FAVIER Antoine
MAREAU FLAMBEAUX Valentine
Terminale L
Tous les matins du monde
Pascal Quignard & Alain Corneau
LA MORT DANS LES DEUX OEUVRES
I- La mort effective
a) Les trois morts
b) Les scènes qui évoquent la mort des personnages II- Présence de la mort de façon récurrente dans l’esthétique
a) Dans la peinture (vanités, nature morte...)
b) Dans le choix d'éléments qui évoquent la mort dans le décor, sur le plan cinématographique III- La signification a) Dans le décor
b) Dans les personnages
L’œuvre « tous les matins du monde », livre de Pascal Quignard et film d’Alain Corneau relate l’apprentissage de la viole du musicien Marin Marais auprès de l’austère Monsieur de Sainte Colombe. Dans cette œuvre, la mort occupe une place prépondérante, tant parmi les personnages que dans les décors.
Que cherchent à nous dire Pascal Quignard et Alain Corneau sur la mort ?
I- La mort effective a) Les trois morts La mort est évoquée dès le début du roman, en effet le chapitre inaugural présente deux morts successives, celle de Madame de Sainte Colombe et celle d’un ami de Monsieur Vauquelin. La première phrase du chapitre concerne la mort de Madame de Sainte Colombe Colombe « Au printemps de 1650, Madame de Sainte Colombe mourut » (Chap.1 P.9), cette phrase courte est annonciatrice de l’un des thèmes majeurs du roman. Dans cette première phrase on remarque un paradoxe, car le printemps qui est la saison de la renaissance est marqué par la mort, de plus Pascal Quignard utilise un registre pathétique que l’on pourrait rapprocher à une phrase commémorative, ou une oraison funèbre.
La deuxième mort évoquée est celle d’un ami de Monsieur de Vauquelin, mort le même jour que Madame de Sainte Colombe « Il était alors au chevet d’un ami de feu Monsieur de Vauquelin qui avait souhaité mourir avec un peu de vin de Puisey et de musique » (Chap.1 P.11). Dans l’œuvre cinématographique, le montage renforce une juxtaposition entre ces deux morts, la veillée et l’expiration de l’ami de Monsieur de Vauquelin puis la dépouille de Madame de Sainte Colombe (6:00 – 7 :30). Dans le film quand Monsieur de Sainte Colombe rentre chez lui sa femme est déjà morte, et en apparat funèbre « sa femme était déjà revêtue et entourée de cierges et des larmes ». De plus ces deux tableaux mortuaires ont comme points communs la même musique de fond, la sobriété, l’obscurité de la pièce avec simplement une chandelle qui donne un petit effet lumineux… Mais elles sont également différentes : la mort de Madame de Sainte Colombe est religieuse, elle meurt en silence et a un chapelet entre ces mains, au contraire de celle de Monsieur de Vauquelin qui est une mort épicurienne de l’homme avec le vin et la musique.
Que cela soit dans le récit ou dans l’adaptation cinématographique, la mort est un « personnage » principal qui sera omniprésent dans les deux œuvres.
Plus tard dans le roman, on assiste au chapitre XXV au suicide de Mademoiselle de Sainte Colombe, Madeleine. Cette dernière se suicide avec les lacets roses, des souliers jaunes faits sur mesure par le père de Marin Marais, à la demande de ce dernier. Les objets ont une valeur importante dans les choix, les activités des personnages, mais également dans leur signification. En effet les souliers jaunes et roses représentent la cour et non la campagne, où vit Madeleine. Elle se suicide avec car cela lui rappelle également Marin Marais, la description du suicide de Madeleine occupe un chapitre entier du roman car chaque détail est présent. De même dans le film, Madeleine est vue comme une femme qui n’est plus que l’ombre d’elle même, et son suicide est mis en scène en suivant exactement la description du roman.
b) Les scènes qui évoquent la mort des personnages
L’introduction cinématographique, est centrée sur le personnage de Marin Marais vieux, il émerge de l’ombre (00:36) il est dans un état léthargique, proche de la mort, il a des cernes que la poudre ne cache plus, et son visage est ancré dans la vieillesse. De plus, il décide de fermer tout les volets pour être dans la pénombre, cela donne un effet d’enfermement dans un cercueil, un effet de solitude. Se remémorer des souvenirs apparait alors comme une confession. Il soupire, s’agace facilement et fait un rapprochement avec la mort « toute note doit finir en mourant » allègue-t-il à ses auditeurs. Son état ainsi que ces paroles reflètent la mort, qu’elle soit spirituelle, ou physique.
A la fin de l’œuvre cinématographique on note également la visitation » de Monsieur de Sainte Colombe à Marin Maris à la cour devant les musiciens de la chambre. Il lui demande de jouer « la rêveuse » un air qu’il avait composé pour Madeleine durant leur idylle, de plus Monsieur de Sainte Colombe se dit « fier de l’avoir eu comme élève ». Dans les scènes qui rappellent la mort, il y a les visitations de Madame de Sainte Colombe à son mari. En effet Madame de Sainte Colombe rend des visites à son mari après sa mort « Tandis que le chant montait, près de lui une femme très pâle apparut qui lui souriait (…) C’était sa femme et ses larmes coulaient » (Chap.VI P.36-37). Ces visitations sont aux nombres de six dans le film. La première visitation de Madame de Sainte Colombe a lieu quand son mari joue de la viole, plus précisément « le tombeau des regrets » qu’il a composé après la mort de sa femme (Chap.VI P.37 / 32 :30-34:00). La force de la musique qui incarne le retour de ce qui est perdu, ou un chemin pour un retour possible en direction de la vie. Les premières visitations sont silencieuses, les deux époux ne parlent pas, seuls leurs regards ont une conversation. Leur premier échange verbal prend place lors de la quatrième visitation de Madame de Sainte Colombe (chapitre IX). Il faut attendre l’office des Ténèbres, un mercredi saint, pour que Monsieur et Madame de Sainte Colombe se parlent vraiment avec un dialogue franc et significatif, s’avouant des choses qu’ils n’osaient dire lorsqu’ils étaient tout les deux vivants. Ils ne peuvent pas cependant pas se toucher (1:02:56 – 1 :06:00), de plus Madame de Sainte Colombe doit « repartir », on peut songer alors à une allusion à Orphée descendu aux Enfers… Madame de Sainte Colombe connaît son état, elle évoque sa nature fantomatique avec l’image du « vent », malgré cela Monsieur de Sainte Colombe ressent la présence de sa femme, en effet chaque objet du décor est imprimé de son passage « Il vit le verre à moitié vide et il s’étonna qu’à côté de lui, sur le tapis bleu, une gaufrette fût à demi rongée » (Chap.VI P.37).
Ces visitations sont en rapport avec la musique car sans l’offrande musicale la rencontre ne peut avoir lieu.
II- Présence de la mort de façon récurrente dans l’esthétique a) Dans la peinture (vanités, nature morte...) « Roman avant tout musical, Tous les matins du monde n’en demeure pas moins un roman visuel. »
La peinture a une place très importante dans les deux œuvres. Dans le roman, Pascal Quignard donne une description parfaite de certains tableaux de Lubin Baugin (1612-1663). Même si Baugin est un personnage anachronique, incéré dans le roman à cause de son type de peinture.
Monsieur de Sainte Colombe lui commande un tableau représentant sa table à écrire recouverte du « tapis bleu clair », du « pupitre », de la « carafe de vin garnie de paille », du « verre de vin » et du « plat d’étain contenant quelques gaufrettes » (Chap.VI P.36). La fiction rencontre la réalité car cette toile, que Quignard décrit, existe vraiment sous le titre de « Dessert de gaufrettes ». Dans le film d’Alain Corneau on retrouve un fondu enchaîné, avec une surimpression progressive du tableau (34:02 – 34:55). Lorsque monsieur de Sainte colombe rend visite au peintre accompagné de Marin Marais, Baugin est à son chevalet « Le peintre était occupé à peindre une table : un verre à moitié plein de vin rouge, un luth couché, un cahier de musique, une bourse de velours noir, des cartes à jouer dont la première était un valent de trèfle, un échiquier sur lequel était disposé un vase avec trois œillets et un miroir octogonal appuyé contre le mur de l’atelier » (Chap.XII P.59-60), ce tableau est « La nature morte avec un échiquier ». Les objets du quotidien cernés du vide de la présence humaine, soulignent la fugacité de l’existence, et le caractère inexorable du temps qui passe. Le maroquin rouge est le cahier de cuir rouge sur lequel Monsieur de Sainte Colombe note des airs, mais il représente aussi le livre sacré, un crâne, les œillets, le sablier évoque la mort, la bourse suggère la fuite du temps… Dans le livre tout est décrit avec précision, Alain Corneau pour restituer cette ambiance, utilise des prises de vue où la nature et les éléments semblent figés comme dans une nature morte. Le son de la viole accompagne cette succession de tableaux. L’esthétisme du film comme du livre ne laisse très peu de place à l’expression des sentiments. b) Dans le choix d'éléments du décor qui rappellent la mort sur le plan cinématographique Dans les décors de tous les matins du monde, on retrouve souvent une atmosphère morbide. Le refuge de monsieur de Sainte Colombe, une vorde de planches grises évoque profondément un cercueil, dernier abri contre l’agitation du monde des vivants. Il y fait d’ailleurs très sombre. Le jardin autour d’elle se détériore au cours du film. Au début, il est bien entretenu par Madeleine et Toinette, à la fin, il est livré aux mauvaises herbes, comme la mousse qui recouvre peu à peu les tombes sur lesquels on ne vient plus se recueillir, ce qu’est en réalité la vorde. A la fin, plus personne ne vient voir Sainte Colombe. Il est tout seul entre ses quatre planches. Le lac avec sa barque pourrissante apparaît comme une allégorie du Styx et de la barge de Charon. Monsieur de Sainte Colombe ne rêve t-il pas de s’y enfoncer, de s’enfoncer dans les eaux noires et froides de la mort ? C’est là, devant ce rivage que sa femme morte et lui se voient pour l’avant dernière fois (chapitre XV) et qu’ils se parlent vraiment. Ce lac est une frontière entre morts et vivants, où ils s’observent, où les vivants contemplent l’autre rive. D’ailleurs Monsieur de Sainte Colombe composera un air pour rendre hommage à la mort, et au lien que procure cette barque « La barque de Charon ». Parlons enfin de la chambre de Madeleine, lieu où se déroule sa déchéance. Il y fait sombre, les couleurs sont grises et ternes. Et Madeleine y reste, dépérissante, s’amaigrissant jusqu’au point de non retours, jusqu’à se pendre. Comme la vorde de Sainte Colombe, le lieu devient de plus en plus sombre à mesure que l’histoire devient sombre. De plutôt clair quand Madeleine et Marin s’aiment, elle devient sombre lors de se déchéance. III- La signification a) Dans le décor Nous avons vu que les décors possèdent des rapports avec la mort : l’étang s’apparente au Styx, la cabane et le jardin dépérissent peu à peu, des scènes ressemblent traits pour traits à des vanités, la luminosité est partout très sombre.
Le but de tout cela est bien sûr de souligner les caractéristiques des personnages. Dans le film, Marin Marais ne peut livrer son récit et jouer correctement que lorsque la lumière baisse, de même que son maitre, Monsieur de Saint Colombe n’a pu lui donner un véritable enseignement (« puis je solliciter monsieur, une première leçon ») que peu de temps avant sa mort, dans l’ombre de la nuit. La scène où il livre son carnet rouge et où il accepte de jouer le tombeau des regrets représente elle aussi une vanité. Les décors évoquant la mort deviennent alors des éléments révélateurs, comme si les protagonistes ne pouvaient réellement agir que lorsque qu’ils sont confrontés à la mort :« je vais mourir sous peu et mon art avec moi » déclare Sainte Colombe juste avant d’accepter de jouer le tombeau des regrets. L’enseignement de Sainte Colombe à Marin Marais se fait d’ailleurs toujours dans des lieux qui évoquent la mort : dans la cabane, dans l’atelier où Monsieur Baugin peint une vanité, dans une forêt la nuit. Les seuls moments où le maître écoute l’élève jouer de la musique dans un lieu un peu plus lumineux : la cuisine, la première fois, il manque de le renvoyer en le refusant comme élève, la seconde fois, dans la grande pièce, il brise sa viole dans un accès de fureur. Sainte Colombe semble donc avoir compris, ou tout du moins, tirer parti du coté formateur des atmosphères morbides. b) Dans les personnages A première vue, n’importe qui pourrait penser que le personnage ayant le plus de rapport avec la mort est monsieur de Sainte Colombe : il s’habille en noir, il reste toujours seul, il parle déjà avec les morts, tout en lui fait penser à la faucheuse. Pourtant, il se définit lui-même comme « vivant une vie passionné ». Les apparences seraient donc trompeuses. Tous ces éléments morbides, les vêtements noirs, le tombeau des regrets, la cabane de planches grises, la viole surmontée par une tête d’enfant endormi, tout cela aurait rapport avec une vie passionné. Ce que l’on peut dire, c’est que monsieur de Sainte Colombe ne craint pas la mort : il rêve de sa mort dans l’étang comme d’une libération « Il rêvât qu’il pénétrait dans l’eau obscure et qu’il y séjournait » (Chap.VI), il est heureux de voir que ses mains ont vieilli « Elles étaient tâchés par la mort et il en fut heureux » (Chap. XX). Déjà, cela le place dans une position supérieure d’homme sans peur : comme le disait Aristote, le maître c’est celui qui ne craint pas de mourir, l’esclave c’est celui qui en a peur. Monsieur de Sainte Colombe revendique fièrement son appartenance à la mort : il déclare que ses amis sont les souvenirs, il affirme que « quand je tire mon archet, c’est un peu de mon cœur vivant que je déchire » (Chap. XIV). Il affronte la mort. D’ailleurs, pour Sainte Colombe, ce sont les autres, ceux qui cherchent désespérément à avoir l’air vivant avec leurs vêtements à rubans, leurs perruques et leurs vies à la cour, qui ont le plus de rapport avec la mort « Vous êtes des noyés » (Chap. V). En effet, on peut mettre en opposition Sainte Colombe et Marin Marais, en se demandant lequel est le plus vivant des deux. Marin Marais semble totalement vivant, avec ses vêtements à rubans, son histoire d’amour avec Madeleine de Sainte Colombe et son travail auprès du roi. Cependant, si on regarde de plus près, on s’aperçoit que tout ce qu’il entreprend se finit par la mort : son histoire avec Madeleine se fini par la mort de son fils et le suicide de sa maîtresse, dans le film, son visage de jeune adolescent au teint frais finit en une grosse tête de vieillard grotesquement poudré. Même sa première viole avec laquelle il avait commencé à jouer finit brisée par Sainte Colombe. A la fin de sa vie, il se rend compte qu’il a raté quelque chose Il vient implorer son vieux maître de l’aider. Il le déclare parfaitement au début du film : « j’ai ambitionné le néant, j’ai récolté le néant » (5:30). Il a peur de la mort. C’est lui qui a le plus de rapport avec la mort. Lui et tous les membres de la cour, tous les « noyés ».
En conclusion, on peut donc dire que, dans Tous les matins du monde, la mort est un des éléments les plus importants. Elle donne de la profondeur aux personnages, elle est présente dans la musique, l’art, les relations entre les personnages et permet de faire avancer l’intrigue depuis le début : la mort de madame de Sainte Colombe, jusqu’à la scène finale. La Mort dans est à la fois l’élément déclencheur et le dénouement, ce qui est peut-être le message de Quignard et Corneau : la Mort est le début, avant qu’on soit vivant, la fin, quand on n’est plus vivant, c’est en elle que se trouve le sens de la vie humaine, c’est peut-être pour se détourner d’elle que se crée la beauté de l’art et de l’existence humaine. |