablette de l’inspecteur Vérot ! Quelle coïncidence ! Peut-on supposer qu’elle soit fortuite ? Ne doit-on pas admettre comme certain que c’est la même personne qui a mordu dans ce fruit et qui avait marqué la tablette que l’inspecteur Vérot apportait à la Préfecture comme la preuve la plus irréfragable ? » Il hésita une seconde. Cette preuve, la garderait-il pour lui, pour l’enquête personnelle qu’il voulait mener ? ou bien l’abandonnerait-il aux investigations de la justice ? Mais il éprouvait au contact de cet objet une telle répugnance, un tel malaise physique, qu’il rejeta la pomme et la fit rouler sous le feuillage. Et il redisait en lui-même : « Les dents du tigre !... les dents de la bête fauve ! » Il referma la porte du jardin, poussa le verrou, remit le trousseau de clefs sur la table, et dit à Mazeroux : « Tu as parlé au préfet de police ? – Oui. – Il vient ? – Oui. – Il ne t’a pas donné l’ordre de téléphoner au commissaire de police ? – Non. – C’est qu’il veut tout voir par lui-même. Tant mieux ! Mais la Sûreté ? Le Parquet ? – Il les a prévenus. – Qu’est-ce que tu as, Alexandre ? Il faut te tirer les réponses du fond des entrailles. Et bien, et après ? Tu me lorgnes d’un drôle d’air ? Qu’y a-t-il ? – Rien. – À la bonne heure. C’est cette histoire sans doute qui t’a tourné la tête. De fait, il y a de quoi... Et le préfet ne va pas rigoler... D’autant qu’il s’est confié à moi un peu à la légère et qu’on lui demandera des explications sur ma présence ici... Ah ! à ce propos, il est de beaucoup préférable que tu prennes la responsabilité de tout ce que nous avons fait. N’est-ce pas ? Ça n’en vaut que mieux pour toi. D’ailleurs, mets-toi carrément en avant. Efface-moi le plus possible, et surtout – tu ne verras, je suppose, aucun inconvénient à ce petit détail –, ne commets pas la bêtise de dire que tu t’es endormi une seule seconde, cette nuit, dans le couloir. D’abord, ça te retomberait sur le dos. Et puis... et puis voilà... Nous sommes d’accord, hein ? Alors il n’y a plus qu’à se quitter. Si le préfet a besoin de moi, comme je m’y attends, qu’on me téléphone, à mon domicile, place du Palais-Bourbon. J’y serai. Adieu. Il est inutile que j’assiste à l’enquête, ma présence y serait déplacée. Adieu, camarade. » Il se dirigea vers la porte du couloir. « Un instant, s’écria Mazeroux. – Un instant ? mais... » Le brigadier s’était jeté entre la porte et lui, et barrait le passage. « Oui, un instant... Je ne suis pas de votre avis. Il est de beaucoup préférable que vous patientiez jusqu’à l’arrivée du préfet. – Mais je me fiche pas mal de ton avis. – Ça se peut, mais vous ne passerez pas. – Quoi ? Ah çà ! mais, Alexandre, tu es malade ? – Voyons, patron, supplia Mazeroux pris d’une défaillance, qu’est-ce que ça peut vous faire ? Il est tout naturel que le préfet désire causer avec vous. – Ah ! c’est le préfet qui désire ?... Eh bien, tu lui diras, mon petit, que je ne suis pas à ses ordres, que je ne suis aux ordres de personne, et que si le président de la République, que si Napoléon Ier lui-même, me barrait la route... Et puis, zut, assez causé. Décampe. – Vous ne passerez pas ! déclara Mazeroux d’un ton résolu et en étendant les bras. – Elle est rigolote, celle-là. – Vous ne passerez pas. – Alexandre, compte jusqu’à dix. – Jusqu’à cent, si vous voulez, mais vous ne... – Ah ! tu m’embêtes avec ton refrain. Allons, ouste ! » Il saisit Mazeroux par les deux épaules, le fit pirouetter et, d’une poussée, l’envoya buter contre le divan. Puis il ouvrit la porte. « Halte ! ou je fais feu ! » C’était Mazeroux, debout déjà, et le revolver au poing, l’expression implacable. Don Luis s’arrêta, stupéfait. La menace lui était absolument indifférente, et ce canon de revolver braqué sur lui le laissait aussi froid que possible. Mais par quel prodige Mazeroux, son complice d’autrefois, son disciple fervent, son serviteur dévoué, par quel prodige Mazeroux osait-il accomplir un pareil geste ? Il s’approcha de lui, et, appuyant doucement sur le bras tendu : « Ordre du préfet, n’est-ce pas ? – Oui, murmura le brigadier, tout confus. – Ordre de me retenir jusqu’à son arrivée ? – Oui. – Et si je manifestais l’intention de sortir, ordre de m’en empêcher ? – Oui. – Par tous les moyens ? – Oui. – Même en m’envoyant une balle dans la peau ? – Oui. » Perenna réfléchit, puis d’une voix grave « Tu aurais tiré, Mazeroux ? » Le brigadier baissa la tête et articula faiblement : « Oui, patron. » Perenna le regarda sans colère, d’un regard de sympathie affectueuse, et c’était pour lui un spectacle passionnant que de voir son ancien compagnon dominé par un tel sentiment du devoir et de la discipline. Rien ne prévalait contre ce sentiment-là, rien, pas même l’admiration farouche, l’attachement en quelque sorte animal que Mazeroux conservait pour son maître. « Je ne t’en veux pas, Mazeroux. Je t’approuve même. Seulement, tu vas m’expliquer la raison pour laquelle le préfet de police... » Le brigadier ne répondit pas, mais ses yeux avaient une expression si douloureuse que don Luis sursauta, comprenant tout à coup. « Non... non, s’écria-t-il, c’est absurde... il n’a pas pu avoir cette idée... Et toi, Mazeroux, est-ce que tu me crois coupable ? – Oh ! moi, patron, je suis sûr de vous comme de moi-même... Vous ne tuez pas, vous !... Mais, tout de même, il y a des choses, des coïncidences... – Des choses... des coïncidences... » répéta don Luis, lentement. Il demeura pensif, et, tout bas, il scanda : « Oui... au fond... il y a du vrai dans ce que tu dis... Oui tout ça coïncide... Comment n’y ai-je pas songé ?... Mes relations avec Cosmo Mornington, mon arrivée à Paris pour l’ouverture du testament, mon insistance pour passer la nuit ici, le fait que la mort des deux Fauville me donne sans doute les millions... Et puis... et puis... Mais il a mille fois raison, ton préfet de police !... D’autant plus... Enfin... enfin... quoi ! je suis fichu. – Voyons, patron. – Fichu, camarade, mets-toi bien ça dans la caboche... Non pas fichu en tant qu’Arsène Lupin, ex-cambrioleur, ex-forçat, ex tout ce que tu voudras... sur ce terrain-là, je suis inattaquable... mais fichu en tant que don Luis Perenna, honnête homme, légataire universel, etc. Et c’est trop bête ! car enfin, qui retrouvera l’assassin de Cosmo, de Vérot et des deux Fauville, si on me flanque en prison ? – Voyons, patron... – Tais-toi... Écoute... » Une automobile s’arrêtait sur le boulevard, et une autre survint. C’était évidemment le préfet de police et les magistrats du parquet. Don Luis saisit le bras de Mazeroux : « Un seul moyen, Alexandre, ne dis pas que tu as dormi. – Impossible, patron. – Triple idiot ! grogna don Luis. Peut-on être gourde à ce point ! C’est à vous dégoûter d’être honnête. Alors quoi ? – Alors, patron, découvrez le coupable... – Hein ! Qu’est-ce que tu chantes ? » À son tour, Mazeroux lui prit le bras, et, s’accrochant à lui avec une sorte de désespoir, la voix mouillée de larmes : « Découvrez le coupable, patron. Sans ça, vous êtes réglé... c’est certain... Le préfet me l’a dit... Il faut un coupable à la justice... et dès ce soir... Il en faut un... À vous de le découvrir. – Tu en as de bonnes, Alexandre. – C’est un jeu pour vous, patron. Vous n’avez qu’à vouloir. – Mais il n’y a pas le moindre indice, idiot ! – Vous en trouverez... il le faut... Je vous en supplie, livrez quelqu’un... Je serais trop malheureux si on vous arrêtait. Et puis, vous, le patron, accusé d’assassinat ! Non... non... je vous en supplie, découvrez le coupable et livrez-le... Vous avez toute la journée pour cela... et Lupin en a fait bien d’autres ! » Il bégayait, pleurait, se tordait les mains, grimaçait de tout son visage comique. Et c’était touchant, cette douleur, cet effarement à l’approche du danger qui menaçait son maître. La voix de M. Desmalions se fit entendre dans le vestibule, à travers la tapisserie qui fermait le couloir. Une troisième automobile stoppa sur le boulevard, et une quatrième, toutes deux sans doute chargées d’agents. L’hôtel était cerné, en état de siège. Perenna se taisait. Près de lui, la figure anxieuse, Mazeroux semblait l’implorer. Quelques secondes s’écoulèrent. Puis Perenna déclara posément : « Tout compte fait, Alexandre, j’avoue que tu as vu clair dans la situation et que tes craintes sont pleinement justifiées. Si je n’arrive pas, en quelques heures, à livrer à la justice l’assassin ou les assassins d’Hippolyte Fauville et de son fils, ce soir, jeudi, premier jour du mois d’avril, c’est moi, don Luis Perenna, qui coucherai sur la paille humide. » 3 |
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