Le sejour de karl marx a alger








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LE SEJOUR DE KARL MARX A ALGER,

DU 20 FEVRIER AU 02 MAI 1882*


Il y a cent vingt ans que Marx a quitté Alger, après y avoir séjourné soixante douze jours. Il s’y est rendu sur recommandation de ses médecins et sur l’insistance de son entourage, particulièrement de son ami et compagnon de lutte Engels, pour y soigner une bronchite et une pleurésie. La douceur du climat d’Alger et du sud algérien était recommandée par le corps médical britannique aux patients, pour des cures et des soins afin de guérir les maladies pulmonaires.
Marx a contracté cette bronchite au retour de Paris pour Londres, où il vivait avec sa famille depuis les années quarante du 19ème siècle, jusqu’à son décès dans cette même ville le 14 mars1883. Il a effectué le voyage à Paris en compagnie de sa femme Jenny, atteinte d’un cancer déjà à un stade avancé, pour rendre une ultime visite à leur fille Jenny Longuet qui habitait à Argenteuil, dans la banlieue de Paris.
L’épouse de Marx, Jenny von Westphalen décède le 2 décembre 1881.
Sans aucun doute, la mort de son épouse complique l’état de santé de Marx. Sérieusement malade et alité, il n’a pas pu assister aux obsèques de sa chère épouse. C’est à partir de ce moment que la nécessité de soins plus intensifs commence à être envisagée, aussi bien par Marx lui même, que par son entourage, particulièrement par Engels.
Le séjour de Marx à Alger se situe à la fin du parcours d’une vie scientifique et intellectuelle intense, faite de travail acharné et de luttes politiques et organisationnelles multiformes. Les différentes péripéties de ces efforts gigantesques déployés tout le long de la vie de ces deux compagnons que sont Marx et Engels, peuvent être appréciés dans les deux éditions disponibles de leurs œuvres.
Une nouvelle édition, la Gesamtausgabe, prévue en 122 volumes, est en cours de publication. Cinquante volumes ont déjà été publiés.
C’est dans les Lettres d’Alger et de la Côte d’ Azur, adressées à ses proches et à Engels que Marx décrit ses séjours à Alger et dans le sud de la France.
Le mérite de les avoir regroupées et mises à la disposition du lecteur en langue française revient à G. Badia. (1) Tous ceux qui s’intéressent à cette période de l’histoire d’Alger et au passage de Marx dans cette ville ne peuvent que lui être reconnaissants.
A son tour, Marlene Vesper, auteur de l’ouvrage paru en langue allemande, intitulé « Marx in Algier » (2), a eu le mérite de nous présenter le travail le plus complet, jusqu’à présent, sur le séjour de Marx à Alger, sur une partie de son entourage immédiat dans cette ville, sur ceux qui l’ont aidé à vaincre sa maladie et ceux qui ont aussi cherché à lui rendre la vie et le séjour agréables. Il faudrait insister sur les mérites et les efforts opiniâtres entrepris par Marlene Vesper, pour « reconstituer les passages », « ressaisir les traces des pas » de Marx dans certaines rues ou quartiers de la capitale. Epreuve difficile, parfois impossible pour « débusquer » le barbier et le photographe, tous deux témoins, chacun à sa manière, de la dernière barbe et de la dernière photographie lors de la dernière année de la vie de Marx.

Ironique, n’écrit-il pas à Engels à ce sujet: «  à cause du soleil, je me suis débarrassé de ma barbe de prophète et de ma perruque, mais ( comme mes filles me préfèrent avec ) je me suis fait photographier, avant de sacrifier ma chevelure sur l’autel d’un barbier algérois » (3). Sa dernière photo, prise le 28 avril 1882, est donc aussi liée au séjour de Marx dans notre capitale. Un détail trop inconnu ou trop vite oublié.
Le lecteur, insuffisamment soucieux de la recherche de la conservation et de l’entretien de la mémoire peut se demander si tous ces détails sont importants. En histoire, dans les recherches historiques, et dans les démarches scientifiques en général, les détails, quand ils ont un sens, apportent toujours des éléments qui ressuscitent, éclairent des tranches de la vie.
Pendant soixante douze jours Marx a séjourné dans notre capitale. L’Algérie n’était pas inconnue aux deux penseurs et compagnons que sont Marx et Engels. Avant ce séjour à Alger, beaucoup d’écrits sur les colonies dont, ceux sur l’Algérie, sont déjà consignés dans leur œuvre.
Mais le séjour de Marx à Alger au dernier quart du 19ème siècle, va aussi projeter d'autres lumières sur cette ville.
N’est-il pas important de chercher à lire, et à saisir comment la plume des grands hommes peut révéler des plis de la vie cachée des pays, des régions, des sociétés ?…. Dans ce cas, des séquences de la vie d’Alger…du moins ce qui nous en est parvenu. Une somme d’appréciations et de jugements sur une capitale colonisée avec ses microcosmes sociaux à la fin de ce 19ème siècle. Il faut espérer que d'autres sources et d'autres lettres de ce penseur seront encore trouvées et publiées.
Mais avant de lire Marx dans ses lettres et l’accompagner dans Alger, il serait intéressant de voir pourquoi et comment la décision du départ pour Alger a été prise, autant par Marx lui-même que par son entourage.
Ce qui ne s'est pas fait aisément. La correspondance des années 1881 et 1882, après le décès de son épouse et jusqu'à la veille de son départ pour Alger, contiennent des indications intéressantes.
MARX, PARTIRA  - T - IL  ?... OU NE PARTIRA - T - IL PAS  POUR ALGER ?
La décision du départ de Marx pour Alger n’a été prise ni simplement, ni facilement. C’est le point de vue d’Engels, sur avis des médecins qui ont soigné Marx depuis 1881 jusqu’à 1882 qui a pesé le plus dans la décision finale du départ. Mais cette décision rencontre des résistances de la part de Marx lui même. Trois raisons principales vont la déterminer :
1) l’état de l’évolution de la maladie de Marx, 2) le lieu de cure et de soins pour garantir un prompt rétablissement du malade, 3) les garanties d’une situation politique qui ne doit en aucune manière affecter le malade et sa convalescence.
Ce sont les interférences de ces trois raisons qui vont faire mûrir la décision du départ de Marx pour Alger. La chronologie de la correspondance de Marx avec ses filles, avec Engels, avec ses proches camarades, et le climat social que provoque ou suscite sa maladie, prouvent aussi que le départ de Marx pour Alger est déterminé par une nécessaire prudence politique. D’où, recherche fébrile de la part de son entourage familial et politique, investigations sur le lieu du séjour…hésitations…compte tenu des trois contraintes mentionnées.


L’idée d’un départ, d’abord pour le sud de l’Europe… et… peut-être pour Alger. Voyons, à la lecture des lettres comment la décision du départ pour Alger s’impose progressivement.

Dans une lettre du 13/12/1881 (4) adressée à Danielson*, Marx annonce le décès de son épouse et lui précise, que vu l’état de sa maladie, les médecins veulent l’envoyer au sud de la France et même peut-être à Alger. Puis, deux jours plus tard, dans une lettre à Sorge* du 15/12/1881 (5) il l’informe de son départ la semaine prochaine pour Ventnor à l’île de Wight en Angleterre, lieu où Marx part se soigner habituellement, accompagné de sa fille Eleanor, qu'il surnomme Tussy. Tandis-que dans une autre lettre du 17/12/1881 (6), adressée à sa fille aînée , il y est question d’un séjour à Ventnor et plus tard, d’un départ pour le sud. Sans précision du pays de destination. Il s’agit du sud de l’Angleterre ou de la France. Par contre, dans une lettre à Kautsky* du 18/12/1881 (7) Engels annonce le rétablissement de la santé de Marx et son prochain départ pour le sud de l’Angleterre.
La lecture des lettres échangées entre Marx et les membres de son entourage nous donne une idée des intenses consultations qui avaient cours entre eux pour choisir d’urgence le lieu des soins.

De l’autre côté, les adversaires politiques de Marx annoncent à grand bruit sa mort. Dans une lettre du 29/12/1881 (8) , adressée à Ferdinand Domela Nieuwenhuis* in Den Haag, en Hollande, Engels réfute cette fausse nouvelle de la presse bourgeoise. Il lui dit que Marx est guéri et qu’il part pour Ventnor, à l’île de Wight pour se reposer.
En vérité, dans une lettre de Marx à sa fille, Laura Lafargue du 4/1/ 1882 , il lui fait part du mauvais temps qui règne dans l’île depuis son arrivée à Ventnor ; sa santé ne s’améliorant pas, et plus encore, la lecture de la presse bourgeoise allemande annonce, dit-il – «  ma mort ou ma mort proche, ce qui – ajoute-t-il – m’amuse beaucoup ».(9)  
Enfin, dans une lettre à Bernstein* du 6/1/1882 , Engels laisse espérer bientôt une amélioration de sa santé ; le danger d’une rechute de la maladie étant apparemment presqu’exclu. L’empressement de la presse bourgeoise – ajoute-t-il - à répandre la nouvelle de sa mort prochaine, a été utile à Marx qui a réagi en disant : « maintenant, pour faire enrager ces chiens maudits, je dois vivre longtemps ».(10)
Marx revient à Londres quelques jours avant le 23/1/1882. A la même date il fait part d’une décision à Piotr Lawrowitsch Lawrow qui semble définitive : « maintenant, on a l’intention de m’envoyer quelque part au sud, peut-être en Algérie. Il n’y a pas d’autre choix. L’Italie est pour moi inaccessible ( à Milan,écrit-il, un homme a été arrêté, parce que son nom de famille était semblable au mien) ; je ne puis d’ailleurs partir d’ici en bateau et traverser Gibraltar, les Anglais exigent un passeport que je n’ai pas. ». Puis - précise-t-il - un tel voyage va lui faire perdre un temps précieux au regard de tout ce qui lui reste à finir d’écrire et à entreprendre : « si ce n’était l’insistance des médecins et de mes proches, je n’aurais jamais accepté un tel projet qui implique une grande perte de temps, si cette maudite maladie « anglaise » n’agissait pas tant sur mon cerveau . Une rechute de la maladie, même si je guérissais après, m’aurait encore pris plus de temps. Mais malgré tout cela, je vais encore essayer d’entreprendre quelque chose ici. » (11)  

L'IDEE DU CHOIX D'ALGER, COMME VILLE POUR LES FUTURS SOINS DE MARX SE PRECISE.
Les différentes raisons du choix sont mieux explicitées et mieux expliquées. Engels insiste sur les raisons qui expliquent que Marx ne partira pas pour la Riviera italienne, comme lieu précédemment envisagé, dans une lettre à Bernstein du 25 – 31/1/1882  : « Uniquement, ce qui a été fermement décidé, à propos du départ de Marx pour le sud, est qu’il ne se rendra ni à la Riviera, ni en Italie. Les raisons sont strictement d’ordre policier. Car la première condition pour un convalescent est de lui faire éviter les tracasseries policières. L’ Italie, du côté bien sûr de l’empire bismarkien, nous fournit sous ce rapport, le moins de garanties. » (12)
Le départ pour le sud de la France et la décision du départ pour Alger.
Entre le 9 et le 16 février 1882  Marx rend visite à sa fille ainée Jenny Longuet à Argenteuil, près de Paris. C’est là que le médecin, au vu de l’état de la maladie, décide de l’envoyer à Alger. Cette ville et sa côte, reconnues par le corps médical anglais et européen, pour leur climat hivernal doux et tempéré. Un climat propice aux soins, à la convalescence et à la guérison des malades atteints de maladies pulmonaires. Mais Marx, même malade, n’a jamais accepté de se soumettre à sa maladie. Il a continué d’avoir une activité, certes de beaucoup diminuée ou rendue difficile, mais activité quand même. Il a pris dans ses bagages le manuscrit du Livre I du Capital en vue de préparer une troisième édition. Ou encore, de passage à Paris, à la veille de son départ pour Alger, il a rencontré Jules Guesde*, Deville*, accompagnés de Mesa* qui sont des personnalités internationales européennes du monde du travail. Marx en parle à Engels dans la lettre datée du 17/2 /1882 (13) qu’il lui adresse de Marseille, à la veille de son départ pour Alger. Ou encore aussi, ce témoignage d’Engels dans une lettre à Bernstein du 22-25 février 1882 :  « Marx est arrivé à Alger le lundi matin ; les médecins et moi même l’avons tout le temps persuadé à partir. Mais il n’y tenait pas particulièrement. Il a là - bas une connaissance, un juge près le Tribunal civil. Ce juge a été déporté* du temps de Bonaparte ; il connaît très bien les rapports de propriété communautaires chez les Arabes et a proposé à Marx de lui donner des éclaircissements sur ce point. » (14)
L’ARRIVEE DE K. MARX A ALGER
Il quitte Marseille le 18 février à 5 heures de l’après-midi sur le « Saïd », « excellent steamer », dit-il, dans une lettre à Engels du 21février : « le voyage a été rapide si bien que nous avons atteint Alger dès le lundi (20 février) à 3heures ½ du matin. Toutefois il a fait froid pendant la traversée et, bien que le bateau fût pourvu de tout le confort, je n’ai pas dormi les deux nuits en raison du bruit diabolique des machines, du vent, etc. qui m’empêchaient de trouver le calme dans ma cabine. » (15). Arrivé à Alger, il est accueilli par le juge Fermé de «  la façon la plus amicale qui soit ». Ce dernier est connu de Paul Lafargue et de Charles Longuet, respectivement époux d’Eleanor et de Jenny, la fille aînée de Marx. C’est Charles Longuet qui a recommandé Marx à Fermé – juge près le tribunal civil d’Alger- dans une lettre que ce dernier a reçue la veille de l’arrivée de Marx à Alger. Il sera son guide à travers la ville ; il l’aidera à s’installer dans la Pension Victoria et il l’informera de certains méfaits de la colonisation.
Est-ce qu’il y a eu une correspondance suivie entre Fermé et Marx, lorsque ce dernier sera revenu à Londres ? Nous n'en savons rien.
L’état de l'information disponible dans les deux précédentes éditions des œuvres de ces auteurs ne permet pas d’en savoir plus pour le moment.
Deux nuits au Grand Hôtel d’Orient.
Le débarquement des passagers du bateau le « Saïd » se fera du côté de l’emplacement actuel de la pêcherie, près de l’Amirauté. De là, on monte par la rampe pour se trouver sur l’Avenue de la République, l’actuel front de mer, ou Boulevard Che Guevara. Le Grand Hôtel d’Orient se situe sur cette même avenue, avant d’arriver à l’immeuble actuel de la Wilaya qui fait face au port. Marx y passera deux nuits. A Engels, il écrit : « Comme d’ailleurs l’après-midi du 22 février, le thermomètre annonçait un temps favorable et que dès le jour de mon arrivée, j’avais repéré, en compagnie du bon juge Fermé, l’Hôtel-Pension Victoria, je quittai le Grand Hôtel d’Orient (où couche l’abominable philosophe radical Ashton Dilke* ; au reste dans le « Petit Colon » (16)  et d’autres petits journaux algériens, tout anglais est un lord et on donne du lord même à Bradlaugh*) avec mes bagages pour une des collines en dehors de la fortification du côté de l’est de la ville ».
MARX S’INSTALLE DANS L'HOTEL - PENSION VICTORIA.     
C’est dans ce lieu paisible et agréable, doté d’un personnel serviable que Marx, malade, va aussi difficilement et sûrement établir, construire en quelque sorte sa ou ses relations à la ville d’Alger.

Les premières difficultés qu’il ressent, pendant les premières semaines de son séjour, sont dues à sa maladie, rendue insupportable par un temps exceptionnellement mauvais. Mais Marx n’est pas homme à se laisser abattre. Au bout de son séjour et grâce aux efforts du Docteur Stephann, son médecin traitant, Marx guérira de sa bronchite chronique.
Marx et le climat algérois
Comme choqué par la rigueur exceptionnelle du temps dans une ville appréciée pour la douceur de sa température en cette période de l’année, Marx se croît comme « poursuivi » par une sorte de mauvaise fatalité « climatique ». Il écrit dans la première carte postale du 21 février 1882 à Engels  : « Ici m’était réservé mutatis mutandis le même quid pro quo qu’à l’Isle of Wight ! Cette année en effet, la saison est ici exceptionnellement froide et humide, ce qui fait que Nice et Menton raflent actuellement la majorité des touristes. En tout cas, j’avais quelques mauvais pressentiments et j’avais insinué à plusieurs reprises de commencer d’abord par la côte d’Azur. Il semble que ce soit une fatalité. » (17)

Comment va évoluer cette tristesse, cette mélancolie qui se donnent libre cours dans un ton à la fois harassé et pensif ?

Mon cher Fred, écrit-il à Engels : « ….le mois de décembre a été épouvantable à Alger, en janvier il a fait beau, en février le temps a été froid, humide aussi, je suis tombé sur les trois jours les plus froids de ce mois : les 20, 21, 22 février. Insomnie, manque d’appétit, forte toux, ne sachant trop que faire, et non sans des accès de temps à autre d’une profonde mélancolia, tout comme le grand Don Quichotte…. » (18)

Un mois après son arrivée, soit le 23 mars, une lente évolution de son état, suivie d’une amélioration encore insuffisante de sa santé, donne à ses lettres un accent moins triste : «…  Depuis mardi, avec les pauses de rigueur, nouvelle tempête qui fait rage jour et nuit : tonnerre et rares éclairs, pluie le soir et surtout la nuit, ce matin aussi. Ce qui m’a frappé particulièrement, le mardi après-midi, lorsque l’orage s’approchait, c’est le ciel d’encre, sombre, menaçant ; dans cet orage un authentique sirocco africain joue un rôle … » .(19)
Malgré sa maladie, qui lui donne des insomnies, mais aussi dans un pays physiquement nouveau pour lui, Marx nous livre un tableau du ciel et de l’orage algérois. Comme

un peintre qui saisit les mouvements de l’orage et du ciel, non à l’aide d’un pinceau mais à l’aide de sa plume.  «  28 mars : Temps pluvieux, maussade aux premières heures de la matinée de ce jour : c’est par ces mots que j’ai clos la brève épitre à Tussy. Mais après qu’elle eût été expédiée, s’est levée une tempête, pour la première fois dans les règles de l’art ; pas seulement le hurlement du vent, les trombes d’eau, le tonnerre, mais des éclairs sans arrêt par dessus le marché….La répartition des couleurs sur les vagues dans la belle baie qui forme presque une section d’ellipse était un spectacle intéressant : le ressac tout en blanc était ceint d’une masse d’eau qui du bleu avait viré au vert. » (20)  
Les lettres d’Alger sont par certains de leurs aspects un « journal du temps algérois », tel que vécu et ressenti par un malade en voie de guérison. A la fin du mois de mars, les signes de cette amélioration se font mieux sentir et la relation de Marx à lui même, à son entourage, à la ville vont apparaître sous un jour plus serein : « Auparavant, comme à chaque visite, auscultation complète : pour la très grande partie du côté gauche, état bien meilleur….Pour la première fois aujourd’hui, Stephann ( le docteur soignant ) m’a déclaré – manifestement parce qu’il me considère comme assez réparé pour pouvoir parler sans ambages – qu’à mon arrivée à Alger j’avais déjà rechuté et que cette rechute était très grave… le 30 mars (hier) le temps est devenu chaud et agréable vers midi, et je me suis promené sur le balcon…Entre temps, samedi ( 1er avril) comme lundi (3 avril ) chaleur un peu « très»  lourde), mais le vent, ce n’était pas encore le sirocco, m’a cloué à ma galerie en raison des tourbillons de poussière……hier soir admirable clarté de la baie sous la lune. Je n’arrive jamais à me lasser de contempler la mer de ma galerie. » (22)
Ainsi donc une maladie pesante, mais aussi une guérison lente va lui faire recouvrer de l’optimisme et l’espoir de guérison. Il va commencer à apprécier la ville.
Marx, sur la beauté du paysage qui enveloppe la ville.
L’observation de la ville se fait d’abord du lieu où il habite. La Pension Victoria se trouve dans Mustapha Supérieur, une commune sur les hauteurs d’Alger, en haut du boulevard Bon Accueil, devenu plus tard Boulevard Saint-Saëns et actuellement Boulevard Mohammed V, à la hauteur approximativement des numéros actuels 97 à 101. Selon les indications données par G. Badia dans la préface des Lettres d’Alger et de la Côte d’Azur, la ville avait une population de 70.000 habitants et la commune de Mustapha Supérieur comprenait 13.556 habitants selon le recensement de 1881. (23)
La Pension Victoria, où il habite devient un peu comme par nécessité, son « observatoire » :
« D’abord, - écrit-il à Paul Lafargue - mon brave gascon, que signifie « Mustapha supérieur » ? Mustapha est un prénom comme John. Quand on quitte Alger par la rue d’Isly, on voit devant soi une longue rue ; d’un côté se dressent, au pied de la colline, des villas mauresques, entourées de jardins, (une de ces villas c’est l’Hôtel Victoria ) ; de l’autre côté, la route est bordée d’immeubles disposés en terrasses jusqu’au bas de la pente. Et le tout ensemble s’appelle « Mustapha Supérieur ». Le Mustapha inférieur commence au flanc du Mustapha supérieur et s’étend jusqu’à la mer. » (24)
Il est frappé par la beauté du paysage qui enveloppe la ville : « Ici, situation magnifique, devant ma chambre la baie de la mer Méditerranée, le port d’Alger, des villas disposées en amphithéâtre escaladant les collines (des ravines au dessous des collines, d’autres collines au dessus ) ; plus loin, des montagnes visibles entre autres les sommets neigeux derrière Matifou, sur les montagnes de Kabylie, des points culminants du Djurdjura ( tous ces monts, comme les dites collines, sont calcaires). – Le matin, à 8 heures il n’est rien de plus enchanteur que le panorama ; l’air, la végétation, merveilleux mélange européo-africain…. » (25)
Les sites de la ville.
« Il n’y aurait rien de plus enchanteur que la ville d’Alger, ni surtout que la campagne aux abords de cette ville en été et avant. J’aurais une impression des mille et une nuits – en me supposant en bonne santé – si j’avais autour de moi tous ceux que j’aime (sans oublier les petits fils)…. » (26)
Mais le juge Fermé n’a pas ménagé son hôte déjà les deux premiers jours de son arrivée. Il voulait sans doute lui faire connaître, lui faire visiter beaucoup de lieux de la ville : «  Ce brave Fermé, les tous premiers jours (alors que j’étais encore à l’Hôtel d’Orient), m’a submergé, je veux dire qu’il m’a fait courir par monts et par ville….. » (27)
Les lettres d’Alger, en tout seize actuellement répertoriées dans la Correspondance. Tous s’accordent que beaucoup de lettres ont été égarées ; La fille de Marx, Eleanor, dans une lettre à Wilhelm Liebknecht* témoigne à ce sujet : « d’Alger, il (Marx) m’écrivait de longues lettres. Beaucoup de ces lettres, je les ai perdues, parce que - sur sa demande – je les envoyais à Jenny. Et elle ne m’en a retourné que très peu. »
Ce qui nous conduit à une première supposition sur les espaces et les sites de la ville qui auraient fait l’objet de descriptions, de réflexions et qui ne figurent pas dans la correspondance connue.
Bab Azzoune. Cette rue était le centre du commerce et des affaires. Par contre, les hauteurs, où se situait la Pension Victoria, étaient jadis considérées comme une banlieue. Ce n’est que lorsque la colonisation d’Alger prendra plus d’extension, que le centre du commerce et des affaires se déplacera de Bab Azzoune vers les rues d’Isly et Michelet, actuellement rue Ben M’hidi et Didouche Mourad.
De même…une autre remarque.
Aucune allusion implicite ou explicite à sa visite ou à son passage à la Casbah, connue comme l’ancien centre et l’ancienne ville d’Alger ? La Casbah demeure, malgré toutes les vicissitudes et les drames vécus par la société algérienne, une institution architecturale et un monument de la mémoire nationale. Du temps de Marx, c’est à dire après cinquante années de présence et de domination françaises, la dégradation de la Casbah s’accélère. Un visiteur étranger témoigne, après avoir visité Alger et la Casbah, une fois en 1847, et une deuxième fois en 1877  :  « Au premier regard je ne reconnaissais pas cette chère ville arabe. La vie de cette ville ancienne s’est éteinte, le centre de la ville s’est déplacé vers la nouvelle qui s’étend le long de la côte. Quand on débarque du bateau à vapeur et qu’on regarde autour de soi, on pense qu’on est encore en Europe, plus précisément en France. » (28)
Dans cette partie disponible de la Correspondance, il est admis pour le moment, que ces pertes de lettres ont créé des vides, des lacunes dans la suite chronologique de l’information et des appréciations que Marx pouvait fournir sur Alger et sur la société algéroise ou algérienne. Il s’agit aussi bien des lettres de Marx à d’autres personnes et inversement. L’examen de la succession chronologique des lettres d’Alger montre souvent qu’après un rythme assez régulier de réception et d’envoi de lettres, à peu près tous les deux jours, il y a des « silences » de dix à quinze jours. Ce qui n’est pas dans les habitudes de Marx de ne pas écrire ou de ne pas répondre, surtout en cette période à la fois de sa maladie et de son éloignement.
De nouvelles lettres, dit-on, auraient été retrouvées.
Il a été aussi question, pendant les vingt dernières années, que de nouvelles lettres de cette Correspondance ont été retrouvées, que l’institut de Moscou se proposait de les remettre au Comité international actuel qui s’occupe de la nouvelle édition des œuvres de Marx-Engels. La consultation du site internet de cette nouvelle édition en préparation, connue sous le nom de – La Gesamtausgabe = l’édition complète des œuvres de Marx-Engels -- nous a permis d’apprendre que Le Comité International, responsable de la publication vient de faire éditer le cinquantième volume sur les 122 volumes prévus des œuvres complètes. Les volumes 49 et 50, aujourd’hui disponibles peuvent être consultés dans les bibliothèques sérieuses et soucieuses de fournir à leurs lecteurs une information scientifique plus complète et actualisée. La consultation de ces volumes nous aurait peut être fourni des informations précieuses sur ces questions. Tout en précisant d’autre part, que le traitement de la Correspondance de Marx-Engels par les responsables de cette nouvelle édition, concerne 13000 à 14000 lettres répertoriées jusqu’à ce jour sur 20.000 lettres qui auraient été jadis envoyées et reçues par ces mêmes auteurs. La publication définitive du fonds de la Correspondance disponible pour le moment serait prévue pour l' année 2015.
Il est triste et navrant de constater qu’il est quasi impossible, aujourd’hui, à partir des bibliothèques d’Alger et d’Algérie, d’accéder à cette nouvelle édition et à tant d’autres éditions d’autres hommes de science et de penseurs ! Il faut souligner l’état de délabrement avancé dans lequel se trouvent les bibliothèques d’Alger, principalement celles que l’on désigne du nom de Bibliothèques Nationales !

Cet état de délabrement durable – comme d’ailleurs tout ce qui touche à la culture et à la formation – est toujours aussi l’objet d’une indifférence et d’un silence complices de la part d’un type d’enseignants et d’un type de chercheurs.

Sans oublier la responsabilité directe et permanente des institutions politiques officielles qui ne permettent pas aux domaines de la science, de la culture et des arts de s'épanouir. Les bibliothèques et la recherche multiforme étant le support nécessaire à un tel épanouissement.

Un attentat silencieux et durable contre la mémoire et contre l’intelligence nationales que notre pays et notre peuple payent déjà fort cher.
Pour revenir à notre propos, malgré ces lacunes constatées dans la Correspondance, d’autres sites de la ville n’échappent pas à la curiosité de Marx.
La visite du Jardin d’Essai :

« Hier à une heure de l’après-midi nous sommes descendus à Mustapha inférieur d’où le tramway nous a amenés au Jardin Hamma ou Jardin d’Essai qui sert de « Promenade publique », avec à l’occasion des concerts de musique militaire, et qui est utilisé comme « pépinière » , pour faire pousser et propager des végétaux indigènes, enfin pour des expériences botaniques scientifiques et comme jardin d’ « acclimatation ». Le tout occupe un très vaste terrain, dont une partie est accidentée,tandis - que l’autre est en plaine. Pour observer tout en détail, il faudrait au moins un jour entier et le faire en outre avec un connaisseur, par ex. l’ami de Fermé, l’ex-fouriériste M. Durando, professeur de botanique, chef d’une section du « Club alpin français » dont il dirige régulièrement les excursions dominicales. ( J’ai beaucoup regretté que mon état physique et l’interdiction formelle du Dr Stephann ne m’aient pas jusqu’ici permis de participer à ces excursions auxquelles j’ai été invité à trois reprises.) » (29)  
Un premier regard sur ce deuxième aspect des lettres, montre que Marx fait une saisie physique d’Alger, les changements dans son climat, ses paysages internes, ses alentours immédiats. Son Jardin. Mais aussi la situation de son lieu de séjour par rapport à d’autres parties du centre ville.
Tandis-que d’autres développements dans les lettres nous font découvrir d’autres aspects plus cachés de la ville.

L’autre Alger et…l’autre Algérie.
Peut-être que pour saisir les appréciations que porte Marx sur Alger, ne faudrait-il pas distinguer, entre ce que le juge Fermé et les autres personnes de la Pension -Victoria lui disent à propos d’Alger, de la colonisation de l’Algérie, et ce que Marx lui même retire directement de ses observations de la société algérienne ?
Deux villes d’Alger dans une ?
C’est dans la description de la commune de Mustapha Supérieur et son mode de gestion par le maire que Marx note la différence entre deux milieux de la société algérienne. Il livre ses impressions à P. Lafargue* dans la lettre du 20 mars 1882 : « Les deux Mustapha constituent une commune (Mustapha) dont le maire ( ce monsieur n’a pas un nom arabe, ni français, mais un nom allemand ) fait à ses administrés, de temps en temps, à l’aide d’affiches officielles, toutes sortes de communications. Vous voyez donc que le régime en vigueur ici est très doux. A Mustapha Supérieur on bâtit sans arrêt de nouvelles maisons, on démolit les anciennes, etc., et pourtant, bien que les ouvriers qu’on emploie à ces travaux soient des gens d’ici, ils sont pris de fièvres. Aussi une partie de leur salaire consiste-t-elle en une dose quotidienne de quinine, qui leur est fournie par les entrepreneurs. On peut observer le même usage en diverses régions d’Amérique du sud. » (30)

Marx constate, non sans humour et ironie, l’existence d’une grande injustice dans les modes de vie, de travail et d’appropriation des revenus de deux communautés, deux sociétés l’une algérienne, l’autre d’origine européenne. Les uns sont des travailleurs dans les chantiers, les autres leurs employeurs. Une séparation entre le monde du travail et le monde du capital dans ce microcosme qu’est la commune de Mustapha. Cette situation est comparable, dit-il, à celle de l’Amérique du sud.
Donc, des situations coloniales similaires ou comparables engendrent les mêmes effets dans des contextes géographiques et civilisationels différents. Mais la société algéroise n’est pas composée seulement de deux communautés.
Alger, comme « une tour de Babel des modes de vie et des costumes » ?
Diversité de la composante humaine de la société algéroise. Une ville au carrefour des continents et des civilisations : « Ce que je voudrais, c’est faire venir Johnny ici sur un tapis volant, un jour où il fait très beau ; comme mon petit chéri serait surpris de voir des Maures, des Arabes, des Berbères, des Turcs, des Nègres, bref toute cette tour de Babel et leurs costumes ( souvent poétiques ), ce monde oriental où se mêlent des Français « policés », etc. et de tristes Anglais… » (31)
Ou encore, pris par la nostalgie des siens, Marx fait la description minutieuse d’une scène que lui révèle soudain un bruit insolite : « …A l’instant m’interrompt un bruit qui provient du petit jardin en terrasse… Ah ! que le petit Johnny* rirait de bon cœur, de son rire joyeux, s’il était à côté de moi : en bas, dans le jardin, dansait un nègre à la peau d’un noir de poix, jouant sur un petit violon, faisant claquer ses longues castagnettes de fer, tout en se livrant à des contorsions bizarres, son visage tordu par un large et joyeux sourire. Ces nègres d’Algérie étaient en général, naguère les esclaves des Turcs, Arabes, etc., mais ils sont devenus libres sous le régime français. Derrière lui, derrière ce nègre, se tient quelqu’un d’autre, très digne qui regarde et sourit avec quelque condescendance au spectacle donné par le noir. C’est un Maure (anglais : Moor, allemand : Mohr ) ; du reste en Algérie on ne dit pas Maures, on dit les Arabes ; une petite minorité d’entre eux qui a quitté le désert et ses tribus, habite dans les villes aux côtés des Européens. Ils sont plus grands que la moyenne des français, ont des visages ovales, des nez en bec d’aigle, de grands yeux brillants, des cheveux et une barbe noire et la couleur de leur peau s’étend sur une échelle qui va du presque blanc au bronze foncé. Leur vêture est élégante et pleine de grâce – même lorsque leurs habits sont en loques - , une culotte (ou un manteau, plutôt une toge de fine laine blanche ou un capot à capuchon ; leur couvre-chef (par mauvais temps quand il fait trop chaud, etc. le capuchon leur en tient lieu aussi ), est un turban ou un foulard de mousseline blanche ), qu’on entoure autour des calottes, en règle générale, ils ont les jambes nues, les pieds aussi, mais parfois ils portent des pantoufles de maroquin jaune ou rouge. Le plus misérable des maures surpasse le plus grand comédien d’Europe dans « l’art de se draper » dans son capot et de prendre une attitude pleine de naturel, de grâce et de dignité, qu’il marche ou qu’il se tienne debout… Donc le maure en question – qui se tient derrière le nègre dans notre jardin – offre d’une voix sonore, des oranges et des coqs ( y compris des poules, curieux mélange de ces produits, fort courants ici…. » (32)  

Un spectacle de rue où interfèrent des relations marchandes non dénuées de rapports d’esclavage domestique et où se profile encore l’allure du « maître » encore jaloux de sa grandeur passée, une grandeur et une dignité qu’il garde jalousement encore dans la manière de se vêtir et de s’habiller. Les habitants d’Alger et d’Algérie, à cette date, après cinquante ans de domination coloniale française, n’ont pas encore perdu leurs différents costumes régionaux. Marx est comme étonné par le type physique de l’homme, la manière de se vêtir et la dignité du port de l’habit.
Face à ce présent où interfère un passé qui s’agrippe encore à l’allure, au costume pour sauvegarder jalousement une dignité bafouée, il y a la brutalité et la sauvagerie de la réalité coloniale qui tenaillent la société algérienne.
Torture et barbarie des institutions coloniales.
La réalité coloniale et ses effets sont révélés dans des passages des lettres. C’est dans les conversations avec Fermé que Marx est informé du fonctionnement de la justice coloniale : « Fermé me raconte que durant sa carrière de juge de paix ( et cela « régulièrement ») on utilise une sorte de torture pour extorquer les aveux aux Arabes ; naturellement, c’est la « police » qui s’en charge (comme chez les Anglais aux Indes) ; le juge est supposé ne rien savoir de tout cela. Par ailleurs, raconte-t-il, quand par ex. une bande d’Arabes commet un meurtre, presque toujours pour voler, et qu’au bout de quelque temps les véritables voleurs ont été pincés, jugés et décapités, cette expiation ne suffit pas à la famille de colons lésée. Elle exige au minimum qu’on « coupe » un peu la tête par dessus le marché à une demi-douzaine d’Arabes innocents qu’on déclare suspects d’assassinat, de cambriolage, etc. » (33)
Puis suit une comparaison des degrés de cruauté coloniale entre les colonisations française, anglaise et hollandaise…
Ou encore, Un autre texte où Marx fait le point des incidences des rapports sociaux coloniaux sur les rapports traditionnels qui continuent de cimenter les relations et les comportements des algériens entre eux.
LE CAFE MAURE ET DE QUELQUES PROFILS DE LA SOCIETE ALGERIENNE.
« Avant de pénétrer dans le « Jardin d’Essai », nous bûmes du café, en plein air naturellement, dans un « café » maure. Le Maure en prépare d’excellent, nous étions assis sur des tabourets. Sur une table de bois brut, une douzaine de clients maures, le buste penché en avant, les jambes croisées, savouraient leurs petites « cafetières » ( chacun a la sienne) tout en jouant aux cartes ( une victoire que la civilisation a remportée sur eux) (34). Le spectacle était très impressionnant : certains de ces Maures étaient habillés avec recherche et même richement, d’autres portaient ce que j’oserais appeler des blouses, qui étaient autrefois de laine blanche, à présent en lambeaux et en loques – mais aux yeux d’un vrai musulman de telles contingences, la chance ou la malchance, ne sauraient établir une différence entre fils de Mahomet. Cela n’influe pas sur l’égalité absolue qu’ils manifestent dans leurs relations sociales. Ce n’est que lorsqu’ils sont démoralisés qu’ils prennent conscience de ces différences ; en ce qui concerne la haine envers les chrétiens et l’espoir de remporter finalement la victoire sur ces infidèles, leurs hommes politiques considèrent à juste titre ce sentiment et la pratique de l’égalité absolue ( non du confort ou de la position sociale, mais de la personnalité) comme quelque chose qui les incite à maintenir vivante la première et ne pas renoncer au second.

(ET POURTANT ILS SONT FICHUS SANS UN MOUVEMENT REVOLUTIONNAIRE.)  » (35)
Quel est le fond de la pensée de Marx ? Ne cherche-t-il pas à saisir, à faire ressortir les éléments d’une logique historique de la société algérienne, confrontée à la fois à son passé toujours présent dans les comportements des hommes qui font face à la domination coloniale ?
C’est une société profondément égalitaire ou égalitariste, les relations entre les hommes ne sont pas remises en cause par les différences de costumes riches ou pauvres qu’ils portent. .
L’égalité absolue se trouve comme fondée par la vision musulmane du monde et de la société, confrontée à l’existence d’un ennemi étranger.
En réalité, c’est la force des relations tribales et communautaires qui entretient cette volonté du maintien de l’égalité absolue, considérée comme étalon de références aux relations entre les hommes de cette même communauté et moyen d'autodéfense et de maintien de la cohésion communautaire.
Qui sont alors ces hommes politiques qui oeuvrent pour le maintien de l’égalité absolue … et pour la lutte pour la libération de cette communauté de la domination des infidèles, auxquels fait allusion Marx ?
Est-ce que Marx a rencontré pendant son séjour des personnalités nationales ?
Rien pour le moment ne permet de dire quoi que ce soit sur ce sujet. Pourtant, l’allusion à cette rencontre ou à ces rencontres, semble être claire, si nous supposons que ces questions n’ont pas fait l’objet d’échanges approfondis de points de vue avec le juge Fermé. Une chose est sûre, le café maure, les hommes qu’il y observe et les remarques qu’il fait relèvent de ses observations directes.

Et en réexaminant encore le texte ci-dessus, nous pensons, que de près ou de loin, le problème national y est saisi comme dans son enveloppe religieuse ou religieusement moralisante, un duel entre le bien et le mal, exprimé dans une relation d’opposition entre croyants et mécréants ! Les mécréants dans cette logique étant ceux qui dominent les croyants. La religion fonctionne comme institution politique. Et jusqu’à nos jours, des parties de la société, celles qui refusent de voir dans le problème national un problème d’essence laïque, déterrent consciemment ou inconsciemment des modes de penser et de réfléchir qui plongent leurs racines dans les temps des croisades, bien avant la période d’éclosion du mouvement moderne de libération. Ce qui signifie que ce problème garde encore aussi de nos jours, par certains de ses aspects politiques et idéologiques, beaucoup de son actualité au sein des couches de la société. Il prend des formes d’expression diverses tant que des formes révolutionnaires de pensée qui soient portées par des hommes critiques de leur passé et de leur présent ne l’ont pas réexaminé.
Mais alors en dernière analyse, Marx ne s’adresse- t – il pas aux peuples, aux travailleurs non seulement de l’Algérie, mais aussi à ceux des pays se trouvant dans des situations historiques comparables ?
La sortie de l’impasse historique ne peut se faire que si ces mêmes sociétés se donnent pour tâche ardue et difficile de forger un mouvement révolutionnaire. Nous pensons que là est le message essentiel de Marx.
Et pour donner toute sa portée au constat de Marx quand il conclue :
" …ILS SONT FICHUS SANS UN MOUVEMENT REVOLUTIONNAIRE..." (la traduction donne, à notre avis un sens légèrement atténué ) , ou selon le texte original …« DENNOCH GEHEN SIE ZUM TEUFEL WITHOUT A REVOLUTIONARY MOVEMENT» = « SANS MOUVEMENT REVOLUTIONNAIRE, ILS IRONT AU DIABLE ». (Traduit par nous. M.L.B. In MEW. T. 35. p.309. Dietz Verlag . Berlin. 1985.)

 

Mais alors, à la lecture de ce passage saisissant, que faut-il penser, tant le jugement ne semble pas s’inscrire uniquement dans une séquence de temps étroite ou immédiate par rapport au vécu et au passage de Marx ?
En laissant de côté les susceptibilités possibles que peut susciter l’expression, "ils iront au diable", et qui signifie pour Marx, que la société algérienne ira à sa perte si cette même société ne se forge pas un mouvement révolutionnaire, il faudrait chercher, en recourant aux écrits des deux auteurs Marx-Engels, à préciser le sens et les dimensions d'une telle affirmation.
Sans vouloir être exhaustif pour ne pas déborder sur le sujet, nous répondons à trois questions qui doivent jeter des lumières sur les recherches et les réflexions de ces deux auteurs, sur ce qu'ils appellent le mouvement révolutionnaire et la validité ou la non - validité de ces affirmations par rapport à la situation actuelle et à venir.
1) Quelle est la place des écrits de Marx-Engels sur le mouvement révolutionnaire par rapport à sa théorie générale de la transformation du monde ?
2) Faut-il faire une différence, dans leurs travaux, entre mouvement révolutionnaire dans les pays dominés et mouvement révolutionnaire dans les pays colonisés?
3) Si cette exigence n'est pas satisfaite - celle de la nécessaire formation d'un mouvement révolutionnaire - quels sont alors les contours et les profils sociaux que prend cette société pendant une étape historique déterminée ?
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