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Modalités de la perception dans les EMI : modélisation et propositions pour une recherche phénoménologique Dr Jean-Pierre Jourdan Directeur de la recherche médicale - IANDS-France Mots-clés : Expériences de mort imminente ; perception ; sciences cognitives ; modélisation ; perception globale ; information ; dimensions supplémentaires ; recherche clinique . Résumé : Les caractéristiques cognitives de 70 cas d'EMI (Expériences de Mort Imminente) recueillis au sein de l’association IANDS-France ont été étudiées. L'analyse détaillée des modalités et particularités de la perception durant ces expériences amène à proposer et modéliser un concept de « perception globale » ou d’ « acquisition globale d’information ». Son adéquation aux témoignages est analysée, faisant apparaître une cohérence qui remet fortement en question les interprétations purement hallucinatoires de ce genre d'expériences. Quelques pistes permettant de comprendre comment le retraitement de ce type d’information pourrait être accompli au niveau cérébral sont présentées. Il est enfin proposé un protocole de recherche en milieu hospitalier tenant compte des conclusions de cette étude. Dans les suites de ce qui fut, pour tout observateur extérieur, une période d’inconscience avérée, un certain nombre de personnes affirment avoir un souvenir très clair et fréquemment très complet de détails de leur environnement et/ou de scènes qui se sont déroulées pendant leur réanimation, leur désincarcération ou un accident peranesthésique. Parmi des dizaines de récits similaires recueillis au fil des années, voici l’un des premiers témoignages qui ait motivé mon intérêt pour ces expériences. Il m’a été rapporté par un infirmier, qui n’a jamais oublié cette histoire datant de l’époque où il faisait ses études : Dans un couloir de l’hôpital où il était élève infirmier, il voit un jour un vieux monsieur se diriger vers lui, et lui dire, hilare : « alors, tu as fini par la trouver, la planche !… ». Le grand-père, devant son air passablement ahuri, commence alors à lui expliquer : « Tu ne te souviens pas de moi, mais moi je me souviens de toi ! »... Une histoire de planche ?…Il se souvient alors de ce vieil algérien qu’on avait amené aux urgences en arrêt cardiaque quelque temps auparavant. Et l’ancêtre continue son explication : « j’ai tout vu d’en haut, quand vous essayiez de faire repartir mon cœur… On t’a demandé d’aller chercher une planche, et tu étais affolé, tu la cherchais partout et elle n’était pas là où elle aurait dû être. Je t’ai suivi tout le long, et tu as fini par la trouver dans la cuisine ». Alors qu’il était en arrêt cardiaque et donc totalement inconscient à ce moment là, ce que ce patient décrivait était exact : le médecin réanimateur avait envoyé le stagiaire infirmier chercher cette planche utilisée pour les massages cardiaques, qu’il vaut mieux effectuer sur un plan dur. Une aide-soignante, après l’avoir lavée, l’avait laissée à sécher à l’office au lieu de la remettre à sa place, ce qui explique la course dans les couloirs. La question est : comment le grand-père, arrivé inconscient dans le service, a t-il pu assister à cette scène, et s’en souvenir d’une manière aussi détaillée, au point de pouvoir reconnaître l’élève infirmier, contrairement à ce dernier qui était pourtant parfaitement conscient ? Ces expériences, décrites depuis l’antiquité, sont surtout connues depuis que le Dr Raymond Moody en a systématisé la description en 1987. Toutes les études hospitalières chez des survivants d’arrêts cardio respiratoires s’accordent sur une fréquence de survenue entre 10 et 20% (Sabom (1983), van Lommel (2001), Parnia et al. (2001), Schwaninger & al. (2002), Greyson (2003), Sartori (2004,2006)). Dans une récente étude, Nancy Zingrone et Carlos Alvarado font une distinction entre études prospectives (qui montrent une fréquence moyenne de 17%), et prospectives dans lesquelles cette fréquence est estimée à 35% (Zingone & Alvarado 2009, p.36). Cette fréquence peut être comparée aux rapports de mémorisation peropératoire qui concernent entre 0,2 et 2% des patients. Ces derniers décrivent un vécu extrêmement angoissant fréquemment associé à des symptômes de stress post-traumatique (Bailey A, Jones J., 1997). Les patients rapportent une sensation de paralysie, d'anxiété et de panique, des souvenirs de conversations, et un sentiment d'abandon total ( Cobcroft M, Forsdick C. 1993), autant de caractéristiques –hormis les souvenirs de conversations- que l’on ne rencontre jamais lors d’une EMI, qui est pratiquement toujours vécue comme extrêmement agréable. En dépit des nombreuses études montrant la réalité et l’importance du problème posé par les EMI, à ce jour aucune des théories proposées n’a été susceptible de leur apporter une explication satisfaisante. Méconnues de la communauté médicale et scientifique, qui n’en retient souvent que les échos d’interprétations métaphysiques simplistes en termes de « survie après la mort », ces expériences sont souvent qualifiées de subjectives voire d’hallucinatoires. La science doit-elle s’en désintéresser en restant sur ces dernières impressions, ou au contraire est-il possible d’en explorer au moins ce qui est à notre portée, en dépassant de simples études statistiques ? Si l’on veut bien les étudier en profondeur, elles se révèlent en fait beaucoup plus complexes qu’en apparence, possédant une cohérence interne forte qui amène à douter de leur caractère purement hallucinatoire. Elles comprennent en outre un certain nombre d’éléments susceptibles d’en permettre une étude rigoureuse, tout en restant sur un plan purement phénoménologique détaché de toute interprétation prématurée. Parmi ces derniers, les plus accessibles à une étude méthodique sont les perceptions paradoxales fréquemment décrites dans les premières phases de l’expérience. Si la mémorisation de ces expériences est de type explicite, la peur de n’être pas crû fait qu’elles ne sont souvent décrites spontanément que plusieurs années après leur survenue. La présente étude repose sur un interrogatoire structuré et un questionnaire élaborés par le comité scientifique de l’association Iands-France. Ce dernier comporte 126 items, dont plus de la moitié concernent l’état de conscience éprouvé lors de l’EMI, les modalités perceptives et la mémorisation de l’expérience. Sans nous étendre sur le sujet, il est important de préciser ici qu'en dépit de similarités superficielles, les EMI doivent être bien différenciées de phénomènes neurologiques bien connus et expliqués tels que les paralysies du sommeil, les « intrusions de sommeil paradoxal » ou le rêve lucide (Jourdan 2006). Le Dr Michael Sabom ( Sabom, 1983, 1998 ) a étudié de nombreux cas de ce type, et deux cas récents ont fait l’objet d’enquêtes quasi policières ( Sartori P., Badham P., Fenwick P., 2006, Smit H.R., 2008.) Ces perceptions a priori objectives et vérifiées ainsi que les nombreuses questions qu’elles soulèvent sont abordées en détail par Janice Miner Holden dans le chapitre 9 du Handbook of near-death experiences (Holden J. M., Greyson B., & James D., 2009). Ce phénomène, qui est loin d'être anecdotique et auquel sont confrontés médecins urgentistes, cardiologues et réanimateurs, peut et doit faire l'objet d'une approche scientifique rigoureuse. Ces perceptions, a priori objectives, et la mémorisation qui leur est associée posent un réel problème, aussi bien sur un plan médical et éthique que pour les neurosciences cognitives. Pour ces dernières, la modélisation que je propose plus loin montre une logique sous-jacente qui demande à être étudiée plus avant dans la mesure où ce que l'on peut considérer comme un comportement « exotique » de la conscience semble suivre des règles très strictes. Une première piste Vers la fin des années 90, après une conférence que je venais de donner sur les EMI, un jeune homme vint me raconter son expérience. Il se souvenait en particulier avoir « vu » d’une manière plutôt étrange, qu’il essaya de me décrire : « C’est assez difficile à expliquer… Je pouvais voir le canapé et mon corps depuis partout à la fois. Je le voyais à travers le canapé, je voyais le sommet de ma tête et en même temps mon côté droit et mon côté gauche ainsi que le canapé, de dessus et de dessous, et toute la pièce comme ça. J’étais partout en même temps, vous voyez ? » Comme j’avais quelque difficulté à « voir », il fit plusieurs croquis avec des vues de face, de côté, de dessus et de dessous, etc., répétant « je voyais tout cela en même temps… » E ![]() Tentant de transposer cela dans notre monde réel, je réfléchissais à voix haute : « en fait, c’est comme si vous aviez « vu » depuis tous les points d’une sphère entourant la scène ». A ce moment, je réalisai qu’il n’y avait nul besoin d’imaginer quelque chose de compliqué comme le fait d’être « partout sur le cercle » : le simple regard que je portais sur le dessin me permettait de voir le sofa et le corps sous tous les angles simultanément. De plus, le dossier du sofa n’avait pas besoin d’être transparent pour me permettre de voir le côté gauche du personnage… Quel que soit l'endroit d'où on l'observe, un objet tridimensionnel présente toujours au moins une face cachée, et on ne peut généralement en voir l'intérieur. De ce fait, la perception que nous en avons ne peut être que partielle. En revanche, le dessin que je venais de faire était un objet plat, à deux dimensions. Le regarder naturellement depuis un point extérieur (donc depuis une troisième dimension, très prosaïquement une certaine hauteur) permettait tout simplement de percevoir d’un seul coup d’œil l'intégralité de l'information qu'il contenait. Cette particularité semblait bien rendre compte de ce que décrivait le témoin : une perception, ou une acquisition d'information que l'on pourrait qualifier de « globale » qui, concernant son propre corps, pouvait avoir été retraitée par son cerveau comme une perception « depuis partout à la fois ». Après une étude préliminaire (Jourdan 2000, 2001) de quelques cas rapportant des perceptions similaires et formant la base de la modélisation exposée dans cet article, l'étude détaillée (Jourdan 2007) de 70 témoignages m’a permis de mettre en évidence un certain nombre d’invariants qui devraient permettre d’envisager l’étude de ces caractéristiques perceptives.. Dans ce contexte, plusieurs points semblent prioritaires et accessibles à une investigation raisonnée:
Méthode Population Pour cette étude, l'échantillonnage comprenait 70 personnes ayant vécu une EMI. Il est détaillé dans le tableau 1
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