Master 2 Droit de la Famille
MORT & CULTURES ETRANGÈRES
PLAN
Introduction
I – L’appréhension de la mort dans le monde contemporain
A. La fin de la vie, controverse des civilisations
1) Panorama de la mort d'hier et d'aujourd'hui en Occident : clés de compréhension
a) La mort confisquée à l'époque médiévale
b) La mort interdite à l'époque moderne
2) La perception de la mort au-delà de l'Occident : fin d'une vie, début d'une nouvelle ?
B. Les craintes d'une mort annoncée
1) Les causes de mortalité d'est en ouest et du nord au sud
2) L'homme mangeur d'hommes
II - La mort vécue par les survivants
A. Tour du monde des rites funéraires
B. L'homme mortel, un enjeu politique?
1) Le pouvoir sur le politique ou le chantage à la mort
a) Eventail progressif du chantage à sa mort
b) La privation de la vie d'autrui, foyer de l'immortel pouvoir
2) Le pouvoir du politique ou le droit de mort
a) Guerres, meurtres, assassinats pour le pouvoir par lui-même
b) Infâmes et cruelles dominations : torture et viol
c) Les droits de vie et de mort : une emprise éminemment politique
Conclusion
INTRODUCTION
« La mort n’a peut-être pas plus de secrets à nous révéler que la vie ? » adresse Gustave
Flaubert à George Sand dans sa correspondance du 2 juillet 1870.
Dès sa genèse, l’être humain s’interroge quant à son issue fatale, mystérieuse et obscure
« faucheuse » sans doute captivé sinon attiré par l’inconnu. L’homme à l’échelle de sa vie,
comme l’humanité à l’échelle des vies et des civilisations, cherche des clés de compréhension
dans la vie mais aussi à travers la mort, plus révélatrice bien qu’inaccessible et pourtant
inexorable.
La vie, de ses prémices jusqu’à sa fin, n’est pas propre à l’homme mais concerne également
les animaux, les végétaux, plus généralement dans une acception scientifique et biologique
toute entité répondant à des conditions de développement et de croissance, de métabolisme, de
motricité, de reproduction ou encore de réponse à des stimuli ; néanmoins « l’espèce humaine
est la seule qui sache qu’elle doit mourir » 1 . L’homme, parce que doué de raison, a
conscience du phénomène de transition entre la vie et la mort. Depuis la première vie humaine, la mort humaine a du être vécue, expliquée, acceptée, assumée ou encore évitée : d’Adam et Eve jusqu’au plus contemporain commun des mortels, l’humanité affronte ses morts comme le relatent les plus grands penseurs, philosophes, physiciens, mathématiciens, écrivains et sociologues, cinéastes en France mais aussi en tout point du globe.
Chaque îlot de peuplement, chaque foyer de civilisation, à plus grande échelle, chaque culture
– ensemble d’us et coutumes, manifestations artistiques religieuses et intellectuelles qui
définissent et distinguent un groupe ou une société – porte un regard différent sur la mort avec
naturellement des ressemblances et dissemblances. Assujettie a priori à une tournure
religieuse, « mort et cultures étrangères » est une question relevant de l’étude de la perception
de la mort, cessation complète et définitive de la vie2 définie par Louis Pasteur au XIX° siècle
dans une lettre adressée à l’instruction publique. Ainsi : « lorsque, dans un être vivant, les
mouvements intestins qui réglaient les lois de vie viennent à s’arrêter, l’oeuvre de mort ne fait
que commencer. Il faut, pour qu’elle s’achève, que la matière organique du cadavre quel qu’il soit, animal, ou végétal, fasse retour à la simplicité des combinaisons minérales »3. La mort,
phénomène biologique, s’étend dans le temps et ne surgit pas alors en un instant fatal.
« Nous savons que l’homme est mortel mais non que l’humanité doit mourir »4. L’étude de la
disparition de l’humanité à laquelle, les contemporains que nous sommes appartiennent, est
difficilement envisageable en ce que l’homme, encore qu’il puisse se voir mourir, ne peut
aucunement assister à ses obsèques. A l’échelle des hommes, habitants de la planète Terre,
individus unis vivant en castes, groupes, sociétés aux modes de vie, cultures et rites pluriels,
l’appréhension et la perception de la mort par vivants et survivants peut néanmoins être
décrite.
Comment l’être humain tout au long de sa vie se prépare à affronter l’éternel cherchant en
vain à le connaître, le provoquer parfois même prématurément, tout en le fuyant, faisant de la
mort l’un des plus grands tabous du monde moderne ? Aussi, comment le monde des vivants
appréhende non plus la mort mais le mort ? Se préparer à sa propre mort se conjugue ainsi
avec la nécessaire appréhension sinon de la mort prochaine de l’autre, de l’autre une fois mort.
Chronologiquement, tel le déroulement de la vie qui embrasse macabrement tôt ou tard la
mort, l’appréhension de la mort dans le monde contemporain (I) permet d’envisager la façon
dont le mourant succombe avant de s’attacher aux pratiques des survivants vivant la mort (II).
I – L’appréhension de la mort dans le monde contemporain
A. La fin de la vie, controverse des civilisations
1) Panorama de la mort d’hier et d’aujourd’hui en Occident : clés de
Compréhension Dès le commencement de la vie, l’homme, depuis les prémices des civilisations, est voué à disparaître. Fondement, intérêt ou encore valeur intrinsèque de la vie humaine en raison de son caractère éphémère, de tout temps et en tout lieu, l’homme succombe tôt ou tard contre sa volonté ou de son plein gré. En outre, contrairement à l’espèce animale, l’espèce humaine a conscience de la mort, événement certain de date incertaine, qu’elle tente d’éviter, de retarder, parfois à l’inverse de précipiter, tout en la sachant perpétuellement inéluctable, sans doute parce qu’intimement rattachée à la vie. Il n’est de mort sans vie. Par un mécanisme de cause à effet, réside entre la vie et la mort une constante retrouvée dans toutes les sociétés du globe.
Eriger un éventail de la perception de la mort à travers les cinq continents de la planète
nécessite, au préalable, de s’interroger sur le regard porté par nos ancêtres sur la mort. Ainsi,
dans une acception plus restreinte, l’évolution des attitudes occidentales entre hier et
aujourd’hui peut être proposée. En effet, l’envergure d’un tel sujet traité dans une université
française « mort et cultures étrangères » prescrit la connaissance de la culture française, et,
plus largement de la société Occidentale, culture du soleil couchant.
Depuis la chute de l’empire romain d’occident en 476, date de naissance de l’époque
médiévale, la mort a été perçue d’abord de manière confisquée pendant mille ans (a) avant de
connaître depuis deux ou trois siècles une certaine propension à l’agitation (b). Quels sont
alors en Occident les traits de la mort ancienne et celle de la mort moderne ? a) La mort confisquée à l’époque médiévale
Dès les aurores médiévales, l’homme a conscience qu’il va mourir c'est-à-dire qu’il est en
principe averti, préparé de sorte qu’il peut à la fois accepter dans son for intérieur l’idée de
quitter le monde des vivants, mais aussi préparer sa mort. Certes, existent des exceptions dans
lesquelles l’homme est surpris, n’ayant plus alors le loisir de « savoir qu’il va mourir »
victime de la peste, du choléra ou encore de la mort subite, comme le relate Philippe Ariès5.
Néanmoins, ces tempéraments évoqués, la norme est que la mort est annoncée. Le mourant
sait qu’il se meurt et informe les survivants. Il en est ainsi pour Roland qui meurt lors de la
Bataille de Roncevaux, première défaite de Charlemagne le 15 août 778 et « sent que la mort
le prend tout. De sa tête elle descend vers son coeur. [Il] sent que son temps est fini»6. Aux
XIII° siècle, dans Lancelot du Lac, son père, le Roi Ban de Bénoïc, dont son épouse est la
Reine Elaine, voit et sait qu’il va mourir et s’adresse à D… : « Ha Sire, D…, secourez-moi car
je vois et je sais que ma fin est arrivée »7. Un siècle auparavant, déjà Tristan « sentit que sa
vie se perdait, il compris qu’il allait mourir »8 dans Tristan et Iseult rédigé dans sa première
partie en 1170.
Ainsi, le principe selon lequel « on ne meurt pas sans avoir eu le temps de savoir qu’on allait
mourir » jalonne les mille années du Moyen-Âge. Le mourant a la conviction intérieure qu’il
va mourir, parce que l’homme est doué de conscience, et à cette époque, plus encore que de
nos jours, la mort est acceptée sans conteste.
Sans fuite, mais non sans crainte, l’acceptation de la mort, mais aussi la tolérance face à
l’invincible prescrivent de mourir « le plus simplement » : marque d’humilité, c’est alors avec
sérénité, discrétion et contenance personnelle que le vivant s’éteint « au lit » et que s’éveillent
de nouveaux horizons.
La conscience d’être déjà un pied dans la tombe accorde au mourant une sorte d’ultime essor
de vie qu’il occupe par l’accomplissement de derniers rituels. « Le mourant prenait ses
dispositions » et se tournait dans l’anti-chambre de la mort, consistant en un cérémonial, après
quelques gestes physiques.
Tout d’abord, ces gestes physiques le plus fréquemment résidaient dans le souci de la posture
adoptée : tantôt, « armes ôtées, couché sur le sol, tourné vers l’Orient, vers Jérusalem » dans
Tristan et Iseult, tantôt, à l’époque du christianisme primitif bras étendus, « couché sur le dos,
le regard vers le ciel ». La tenue du corps mourant varie sans doute au gré des époques, des
civilisations sous l’influence des religions.
Dénominateur commun de la culture occidentale des Temps Anciens, quatre temps précèdent
celui de la mort : le premier acte est un rappel triste mais discret de la vie, un regret de la vie
sans faire état de quelconque figure dramatique ; puis, lui succède le temps de la demande du
pardon, connotation intimement religieuse ici. S’ouvre ensuite une ère de recommandations,
conseils et ordres donnés aux survivants, marque de l’ultime contact entre le mort déjà bercé
par l’au-delà, et, toujours maintenu vivant par son entourage, ses amis, sa famille surtout.
L’ultime étape est celle concédée à D…, c’est la prière car il est temps « d’oublier le monde et
penser à D… »
La mort dans les attitudes de nos ancêtres occidentaux est donc discrète, le mort « gise au lit »,
familière et dans un esprit de continuité contrairement à celle devenue « sauvage » de nos
contemporains. Philippe Ariès intitule ce processus de conscience, de préparation physique et
morale, pour cet ultime entretien avec le monde des vivants, la mort apprivoisée. L’homme
fait preuve de contenance, de réserve, échange par des paroles des plus ordinaires, naturelles,
sans doute avec une expression naïve, de désarroi mais humblement, en assumant et prenant
sur soi.
Le Bas Moyen âge prône un régime séparatiste entre le monde des vivants et celui des morts
dont la clé de voûte est certainement la dernière liaison entre le mourant et les survivants : il
s’agît des recommandations faites à l’entourage avant les prières.
La chambre du mourant est un lieu privé, comme d’ailleurs, par analogie, le processus de sa
mort sinon son agonie ; de sorte que le cercle familial, amical, dans une plus grande envergure
social, ne peut pénétrer dans la chambre où allongé sur le lit – pour atténuer au plus ses efforts,
préserver sa vitalité et sa vie, épargner toute souffrance dans un moment fatal – s’étend le
malade, encore vivant, déjà bientôt défunt. Se retrouve ici l’idée que la mort est apprivoisée,
domptée, sinon civilisée. En revanche, la cérémonie funeste est publique : les portes de la
chambre du mort s’ouvrent. Si le mourant meurt en privé, une fois mort, celle-ci est
grandement publique. Les passants au début du XIX° siècle encore, au hasard de la rencontre
d’un cortège dont le prêtre portait le viatique devaient l’accompagner jusqu’à la chambre du
mourant. Les médecins jusqu’au Siècle des Lumières d’ailleurs dénonçaient le surpeuplement
des chambres des mourants.
La rupture entre le monde des vivants et celui des morts apparaît à travers la cartographie
urbaine des emplacements des cimetières : La loi des XII Tables à Rome interdit d’enterrer
« in urbe » c'est-à-dire à l’intérieur de la cité. Progressivement, les morts vont entrer dans les
cités, parce que dès lors perçus comme protecteurs des vivants, protecteurs de l’enfer, avec le
culte des martyrs d’origine africaine. Les morts seront même enterrés dans les églises
auxquels les cimetières vont être s’associés. Dans la langue médiévale, l’église ne désigne pas
seulement l’édifice lui-même mais tout ses alentours. C’est selon la coutume Hainaut
« assavoir la nef, clocher et chimiter », ce dernier terme désignant le mot « cimetière », que
naissent ces hauts lieux de l’éternel.
Dès le XI° et XII° siècle, époque du Haut Moyen-âge, la perception de la mort connaît
quelques balbutiements lui conférant un sens dramatique et personnel conjugué avec la
conception collective de la destinée. L’homme, pendant le Bas Moyen-âge, reçoit comme une
loi naturelle la mort, ne songeant ni à se soustraire à elle, ni même à l’élever, événement
simplement accepté tant bien que mal. Parmi les phénomènes nouveaux qui surgissent au XI°
siècle, l’idée maîtresse est celle d’un destin collectif de l’espèce humaine et le souci de la
particularité de chaque individu. La personnalisation des sépultures marque notamment ce
renouveau du visage de la mort pour l’homme.
La représentation du jugement dernier apparaît : réduit à quelques échanges avec D… dans
l’ultime étape du mourant avant son entrée dans le monde des morts, la simple prière devient
primordiale, un enjeu pour la vie après la vie. Mis à part les premiers siècles du christianisme
au cours desquels les morts ni jugés ni condamnés appartenaient à l’église à qui ils avaient
confié leur corps – il s’agît des saints –, le XII° et le XIII° siècle rompent avec
l’irresponsabilité personnelle.
En effet, dès le XII°siècle, une séparation entre « les justes » et les « condamnés » s’opère
après une pesée des âmes. Le siècle suivant poursuit cette conception de récompense et
sanction par le jugement de l’homme à l’appui du bilan de son existence. Un inventaire des
bonnes et mauvaises actions est dressé, « compte individuel » décisif, « liber vitae » qui au
XV° siècle s’apparente à une « balance » des comptes à présenter aux portes de l’éternité.
C’est le « dernier jour du monde à la fin des temps » mais non le moment de la mort.
La chambre du mourant connaît à son tour dès le Haut Moyen-âge quelques esprits novateurs :
le mourant, toujours couché sur le lit de mort, accompagné de ses proches, amis et parents,
voit à ses côtés deux esprits surnaturels qui le tiraillent de part et d’autre : la Vierge et Satan.
Lutte cosmique entre les puissances du bien et du mal, c’est à cette heure, que D… constate
alors le comportement du mourant, « ultime épreuve » décisive du sort qui lui est réservé.
Si les rites, hier accomplis seuls par le mourant isolé, sont assurés dans les sociétés haute
moyenâgeuses par les proches, personne, pas même le mourant, ne connaît le sort du
jugement dernier. A cette occasion, le mort forme un consensus avec sa vie puisqu’il revoit
toutes les étapes de sa vie.
A partir du XVI° siècle, la mort devient romantique et prend une connotation érotique. Dès
lors, la mort s’agite, elle est redoutée, crainte, traduite par le langage, par des faits et gestes,
des attitudes plus excessives, démonstratives. La mort n’est alors plus apprivoisée, ni même
contenue, à l’époque moderne.
b) La mort interdite à l’époque moderne
Perçue et vécue par le mort seul face à soi-même, en contact bref avec le monde des vivants,
la mort « apprivoisée » au fil des époques devient collective, « interdite »9.
Révolue est l’époque du mourant, calme, serein, prêt à pénétrer dans un ultime sommeil. Le
XIX° siècle voit un phénomène d’agitation autour du mort se propager par des pleurs, des cris,
l’expression de la douleur. Loin de provenir du mourant, sans doute, bien qu’apitoyé sur son
sort face à la fin de sa vie, mais néanmoins préoccupé à pleinement utiliser ses derniers
instants de vie, l’agitation découle assurément de l’entourage. C’est alors qu’à « la mort de
soi », que connaît le Moyen-âge, vient s’interférer, s’ajouter, « la mort de toi ». Cette
effervescence provient droit de l’expression de la douleur des survivants, intolérants à une
nouvelle séparation. La mort n’est alors plus redoutée de soi, car elle demeure somme toute,
apprivoisée, ni plus ni moins que lors des Temps Anciens, mais crainte des autres. Ce n’est
plus la peur de mourir mais de voir mourir, de subir le départ éternel d’un être aimé.
Au cours du XX° siècle, ce phénomène s’étend ; c’est alors que la mort familière devient
honteuse, et objet interdit. Tout d’abord, la vérité est cachée, dissimulée aux survivants par le
mourant, futur mort ; et, réciproquement de manière à épargner le malade, mourant. Ces deux
comportements s’expliquent notamment par la volonté d’éviter le trouble de la mort par sa
seule présence en pleine vie heureuse. Avec le temps, le seul terme « mort » s’éclipsera autant que possible des discours, des dialogues, des échanges au moyen de périphrases : la fin
de vie, l’au-delà, la fin, l’ultime instant…Toujours plus sous-entendue que verbalisée, la mort
recule dans les mentalités contemporaines tout en demeurant quotidiennement dans l’esprit de
l’homme.
De plus, les lieux de mort migrent, discorde totale avec l’Ancien Régime : la maison n’est
plus le lieu où s’éteint la vie, l’hôpital prend le relais, corroboré par la volonté, nouvelle, de
lutte contre la mort, permis assurément par la médecine, par les progrès des sciences.
L’initiative du choix de la mort, appartenant au mourant, puis à sa famille est désormais
confiée dans les mains des médecins, « maîtres de la mort ». De plus, comme le souligne
Philippe Ariès « on n’a le droit de s’émouvoir qu’en privé, c'est-à-dire en cachette » : une
peine trop visible, serait ostentatoire, et appellerait plus ou moins non plus à la pitié, mais à la
répugnance, au dégoût. Même au sein du cercle familial, les émotions sont contenues, pour
épargner avant tout les enfants. Les cérémonies demeurent mais se doivent des plus discrètes.
L’incinération devient le mode radical pour oublier, le deuil, temps ancien où la société
imposait le respect, le devoir de mémoire du défunt, devient un délai pour oublier, pour
effacer toute trace de vie de ceux qui n’en font plus partie.
Qualifiée de « Crise contemporaine de la mort » par Edgar Morin 10 , la mort devient
aujourd’hui une angoisse diffuse, à laquelle les hommes ne prêtent plus attention ou ne
feignent plus prêter attention, sorte de mutisme, comme si la mort n’existait pas.
L’homme s’il ne décide de sa vie, est souverain de sa mort, par tradition millénaire car il est
naturel que l’homme sente sa mort prochaine aux attitudes familières et résignées. Au fil du
temps, la mort s’élève dans l’échelle sociale et urbaine enlevant à l’homme les saveurs d’une
mort prochaine, en raison du relais assuré par son entourage qui le prépare : amis, famille,
médecins… Comme la naissance, « la mort est publique », la chambre du moribond devient
un lieu public, néanmoins « on meurt seul » selon Pascal malgré la foule qui s’agite autour du
malheureux protagoniste, pour le (ou se) consoler. Ainsi, ce n’est que dans la solitude la plus
profonde que le mourant se trouve pour s’entretenir avec D…, formuler recommandations,
conseils et avis au monde des vivants, parce que placé à la charnière des deux horizons.
Aujourd’hui, le malade ne doit jamais savoir qu’il va mourir, ni même que sa fin approche.
C’est le quid de l’information sur sa mort, suite de l’information sur sa santé ? Dès lors, faut-il
mentir au malade ? « contre la vérité, passionnément contre la vérité […]une loi plus
importante que toutes, celle de l’amour et de la charité » affirme V. Jankélévitch.11 Le
mensonge primerait alors au nom de l’amour sur la vérité ?
Dans un contexte moderne en Occident, « Ne pas se sentir mourir » remplace « sentir sa mort
prochaine » , antichambre de la conscience de la mort à laquelle la famille tente de faire
obstacle par le mensonge, ou plus simplement l’omission d’informer.
L’hypocrisie entre le mourant qui sait perpétuellement qu’il va mourir et la famille qui pour
l’épargner est dans le déni total traduit sans doute pour chacun d’eux la peur de la mort.
Ne sais-tu pas que la source de toutes les misères de l'homme, ce n'est pas la mort, mais la
crainte de la mort ?12
L’homme, qu’il le veuille ou non, que la famille le concède ou non, est un organe à part
entière participant à sa propre mort, c’est le « moment d’individualité sous sa forme
définitive » selon Philippe Ariès là encore. Qu’en est-il alors du sort du domaine
d’information ? La privation de droits proscrit toute connaissance, préparation ou organisation
dudit événement final. Lorsqu’elle surgit à raison d’une maladie, même diminuée, la vie du
malade peut se poursuivre. La mort en cachette, clandestine, n’est qu’un effet du refus
d’admettre la mort de ceux pour qui l’on porte amour, autrement dit, c’est une forme moderne
d’expression de la dignité. La mort met dans l’embarras les survivants, de sorte que pour
éviter une telle gêne, silence est fait au malade. Il en va de même pour le deuil.
Le deuil, dol ou doel, douleur par excellence peut se définir comme l’expression la plus
violence des sentiments les plus spontanés avant un retour à la vie ; période de réclusion au
cours de laquelle la famille est écartée, parfois même des obsèques. C’est un temps au cours
duquel les survivants malheureux mettent leur douleur à l’abri du monde ; ou, dans une autre
conception, pour empêcher les survivants d’oublier trop tôt le disparu. Aujourd’hui, le deuil
s’estompe et la période de chagrin est interdite ou tout du moins jamais affichée. La mort est
un objet interdit du monde moderne.
Le monde moderne ne peut néanmoins pas se cantonner à la perception occidentale de la mort,
c’est pourquoi au-delà des frontières Occidentales, la fin d’une vie n’est-elle pas le début
d’une nouvelle ?
2) La perception de la mort au-delà de l’Occident : fin d’une vie, début d’une
nouvelle ?
La mort de l’Homme est inévitable pour le mortel qu’il est. L’Homme naît, vit, puis meurt.
Mais que fait-il ensuite ? C’est là l’une des questions fondamentales que l’Humanité a pu se
poser sans jamais parvenir à dégager la réponse unique. Or il ressort par conséquent de la
mort cette inconnue : la période qui suit. La mort est-elle la fin de la vie ? Certainement. Mais
ne marque t’elle pas également le début d’une nouvelle ?
Cette inconnue est l’objet de nombreuses perceptions, lesquelles déteignent la perception plus
générale de la mort. Ainsi son attente est crainte ou laisse indifférent ; parfois même, elle est
espérée. Dans tous les cas, ce que l’Homme saura de la mort ou ce qu’il croira en connaître,
conditionnera ses sentiments vis-à-vis d’elle.
Il apparaît que la place de l’Homme dans la société conditionne son appréhension de la mort,
même si ce qu’il connaît de la période qui la suit est de surcroît déterminant.
Concernant le sentiment que provoque la mort, débutons avec l’étude de la place de l’Homme
dans la société. Notamment, pour mieux comprendre, débutons avec la mort de l’enfant. Elle
apparaît pour les Sociétés modernes, comme l’une des pires atrocités, un évènement avec
lequel s’effondrent toutes les promesses de la vie, et nous le comprenons facilement. Pourtant,
dans les Sociétés archaïques, la mort de l’enfant ne suscite que de faibles réactions, au même
titre que celle de l’étranger ou encore de l’esclave. En revanche, la mort du chef, notamment
chez les Cafres, provoque l’épouvante. Cette réaction semble a priori choquer tout un chacun.
Pourtant, une telle affirmation ne frappe pas seulement la mort de l’enfant, elle s’étend audelà.
Ainsi, comme le fait remarquer à juste titre Edgar MORIN13 « la mort d’une vedette de
cinéma, d’un coureur cycliste, d’un chef d’Etat ou d’un voisin de palier, est plus fortement
ressentie que celle de dix mille Hindous au cours d’une inondation ».
En témoignent notamment les images du Tsunami ravageant subitement l’Indonésie le 26
décembre 2004 : le contraste entre un rivage dévasté, des villages engloutis, des familles
déchirées, faisant face à de riches européens, entrain de bronzer, de s’enivrer ou encore de
faire la fête, sans se préoccuper du malheur qui venait de frapper « leurs voisins d’en face ».
Si l’individu s’entend de la personne individualisée et donc reconnue en tant que telle, cela
semble donc traduire que la mort de l’individu choque d’avantage que celle de l’Homme.
Ce postulat peut être extrapolé. En effet, des travaux ont mis en exergue l’idée selon laquelle
l’affirmation d’un groupe social au plus intime de l’individu dissout la présence traumatique
de la mort, tandis que l’affirmation de l’individu sur ou dans la société rappelle à l’homme les
angoisses de la mort. Ainsi, la crainte de la mort est beaucoup moins prononcée dans les
Sociétés archaïques que dans les Sociétés plus évoluées 14 . L’individu est le substrat de
l’individualisation ; il est connu en tant que tel et c’est pourquoi il se sentira seul face à sa
mort. Par conséquent, il la craindra, elle le rendra mal à l’aise. En revanche, lorsque la société
prend le dessus sur l’individu, les Hommes qui la composent se soudent et créent par cette
union, un sentiment de force contre la mort.
La mort est donc attendue mais elle n’est pas appréhendée à l’identique selon que la société
prime sur l’Homme ou selon que ce dernier soit reconnu en tant qu’individu et donc s’impose
à la société. Mais il se peut également que les sentiments vécus dans l’attente de la mort
diffèrent selon la perception que l’Homme a de la mort. Plusieurs phénomènes se démarquent.
Dans les consciences archaïques, la métamorphose est une des expériences élémentaires du
monde, et concernant la mort, elle annonce une naissance, la chenille disparaît pour faire vivre
le papillon. La mort amène une naissance, une naissance procède d’une mort. Ainsi, la
naissance est vécue dans ces sociétés comme la provocation directe mais retardée d’une mort.
Pour les Ashanti, une naissance dans ce monde est une mort dans le monde des esprits. Aux
îles Trobriand (Malinovski), la future mère reçoit le message d’un parent décédé ; celui-ci lui
annonce la naissance d’un enfant. Le foetus sera porté par un esprit depuis Tuma, l’île des
morts. Chez les Arouta, des embryons d’enfant se détachent de l’arbre, du rocher, sortent de
l’eau, de là où l’ancêtre est mort, et fécondent la femme qui passe. Chez les Tsi et les Evhe,
chaque individu a son double, qui après la mort, rôdera autour du corps puis rejoindra les
morts de la famille pour finalement se réincarner dans un nouveau-né qui portera son nom.
Chez les Dayaks de Bornéo, le jour des funérailles représente la date à laquelle le double part,
en barque, vers son royaume, celui des morts. Les récits racontent que l’embarcation fonce
entre les obstacles, l’assistance la suit du regard pour finalement s’écrier : « il est sauvé ! La
ville des morts est atteinte ». Pendant sept générations, le double restera dans la ville d’or. Il y
mourra pour y renaître, puis redescendra sur terre. Il s’installera dans un champignon ou un
fruit, qu’une femme mangera, pour que renaisse l’enfant.
A Naurou (Amérique équatoriale) on dit que l’homme est mis trois jours en terre afin de
ressusciter sous la forme de l’enfant. Mais s’il dépasse ces trois jours, il ne ressuscite pas.
Ainsi en témoigne les croyances africaines pour lesquelles l’homme ratera sa renaissance
alors que le soleil et la lune, non.
La réincarnation, très présente dans la civilisation tibétaine, est également marquée chez les
eskimos au moment de la fête des morts. Ainsi, les comportements peuvent choquer le
néophyte : les Dayaks abandonnent les enfants sur les arbres, les Mongols et les Algonkins les
déposent au bord des chemins, parce qu’ils pensent que cela facilitera leur réincarnation. La
pratique n’est pas vécue comme un infanticide, ni un abandon d’enfant au sens strict,
contrairement à ce que pourrait penser l’opinion publique des Sociétés plus développées pour
de tels abandons.
Finalement, une constante apparaît : la réincarnation est universelle chez les peuples
archaïques, de Malaisie, de Polynésie, chez les Eskimos, en Amérique Indienne, etc...
Pour eux, la mort est donc la réincarnation, c’est la fécondité. L’ancienne fête indienne des
morts coïncide d’ailleurs avec celle de la récolte, illustration parfaite de la fécondité, la terre
féconde. (En France, la Saint-Michel a longtemps été la fête des morts et de la moisson) A
Leipzig, de jeunes filles sont montrées en effigie de la mort dans le but de les rendre féconde.
En Moravie, en Transylvanie, en Lusace, l’effigie de la mort est brûlée au printemps, pendant
les rites de fécondation et de résurrection.
En Afrique Noire, Australie, ou en Amérique indienne, chez les Canaques comme les
Ashantis, dans l’Europe moderne, les rites d’initiation sont de véritables mimes de la mort et
de la naissance, une mise en scène du chemin de la vie nouvelle par la mort.
D’ailleurs, dans les Sociétés archaïques, la mort est au coeur de l’initiation du jeune homme.
Au Cameroun, le jeune devra traverser un couloir souterrain où le guettent des masques
effrayants représentant les morts. Les enfants Selknam de la Terre de Feu sont séparés de leur
mère puis luttent contre des hommes jouant le rôle des morts ; à la fin du combat, le jeune
initié y trouvera une mort symbolique d’où naîtra l’adulte
B. Les craintes d’une mort annoncée
1) Les causes de mortalité d’est en ouest et du nord au sud « On compta un dimanche dans la basilique de Saint Pierre, trois cents corps morts. La mort
était subite, il naissait dans l’aine ou dans l’aisselle une plaie semblable à la morsure d’un
serpent ; et ce venin agissait tellement sur les hommes qu’il rendait l’esprit le lendemain ou le
troisième jour ; et la force du venin leur ôtait entièrement le sens » : Dès l’Antiquité,
Grégoire de Tours 15 décrit les ravages que provoque la peste à laquelle s’ajoutent de
nombreuses autres épidémies au fil des siècles. Choléra, tuberculose, fièvre jaune, grippe
aviaires ou encore, véritable désastreuse pandémie mondiale, toujours au XXI° siècle, le sida.
Si l’histoire des civilisations relate que l’homme a du succomber face aux, guerres et
croisades comme en témoigne déjà la guerre de Troie16, épidémies et maladies, ou encore
graves difficultés de salubrité, d’hygiène, de sécurité avec notamment la Révolution
Industrielle ; de nos jours, il semble que les causes de mortalité aient notoirement changées.
Les graves menaces qui pesaient sur le bien-être de nos ancêtres ont été maîtrisées avec
notamment les grands progrès d’approvisionnement en eau, la lutte contre les microorganismes
tels que le choléra ou les autres maladies diarrhéiques, les programmes de
vaccination systématique ou encore, avec l’amélioration de la législation en matière de travail,
d’hygiène et de sécurité ; éradiquant ainsi les causes de décès prématurés.
Indéniablement, le monde moderne est plus sûr qu’il ne l’a jamais été, la vie n’est que
prolongée, la mort évitée, retardée. Pourtant, l’homme moderne vit dangereusement et est
ainsi touché en plein coeur par de nouveaux fléaux. A mille lieux des guerres – nonobstant les
conflits armés contemporains – les nouveaux ennemis de la santé sont ceux, dans les pays
développés, de la société de consommation, dans les pays en voie de développement, des
misérables populations.
Dans tous les pays à revenu moyen ou supérieur, figurent au titre de l’affligeant palmarès des
causes de mortalité l’hypertension artérielle, le tabagisme, l’alcoolémie provoquant des
cancers, l’obésité, les accidents de la route. Les pays dont les revenus sont les plus faibles sont quant à eux meurtris par le Sida, première cause de mortalité en Afrique, l’eau, les conditions
d’hygiène, de sécurité et de salubrité publique, la sous-alimentation. Si l’enfant riche meurt
obèse, l’enfant pauvre meurt de faim17.
L’écart entre l’espérance de vie féminine des pays les plus riches et son homologue masculin
des pays en voie de développement est de 32 ans selon l’Organisation Mondiale de la Santé.18
Sans doute liée aux meilleurs conditions d’hygiène, de logement, de formation, aux progrès
de la médecine au moyen notamment des vaccinations, l’espérance de vie reste bien plus
modique pour l’habitant d’un pays pauvre que celui d’un pays riche. De plus, les données sont
parfois difficilement accessibles dans certains pays19, même si l’état civil et les sondages
permettent néanmoins l’élaboration de statistiques des plus fiables et exactes.
La mortalité infantile, nombre de décès d’enfants âgés de moins de cinq ans, doit être
distinguée de la morbidité des adultes, qui concerne le nombre de malades sur une population
donnée. Mourir avant l’âge 5 ans
Sur 57 millions décès annuels 20 , 20 % toucheraient des enfants avant leur cinquième
anniversaire, dont la majorité se trouve dans les pays en voie de développement. La
probabilité de mourir si jeune est trois fois et demie plus élevée pour un enfant qui voit le jour
en Sierra Léone que pour celui né en Inde ; et, pire encore, plus de cent fois plus élevée pour
un islandais ou un enfant de Singapour.
Au-delà du constat d’un écart du taux de mortalité entre « les Nords et les Suds », une
diversité sanitaire se construit au sein même des pays en voie de développement. En Chine
moins de 10% des décès se produisent avant l’âge de 5 ans, contre 40% en Afrique.
De plus, la tendance selon laquelle la mortalité est plus élevée chez les garçons que chez les
filles semble pour certains pays tels que la Chine, l’Inde, le Népal ou encore le Pakistan
s’inverser à raison de l’attention portée davantage sur les garçons que sur les filles au sein de
la famille.
La morbidité des adultes
L’étude de la seule mortalité des adultes n’est pas révélatrice, car les maladies dont ces
derniers peuvent être victimes ne sont alors pas prises en considération ; ainsi, l’étude des
causes de mortalité à travers le calcul du taux de morbidité parait plus significatif. Néanmoins,
à l’exception notable de l’Afrique, de l’Europe de l’Est après la chute du communisme, un
recul de la mortalité peut être constaté au cours des dernières années sur l’atlas du monde.
Variables selon les régions, les causes de mortalité placent en tête les maladies non
transmissibles 21 , y compris en Amérique Latine, Asie et Pacifique Occidental, puis, les
maladies transmissibles.
A Djibouti ainsi qu’en Méditerranée Occidentale, le risque de décès est sept fois plus élevé
qu’au Koweït. Enfin, Australie et Suède montrent que l’espérance de vie a lentement
augmenté jusque dans les années 70, les trente dernières années du XX° siècle ont même
permis une baisse du taux de mortalité, dans les Anciens Pays Satellites surtout, à l’exclusion
toutefois de la Russie.
« Mourir avant de vieillir » semble être la triste devise qui berce l’humanité au XXI° siècle.
2) L’homme mangeur d’hommes
La mort est vécue et attendue différemment selon que l’on soit né au Maghreb ou dans une
tribu africaine, Aux Etats-Unis ou dans une ethnie sud-américaine, au Japon ou dans une
peuplade asiatique, en Europe, le contraste est moins frappant. La question de la mort et des
cultures étrangères marque aussi l’interrogation d’un fait complètement original, à la fois
cause de mortalité et moyen de traitement du défunt.
Il s’agit là de la pratique du cannibalisme, c'est-à-dire le meurtre suivi de la consommation du
corps ou encore la seule consommation d’une dépouille, un comportement primaire, bestial,
21 ¾ des décès en 2002, OMS proche de certains charognards, quoi que la cause de cette pratique par l’Homme diffère de
celle de l’animal.
Le cannibalisme est malgré tout, contrairement à ce que l’on pourrait penser, chose
originairement humaine. Pratiqué dès la préhistoire, il a radicalement disparu des Sociétés
modernes, où il est le cas échéant sévèrement réprimé. En revanche, dans de nombreuses
peuplades archaïques, il existe encore sous la forme de l’endo-cannibalisme (cannibalisme des
funérailles) ou l’exo cannibalisme (dévoration des ennemis). Outre le cannibalisme de famine,
les deux précédents, sans ôter l’atrocité pour l’Homme de la Société modernisée, ont une
signification. Cette pratique est en effet destinée à l’appropriation des vertus du mort. Ainsi le
cannibale, en incorporant la dépouille de son ennemi ou son ancêtre, acquiert sa force, son
courage, son intelligence, ses pouvoirs… Ainsi, le cannibalisme est un rite mystique par
lequel l’Homme vivant s’accapare de nouvelles vertus, celles du défunt.
Ajoutons également avant de détailler la pratique des rites et de la sépulture que l’endocannibalisme
est un moyen des plus sûrs d’éviter la décomposition du cadavre. Ainsi,
certaines peuplades ressentent le besoin de cette pratique, afin de ne pas avoir à supporter la
vision terrifiante et repoussante d’un corps inerte en décomposition.
Toutefois, toutes ces explications n’enlèvent en rien l’aspect « barbare » de la pratique.
Ainsi, pour les Sociétés modernes, et d’ailleurs dans la majorité des pays, une telle pratique
est un manque total de respect de la personne humaine. Le cannibalisme est inconcevable
pour la très grande majorité des sociétés, notamment celles fondées sur l’affirmation de
l’individu.
Ainsi la valeur progressivement reconnue de l’Homme au travers de la philosophie ou de la
politique a permis le recul du cannibalisme. En effet, le cannibalisme témoigne de la
régression absolue de l’instinct de protection spécifique. La conquête de l’individualité fût
une conquête sur l’horreur de la pratique, ce que certaines peuplades, leur nombre étant très
faible toutefois, n’ont pas encore connu.
Finalement, dans une société donnée, plus l’Homme est individu, plus il acquiert une valeur
certaine et admise, ses droits fondamentaux le portant à l’apogée de sa reconnaissance, moins
il est en proie à pratiquer ou à subir le cannibalisme
La mort contient ainsi une dose de vie en ce qu’elle hante les esprits vivants, à laquelle ceuxci
doivent se résoudre parce qu’un jour ou l’autre assujettis au sortilège même de la nature
humaine. Au-delà de la mort, au-delà du mourant désormais défunt, restent les survivants qui
sont unanimement confrontés et habités par la mort. |