Résumé : Par le biais de deux fictions romanesques qui dénoncent le basculement du continent africain dans le chaos des guerres civiles, Ahmadou Kourouma et Emmanuel Dongala projettent un regard pénétrant sur la figure historique de l’enfant-soldat,








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date de publication03.04.2018
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LES PARADOXES DE L’ENFANT-SOLDAT,

VIOLEUR, VIOLÉ ET PROTECTEUR DE FEMME

DANS ALLAH N’EST PAS OBLIGE ET DANS JOHNNY CHIEN MECHANT

par Jean-Fernand BEDIA,

Université de Bouaké (Côte d’Ivoire)

Mots clés : enfant-soldat, violence sexospéficique, psychologie, guerre, viol.
Résumé : Par le biais de deux fictions romanesques qui dénoncent le basculement du continent africain dans le chaos des guerres civiles, Ahmadou Kourouma et Emmanuel Dongala projettent un regard pénétrant sur la figure historique de l’enfant-soldat, décryptée comme une sémiologie complexe qui convoque à la fois violence et mesure, et implique une certaine sémantique de l’écriture du crime sexospécifique1 en temps de guerre.


Enfant-soldat : la castration des « enfants du diable »
Il faut relever tout d’abord l’ambiguïté d’une croisade humanitaire contre une forme de violence que « poétise » l’imaginaire collectif en usant du substantif composé « enfant-soldat », pour faire référence à l’une des violations les plus condamnables de la dignité de l’enfant. A ce vocable fondé sur un oxymore heuristique mettant l’accent sur la dimension sexospécifique d’une pratique militaire criminelle, Ahmadou Kourouma et Emmanuel Dongala opposent le syntagme métaphorique d’« enfants du diable », pour désigner ce « personnel » atypique du roman africain et dénoncer par la même occasion l’enrôlement des enfants dans bon nombre de conflits en Afrique.
C’est ainsi que le narrateur de Allah n’est pas obligé, lui-même enfant-soldat, présente ses compagnons d’armes morts au combat comme « les enfants du Diable plutôt que du Bon Dieu » (p. 157). De même, Laokolé, la co-narratrice du récit d’Emmanuel Dongala, évoque cette filiation des enfants-soldats avec le diable, tout en faisant allusion à l’équipe congolaise de football, « Les Diables rouges »2.
Cette « descendance » éclaire, aussi bien pour Birahima que pour Laokolé, la personnalité obscure et les impensés psychologiques des enfants soldats. Les narrateurs des deux récits fournissent des indices récurrents pour comprendre l’identité de ces « enfants du Diable ».
Le premier élément de repère se rapporte au lieu même de la castration de ces enfants, dont la violence à leur encontre commence par leur enrôlement forcé pour en faire des « héros » des enfers africains, ces pays « où les gens mouraient comme des mouches » (Allah, p. 50), et où « les choses n’avaient plus de logique, [où] on saccageait pour saccager, [où] on tuait pour tuer, on pillait pour piller, même les choses les plus invraisemblables » (Johnny, p. 26).
C’est dans ces « cœurs des ténèbres », aux antipodes des lieux mythologiques d’initiation exaltés par et dans les romans L’Enfant noir de Camara Laye et Comme une piqûre de guêpe de Massa Makan Diabaté, que se termine brusquement une enfance, violée et volée, pour faire place à une vie d’homme3.
Le passage de l’enfance à l’âge adulte, contrairement aux règles classiques de l’éducation africaine, obéit à un processus qui défie les principes de toute morale. Il suppose un endoctrinement qui viole le temps nécessaire à la maturité progressive de l’enfant, et qui commence dès le premier jour de l’enlèvement auprès des parents biologiques, ou du tuteur légal et légitime.
Recruté pour une compétition politique qui exige l’effusion du sang et la mort de l’adversaire, l’enfant-soldat devra promptement faire le deuil de sa petite enfance et des valeurs qui ont alors guidé sa jeune vie, c’est-à-dire se soumettre à la consommation de la drogue comme aliment de base, et à l’épreuve rituelle du meurtre initiatique. C’est ici que l’onomastique de ces « diablotins » dans les romans, constitue un autre paradigme d’approche psychologique. Ainsi au détriment de leurs noms de baptême reçus à la naissance, les enfants-soldats préfèrent les sobriquets de terreur, tels « Chien Méchant », « Caïman », « Double Tête », « Idi Amin », pour les miliciens campés par Emmanuel Dongala, et « Wourouda » (bouche de Chien), « Sosso la panthère », « Tête brûlée », pour ceux dépeints par Ahmadou Kourouma.
Toutes choses que synthétisent ceux qui, dans la sphère romanesque américaine, comme le révèle l’écrivain Dave Eggers4, se surnomment the lost boys, c’est-à-dire « les garçons perdus ».
Cette castration opérée en dehors du contexte de la famille traditionnelle développe chez l’enfant soldat, ce « fils du chaos » en qui l’écrivain camerounais Patrice Nganang5 voit le Gavroche de la tragédie littéraire africaine, une conception tragique des rapports sociaux, guidés par une maxime qui, énoncée dans le français ivoirien, se traduit en ces termes : libido ergo sum, c’est-à-dire « je bande donc je suis ». Telle est aussi la maxime de Johnny Chien Méchant.
Libido ergo sum : maxime de l’enfant-soldat, « enfant du diable »
Mobilisés pour des idéaux, présentés le plus souvent sous l’éthique de la politique afin de sanctifier les ambitions individuelles inavouées (enrichissement personnel, conquête absolue du pouvoir d’Etat) de certains leaders politiques africains, les enfants-soldats, galvanisés par leur statut de combattants pour la cause populaire, se métamorphosent en « machine » de guerre, dotée d’un pouvoir illimité, puisque pouvant donner la mort ou laisser la vie sauve, selon ses états d’âme. Cette transformation s’appuie à la fois sur une perversion sexuelle et sur une idéologie criminelle de l’altérité.
Le fusil et le phallus, Johnny vaincra
L’écriture des conflits en Afrique en cache une autre, celle de la guerre des sexes. Les deux récits de notre corpus attestent que la violence ne touche pas les femmes de la même manière que les hommes. Dans cette perspective, la rencontre entre Johnny Chien Méchant et la présentatrice vedette du journal télévisé, Tanya Toyo, après la prise de la maison de la Radio par la milice de Giap, demeure un épisode incontournable6.
Un premier niveau de lecture renseigne sur la psychologie des protagonistes de la scène du viol. La force des verbes « arracher », « déchirer », « faire sauter », « pomper », témoigne de ce qui paraît aux yeux de Johnny une action d’éclat de son phallus héroïque. Cette « rencontre », qui n’en est pas une en réalité, entre Johnny et TT, est empreinte de tragédie, car Johnny commet sur le corps de sa victime ce que Rennie Yotova7 appelle le meurtre sans cadavre. TT  reste vivante, mais une partie de son être demeure irrémédiablement anéanti. Cette mort symbolique de la victime, comme dans les crimes rituels, est synonyme d’une virilité retrouvée pour Johnny.
A l’inertie du corps meurtri et humilié, Chien Méchant oppose son cynisme, interprétant les larmes de sa victime comme le paroxysme d’une jouissance hédonique et l’état comateux de cette dernière comme « un paradis de plaisir », synonyme d’expiation du péché d’adultère auquel elle aurait été contrainte par l’un des techniciens de la Radio. En réalité, il s’agit un d’adultère fantasmé par Johnny, qui trouve dans cette pensée absurde un prétexte pour justifier son exaction criminelle.
Ce violeur se révèle en outre un voleur qui n’hésite pas à dépouiller ses victimes. Chien Méchant est le symbole du violeur mythomane, soucieux de donner une dimension héroïque à ses tristes et sinistres exploits. C’est donc pour cette raison qu’il a préféré tirer une balle dans la jambe d’un technicien, lui laissant la vie sauve afin qu’il serve de témoin. En s’accaparant la photo de sa victime, « celle qui pouvait être sacrée Miss Univers si elle daignait se présenter », « celle qui était invité par le président de la République à la braguette facile devant toutes les belles créatures qui se dandinaient des fesses et portaient un soutien-gorge », Johnny pouvait prouver à « Giap, Caïman, Idi Amin, Ouragan et tous les autres que TT et [lui], avaient bien fait la chose » (p. 37).
Un second niveau de lecture renvoie à une représentation métaphorique du conflit armé. La prise du territoire adverse, symbolisée par la prise de la Radio, un lieu hautement stratégique, va de pair avec le viol des femmes, lequel renvoie aussi au dessein de destruction quasi systématique des populations « adverses ».
Cela étant, c’est avec les révélations du personnage de Birahima, l’enfant-soldat du roman d’Ahmadou Kourouma, que le viol s’affirme comme stratégie de guerre. Le phallus héroïque de l’enfant-soldat devient le phallus bouc-émissaire de l’instrumentalisation mortifère de l’altérité.

Le phallus bouc-émissaire de l’instrumentalisation mortifère de l’altérité
Alors que la violence sur les hommes passe par la torture, le massacre et l’égorgement, le crime dirigé contre les femmes implique le plus souvent le viol. Loin d’être un acte d’agression aussi banal comme pourraient laisser croire des scènes de viol prises isolément, tel le cas de Tanya Toyo, la violence sexuelle à l’encontre de la gente féminine, est en réalité la face émergée d’une institution stratégique militaire des plus inhumaines sur les zones géographiques de conflits armés.
Dans Allah n’est pas obligé, la garde de la prison des femmes est assumée par l’enfant-soldat (p. 74). Décrite tel « un établissement à désensorceler pour les femmes », « une pension de luxe où les femmes n’avaient pas le droit de sortir librement », cette prison rappelle les lugubres maisons de détention d’esclaves sexuelles, incarcérées parfois dès la tendre enfance, sous de fallacieux prétextes rapportés par Birahima8.
Du coup, l’enrôlement des enfants-soldats dévoile son véritable enjeu, principalement politique : faire de ces gamins les complices d’une pratique esclavagiste, consistant non plus à organiser le trafic d’hommes, mais à razzier les femmes, puis à les détruire physiquement, moralement et symboliquement. L’enrôlement des enfants-soldats dans les nombreux conflits africains dévoile son véritable enjeu, peut-être militaire, mais davantage politique : faire de ces gamins les complices, les chevilles ouvrières d’une pratique esclavagiste des temps modernes, qui consiste non plus à organiser le trafic d’hommes, considérés comme les bras valides d’une société, mais à razzier les femmes, puis à détruire physiquement et symboliquement celles qui s’apparentent à la matrice de toute communauté humaine.
Considéré comme l’un des acteurs incontournables de cette stratégie militaire repoussant la cruauté humaine dans les limites de l’indicible, l’enfant-soldat chez Ahmadou Kourouma garde une affinité avec le négrier durant la traite négrière. Il y a une similarité de nature psychologique, qui se dégage à travers le désir de l’honneur viril. Ce qui établit par ailleurs une ressemblance entre la destinée tragique des esclaves violées dans les bateaux négriers, au cours des traversées, et des esclaves sexuelles des camps de Papa le bon, victimes potentielles d’enfants-soldats sous l’empire d’une libido incontrôlée, à l’image de Tête brûlée, violeur et assassin de la pauvre Fati, âgée seulement de sept ans (p. 86).
Ces pratiques dégradantes9 poursuivent un but politique : l’anéantissement identitaire et social de l’ennemi. Elles font des femmes les cibles privilégiées des dérives tribales et ethniques observables au cours des conflits politiques armés.
La représentation de la nation va être associée aux femmes, elles-mêmes réduites à leur sexe et assignées à un rôle procréateur, maternel, de filiation. Dès lors, la réappropriation de cette origine passe par l’appropriation du corps des femmes. Dans ce jeu de perversion de l’identité féminine investie par la politique, elles sont perçues comme des fins politiques. Percevoir le viol comme une arme stratégique, oblige à penser la différence des sexes dans la guerre, c’est-à-dire l’intrusion du féminin au cœur de la politique, et à faire face à la contemporanéité des violences sexospécifiques à l’encontre des femmes dans la modernité africaine.
A la fois témoin et acteur de ce libre service immoral en période de guerre, qui s’organise dans les nouveaux comptoirs négriers où vendeurs et acheteurs s’effacent derrière son épaisseur narrative, l’enfant soldat, se dévoile, à la lecture de la relation entre Birahima et Rita Baclay, dans le roman de Kourouma, à son tour comme un objet sexuel. Une identité de victime abusée, qui rend complexe et voire paradoxal son parcours global d’existence, tel qu’analysé jusqu’ici.
En situation de guerre, l’enfant-soldat constitue une victime idéale pour des adultes immoraux. Kourouma les caricature à travers la figure de Rita Baclay10. Ici, il est question d’une scène d’abus sexuel sur mineur. L’air d’imbécile heureux affiché par Brahima après une fellation, souligne sa nature, celle d’un être vulnérable et manipulable à souhait. Alors que certains adultes abusent de son innocence pour en faire « une arme de destruction massive », d’autres l’utilisent à des fins de jouissance intensive. La relation de Birahima avec Rita Baclay le ravale au statut d’objet sexuel, tel un humanoïde ou une poupée gonflable, à la disposition d’adultes en manque de plaisir.
Dans les romans d’Ahmadou Kourouma et d’Emmanuel Dongala, les enfants partagent donc avec les femmes la place du martyr du crime sexospéficique. Cependant, le destin de ces enfants-soldats, à peine plus hauts qu’un lance-roquette, veut que ce soit dans un contexte de traumatisme et d’anéantissement de la raison que se déroulent parfois les plus émouvantes histoires d’amour11.

De terribles soldats de l’amour
Dans ce récit, Sarah, dont le narrateur fait éloge de la beauté, symbolise une humanité enlaidie par ses propres crimes et horreurs. Sous l’effet de la drogue, membre d’un commando d’enfants-soldats pourchassés par l’ennemi, son désir d’amour est poussé à l’extrême et s’exprime par une masturbation en public. Deux interprétations des actes posés par Tête brûlée et par Sarah dans cette scène funeste se dévoilent.
D’une part, le crime auquel Sarah pousse son ami, se lit comme l’expression de l’impossible amour dans une société en proie à des olympiades macabres, où le martyr semble le lot commun, et où l’unique compétition sensée demeure le marathon pour quelques minutes de survie. D’autre part, le tripotage du « gnoussou-gnoussou », appellation vulgaire en langue malinké du sexe féminin, se lit comme la manière trouvée par Ahmadou Kourouma pour secouer, tel au cours d’une sismothérapie, notre humanité paralysée par la haine et ses dérives tribalistes, xénophobes, racistes.
La logique de cette idée est prolongée par cet épisode du roman d’Emmanuel Dongala, montrant Johnny et sa copine Lovelita, deux enfants-soldats issus de deux grandes ethnies rivales, les Mayi-Dogos et les Dogo-Mayi12. Celui qui se « soûle de sang et de sperme » (p. 272) sait faire la part des choses, quand il s’agit de la femme aimée13. Cet amour défiant les haines et les rivalités ethniques justifie tous les risques si bien que Chien Méchant menace de son arme ses pairs miliciens pour rester l’unique amant de Lovelita.
Dans un monde où la violence n’épargne personne, on est étonné par des comportements passablement romantiques. Aussi est-on fondé à s’interroger sur la portée esthétique et éthique de l’acte sexuel, commis avec ou sans agressivité, dans les romans d’Ahmadou Kourouma et d’Emmanuel Dongala, précisément en temps de guerre. Le violeur agissant quelquefois en protecteur, il faut se demander si le viol, malgré son caractère criminel, ne s’accompagne pas d’une part d’amour14.
Par exemple, Johnny est amoureux de TT, une belle femme en qui il voudrait voir une maman. Il ne peut s’empêcher de s’appliquer le masque du séducteur, du charmeur, en « posant son plus beau sourire sur sa bouche » et en regardant « amoureusement » celle qui, quelques instants plus tard, est une victime, une femme humiliée. Il souffre dans son fantasme de partager sa « femme de rêve » ; il est pris d’une crise de jalousie à l’idée que sa « belle TT » puisse être salie par un viol odieux, dont l’auteur serait ce technicien « même pas beau ». L’assassinat de ce dernier est la conséquence de la perversité de Chien Méchant, incapable de dompter ses pulsions. L’humanisation éphémère de Johnny dans un amour fantasmé pour TT, mais réellement vécu avec sa copine Lovelita, est porteuse de tous les paradoxes de l’enfant-soldat.

Une aspiration à un nouvel ordre sociologique africain
La façon dont Ahmadou Kourouma et Emmanuel Dongala traitent le viol fait de leurs romans d’authentiques discours d’anticipations politiques, dénonçant une vision et un contrat social évanescents. Ces romanciers renouvellent en effet des débats devenus des lieux communs la littérature africaine, à travers la figure historique de l’enfant soldat, romancée comme une nouvelle sémiologie des violences sexospéficiques en Afrique.
Le viol et la violence sexuelle furent des sujets récurrents dans l’histoire littéraire africaine au siècle passé. Du mariage forcé à la scolarisation de la jeune fille, en passant par l’excision, les intrigues romanesques se sont multipliées pour sensibiliser l’opinion sur des faits culturels dénoncés comme des formes de violence à l’encontre de la femme, dans une Afrique en mutation depuis sa rencontre sur fond de violation de droits humains avec le continent européen.
Si l’on prend l’exemple de la scène horripilante du viol de Salimata « dans le sang et les douleurs de l’excision » dans Les Soleils des indépendances d’Ahmadou Kourouma, ou encore la mascarade organisée avec le drap nuptial de Awa taché de sang de coq, afin d’attester en public sa prétendue virginité, dans Le Lieutenant de Kouta de Massa Makan Diabaté, la dimension ethnologique des morceaux choisis par les écrivains, inscrit ces aspects coutumiers, présentés pourtant comme des violences sexuelles, dans un imaginaire qui tend à les tolérer, voire à annihiler leur nature criminelle.
C’est pourquoi, en fictionnalisant un phénomène historique, celui de l’enfant soldat, violeur, violé et protecteur de femme, le choix d’Ahmadou Kourouma et d’Emmanuel Dongala vise à réactualiser ces questions prégnantes qui maintiennent le continent dans un atavisme dégradant, et qui trahissent par ailleurs l’impossible, sinon le difficile avènement d’un ordre sociologique plus égalitaire et plus juste.
Doublé d’une psychologie de violeur, l’enfant-soldat, en tant que symbole obsessionnel des guerres qui balafrent de façon mortifère le continent africain depuis des décennies, pose dans toute son essence l’ampleur des dégâts d’une idéologie nationaliste néo-nazie, qui éclairent les dérivent ethniques et tribales des conflits politiques armés. Cette idéologie, rappelée sommairement plus haut comme la volonté d’anéantissement physique et identitaire par l’appropriation du corps des femmes de l’ennemi dans le viol, trouve dans les nombreuses discriminations à contre de la gente féminine, un terreau sociologique favorable à sa manifestation.
Ce serait une aberration grave et même coupable de penser que le viol reste qu’une conséquence déplorable des dérives barbares chez quelques peuples en guerre, ou le dérapage malheureux du bon soldat désemparé s’abandonnant à des pulsions finalement naturelles. A juste titre, le dépassement d’une telle perception de cet aspect de la violence sexospécifique, met en cause une organisation sociale et familiale, qui en serait à l’origine.
Sinon comment expliquer le fait que tous les conflits africains qui ont été portés en fictions romanesques par les récits d’Ahmadou Kourouma et d’Emmanuel Dongala, produisent l’horreur sur le modèle opératoire des mêmes crimes sexospécifiques : enrôlement d’enfants-soldats majoritairement constitués de garçons, ouverture de chantiers de travaux forcés pour hommes et enfants, organisation de camps de prostitution, d’esclavage sexuel et domestique, réservés aux prisonnières.
La problématique de la violence sexuelle en temps de guerre contre les femmes, met à nu de la manière la plus virulente le phénomène de la domination masculine. Dans cette logique de pensée, l’écriture du viol de la femme en ces conjonctures de belligérances terrifiantes, interpelle une conscience africaine qui a tendance à présenter cette sémiologie horrible récente du crime sexospécifique, comme une barbarie humaine isolée, conjoncturelle, et non comme l’excroissance un ordre sociologique, qui disparaît derrière des appareils politiques et même militaires dont les femmes sont rarement actrices quand elles n’y sont pas sous-représentées.
Œuvres romanesques

Dongala (Emmanuel), Johnny Chien Méchant, Paris, Le Serpent à plumes, 2002.

Kourouma (Ahmadou), Allah n’est pas obligé, Paris, Le Seuil, 2000.
Références bibliographiques

Dolto (Françoise), Quand les parents se séparent, Paris, Le Seuil, 1988.

Eggers (Dave), « Garçons perdus du Soudan » in Courrier international, n° 872 du 19 au 25 juillet 2007, pp. 37-41.

Jézéquel (Jean-Hervé), « Les enfants-soldats d’Afrique, un phénomène singulier ? Sur la nécessité du regard historique », in Vingtième siècle, revue d’Histoire, n° 89, Janvier-Mars 2006.

Nouveau millénaire, Défis libertaires, « Le viol comme arme de guerre, Conflits armés et violence sexuée au Chiapas et en ex-Yougoslavie », Flagrant délit n° 9, 1999, Document Web, http://1libertaire.free.fr/GuerreetFemmes.html, consulté le 18 octobre 2007.

Patrice Nganang, Manifeste d’une nouvelle littérature africaine. Pour écriture préemptive, Paris, Homnisphères, 2007, 311 p.

Yotova (Rennie), Ecrire le viol, Paris, Non Lieu, 2007.

1.On nomme « violence sexospécifique », « violence basée sur le genre » ou encore « violence sexiste », tout acte perpétré contre la volonté d’une personne et résultant de sa détermination biologique ou de son rôle en tant qu’être sexué. Elle se manifeste sous la forme de croyances, de traditions, de comportements ou d’attitudes dommageables envers des individus en fonction de leur âge. La violence sexospécifique concerne les enfants tout autant que les adultes.

2.« […] en Afrique nous avions trois équipes de lions, au Cameroun, au Sénégal et dans l’Atlas marocain, tandis que les aigles se trouvaient au Nigeria et au Mali, les éléphants en Côte d’Ivoire. Mais saviez-vous où l’on trouvait des Diables ? Au Congo, évidemment ! » (p. 216-217).

3.On peut ici se référer à une réplique de l’œuvre cinématographique Blood diamond (DVD, Warner Bros, 2007) du réalisateur américain Edward Zwick, quand un chef de guerre s’adresse à ses nouvelles recrues en ces termes : «Vos parents sont faibles, rien que des pêcheurs, rien des fumiers. Ils n’ont fait que sucer le sang de ce pays. Mais vous, vous êtes les héros qui sauveront cette nation. L’enfance est terminée. Vous êtes hommes. » .

4.Dave Eggers est un ancien journaliste. Son roman What is the what – qu’est-ce que le quoi – qui retrace la vie d’un ancien enfant-soldat du Soudan, Valentino Achak Deng, est paru aux Etats-Unis. Il doit paraître en France aux Editions Gallimard en 2009.

5.Patrice Nganang, Manifeste d’une nouvelle littérature africaine. Pour écriture préemptive, Paris, Homnisphères, 2007, p. 272-273.

6. « Maintenant je n’étais plus un gamin ; à quinze ans, presque seize, j’étais un homme ; je savais ce qu’on pouvait faire avec une nana, ce qu’on devait faire avec une belle nana, même une nana deux fois ou trois fois plus âgée que soi comme TT. […] Alors j’ai perdu patience. J’ai arraché le grand et déchiré son soutien-gorge. Elle ne résistait plus, elle se laissait faire. C’est cela qui est magnifique avec un fusil. Qui peut vous résister ? On nous avait dit que le pouvoir était au bout du fusil et c’était vrai. J’ai enfin fait sauter son slip et j’y suis allé là, dans le studio […]. J’ai pompé, pompé la belle TT. Je crois même qu’elle aimait cela puisqu’elle pleurait de plaisir, ne s’agitait plus et me regardait froidement, les yeux ouverts comme si elle était dans un autre monde, froide comme un poisson, dissimulant bien le paradis de plaisir où la force de mes reins l’avait transportée. Je l’ai retournée et je l’ai chevauchée par derrière. Avec elle c’était pas pareil qu’avec les autres […].

Quand j’ai fini, je me suis essuyé avec son pagne. J’ai ensuite fouillé dans son sac et trouvé une de ses photos que j’ai gardée comme souvenir. J’ai aussi arraché les bijoux en or qu’elle portait et je les ai mis dans ma poche. » (pp. 35-37)

7.Rennie Yotova, Ecrire le viol, Paris, Non Lieu, 2007, p. 14.

8.« Il y avait une pension de jeunes filles que le colonel Papa le bon dans sa grande bonté avait fait construire. C’était pour les filles qui avaient perdu leurs parents pendant la guerre. Des filles de moins de sept ans. Des jeunes filles qui avaient pas à manger et qui avaient pas assez de seins pour prendre un mari ou pour être des enfants-soldats. C’était une œuvre de grande charité pour des filles de moins de sept ans. » (p. 83-84).

9.Elles sont suggérées dans les œuvres cinématographiques inspirées par les guerres du Libéria, de la Sierra Leone, du Rwanda : Lord of War (2006), Blood diamond (2007) et Hotel Rwanda (2005), des réalisateurs Andrew Niccol, Edward Zwick, et Terry George.

10. «Celle qui commandait les enfants-soldats s’appelait Rita Baclay. Rita Baclay m’aimait comme c’est pas permis. […] Parfois, surtout quand Baclay était absent, elle m’amenait chez elle, […] elle ne cessait de me dire : « Petit Brahima, tu es beau, tu es joli. Sais-tu que tu es joli ? Sais-tu que tu es beau ? […] ». Et après, […] me demandait tout le temps de me déshabiller. Et j’obéissais. Elle me caressait le bangala, doucement et doucement. Je bandais comme un âne et sans cesse je murmurais :

« Si le colonel Baclay nous voyait, il ne serait pas content.

-Ne crains rien, il n’est pas là », murmurait-elle.

Elle faisait plein de baisers à mon bangala et à la fin l’avalait comme un serpent avale un rat. Elle faisait de mon bangala un petit cure-dent.

Je quittais sa maison en sifflotant, gonflé et content. » (p. 114-115)

11.« Il y avait parmi les enfants-soldats une fille-soldat, ça s’appelait Sarah. Sarah était unique et belle comme quatre et fumait du hasch et croquait l’herbe comme dix. Elle était en cachette la petite amie de Tête Brûlée à Zorzor depuis longtemps. Et c’est pourquoi elle était du voyage. Depuis la sortie de Zorzor, ils (elle et Tête brûlée) ne cessaient de s’arrêter pour s’embrasser. Et chaque fois elle en profitait pour fumer du hasch et croquer de l’herbe. […] Elle était devenue dingue complètement dingue. Elle tripotait son gnoussou-gnoussou devant tout le monde. Elle demandait devant tout le monde à Tête brûlée de venir lui faire l’amour publiquement. Et Tête brûlée refusait tellement on était pressé et avait faim. Elle voulait se reposer, s’adosser à un tronc pour se reposer. Tête brûlée aimait beaucoup Sarah. Il ne pouvait pas l’abandonner comme ça. Mais nous étions suivis. On pouvait pas attendre. Tête brûlée a voulu la relever, l’obliger à nous suivre. Elle a vidé son chargeur sur Tête brûlée. Heureusement elle était dingue et ne voyait plus rien. Les balles sont parties en l’air. Tête brûlée, dans un instant de colère, a répliqué. Il lui a envoyé une rafale dans les jambes et l’a désarmée. Elle a hurlé comme un veau, comme un cochon qu’on égorge. Et Tête brûlée est devenu malheureux.

Nous devions la laisser seule, nous devions l’abandonner seule à son triste sort. Et à ça Tête brûlée ne pouvait pas se résoudre. Elle gueulait le nom de sa maman, de Dieu, de tout et tout. Tête brûlée s’est approché d’elle, l’a embrassée et s’est mis à pleurer. Nous les avons laissés en train de s’embrasser, en train de se tordre, de pleurer, et nous avons continué pied la route. » (p. 92-93).

12.« Lovelita, c’est ma copine à moi, la fille que j’aime le plus parmi toutes celles que j’ai aimées. Bien sûr qu’elle est mayi-dogo, c’est-à-dire l’ethnie de nos ennemis tchétchènes, mais cela ne l’empêche pas d’être belle et d’être aimée. Et puis elle n’a pas choisi de naître mayi-dogo. » (p. 89) 

13.« J’avais l’impression de sortir du brouillard quand j’ai vu Lovelita étalée dans l’herbe sous la lueur blafarde et sournoise de la lune. Pourquoi son sexe était-il à découvert, sa culotte beige et son pantalon jeans repoussé à hauteur de ses chevilles ? Ah, je me souviens, je pense que nous avons fait l’amour. Je ne l’ai pas violé. On ne viole pas une femme qu’on aime, surtout pas dans l’herbe. » (p.195)

14.« Je tremblais surtout parce que là, devant moi, se tenait Tanya Toyo, TT, en chair et en os, cette femme de rêve tombée du ciel et que la télévision projetait dans nos maisons. […] J’ai posé mon plus beau sourire sur ma bouche et je l’ai regardée amoureusement comme un homme regarde une femme. […] C’est qu’à douze ans, on pense qu’une belle femme est comme une maman, la seule différence était que la belle femme était plus gentille et qu’on pouvait partager avec elle des secrets qu’on pouvait pas partager avec sa maman. Maintenant je n’étais plus un gamin […]. A la façon dont elle l’a regardé [le technicien], j’ai toute suite su que ce type avait couché avec elle. Il avait dû forcer la pauvre femme, peut-être même l’avait-il violée. Il avait Sali ma belle TT. J’ai regardé le traître, il était toujours à genoux, il n’était même pas beau. Et pan ! une balle, […]. » (p. 35).

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«Avant IL y avait une sdn, aujourd’hui IL n’y a que des pays» dénonçant le protectionnisme et le début des xénophobies

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