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Cet élève observé au cours d’une période relativement brève illustre une dérive dans le temps de ses intentions et de ses préoccupations. Au départ très proches des consignes énoncées par l’enseignant, elles s’en émancipent progressivement jusqu’à leur être quasi étrangères. Au début proches de la consigne collective initiale, le contenu de ces interactions se sont progressivement diversifiés au point de ne plus rien avoir en commun avec ce qui était initialement demandé aux élèves. Une dynamique de l'action de l'enseignant s’est construite pas à pas, selon les opportunités de coopération qu’offraient les élèves. Ces derniers ont présenté eux-mêmes une évolution comparable à celle de l’enseignant : ils se sont engagés dans les situations d'apprentissage munis de la consigne initiale, et ont modifié leurs mouvements de proche en proche, ainsi que leurs intentions. Ce cas illustre une double évolution des actions de l’enseignant et des élèves, selon des dynamiques partiellement autonomes, même si l’action de l’enseignant est étroitement indexée à celle de certains élèves, au gré des déplacements de l’enseignant dans la salle et des lieux où se trouvent les élèves avec lesquels il interagit en particulier. De sorte qu'après une certaine durée, ces actions ne sont plus que très faiblement coordonnées : on assiste à une dérive généralisée telle que les intentions de l’enseignant et des élèves divergent dans le temps de façon de plus en plus nette. Et après quelques minutes, il n’y a plus d’unité des actions dans la classe. 2.3. Agencer des éléments du programme ou construire des histoires avec les élèves Ces deux types d’action bornent une sorte d’espace, constitué de l’ensemble des actions possibles pour un enseignant d’EPS. A une extrémité de cet espace, les actions sont strictement connectées aux contenus et à la matière, au point de n’être que modestement asservies aux actions des élèves : l’enseignant en Gymnastique donne typiquement l’impression de ne pas se préoccuper de ce que font réellement ses élèves et paraît davantage soucieux des points clés du saut de lune et de son apprentissage. Au plan strictement pédagogique, l’intervention peut être caractérisée comme indifférenciée : il s’adresse à tous les élèves de la même manière, comme si tous devaient être confrontés aux mêmes contenus et devaient suivre la même démarche pédagogique. A l’autre extrémité de cet espace, l’enseignant est étroitement préoccupé par les actions des élèves, et intervient auprès d’eux sans réellement prendre en compte les consignes initiales qu’il avait lui-même conçues et délivrées. C’est le cas typiquement chez cet enseignant de Tennis de Table dont les interventions sont au fond déterminées par ce que font ici et maintenant les élèves qu’il observe, et non par des objectifs précis et arrêtés. Ces deux cas sont extrêmes : rares sont les enseignants que l’on peut, comme eux, profiler de façon aussi exclusive. Plus généralement, les actions paraissent tenues de façon fondamentale par ces deux exigences : la matière et les élèves. Ce dilemme des enseignants avait déjà été repéré par Dewey il y a près de cent ans. Il met en évidence à la fois la nécessité d’une intervention différenciée, et sa difficulté : chaque fois qu’un enseignant s’efforce d’ajuster son intervention par rapport aux élèves, il s’expose à un risque de divergence, de non consistance au regard de la matière enseignée. En revanche, à chaque fois qu’il se centre sur la matière et sa cohérence, il le fait au détriment d’un ajustement aux besoins des élèves. Ces deux observations pointent les limites de toute différenciation pédagogique qui doit à la fois assurer une intervention égalitaire et pertinente pour tous, tout en tenant compte des singularités et des individualités. Nous ne dissertons pas, en écrivant cela, sur la valeur de telle ou telle modalité d’intervention, mais sur les difficultés techniques de la mise en œuvre d’une pédagogie différenciée. Au-delà de la singularité de ces deux types d’actions, c’est presque de styles pédagogiques qu’il peut s’agir. Le premier style est celui d’enseignants surtout préoccupés d’enseigner des éléments du programme, de structurer de façon rationnelle les contenus enseignés, conçus préalablement à l’interaction avec les élèves. Le deuxième style caractérise des enseignants dont l’action relève davantage de la construction d’histoire avec des élèves, du suivi ou de l’inscription signifiante dans le temps de ces interactions, et d’une sensibilité exacerbée aux singularités et aux trajectoires personnelles des élèves. 3. LA SENSIBILITE AUX DIFFERENCES CHEZ LES ENSEIGNANTS D’EPS La différenciation de l’action peut porter sur des dimensions autres que proprement motrices. A titre d’illustration, l’argumentation qui suit portera sur ce que l’on pourrait appeler une pédagogie différenciée en direction des règles dans la classe et du rapport des élèves à la règle. Avant de détailler cet aspect, il est nécessaire de faire quelques rappels relatifs à la manière dont les enseignants et les élèves interagissent pour ajuster leurs propres actions réglées en classe. 3.1. Les interactions enseignants - élèves et le rapport à la règle en classe L’action des enseignants d’EPS est essentiellement verbale : ils communiquent avec les élèves, réalisent des « actes de langage ». En d’autres termes, ils modifient (ou tentent de modifier) l’état mental des élèves par le biais d’interactions verbales. Ces modalités d’action ont fait l’objet d’un effort de repérage (Durand, sous presse). Lorsqu’elles sont finalisées par l’instauration de règles dans la classe et le respect de ces règles, elles peuvent prendre diverses formes, dont les plus importantes et fréquentes sont : « imposer », « justifier » et « négocier » (pour une présentation un peu différente et plus exhaustive cf. Méard et Bertone, 1998). 3.1.1 Imposer L’épisode présenté dans les lignes qui suivent s’est déroulé au cours d’une leçon de Lancer de Disque avec des élèves de 2nde. L’enseignant leur a demandé de se regrouper par trois, et leur a adressé la consigne suivante : « Comme d’habitude vous lancez trois disques de suite. Le copain qui attend assis sur le banc là, marque la distance du jet en plantant une fiche et en la déplaçant seulement si le jet suivant est meilleur. Il faut enchaîner rapidement les jets mais on n’a pas le droit de lancer s’il n’est pas assis sur le banc. Compris ? Et seulement à la fin de l’atelier on mesure. Compris ? Le troisième aussi se tient dans ce rectangle là sur le banc. Il doit vérifier que le lanceur ne morde pas. C’est lui qui donne le disque au lanceur, mais seulement quand le deuxième est assis sur son banc. Compris ? ». Cet extrait est typique d’actions consistant en une « imposition » ou « obligation ». Le professeur oblige les élèves au respect de consignes de sécurité très précises : rien n’est discuté ou négocié. Et la suite de la leçon montre un souci quasi – obsessionnel du respect strict de ces règles qui sont inlassablement répétées.Si les règles énoncées par cet enseignant sont précises et strictes, tout n’est pas dit dans sa consigne et certaines de ces règles sont implicites ou ont été énoncées plus tôt. C’est le cas par exemple pour le lanceur, à qui il n’est pas dit qu’il ne doit pas « mordre ». Par ailleurs, ces obligations prennent différentes formes, des plus explicites et directes aux plus implicites et indirectes :
Durant ces interactions basées sur l’obligation, les règles sont énoncées, et tout se passe comme si elles étaient régies par une méta-règle : « se conformer aux prescriptions et proscriptions de l’enseignant ». Ceci correspond à un rapport de force et de pouvoir entre l’enseignant et les élèves. Cette règle de rang supérieur n’est généralement pas dite. Mais elle est « rappelée » en cas de conflits ou de problèmes. 3.1.2. Justifier Dans de nombreux autres cas, les enseignants ne recourent pas à l’imposition ou l’obligation. Ils exposent à leurs élèves les règles, en association avec une justification ou une explication. C’est le cas dans un atelier de Trampoline avec des élèves de 6ième. L’enseignant délivre le message suivant : « Ce trampoline c’est un outil super et aussi très dangereux, alors il faut apprendre à bien s’en servir. Tout d’abord comment est-ce qu’on se place ? Très simple, vous vous disposez tout autour du trampoline, vigilants et non pas vautrés comme Ludovic en ce moment. Il faut être attentifs et prêts à repousser le camarade qui pourrait sortir du trampoline. Pourquoi repousser et non pas rattraper ? Parce que vous n’avez pas la force pour l’attraper, alors je vous demande, si vous voyez qu’il va sortir, de le repousser fortement dans la toile […]. Pour celui qui passe, d’abord savoir monter et descendre de cet agrès. On ne fait pas cela n’importe comment, parce qu’il y a du danger. Pour monter vous utilisez ce plinth, pour vous asseoir sur le bord du trampoline. Et là, hop, vous roulez lentement en arrière pour venir au milieu de la toile, sur la croix. Pourquoi est-ce qu’on roule, et qu’on ne marche pas ? Parce que par définition, sur cet engin ça rebondit et la toile peut vous envoyer en dehors. Vous visez la croix lorsque vous sautez. Donc, on ne saute qu’au milieu. Ensuite pour descendre, c’est pareil : prudence. Vous descendez de l’autre côté. Pourquoi de l’autre côté ? Parce que cela évite que celui qui monte et celui qui descend ne se heurtent en se croisant. Vous ne sautez pas pour descendre, mais pareil, vous venez vous asseoir au bord et vous descendez cette marche calmement. Pas la peine de dire que c’est pour éviter de se tordre la cheville en descendant sur le tapis [...]. En l’air quand on saute, vous allez voir, on est souvent déséquilibré. On a tendance à s’éloigner du centre de la toile. C’est dangereux parce qu’on peut traverser les ressorts avec un pied ou bien être expulsé en dehors de la toile. Donc dès que vous sentez que vous êtes déséquilibré ou si vous voyez que vous vous éloignez du centre, hop vous arrêtez vos sauts. Comment ? Eh bien c’est ce qu’on va apprendre maintenant […] ». Dans ce cas, l’enseignant justifie les règles essentielles qu’il énonce, au nom de la sécurité et de la logique. Les règles ne s’imposent pas de façon arbitraire aux élèves : elles sont présentées comme rationnelles, logiques. Ce sont des conditions de la sécurité et de l’efficacité. D’ailleurs les enseignants procèdent parfois par des questionnements visant à faire énoncer par les élèves ces règles, renforçant implicitement leur caractère fonctionnel ou conventionnel. L’adhésion est censée être obtenue du fait du caractère raisonnable des règles, et non par un processus d’obligation. Les élèves sont, en principe, convaincus non contraints. 3.1.3. Négocier Une fois les règles rendues publiques, énoncées, acceptées, il s’agit d’en garantir le respect. On a déjà montré que ceci n’est pas assuré de façon mécanique. On observe très fréquemment des formes diverses de négociation. L’épisode suivant illustre cela qui met en scène une enseignante au cours d’une leçon de Saut en Longueur avec des élèves de 4ième. A un certain moment du cours, elle réunit tous les élèves pour leur délivrer des explications et des consignes. Tableau 3 : Episode de négociation collective dans une classe de 4ième.
Cet épisode est exemplaire au sens où il illustre un recul de l’enseignante qui cède à la demande et autorise une transgression d’une règle générale : on ne boit pas pendant les cours d’Education Physique (en tout cas quand la discipline sportive ne génère pas une déshydratation). Ce recul qui aboutit à autoriser une puis deux, puis n élèves à aller boire, se fait petit à petit : l’enseignante ajoute en cours de négociation des « sous-règles », comme si elle souhaitait garder le contrôle de la situation ou ne pas perdre la face par une « reddition » trop rapide et sans contre-parties. L’issue de cette interaction est gagnante pour les deux partis : pour les élèves parce qu’ils ont obtenu d’aller boire et qu’ils ont ainsi créé un précédant, pour l’enseignante parce qu’elle maintient une contrainte règlementaire sur ces escapades vers le vestiaire et qu’elle en conserve le contrôle. De la sorte un conflit potentiel a été évité. 3.2. Différencier l’action en direction des règles et de leur respect Que l’établissement des règles s’opère au début de l’année ou dans un second temps seulement, cela est accompagné d’une activité de surveillance et de garde : les enseignants veillent à leur respect. On observe toutes les nuances possibles relativement à cette activité de surveillance des seuils, comme l’illustre l’épisode suivant. Au cours d’une leçon de Gymnastique, une enseignante s’adresse à deux filles de sa classe de 5ième et leur dit : « Pas de ça en Gymnastique, vous le savez. Je ne veux pas d’élèves qui suçotent des bonbons ou qui machouillent un chewing gum. Allez vite me jeter cela à la poubelle. C’est interdit et en plus c’est mauvais pour les dents et pour la ligne. Allez vite ! ». Quelques instants plus tard, elle interpelle une élève ainsi : « Ludivine, ton chewing gum, tu n’as pas peur de l’avaler ? » Puis elle délivre à cette même élève des conseils pour exécuter le mouvement de gymnastique qu’elle est en train d’apprendre, sans plus se préoccuper de la transgression de cette règle. Cette observation simplissime montre que le souci du respect des règles n’a pas un caractère de constance dans la classe. On peut « fermer les yeux » momentanément, tolérer certaines transgressions au gré des circonstances. Cette absence de régularité dans le maintien des règles s’observe aussi en fonction des élèves auquel l’enseignant s’adresse. En témoignent les trois épisodes suivants extraits d’une leçon de Volley ball avec une classe de 3ième. Ces trois épisodes ont comme point de départ un événement identique : un ou des élèves donnent des coups de pieds dans le ballon alors que c’est interdit.
Le deuxième épisode met en présence le même enseignant et un autre élève quelques minutes plus tard.
Le dernier épisode enfin oppose encore l’enseignant à un autre élève qui frappe le ballon avec le pied.
Ces trois épisodes sont intéressants à plusieurs titres. Ils opposent, à quelques minutes d’intervalle, un enseignant à des élèves pour des raisons identiques : la transgression d’une règle disciplinaire, mais ils se développent différemment. Dans le premier cas, l’enseignant se montre strict mais soucieux de justifier ses interdictions, de faire comprendre aux élèves les raisons de sa rigueur. Dans le deuxième cas, il recourt à la menace de sanction. Et dans le troisième il paraît accepter cette transgression et s’y résigner, tout en montrant au fautif qu’il a perçu sa transgression. Il est clair que ceci ne correspond pas à une action égalitaire : tous les élèves ne sont pas traités de la même façon vis à vis du respect des règles. Il y a pourrait-on dire une différenciation de l’action de cet enseignant de ce point de vue. Une règle identique pour tous est maintenue et respectée différemment. Cela ne tient pas à une forme de laxisme de la part de l’enseignant puisqu’il énonce de façon très forte l’importance qu’il accorde au respect de ces règles et son souci quasi obsessionnel de les voir respectées, ainsi d’ailleurs que d’éduquer les élèves de ce point de vue. Mais « il s’y prend » différemment selon ceux à qui il s’adresse. Cela ne tient pas non plus du hasard car il est capable d’expliciter les raisons qui le font agir ainsi : Jean est un cas complexe, avec Laurent il n’est pas efficace de discuter en cette phase de son développement, les autres ont besoin de comprendre l'intérêt de cette règle… Cette succession pourrait donner l’impression d’un manque de justice et d’une action aléatoire dans la classe. En réalité cet enseignant se montre soucieux de justice et de discipline dans sa classe, mais pas à la façon d’un policier ou d’un juge : il est aussi éducateur et ajuste son action à ce qu’il perçoit du rapport de chaque élève à la règle, à son développement affectif et sa façon d’accepter ou non les interdictions. Cet extrait permet de pointer un problème très difficile. Il est clair qu’un enseignement efficace est adapté aux élèves, tient compte de leurs singularités, de leurs particularité, afin soit de rendre l’action pédagogique plus efficace, soit d’agir directement sur ce qui fait leur singularité. En revanche, il est aussi très clair que les sources de différenciation entre élèves sont innombrables et que le problème du choix du mode de diversification demeure problématique. S’il est utile de ne pas s’adresser à tous les élèves de la même façon au regard de leur respect des règles, de leur problèmes moteurs, de leur motivation, de leur engagement dans une pratique basée sur l’entraide et la coopération…, la complexité devient rapidement gigantesque et impossible à surmonter. Certes, le choix peut s’opérer en fonction des objectifs que l’enseignant se fixe, mais ce choix paraît tout de même plus facile à énoncer qu’à réaliser. En situation, ce sont les circonstances qui commandent, et au fond on peut se demander s’il est vraiment raisonnable de préconiser telle modalité de différenciation pédagogique plutôt que telle autre. |
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