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![]() ![]() Olivier de Chazeaux Avocat à la Cour Associé Stephenson Harwood, Paris La législation française en matière de compensation pour copie privée à nouveau en péril ? Prochainement, la Cour de Justice de l'Union Européenne (ci-après "la Cour") devrait rendre sa décision dans le cadre de quatre questions préjudicielles soumises par l’Oberster Gerichtshof (Autriche) dans un litige opposant des sociétés du groupe Amazon1 et la société de gestion collective de droits d’auteur Austro-Mechana Gesellschaft zur Wahrnehmung mechanisch-musikalischer Urheberrechte Gesellschaft m.b.H. (ci-après "Austro-Mechana"), à propos du paiement de la «compensation équitable» prévue par la directive 2001/292 à titre d’indemnisation pour l’utilisation d’œuvres protégées par le droit d’auteur. Nombre de ces questions, et plus particulièrement les réponses qui y seront apportées, intéresse plus particulièrement la France dans la mesure où, tant le régime d'exemption et de remboursement prévu par l'article L311-8 du Code de la Propriété Intellectuelle (ci-après "CPI"), que l'attribution d'une partie du produit de la compensation équitable au secteur socio-culturel en vertu de l'article L321-9 du CPI, pourraient être remis en cause. Une fois de plus la Cour a l'opportunité de préciser la notion de compensation équitable dans le cadre de la copie privée d'œuvres protégées. Interprétation qui devra alors s'imposer à chaque état membre, et c'est en cela que la législation française peut connaître, de nouveau, de sérieux bouleversements. Certes les conclusions de l'Avocat Général Mengozzi prononcées le 7 mars dernier dans cette affaire3 peuvent laisser espérer un sursis aux yeux de certains. Mais force est de relever que ces conclusions méritent la critique en droit et la Cour pourrait, fort légitimement, ne pas suivre les positions de l'Avocat Général. La Cour a déjà eu l'occasion de se pencher sur la question de l'application concrète de la notion de compensation équitable par les Etats membres et d'énoncer certains principes directeurs en la matière, notamment dans l'arrêt Padawan4. L'importance des questions posées dans la présente affaire est telle qu'on a pu la présenter comme l'affaire Padawan 2. On rappellera que l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive reconnaît aux États membres la faculté de prévoir une exception au droit exclusif de l'auteur d’autoriser ou d’interdire la reproduction de leurs œuvres lorsqu’il s’agit de «reproductions effectuées sur tout support par une personne physique pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales, à condition que les titulaires de droits reçoivent une compensation équitable». Il s'agit de l'exception dite «de copie privée». L’article 42 de la Urheberrechtsgesetz5 (ci-après l’ «UrhG») énonce différentes exceptions au droit de l'auteur, parmi lesquelles le cas de reproduction de son œuvre par une personne physique à des fins privées, tandis que l'article 42 ter prévoit que l’auteur a droit à une rémunération appropriée lorsque des supports d’enregistrement d’images ou sonores sont mis en circulation sur le territoire national à des fins commerciales et à titre onéreux (ci-après "compensation au titre de supports vierges"). Austro-Mechana a qualité pour obtenir en Autriche le paiement de cette rémunération. Le groupe international Amazon a notamment pour activité la vente de produits en ligne, parmi lesquels des supports d’enregistrement au sens de la législation autrichienne (CD et DVD vierges, cartes mémoire et autres lecteurs MP3…). Austro-Mechana a poursuivi différentes sociétés du groupe Amazon aux fins d'obtenir de celles-ci le versement de la compensation équitable prévue par l’article 42 ter UrhG pour les matériels de support d'enregistrement mis en circulation en Autriche entre 2002 et 2004. Saisie d’un pourvoi contre la décision d’appel, la juridiction de renvoi, l’Oberster Gerichtshof, a décidé de soumettre à la Cour quatre questions que nous résumerons de la manière suivante: 1) Est-on en présence d’une «compensation équitable» au sens de l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29 lorsque la compensation au titre de supports vierges, bien que réclamée sans distinction entre la mise en circulation en vue d’une utilisation à des fins privées ou non, prévoit un droit au remboursement de la compensation en faveur de la personne qui utilise ces supports d’enregistrement à des fins professionnelles? 2) En cas de réponse négative à la première question, serait-on en présence d’une «compensation équitable» si la compensation précitée n’est due qu’en cas de mise en circulation auprès de personnes physiques qui utilisent les supports d’enregistrement pour une reproduction à des fins privées? Si oui, convient-il de présumer jusqu’à preuve du contraire que les dites personnes physiques utiliseront les supports d’enregistrement à des fins privées? 3) Résulte-t-il de l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29 ou d’autres dispositions du droit de l’Union que le droit à une compensation équitable à faire valoir par une société de gestion collective n’existe pas lorsque cette dernière est tenue, de par la loi, de consacrer la moitié des recettes à des établissements sociaux et culturels? 4) L’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29 ou une autre disposition du droit de l’Union font-ils obstacle au droit à une compensation équitable lorsque la mise en circulation des supports d’enregistrement a déjà donné lieu au paiement d’une rémunération appropriée dans un autre État membre?» A propos de la première question et du "droit au remboursement" Il n'est pas contesté que dans la mesure où la règlementation autrichienne prévoit l’application indifférenciée de la redevance pour copie privée, elle est en contradiction avec la directive 2001/29, telle qu'interprétée par l’arrêt Padawan6. On se souviendra que c'est pour cette même raison que le Conseil d'Etat avait annulé la décision n°11 du 17 décembre 2008 de la "commission de la copie privée"7. La question que soumet la juridiction de renvoi est de savoir si le fait de prévoir un système de remboursement de la compensation équitable en faveur de ceux qui ne sont pas tenus de la payer peut remédier à l’illégalité découlant de l’application indiscriminée de la redevance correspondant à la compensation équitable. Sur cette question, l'on est étonné de lire dans les conclusions de l'Avocat Général d'importants développements sur l'application combinée d'une possibilité de remboursement et d'une exemption a priori de la redevance alors que nulle référence à une telle exemption a priori n'est faite dans les questions préjudicielles posées. En synthèse, l'Avocat Général estime que serait compatible avec la directive 2001/29 une règlementation qui prévoit, d’une part, la possibilité d’exemption a priori du paiement de la compensation équitable pour les sujets, personnes physiques ou morales, dont on peut raisonnablement considérer, sur la base d’éléments objectifs – même purement indicatifs – qu’ils acquièrent les supports à des fins manifestement étrangères à celles passibles du paiement de la compensation équitable et, d’autre part, la possibilité généralisée d’obtenir a posteriori le remboursement de cette compensation équitable, dans tous les cas où il est prouvé que l’utilisation du support n’a pas constitué un acte de nature à causer un préjudice à l’auteur de l’œuvre. Observons que ces considérations de l'Avocat Général relativement à la législation autrichienne pourraient être appliquées au régime analogue mis en place par le nouvel article L311-8 du Code de la propriété intellectuelle. Quant à la possibilité d'exemption a priori, M. Mengozzi relève qu'il ressort du dossier que si celui qui introduit le premier un support sur le marché national, à des fins commerciales et à titre onéreux, garantit de façon fiable que ni lui ni ses acquéreurs n’utiliseront le support à des fins qui seraient passibles du paiement de la rémunération équitable pour usage privé ou personnel, il dispose de la possibilité de bénéficier d’une sorte d’«exemption a priori» de l’obligation de payer cette rémunération équitable, en complétant un formulaire pouvant être obtenu auprès d’Austro-Mechana8. Mais la portée exacte de cette exemption a priori n'apparaît pas claire. Ainsi, comment est-il possible, en pratique, pour le redevable de garantir de façon fiable que ni lui ni ses acquéreurs n'utiliseront le support à des fins d'usage privé? La société de gestion collective étant juge et partie, n'a-t-elle pas un conflit d'intérêt au regard des décisions d'exemptions a priori? Quant à la possibilité généralisée d’obtenir a posteriori le remboursement de la compensation équitable, l'Avocat Général relève que la juridiction autrichienne aurait expliqué dans l’ordonnance de renvoi que le champ d’application du droit au remboursement prévu ne se limite pas aux deux cas expressément prévus par la loi, mais "couvre aussi certains autres cas de figure"9. Il ne nous apparaît pas clairement que le système de remboursement prévu par la réglementation autrichienne s'applique de façon généralisée à tous les cas dans lesquels le paiement de la compensation équitable n’est pas dû. Or il s'agit là d'une exigence que l'Avocat Général pose par ailleurs10. L'Avocat Général se demande enfin – revenant ainsi à la question posée par la juridiction de renvoi – si une règlementation qui ne prévoirait pas une exemption a priori mais uniquement une possibilité généralisée de remboursement ne peut pas néanmoins être considérée comme compatible avec le droit de l’Union, bien qu’elle implique que les coûts et le risque de paiement anticipé de la compensation équitable soient mis à la charge de sujets non tenus de les payer. A cet égard, l'Avocat Général estime toutefois que, pour apprécier l’éventuelle compatibilité d’une telle règlementation avec le droit de l’Union, il faudrait procéder à une mise en balance, entre le droit des auteurs à obtenir une pleine protection des droits liés à leurs œuvres, visé à l’article 17, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ("la Charte"), et le droit pour les entreprises qui commercialisent les supports à ne pas supporter des coûts indus, droit lié à la liberté d’entreprendre reconnue par l’article 16 de la Charte. L'Avocat Général en se fondant sur des prémisses partiellement inexactes estime à tort - sans compter le déficit de sécurité juridique qu'il induit - pouvoir résoudre cette question délicate à une simple analyse factuelle qu'il confie aux seules juridictions nationales. Tant les auteurs, que les consommateurs et les opérateurs économiques aspirent à plus de lisibilité et d'harmonie quant à la mise en œuvre des législations en matière de compensation au titre de l'exception pour copie privée. Aussi il apparait utile que la Cour réponde à cette question, d'une part, en poursuivant son travail de balisage des principes de droit européen aussi importants que l'absence de discrimination et de distorsion de concurrence, la liberté de commerce et le caractère proportionné des charges imposés aux opérateurs économiques et enfin la compensation équitable, et, d'autre part, en rejetant la proposition de l'Avocat Général de laisser les juridictions nationales apprécier la légalité de leur législation nationale au regard du droit européen. Suivre les conclusions de M. Mengozzi, sur ce point, reviendrait à nier les objectifs d'harmonisation fixés par la directive 2001/29. En effet, son observation selon laquelle le fait que le paiement de la compensation équitable soit «temporairement» mis à la charge d'usagers non tenus de la payer, à la condition que ceux-ci puissent récupérer par la suite un tel paiement, serait inhérent au système visé dans l’arrêt Padawan11 est inexacte. La Cour avait énoncé dans l'arrêt Padawan différents principes à propos de la notion de compensation équitable. Parmi ceux-ci, le fait qu'il incombe en principe à celui qui a causé le préjudice au titulaire exclusif du droit de reproduction, à savoir la personne physique agissant à titre privé ayant réalisé une reproduction de l'œuvre, de réparer le dommage lié à cette reproduction12. Certes, la Cour a permis aux États membres d'instituer, aux fins du financement de la compensation équitable, une «redevance pour copie privée» à la charge de ceux qui mettent des équipements ou supports de reproduction numérique à la disposition des sujets privés, étant entendu que ces derniers peuvent répercuter le coût de ladite redevance sur le prix de la mise à disposition de ces équipements et supports13. Mais le fait d'imposer cette charge vis-à-vis de personnes qui ne sont pas débitrices de la «compensation équitable» est un pas qui n'a pas été franchi par la cour dans son arrêt Padawan et pour cause, car cela occasionnerait une charge disproportionnée à l'égard des acquéreurs professionnels et ce d'autant plus que l'éventuel remboursement qui sera ainsi obtenu ne couvrira évidemment que le montant de la redevance, à l'exclusion des frais internes exposés pour l'obtenir. Pour l'ensemble de ces raisons, le parallèle fait par l'Avocat Général entre la présente espèce et le système visé dans l'arrêt Padawan n'a pas lieu d'être. A propos de la deuxième question Si le premier volet de la deuxième question préjudicielle appelle évidemment une réponse positive, cette question ayant déjà été réglée par la Cour dans son arrêt Padawan, le second pose une question nouvelle. La juridiction de renvoi demande en effet à la Cour si, en cas de mise sur le marché de supports auprès de personnes physiques, il faut présumer, jusqu’à preuve contraire, que celles-ci les utiliseront à des fins privées. On se souviendra que la Cour a déjà jugé dans l’arrêt Padawan, que lorsque des supports sont mis à la disposition de personnes physiques à des fins privées, on peut présumer qu’elles les utiliseront à des fins de reproduction d’œuvres protégées par le droit d’auteur. La simple capacité de ces équipements à réaliser des copies suffit à justifier l’application de la redevance pour copie privée, à la condition que lesdits équipements ou appareils aient été mis à disposition des personnes physiques en tant qu’utilisateurs privés14. La juridiction de renvoi demande, en substance, si cette présomption peut être étendue, en considérant que, lorsque les supports sont mis à la disposition de personnes physiques, on peut présumer qu’elles les utilisent à des fins privées (et donc qu’elles les utilisent pour reproduire des œuvres protégées). L'Avocat Général est d'avis que oui, et ce compte tenu du fait que la présomption établie par la Cour dans l’arrêt Padawan serait concrètement privée de son intérêt si l’on ne pouvait pas présumer, sauf preuve contraire, que, dès lors qu’une personne physique acquiert le support, elle l’utilisera à des fins privées. Cette présomption serait donc réfragable et la personne physique elle-même ou le sujet tenu de l’obligation de paiement de la compensation équitable devraient donc pouvoir prouver que la personne physique a acquis le support dans un but manifestement autre que la réalisation de copies privées ou que l’usage du support à d’autres fins passibles du paiement de la compensation équitable. La position proposée par l'Avocat Général nous parait être hautement critiquable. Cette présomption étendue ignore le fait qu'une partie conséquente du PIB de nos économies est générée par des personnes physiques agissant professionnellement en nom propre, et non par le biais de personnes morales. Une telle proposition aurait pour effet de mettre à néant la distinction, cohérente, introduite par l'arrêt Padawan selon laquelle seules les personnes physiques en tant qu'utilisateurs privés seraient assujetties à la "compensation équitable". En outre, elle nierait l'avancée juridique introduite par la décision padawan selon laquelle les utilisateurs professionnels des supports d'enregistrement ne sont pas présumés les utiliser à des fins de copie privée. Eu égard au caractère relativement faible des redevances par unité, la présomption étendue, imaginée par l'Avocat général, aurait un caractère dissuasif tel que la très grande majorité des acquéreurs n'introduirait pas de demande de remboursement, et qu'elle en deviendrait disproportionnée et contraire au droit à la liberté d’entreprendre reconnue par l’article 16 de la Charte. A propos de la troisième question et la "compensation équitable indirecte" Par cette troisième question, la juridiction de renvoi s'interroge sur la conformité à la directive 2001/29, ou à toute autre disposition du droit de l’Union, d'une règlementation nationale qui prévoit le versement de la moitié de la compensation équitable non pas directement aux auteurs mais à des établissements à buts sociaux et culturels exerçant des activités en leur faveur. Cette question porte plus particulièrement sur l'obligation, sur le fondement de l’article 13 de la Verwertungsgesellschaftengesetz15 (loi autrichienne sur les sociétés de gestion collective, ci-après la «VerwGesG»), mise à la charge des sociétés de gestion collective des droits d’auteur, de créer des établissements à buts sociaux ou culturels au profit des titulaires des droits d’auteur et de verser à ces établissements la moitié du montant des recettes générées par la compensation au titre des supports vierges. À cet égard, l'Avocat Général relève que la juridiction de renvoi a des doutes de deux ordres. D'une part, elle s'interroge quant au fait que les auteurs doivent se contenter de recevoir en argent seulement la moitié de la compensation du préjudice subi du fait de l’utilisation de leurs œuvres et si donc la compensation peut être ouverte à d'autres personnes que les auteurs. D'autre part, elle se pose la question d'une possible discrimination de fait entre les auteurs autrichiens et étrangers, concernant la possibilité de faire appel aux établissements socio-culturels susmentionnés. Nous pensons pour notre part que la juridiction de renvoi aurait également pu s'interroger sur la compatibilité de cette disposition avec le droit de l'Union en matière d'aides d'Etat. L'Avocat Général estime tout d'abord que cette troisième question, ainsi que la quatrième, doivent être jugées irrecevables en ce qu'elles se réfèrent indistinctement à "toute autre disposition du droit de l'Union". Il propose dès lors à la Cour de se prononcer exclusivement sur les aspects des questions préjudicielles concernées qui concernent la directive 2001/29, tels qu’indiqués dans l’ordonnance de renvoi. Il est indéniable qu'il incombe à la cour de renvoi de formuler une question préjudicielle aussi précise que possible16, afin de permettre à la Cour de comprendre le cadre factuel et règlementaire de l'affaire au principal, d'apprécier la pertinence de la question et d'y apporter une réponse utile. Ceci ne peut cependant, selon nous, être interprété comme signifiant qu'une référence au droit de l'Union dans son ensemble motive l'irrecevabilité de la question, comme le suggère l'Avocat Général. La Cour a, en effet, accepté à plusieurs reprises de reformuler des questions17, ou encore d'y ajouter des dispositions du droit de l'Union à examiner18. Compte tenu de l'importance de la question soulevée, le silence de l'Avocat Général sur la compatibilité de la législation en cause au regard d'autres dispositions du droit de l'Union et en tous cas des principes généraux du droit communautaire nous parait mériter une fois encore la critique tant il parait nier de rôle de la Cour dans le cadre de questions préjudicielles. Sur le fond, l'Avocat Général conclut par la négative à la question préjudicielle posée au motif que si l’on admettait qu’une question concernant la distribution de la compensation équitable aurait pour résultat de libérer le débiteur de son obligation de payer, cela aurait pour conséquence que les auteurs ne seraient plus du tout indemnisés du préjudice subi en relation avec les supports vendus dans le cas concret, ce qui serait inacceptable19. Il n'est guère habituel de lire sous la plume de l'Avocat Général une réponse justifiée uniquement par des considérations de type factuel se situant exclusivement en aval de la question posée. Si la législation nationale organisant le paiement de la compensation équitable n'est pas compatible avec les prescriptions du droit de l'Union, il nous semble que c'est à bon droit que les redevables peuvent prétendre se soustraire à leur obligation de paiement. Certes, le juge doit veiller à donner à la norme nationale une interprétation conforme à la directive20. Mais cette règle n'est d’application qu'en l’absence d’une véritable contrariété entre la norme nationale et la directive, l’obligation d’interprétation conforme ne pouvant pas servir de fondement à une interprétation contra legem du droit national21. Dans une telle hypothèse, comme l'a rappelé la Cour, il appartiendrait aux juridictions nationales de laisser inappliquée la disposition de droit national qui serait contraire au droit de l'Union22. Et il appartiendrait au législateur national de (re)légiférer en manière telle que les auteurs soient indemnisés. Quant à la question de la conformité de la réglementation autrichienne à la directive 2001/29, M. Mengozzi estime que des prestations de protection sociale en faveur des auteurs en général et de leurs familles, ainsi que des activités de promotion culturelle peuvent constituer des types de compensation indirecte collective compatibles avec la notion de compensation équitable et avec les objectifs propres de la directive. Il est difficilement imaginable que ces prestations puissent, dans les faits, bénéficier à l'ensemble des ayant droits et de surcroît au pro rata de leur "consommation effective" respective en Autriche. Mais plus fondamentalement, cette référence à la notion de compensation indirecte collective est selon nous inédite et, une fois de plus, critiquable. En effet, ainsi que le relève par ailleurs l'Avocat Général, la Cour a déclaré dans l'affaire Luksan qu'il résulte de la formulation même de l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29 que le droit de l’Union prévoit que le droit à la compensation équitable pour l’auteur est un droit auquel il ne peut pas être renoncé, et qu'il doit nécessairement en recevoir le versement23. Dans l'arrêt Stichting de Thuiskopie, la Cour avait déjà évoqué " l’obligation de résultat lui imposant [à l'Etat membre] de garantir aux auteurs lésés le versement effectif d’une compensation équitable en dédommagement du préjudice".24 Du reste, l'Avocat Général précise lui-même qu'un système qui prévoirait que la totalité du versement de la compensation équitable se fasse sous forme de compensation indirecte, ou collective, risquerait de ne pas être compatible avec l’exigence d’effectivité que sous-tend la notion même de compensation équitable25. Et, de la même manière, il parait difficile d'admettre que le versement aux auteurs d'une partie de la compensation soit de nature à justifier une solution différente. L'Avocat Général observe, encore, que les formes et modalités de distribution de la compensation équitable ne sont pas spécifiquement régies par le droit de l’Union, si bien que les États membres disposeraient d’une certaine marge discrétionnaire à cet égard, dans les limites du droit de l’Union. Nous observons cependant que ces dernières limites ne sont pas respectées en l'espèce, sans même devoir examiner s'il existe une éventuelle discrimination entre les auteurs autrichiens et les auteurs étrangers quant au bénéfice d'une telle "compensation indirecte". Enfin, en considérant que la compensation "indirecte" fait partie de la compensation due aux auteurs, l'Avocat Général double en réalité le montant de la compensation allouée aux auteurs, ce qui dénaturerait le caractère supposé équitable de la seule compensation directe et donc entraînerait à son tour l'illégalité de la compensation. La qualification de compensation indirecte n'est donc pas de nature à solutionner la question posée. On le voit, la solution retenue par l'Avocat Général n'est pas exempte de critique. Si toutefois la Cour devait décider de suivre les conclusions de l'Avocat Général, cela procéderait, très probablement, à asseoir la validité des dispositions de l'article L321-9 du Code de la propriété intellectuelle pourtant particulièrement critiquables. Le financement de la création culturelle, mission ô combien de service public, se trouve ainsi assurée par un prélèvement à hauteur de 25 % des sommes provenant de la rémunération pour copie privée. Il est précisé que ces sommes sont consacrées « à des actions d’aide à la création, à la diffusion du spectacle vivant et à des actions de formation des artistes ». Chacun comprendra que nous sommes loin des préoccupations de la directive 2011/29 d'indemniser l'auteur d'un dommage subi et, plus proche, d'un prélèvement de nature fiscale visant à financer une mission de service public. A propos de la quatrième question Avec sa quatrième question préjudicielle, la juridiction autrichienne demande à la Cour si l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29, ou une autre disposition du droit de l’Union, fait obstacle au droit à versement d’une compensation équitable lorsqu’une compensation analogue, pour mise dans le commerce du matériel de support, a déjà été versée dans un autre État membre. En l'espèce, Amazon faisait valoir qu'elle avait déjà payé en Allemagne à ses fournisseurs un montant à titre de compensation équitable, et qu'elle n'était donc pas tenue d’effectuer un deuxième paiement en Autriche. L'Avocat Général répond par la négative à cette question. Il relève évidemment qu'un double paiement de la compensation équitable pour le même support n’est pas admissible, compte tenu de la nature indemnitaire de la compensation équitable. Mais il fonde son opinion sur l'obligation de résultat mise à la charge de l’État membre dans lequel se matérialise le préjudice résultant de l’utilisation de l’œuvre de prélever la compensation équitable pour indemniser les auteurs du dit préjudice26. Dans la présente affaire, il ne semble pas contestable que le préjudice à réparer s'est produit en Autriche puisque les supports y ont été acquis par des utilisateurs finaux. L'Avocat Général ajoute qu'il incombe à l’État membre dans lequel le paiement n’aurait pas dû intervenir de garantir à ceux qui ne sont pas tenus de payer la compensation équitable une possibilité d’obtenir, éventuellement par le biais d’actions devant les instances juridictionnelles nationales, le remboursement des versements effectués à titre de compensation équitable et non dus. Or, il est plus que probable qu'Amazon en tant que détaillant ne puisse bénéficier d'une telle possibilité d'action en Allemagne pour les supports commercialisés par la suite en Autriche, puisque la compensation a été acquittée à la société de gestion collective non par Amazon mais par ses fournisseurs. L'Avocat Général, probablement conscient des vicissitudes de son approche, indique qu'il s'agirait là d'une conséquence critiquable de la coordination insuffisante entre les règlementations des États membres, en l’absence d’harmonisation du régime de la compensation équitable, et appelle de ses vœux une intervention du législateur de l’Union. Nous partageons ce souhait mais dans l'intervalle une réponse équilibrée et réaliste à cette difficulté doit être proposée à la Cour. Or les suggestions formulées par l'Avocat Général ne rencontrent que formellement la problématique soulevée en feignant de la résoudre. En effet, outre le fait que le remboursement soit dans le pays d'origine purement théorique, on observera également que non seulement, les considérations déjà développées ci-dessus quant à la charge des démarches liées à l'obtention d'un éventuel remboursement sont applicables mutatis mutandis. Mais plus fondamentalement, la solution retenue aboutit à pénaliser les opérateurs dont les activités présentent un caractère transfrontalier, ce qui constitue une réelle distorsion de concurrence27, et ce alors que la Directive 2001/29 avait précisément pour objectif d'assurer un bon fonctionnement du marché intérieur28. A cet égard, la solution qu'avait préconisée l'Avocat Général Jääskinen dans l'affaire Stichting de Thuiskopie est nettement plus satisfaisante. Il estimait en effet qu'une société ne devrait pas être obligée de payer une compensation équitable si elle l'a déjà fait dans un autre Etat membre, et que dans l'hypothèse où un vendeur a payé la compensation dans son pays d'établissement, l'organisme de cet Etat représentant les titulaires des droits pourrait redistribuer la compensation aux organismes des pays visés29. Or l'on sait que de tels accords de réciprocité sont déjà monnaie courante entre les sociétés de gestion collective pour organiser la collecte et la répartition des droits d'auteur. Conclusion Si la Cour devait suivre l'Avocat Général, elle assouplirait de façon substantielle, mais préjudiciable tant pour certaines catégories d'usagers que pour les auteurs étrangers et pour les intermédiaires détaillants et à notre sens en violation de différentes normes et principes de droits communautaires , les conditions dans lesquelles le paiement de la compensation équitable peut être réclamé et légitimerait la relative anarchie qui règne actuellement dans l'Union au titre de la compensation pour exception de copie privée30. En outre, celui-ci propose un modus operandi qui, de notre point de vue, porte atteinte au principe de la liberté d’entreprendre garanti par l'article 16 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, et crée des distorsions de concurrence au sein du marché intérieur. Alors qu'à notre sens la loi française présente comme la loi autrichienne des contrariétés avec le droit communautaire à plus d'un titre, sa légitimité ne serait pas en péril si la Cour devait suivre les conclusions de l'Avocat Général. Doit-on s'en réjouir ? A propos de l’auteur Olivier de Chazeaux est associé au bureau de Paris. Il est spécialisé en droit public et réglementaire. Il accompagne un grand nombre d'acteurs économiques tant en conseil qu'en contentieux dans le secteur bancaire, de la santé mais aussi des technologies de l'information et de la communication. Il a une expertise particulière en matière de contrats publics, de financements de projets et de Partenariats Publics Privés tant au travers de sa pratique d'avocat que d'élu au plan local et national. Olivier parle français et anglais couramment. Il est membre du barreau de Paris et est décoré de la Légion d'Honneur. Plus d’informations sur http://www.shlegal.com/people/Olivier_de_Chazeaux A propos de Stephenson Harwood Stephenson Harwood est un cabinet international d’avocats offrant une gamme de services complète, avec plus de 120 associés et 600 personnes à travers le monde. Le cabinet apporte son expertise à un grand nombre de sociétés, d’institutions financières, de fonds d'investissement, de dirigeants et d’entrepreneurs. L’équipe parisienne, composée de 17 professionnels dont 5 associés, offre une large gamme de services juridiques et fiscaux à une clientèle française et internationale qui comprend un grand nombre de banques, de sociétés, d’acteurs du Private Equity, d’armateurs, de compagnies aériennes, d’exploitants ferroviaires et de sociétés de crédit-bail de premier plan. L’équipe multilingue est en mesure de fournir des conseils sur les questions de droit anglais, de droit français et de droit de l’État de New York. Le cabinet a neuf bureaux à travers l’Europe, l’Asie et le Moyen-Orient : Londres, Paris, le Pirée, Guangzhou, Hong Kong, Pékin, Shanghai, Singapour et Dubaï. Plus d’informations sur www.shlegal.com 1 Les sociétés Amazon.com International Sales Inc., Amazon EU Sarl, Amazon.de GmbH, en liquidation, et Amazon Logistik GmbH 2 Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (JO L 167, p. 10) 3 Affaire C-521/11 4 CJUE, arrêt du 21 octobre 2010, affaire Padawan vs SGAE, C-467/08; voyez aussi l'arrêt du 16 juin 2011 dans l'affaire Stichting de Thuiskopie, C-462/09. 5 Loi autrichienne sur le droit d'auteur. 6 CJUE, arrêt du 21 octobre 2010, affaire Padawan vs SGAE, (C-467/08), point 53 : "l’application sans distinction de la redevance pour copie privée à l’égard de tous les types d’équipements, d’appareils et de supports de reproduction numérique, y compris dans l’hypothèse où ceux-ci sont acquis par des personnes autres que des personnes physiques, à des fins manifestement étrangères à celle de copie privée, ne s’avère pas conforme à l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2001/29". 7 CE, 17 juin 2011, Canal+ distribution et al., aff. n° 324.816, n° 325.439, n° 325.468, n° 325.469 (disponible sur http://www.conseil-etat.fr/node.php?articleid=2363). 8 Points 51 et 52 des conclusions 9 Point 47 des conclusions. 10 Point 48 des conclusions. 11 Point 59 des conclusions. 12 CJUE, arrêt du 21 octobre 2010, affaire Padawan vs SGAE, C-467/08, point 45. 13 CJUE, arrêt du 21 octobre 2010, affaire Padawan vs SGAE, C-467/08, points 46 à 49. 14 CJUE, arrêt du 21 octobre 2010, affaire Padawan vs SGAE, C-467/08, points 54 à 56 15 Loi du 13 janvier 2006 (BGBl. I n° 9/2006). 16 Voir la Note informative sur l'introduction de procédures préjudicielles par les juridictions nationales, JO C 160 du 28 mai 2011. 17 CJUE, arrêt du 28 février 2008, C-446/06, Winckel, Rec. 2008, p. I-1167. 18 CJUE, arrêt du 19 avril 2007, C-295/05 Asociación de Empresas orestales, Rec. 2007, p. I-2999. 19 Conclusions, points 81 et 82. 20 Voyez notamment CJUE, 5 octobre 2004, Pfeiffer, C-397/01: (113.) « Aussi en appliquant le droit interne et, notamment, les dispositions d’une réglementation spécifiquement adoptée aux fins de mettre en œuvre les exigences d’une directive, la juridiction nationale est-elle tenue d’interpréter le droit national dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la directive en cause pour atteindre le résultat visé par celle-ci et, partant, se conformer à l’article 249, troisième alinéa, CE (…) ». 21 CJUE, 10 mars 2011, Lufthansa, C-109/09, point 54. 22 CJUE, 28 avril 2011, El Dridi, C-61/11 : « Au regard de ce qui précède, il appartiendra à la juridiction de renvoi, chargée d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit de l’Union et d’en assurer le plein effet, de laisser inappliquée toute disposition du décret législatif n° 286/1998 contraire au résultat de la directive 2008/115 (…) », et CJUE, 22 juin 2010, Melki, C-188/10 : « (43.) (…) La Cour a déjà jugé que le juge national chargé d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit de l’Union a l’obligation d’assurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure, sans qu’il ait à demander ou à attendre l’élimination préalable de celle-ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel (…). » 23 Voyez CJUE, arrêt du 9 février 2012, C-277/10, Luksan, et en particulier les considérants 100 et 108. 24 CJUE, arrêt du 16 juin 2011, C-462/09, Stichting de Thuiskopie, point 39. 25 Conclusions, point 77. 26 CJUE, arrêt du 16 juin 2011, C-462/09, Stichting de Thuiskopie 27 Il est permis de s'interroger sur l'existence d'une éventuelle atteinte au principe de l'interdiction des mesures d'effet équivalent aux restrictions quantitatives à l'importation, repris à l'article 34 TFUE. 28 Voyez le 32eme considérant. 29 Conclusions de l'avocat général Jääskinen présentées le 10 mars 2011 dans l'affaire Stichting de Thuiskope, C-462/09, considérant 55. 30 Et ce d'autant qu'en 29eme note subpaginale, l'Avocat Général précise également ne pas avoir d'objection à ce qu'une réglementation nationale permette d'imposer une compensation équitable pour le préjudice causé à l'auteur par la réalisation illégale de copies de l'œuvre. Or, il découle de la Directive 2001/29 que le droit à une compensation équitable ne naît dans un Etat membre que lorsque y est commis un acte tombant sous une des exceptions prévues en conformité avec ladite Directive. La législation française en matière de compensation pour copie privée à nouveau en péril ? Par Olivier de Chazeaux / |
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