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Séance 3 L’art de la description – le traitement de l’espace et des objets
A partir du dossier lecture (cf. tableau « étude comparée des deux structures), reprendre :
(À mettre en parallèle d’un plan de la capitale) → Une grande partie de l’action se déroule à Paris, dans ce qui correspond aujourd’hui au IXe arrondissement. C’est à la fois le Paris des spectacles, de la fête et surtout le « quartier des lorettes », le quartier des courtisanes : « Les femmes du demi-monde et du quart de monde habitent les environs de Notre-Dame de Lorette en si grand nombre, qu'elles sont généralement désignées sous le nom de lorettes […]. Prenez garde à vous, flâneurs désœuvrés! Une fois attifée, fardée, blanchie, enrubannée, la lorette va en guerre, “quaerens qui devoret”. Un frôlement de soie annonce son passage. Toutes les fois que le hasard la rapproche d'une glace, elle en profite pour ajuster sa voilette et draper les plis de sa mantille. [...] Qui ne l'a rencontrée, sur les boulevards, dans les passages, aux Tuileries, aux Champs-Élysées ? Souvent elle est accompagnée d'une amie qui diffère d'elle par la couleur des cheveux, l'âge, le genre de beauté, le caractère de physionomie. Durant les beaux jours, tantôt elles s'établissent dans des voitures découvertes d'où débordent outrageusement leurs crinolines et leurs volants, tantôt elles sont de planton à la porte de quelque café dont l'aménagement admet les consommations extérieures; elles feignent quelquefois alors, pour se donner une contenance, de lire un journal, et rien n'est plus exact que ce mot murmuré par une de ces fausses liseuses à l'oreille d'une amie moins ignare : "Est-ce que je le tiens du bon côté ?"1 » → Ancrage réaliste (// pacte de lecture séance 2) : dans sa volonté de faire vrai, Alexandre Dumas fils propose des lieux réels, offrant les décors et les objets de la vie quotidienne. Pour autant le traitement de l’espace est-il objectif ? ACTIVITE EN CLASSE : travail de relevé / interprétation par groupes :
Le but étant de faire réfléchir les élèves sur l’opposition que met en place le roman entre Paris et la Province.
A partir d’un relevé des expressions et des adjectifs accompagnant ces lieux : « insolente opulence », « scandale », « cloaque splendide » (chap. I) ; « débauche », « luxe somptueux » (chap. III) ; « Paris, la ville mère du scandale » (chap. IV). → La description des lieux (et des personnes qui y vivent) est subjective : elle connote le luxe, le plaisir, la débauche, le vice, l’agitation. Par une sorte de lien métonymique, le Paris de La Dame aux camélias peut être assimilé à une courtisane (// Le Père Goriot) pour son goût du plaisir et son immoralisme. La capitale est une sorte d’enfer où règnent argent et luxure.
Cette image de Paris ne prend vraiment tout son sens que si on l’oppose à l’image de la Province.
A mettre en parallèle des expressions suivantes : « Alors commença une existence que j’aurais bien de la peine à vous décrire. » (Chap. XVII) ; « Vous donnez des détails sur notre nouvelle vie serait chose difficile. Elle se composait d’une séria d’enfantillages charmants pour nous […]. » (Chap. XVIII). → La Province représente un idéal de pureté, de bonheur, de joies simples et vraies. Le terme qui revient le plus souvent pour la décrire est l’adjectif « charmant » que l’on peut comprendre dans les deux sens : à la fois plaisant et envoûtant. Qqch qui tient du paradoxe : le bonheur vécu par les deux amants est bien plus sincère et véritable qu’à Paris ; pourtant il semble presque irréel comme s’il appartenait au monde du rêve. Il n’est pas anodin de constater qu’à chaque rupture, feinte ou consommée, Armand cherche à fuir en Province. Elle figure à la fois l’innocence de l’enfance (âge d’or heureux), la protection maternelle et le remède à la souffrance : « Je résolus alors de ne pas souffrir plus longtemps et de partir le lendemain. » (Chap. XIV) ; « Tout ce que je me rappelle, c’est que ce jour-là, vers cinq heures, il [le père d’Armand], me fit monter avec lui dans une chaise de poste. Sans me rien dire, il avait fait préparer mes malles, les avait fait attacher avec les siennes derrière la voiture, et il m’emmenait. » (Chap. XXIII) ; « […] celui qui leur apportait la convalescence de son cœur. » (Chap. XXVII). Retenir : Si la cadre spatial qu’offre le roman est réaliste, il n’en demeure pas moins subjectif et connoté. A l’image de Marguerite (courtisane / femme aimante), de l’amour (luxure / passion), de la relation (heureuse / malheureuse), Dumas fils nous propose une géographie sentimentale et duelle, une « carte du tendre » réunissant, séparant, corrompant, guérissant les êtres.
Revenir rapidement sur la portée symbolique de certains endroits :
→ Sphère publique.
→ Sphère privée. Retenir : L’opposition Paris / Province se double d’une autre opposition, entre sphère publique et sphère privée, entre apparences, faux-semblants d’une part et vérité d’autre part, entre vie et mort. Le lit incarne parfaitement cet antagonisme en ce qu’il apparaît profondément duel : il connote à la fois le plaisir, l’amour, le sexe…et la maladie : c’est d’ailleurs dans son lit que meurt Marguerite. Plus largement donc, les lieux symbolisent la trajectoire de l’héroïne.
Faire comprendre aux élèves (discussion à l’oral) que les limites matérielles de l’opéra (dimension de la scène, fabrication des décors, budget, durée de la représentation, structure des actes…) obligent le compositeur et le librettiste à faire des choix. Ils ont donc sélectionné les principaux lieux du roman, ceux qui servent l’intrigue : le salon de Violetta, la maison de campagne, le salon de Flora, la chambre à coucher de Violetta (fête, rencontre, idylle, violence de la jalousie, mort)
Les lieux ainsi choisis n’en demeurent pas moins symboliques // roman :
→ L’on retrouve les mêmes oppositions que dans le roman, Paris / Province, vice / vertu, sphère publique / sphère privée, apparence / vérité, vie / mort. Choix là encore à l’image du parcours de l’héroïne. De même pour les objets :
→ Discrètement (// limites matérielles) mais intelligemment, ces différents motifs sont aussi symboliques que les objets du roman : image de la dualité être / paraître, de la présence / l’abandon, de l’amour / la rupture, de la vie / la mort.
Montrer (photos, extraits en DVD) aux élèves différentes propositions de mises en scène :
Retenir : De même que Verdi avait respecté l’intrigue du roman tout à la simplifiant, de même il a composé avec les limites de la scène pour reprendre les principaux lieux de l’intrigue tout en distillant des motifs symboliques discrets et efficaces. La mise en scène reste un choix personnel et subjectif : le metteur en scène est avant tout un lecteur (du roman), un spectateur et un artiste. Ses choix découlent tant de l’interprétation qu’il se fait de l’histoire que de ses goûts esthétiques et du message qu’il cherche à faire passer.
Les objets / luxe : bijoux, cachemire, voiture… // chap. I (description de l’appartement de M.) Les objets / séduction : bonbons (chap. VII), camélia, piano (chap. X), clé (chap. XII) // portrait de Marguerite (séance 4) ; Les objets / maladie et mort : le « rouleau » de papier / journal intime de M (chap. V + les derniers chapitres), la cuvette d’argent (chap. X), le bonnet, la chemise longue (chap. XXVI) Réserver un sort particulier :
Conclusion Le traitement de l’espace renvoie à la fois au réalisme (cadre réel, précision des détails, opposition Paris / Province, sphère publique / sphère privée) et au romantisme (particulièrement dans la description de la nature). Les lieux et les objets proposés dans le roman comme dans l’opéra sont surtout symboliques : le choix de certains motifs, la subjectivité qui les enveloppe renvoient aux principaux thèmes et enjeux des deux œuvres : société de luxe, de plaisir, de débauche et d’apparence, amour, maladie, mort. Ils participent en outre pleinement de la structure (et donc de l’intrigue) du roman et de l’opéra : les personnages évoluent dans ces lieux en même temps que leurs sentiments, leur existence, leurs relations évoluent. Ils deviennent incontestablement personnages à part entière de l’œuvre. Enfin, ils contribuent à la création du mythe de la Dame aux camélias, accompagnant la trajectoire de l’héroïne depuis son statut de courtisane jusqu’au martyre final.
Remarque : On peut parfaitement envisager une séquence similaire sur le traitement du temps :
ANNEXES de la séance 3 Promenade à Bougival Une heure et demie après nous étions chez la veuve Arnould. Vous connaissez peut-être cette auberge, hôtel de semaine, guinguette le dimanche. Du jardin, qui est à la hauteur d’un premier étage ordinaire, on découvre une vue magnifique. A gauche l’aqueduc de Marly ferme l’horizon, à droite la vue s’étend sur un infini de collines; la rivière, presque sans courant dans cet endroit, se déroule comme un large ruban blanc moiré, entre la plaine des Gabillons et l’île de Croissy, éternellement bercée par le frémissement de ses hauts peupliers et le murmure de ses saules. Au fond, dans un large rayon de soleil, s’élèvent de petites maisons blanches à toits rouges, et des manufactures qui, perdant par la distance leur caractère dur et commercial, complètent admirablement le paysage. Au fond, Paris dans la brume ! Comme nous l’avait dit Prudence, c’était une vraie campagne, et, je dois le dire, ce fut un vrai déjeuner. Ce n’est pas par reconnaissance pour le bonheur que je lui ai dû que je dis tout cela, mais Bougival, malgré son nom affreux, est un des plus jolis pays que l’on puisse imaginer. J’ai beaucoup voyagé, j’ai vu de plus grandes choses, mais non de plus charmantes que ce petit village gaiement couché au pied de la colline qui le protège. Mme Arnould nous offrit de nous faire faire une promenade en bateau, ce que Marguerite et Prudence acceptèrent avec joie. On a toujours associé la campagne à l’amour et l’on a bien fait : rien n’encadre la femme que l’on aime comme le ciel bleu, les senteurs, les fleurs, les brises, la solitude resplendissante des champs ou des bois. Si fort que l’on aime une femme, quelque confiance que l’on ait en elle, quelque certitude sur l’avenir que vous donne son passé, on est toujours plus ou moins jaloux. Si vous avez été amoureux, sérieusement amoureux, vous avez dû éprouver ce besoin d’isoler du monde l’être dans lequel vous vouliez vivre tout entier. Il semble que, si indifférente qu’elle soit à ce qui l’entoure, la femme aimée perde de son parfum et de son unité au contact des hommes et des choses. Moi, j’éprouvais cela bien plus que tout autre. Mon amour n’était pas un amour ordinaire ; j’étais amoureux autant qu’une créature ordinaire peut l’être, mais de Marguerite Gautier, c’est-à-dire qu’à Paris, à chaque pas, je pouvais coudoyer un homme qui avait été l’amant de cette femme ou qui le serait le lendemain. Tandis qu’à la campagne, au milieu de gens que nous n’avions jamais vus et qui ne s’occupaient pas de nous, au sein d’une nature toute parée de son printemps, ce pardon annuel, et séparée du bruit de la ville, je pouvais cacher mon amour et aimer sans honte et sans crainte. La courtisane y disparaissait peu à peu. J’avais auprès de moi une femme jeune, belle, que j’aimais, dont j’étais aimé et qui s’appelait Marguerite : le passé n’avait plus de formes, l’avenir plus de nuages. Le soleil éclairait ma maîtresse comme il eût éclairé la plus chaste fiancée. Nous nous promenions tous deux dans ces charmants endroits qui semblent faits exprès pour rappeler les vers de Lamartine ou chanter les mélodies de Scudo. Marguerite avait une robe blanche, elle se penchait à mon bras, elle me répétait le soir sous le ciel étoilé les mots qu’elle m’avait dits la veille, et le monde continuait au loin sa vie sans tacher de son ombre le riant tableau de notre jeunesse et de notre amour. Voilà le rêve qu’à travers les feuilles m’apportait le soleil ardent de cette journée, tandis que, couché tout au long sur l’herbe de l’île où nous avions abordé, libre de tous les liens humains qui la retenaient auparavant, je laissais ma pensée courir et cueillir toutes les espérances qu’elle rencontrait. Ajoutez à cela que, de l’endroit où j’étais, je voyais sur la rive une charmante petite maison à deux étages, avec une grille en hémicycle ; à travers la grille, devant la maison, une pelouse verte, unie comme du velours, et derrière le bâtiment un petit bois plein de mystérieuses retraites, et qui devait effacer chaque matin sous sa mousse le sentier fait la veille. Des fleurs grimpantes cachaient le perron de cette maison inhabitée qu’elles embrassaient jusqu’au premier étage. A force de regarder cette maison, je finis par me convaincre qu’elle était à moi, tant elle résumait bien le rêve que je faisais. J’y voyais Marguerite et moi, le jour dans le bois qui couvrait la colline, le soir assis sur la pelouse, et je me demandais si créatures terrestres auraient jamais été aussi heureuses que nous. (Extrait du chapitre XVI) Les didascalies dans le livret de Piave (traduction) Premier acte Un salon dans la maison de Violetta. Au fond, une porte qui donne sur une autre pièce ; de chaque côté, une autre porte ; à gauche, une cheminée surmontée d’un miroir. Au centre de la pièce se trouve une table richement dressée. Deuxième acte Premier tableau Une maison de campagne près de Paris. Un salon au rez-de-chaussée. Au fond, face aux spectateurs, se trouve une cheminée surmontée d’un miroir et d’une pendule, entre deux portes vitrées, fermées, qui donnent sur le jardin. Au premier étage, deux autres portes, l’une en face de l’autre. Sièges, guéridons, quelques livres et le nécessaire pour écrire. Second tableau Une galerie richement meublée et illuminée, dans l’hôtel de Flora. Au fond, une porte, et deux autres sur les côtés. A droite, plus loin, un table à jeu avec tout ce qu’il faut pour jouer ; à gauche, une belle table fleurie, où sont posés des rafraîchissements ; des sièges et un divan. Troisième acte Chambre à coucher de Violetta. Au fond, un lit dont les rideaux sont à demi tirés ; une fenêtre fermée par les volets intérieurs ; près du lit, un escabeau sur lequel se trouvent une carafe d’eau, un verre en cristal, divers médicaments. Au milieu de la scène, une coiffeuse, à côté, un canapé ; plus loin, un meuble sur lequel brûle une veilleuse ; divers sièges, autres meubles. La porte est sur la gauche ; en face se trouve une cheminée où brûle un feu. 1 Emile de la Bédollière, Le Nouveau Paris, chap. X |