télécharger 38.56 Kb.
|
Article publié dans Informations sociales, à paraître début 2005 (n° 122). Le parent et le couple au risque de la parentalité. L’apport des travaux en langue anglaise. Anne VERJUS, politologueMarine BOISSON, politologueLes parents sont compétents, entend-on dire. Pourtant, ils apparaissent parfois à l’origine de leur propre désarroi, au sens où « être parent » engendrerait fatigue du parent et conflits au sein du couple conjugal. En effet, si le parent est toujours socialement perçu comme le pourvoyeur de biens « insubstituables » (sécurité affective et matérielle, éducation et transmission…) de son enfant et son irremplaçable protecteur ; il est également, et ceci depuis fort longtemps, perçu comme un facteur de risque non négligeable pour son enfant (insuffisance éducative, négligence voire maltraitance). Cependant, on peut voir émerger, depuis peu, une troisième approche qui tend à considérer, à l’inverse, l’enfant comme un facteur de risque pour ses parents : culpabilisation, surmenage, « fatigue émotionnelle et physique » des mères, dépression du parent, mais aussi conflits et désaccords entre parents, jusqu’à maintenant abordés comme autant de symptômes d’histoires particulières, commencent à être examinés dans le cadre d’un fonctionnement familial générateur de stress en soi.. Le soutien à la fonction parentale tel qu’il est promu par les pouvoirs publics depuis la Conférence de la Famille de 1998 et mis en œuvre au sein notamment des Réseaux d’Ecoute, d’Appui et d’Accompagnement des Parents (REAAP) prend acte de ces perspectives. Dans les années 1990, le regain d’intérêt pour la fonction sociale des parents avait dans un premier temps pris la forme d’un « appel à la responsabilité des familles » et d’une incrimination des « parents démissionnaires » face aux déviances enfantines et adolescentes. Les pouvoirs publics, en arbitrant plutôt en faveur d’une option « réhabilitante » des parents, i.e. d’un soutien social, ont légitimé une construction sociale du risque où le parent en tant qu’adulte chargé d’enfant(s) dépendant(s) appelle à être « aidé » en tant qu’« aidant ». De plus, en précisant bien que les dispositifs de « soutien à la fonction parentale » s’adressaient à « toutes les familles » et non pas seulement à celles habituellement dites « en difficulté »les pouvoirs publics ont bien constitué la parentalité comme un "risque social" à part entière. « Soutien à la fonction parentale » ou «accompagnement de la parentalité » ? Universaliser le propos du dysfonctionnement à toutes les familles, c’est bien considérer que la famille est un problème en soi ; partant, c’est aussi considérer que l’enfant qui fait la famille, comme le suggérait Dominique Gillot1, est aussi son principal facteur de risque : non seulement son arrivée peut déstabiliser le couple conjugal, mais son développement peut également solliciter les parents jusqu’à l’excès au regard de leurs ressources disponibles. Depuis une dizaine d’années (et sans perdre de vue les autres facteurs de risque psychologiques ou socio-économiques), on en est venu à s’interroger sur les effets des dysfonctionnements de la parentalité sur le parent lui-même. Entre « soutien à la fonction parentale » et « accompagnement de la parentalité », la nuance n’est pas négligeable. L’un fonctionnalise le parent qui reste principalement envisagé au travers du « rôle » qu’il doit jouer vis-à-vis de l’enfant et de la société ; l’autre pose comme objet le sujet parental en tant que tel. Si l’on s’accorde désormais, hommes politiques compris, à reconnaître qu’être parent « n’est pas facile tous les jours », il reste un déficit de pensée de la condition parentale et du couple avec enfant en France, ce que traduisent les emprunts répétés et les réinterprétations d’un vocabulaire et de pratiques anglo-saxonnes de la parentalité, dans le but d’en concevoir les difficultés et, le cas échéant, l’accompagnement.. Penser la parentalité via les travaux sur le « parenthood » Les travaux français sur la condition parentale se sont longtemps caractérisés par leur rareté — la sociologie et la psychologie de la famille se donnant principalement pour objet l’enfant, le couple et le groupe familial. Mais les dix dernières années ont vu paraître un nombre croissant d’ouvrages relatifs à la « parentalité » et à ses difficultés. L’apport des travaux de langue anglaise est, en la matière, fondateur. Comme cela est maintenant bien connu, le terme même de « parentalité » est une traduction de « parenthood », terme apparu à la fin des années 1950. Si la notion connaît ces dernières années une définition extensive, comme catégorie d’action publique réunissant à la fois la fonction parentale (les « droits et devoirs » du parent), l’expérience parentale (le « vécu » du parent) et le « parentage » (les « tâches » du parent)i, l’apport spécifique du concept scientifique était originairement de rendre visibles les « dispositions psychiques que manifeste un sujet vis-à-vis de la perspective d’être ou de devenir parent », son originalité étant de présupposer que cette expérience induit « un changement de personnalité au point qu’il s’apparente à une crise chez certains sujets », à l’image de la crise d’adolescenceii. De nouveaux travaux en langue française, dans le contexte actuel, reprennent et approfondissent cette perspective. Ils témoignent d’apports originaux et commencent bien à constituer une « clinique des troubles de la parentalité »iii ; cependant, le constat que « l’entrée dans la parentalité est un passage à risque », au regard par exemple « des problèmes d’alcoolisme [de certains pères] à l’occasion de la naissance du premier enfant » ou de « la survenue de problèmes dans [le] couple », demeure encore largement argumenté à partir des travaux, mais donc aussi des concepts et des approches, en langue anglaiseiv. Penser la "fatigue d'être parent" via la notion de "burn-out" Au-delà de l’arrivée de l’enfant, l’usage de notions issues de la psychologie sociale américaine a trouvé une application toute récente sur le terrain du stress parental, à travers la notion de « burn-out » des mères de famillev. La notion désigne « un état psychologique, émotionnel et physiologique résultant de l’accumulation de stresseurs [facteurs de stress] variés, caractérisés par une intensité modérée et un aspect chronique et répétitif. »vi Cette notion de burn-out est bien connue des psychologues et psychiatres français qui la réservaient jusqu’à maintenant pour caractériser l’état typique d’un personnel soignant qui s’épuise émotionnellement et physiquement, finissant par prendre ses distances vis-à-vis de son travail et par minimiser ses accomplissements et sa capacité à faire face à ses responsabilités ; introduite au milieu des années 1970 dans la clinique des professionnels de la relation d’aide vii, elle a été traduite en France par syndrome d’épuisement professionnel des soignants. Définie par cette spécificité du « caring » (i.e. des soins d’entretien et de maintien de la vie) qui la distinguait justement du stress professionnel ou de la simple insatisfaction au travailviii, sa toute neuve application au domaine parental témoigne de l’évolution récente des représentations des responsabilités parentales. Le « métier de parent » porte en lui sa charge mentale, ses propres facteurs de stress et de burn-out ; la maternité, identifiée comme un facteur de risque, appelle à être reconnue comme telle. Sans surprise, le burn-out s’inscrit à point nommé dans la même perspective de capacitation/déculpabilisation des parents qui caractérise déjà l’approche actuelle de la parentalité. Penser l’accompagnement de la parentalité et de la fonction parentale à partir du concept d’« empowerment » L’appropriation de concepts nord-américains n’est pas seulement mise en œuvre par le champ scientifique. La conception des interventions sociales en matière de parentalité emprunte actuellement beaucoup à l’« empowerment », quitte à en offrir des interprétations multiples et potentiellement antagonistes. Originairement, l’empowerment est un mouvement écologique et communautariste de refondation du lien social et de la participation politique issu du mouvement des droits civiques. Il émerge comme catégorie d'action publique dans les années soixante-dix, dans un contexte de refondation des principes d'intervention sociale. Il est fondé sur une philosophie de la personne en lien avec une communauté dans laquelle on cherche à la réinsérer ; dans laquelle elle devient un acteur investi, raffermi dans son estime de soi ; c’est enfin un mouvement de renforcement de l’autonomie des individus face aux institutions et aux « professionnels », notamment du secteur social. C’est dans cet esprit, alors que par ailleurs la tendance était à une « compression des services de santé et des services sociaux », que les milieux d’intervention américains et canadiens ont sollicité « les ressources des familles (…) comme cellules alternatives aux services publics. »ix En France, on voit apparaître deux notions : celle, « communautariste », du citoyen-parent (le parent comme moyen pour atteindre l’habitant de la communauté, celui qu’on décharge de ses contraintes familiales pour lui permettre d’assumer ses devoirs de citoyen, notamment « retisser le lien social ») et celle, « parentaliste », du parent-citoyen (le parent considéré comme un acteur à part entière, dont on prend en compte les contraintes pour l’aider à assumer une fonction parentale par ailleurs réévaluée)x. La plupart des actions de soutien à la fonction parentale naviguent aujourd’hui entre ces deux pôles d’instrumentalisation et renforcement des parents ; c’est qu’au-delà de ces finalités contradictoires, toutes prônent un même souci : celui d’accroître les « ressources » des parents. Et c’est en cette matière que l’influence américaine se fait le plus sentir, lorsqu’à travers une approche de la famille devenue aujourd’hui bien plus managériale que « politique », elle incite à tourner le regard vers le renforcement des compétences de l’« équipe parentale » en charge de « l’entraînement des enfants »xi. Le parental comme inconnu de l’équation conjugale Il reste beaucoup à faire pour comprendre les causes du divorce : rien n’est fait en la matière, alors que les études se sont multipliées sur ses circonstances, son organisation et ses conséquences sur l’enfant. On n’en est qu’aux balbutiements d’une approche du couple conjugal par sa parentalité ; autrement dit, à une prise en compte de la contrainte parentale et de son impact sur la viabilité du couple conjugal. Les travaux en langue anglaise, par leur approche pragmatique, aujourd’hui quasiment managériale, du lien familial, ont exporté des notions qui permettent aujourd’hui d’aborder plus objectivement les difficultés inhérentes à la condition parentale. En France aujourd’hui, la parentalité s’inscrit depuis une dizaine d’années dans un « double corps » du parent, qui distingue sa compétence éducative-affective d’accueil et de suivi de l’enfant, de sa capacité biologique à « faire et porter un enfant ». Mais dans ce qui est aussi une plus forte exigence à l’égard de cette nouvelle forme de la « mise au monde » d’un enfant, il faut reconnaître que la conjugalité occupe, si l’on peut dire, la place du « parent pauvre ». Le « soutien à la fonction parentale » est aujourd’hui l’objet d’un fort consensus. Si l’évolution des structures familiales conduit experts et pouvoirs publics à dissocier de plus en plus clairement le conjugal du parental, essentiellement pour préserver la fonction parentale des pères et mères au-delà de la rupture du conjugal, cela tend à isoler des phénomènes pourtant interdépendants. Ces regards portés, notamment sous l’impulsion nord-américaine, sur les contraintes liées à cette fonction si exigeante, constituent une première avancée vers l’étude de la relation parfois conflictuelle entre parentalité et conjugalité. Anne VERJUS, politologue, chargée de recherches au CNRS. Marine BOISSON, politologue, ATER à la Faculté de Droit et Science Politique de Lyon 2. Notices bio-bibliographiques des auteurs : Marine Boisson, ATER en science politique à Lyon 2, prépare une thèse sur les politiques du parent, sous la direction de J.-M. Donégani, à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. Auteur avec Anne Verjus d’un rapport pour la CNAF qui sera mis à disposition du public sur le site de la CAF en novembre 2004 : La parentalité, une action de citoyenneté. Une synthèse des travaux récents sur le lien familial et la fonction parentale (1993-2004). Anne Verjus, chargée de recherches au CNRS (Pacte, Grenoble), travaille sur les liens politiques entre femmes, famille et citoyenneté. Auteur avec Marine Boisson d’un rapport pour la CNAF qui sera mis à disposition du public sur le site de la CAF en novembre 2004 : La parentalité, une action de citoyenneté. Une synthèse des travaux récents sur le lien familial et la fonction parentale (1993-2004), elle a également publié Le Cens de la famille. Les femmes et le vote, 1789-1848, Paris, Belin, 2002. Coordonnées personnelles : Anne Verjus, Allée des Vergers 38 090 Villefontaine. Marine Boisson, 13 rue Lacroix, 75 017 Paris. Résumé en cinq lignes : En France, depuis la fin des années 1990, l’apport d’un soutien social aux parents en charge d’enfant dans leurs tâches éducatives s’est imposé comme un objectif consensuel. Il semble demeurer néanmoins un déficit de pensée de la condition parentale et du couple avec enfant, se traduisant par des emprunts répétés à des travaux en langue anglaise, dans le but d’en concevoir les difficultés et, le cas échéant, l’accompagnement. 1 Cf. Dominique Gillot, Pour une politique de la famille rénovée : rapport à M. le Premier ministre et à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité, Paris, La documentation française, 1998, 73 p. i Une définition « syncrétique » de la parentalité défendue notamment par le rapport pour la Direction de l’Action Sociale du groupe de travail sous la direction de Didier Houzel, Les enjeux de la parentalité, Erès, 1999. Cette définition trouve sa logique dans les préoccupations actuelles de l’action publique plutôt qu’elle n’est fondée scientifiquement. Pour une discussion critique des usages de la notion de parentalité, voir Gérard Poussin, « La fonction parentale dans sa complexité », in Le Relais parental, colloque du 14 novembre 2002, Paris, Atlante Editions, 2003, p. 76. ii Gérard Poussin, « La fonction parentale dans sa complexité », in Le Relais parental, op. cit., p. 76. iii Quelques travaux significatifs : Alain Bouregba, Les troubles de la parentalité, approches cliniques et socio-éducative, Paris, Dunod, 2002 ; Maurice Berger, Les séparations à but thérapeutique, Paris, Dunod, 1997 ; Gérard Poussin, Psychologie de la fonction parentale, Paris, Dunod, 1993 ; Leticia Solis-Ponton (dir.), La parentalité. Défi pour le troisième millénaire. Un hommage international à Serge Lebovici, Paris, Puf, 2000. iv Voir notamment la bibliographie des recherches anglophones présentée par Gérard Poussin, « La fonction parentale dans sa complexité », in Le Relais parental, op. cit., 2003, pp. 75-92. v Le premier ouvrage en langue française traitant explicitement des besoins et des contraintes spécifiques aux « aidantes naturelles » que sont les mères a été publié récemment. Il s’agit de La fatigue émotionnelle et physique des mères. Le burn-out maternel, de Violaine Guéritault (Paris, Odile Jacob, 2004). L’auteur, français, a soutenu une thèse de psychologie aux Etats-Unis. vi Violaine Guéritault, op. cit., p. 27. vii L’auteur reconnu comme le théoricien de la notion est Christina Maslach, docteur en psychologie sociale, Cf. Burnout. The Cost of Caring. Malor Books, Cambridge, MA, 2003. Typiquement, la dédicace de son dernier ouvrage adressé aux infirmières, enseignants, médecins, policiers, travailleurs sociaux et « anyone else who cares about people », s’adresse à ses parents « whose love and caring have meant so much to me ». Ainsi le passage du soin professionnel à autrui au soin parental se fait-il insensiblement. viii « Si, pour tous les professionnels, on retrouve épuisement émotionnel et perte d’accomplissement de soi au travail, il n’y a que dans les professions d’aide que la déshumanisation de la relation à autrui a un impact si important. » Pierre Canouï et Aline Mauranges, Le burn out. Le syndrome d’épuisement professionnel des soignants. De l’analyse aux réponses, Paris, Masson, 2004, p. 11. C’est donc l’épuisement de la relation à l’autre (au centre des professions de relation d’aide) qui spécifie le burn-out. ix Gallagher et al., 1997, cités sur le site du Cesaf (Centre d’Excellence pour la Santé des Femmes) de Montréal. Voir http://www.cesaf.umontreal.ca/f.ress.doss.empow.doc1.html#introduction, dernière consultation le 1er octobre 2004. x Cf. Marine Boisson et Anne Verjus, La parentalité, une action de citoyenneté. Une synthèse des travaux récents sur le lien familial et la fonction parentale (1993-2004), CNAF, 2004. L’essentiel de ce rapport sera mis en ligne sur le site de la CAF à partir de novembre 2004. xi « Train the trainers » : telle est l’expression en usage dans les groupes de capacitation et d’apprentissage professionnel, pas seulement parental, dans la plupart des pays anglo-saxons. Un grand nombre de programmes privés et publics, à destination des travailleurs sociaux, des formateurs et des familles, intègrent aujourd’hui cette notion. |
![]() | «pack déjeuner» (proposé en prévente) : une boisson au choix le matin (thé/café/jus d’orange) et une formule déjeuner le midi (sandwich... | ![]() | |
![]() | ![]() | ||
![]() | «à 10 m de profondeur, la pression de l’air dans une bouteille de plongée est deux fois plus importante qu’à la surface.» | ![]() | «Le vin est une boisson provenant exclusivement de la fermentation du raisin frais ou du jus de raisin frais» |
![]() | «light» qu’un adolescent pesant 50 kg peut boire par jour sachant que la concentration massique en aspartame de cette boisson est... | ![]() | Muhammad: sa vie basée sur les documents les plus anciens par MartinLings a perdu son statut d'être acclamé dans le monde entier... |
![]() | «bière, vin ou spiritueux (fort)» n'a pas d'importance. C'est plutôt le pourcentage d'alcool contenu dans la boisson qui se trouve... | ![]() | «Femmes exilées en séjour précaire ayant fui des violences : quel accompagnement ?» célébrant la 1ère année de l‘asbl Woman do fondée... |