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ACADEMIE de POITIERS

Assises Académiques de l’E.P.S. SAINTES – 16 mars 2000

Intervention de Monsieur Marc DURAND

Professeur des Universités - IUFM Montpellier

DIFFERENCIER LA PEDAGOGIE EN EPS :

ENTRE LE POSSIBLE ET LE SOUHAITABLE




Tout a été dit et écrit sur la pédagogie différenciée, et ce texte ne prétend pas innover dans ce domaine. Il s’efforce plus modestement de positionner quelques points de réflexion à partir d’une analyse des pratiques enseignantes. Le parti pris est d’adopter une posture descriptive et non prescriptive : il ne s’agit pas de dire ce qui devrait être fait, mais, à partir de ce qui se fait, d’avancer quelques éclaircissements et de mettre en perspective quelques dilemmes auxquels sont confrontés les enseignants d’EPS.

  • Après avoir précisé le cadre selon lequel cette analyse des pratiques d’enseignement est menée, quelques traits typiques de ces actions professionnelles sont présentés à partir d’une opposition entre deux orientations contrastées : l’une répondant à une préoccupation quasi exclusive des élèves, l’autre de la matière enseignée.

  • A la suite de quoi, un autre axe de réflexion est proposé qui concerne les possibilités de différenciation de l’action des enseignants d’EPS au regard de dimensions autres que les apprentissages sensori-moteurs ou les capacités physiques des élèves.

  • Le texte s’achève par un élargissement de la réflexion à la signification de cet effort de différenciation pédagogique au sein du système éducatif.


1. UN CADRE D’ANALYSE DE L’ACTION DES ENSEIGNANTS

Il n’est pas possible de rendre compte des pratiques professionnelles sans cadre théorique, ou sans expliciter a minima les conceptions sous-jacentes à ces analyses. Le cadre énoncé dans les lignes qui suivent relève d’une approche en développement au sein des sciences de la cognition et des sciences sociales dénommée approche de « l’action ou de la cognition située ». Cette approche est au carrefour de la sociologie de l'action, de l'anthropologie, des sciences de la cognition et du langage (Durand, 1998, 2000, sous presse). En dépit de cette diversité, une conviction réunit l'ensemble des chercheurs : l’action est incompréhensible hors contexte et doit être étudiée in situ. On rejoint là une tradition de recherche francophone, qui s’est de longue date, donné pour objectif l’analyse du « travail réel » ou de l’activité au travail (Amalberti, De Montmollin et Theureau, 1991 ; Durand, 1996 ; Leplat, 1997).

L'action suppose toujours un accomplissement contextualisé, et porte l'empreinte de ce contexte physique et social. En plus de l'inscription dans un contexte singulier, plusieurs chercheurs avancent l'idée d'une élaboration mutuelle de l'action et de la situation. Au plan vécu de l'expérience des enseignants, la situation n'est pas un « donné » : elle est construite par les acteurs et n'a pas d'existence indépendante de leur action. L'action et la situation se définissent l'une l'autre dans un processus circulaire.

Au plan scientifique, l’organisation de base de l’action est envisagée comme un « couplage action – situation », c'est-à-dire une mise en contact particulière d’acteurs et de contextes, guidée par l’intentionnalité des acteurs. L’action des enseignants n’est analysable et compréhensible que si l’on tient compte de la situation au regard de laquelle elle se déploie ; symétriquement, il n’y a pas de sens à analyser ou concevoir une situation indépendamment de l’action. Ces couplages sont à la fois permanents, puisque l’action est continue, et changeants d’un instant à l’autre en fonction de la dynamique de l’action.  Ils n’obéissent pas à une causalité déterministe : s’ils tiennent compte des données contextuelles, ils sont aussi et surtout dotés d’une dynamique intrinsèque. Cela implique de rechercher l’explication de l’action ailleurs que dans l’identification des « effets » de facteurs extérieurs à la situation1.

Cette approche peut être qualifiée selon deux traits principaux : a) la construction de significations et le caractère auto-organisé de l'action et b) le rôle d’artefacts cognitifs tenu par les objets.
1. 1. L’organisation de l’action et la construction de significations

Admettre l'idée du caractère situé de l'action c'est reconnaître la singularité de toute action et corrélativement de toute situation. Ceci a pour conséquence de mettre au premier plan l’activité de construction de signification. Même si des cadres culturels permettant des interprétations des contextes sont disponibles, la signification de ces contextes et de l'action n'est pas donnée a priori mais construite par l'acteur. Elle l'est de façon consubstantielle à l'action, de sorte qu’elle peut être appréhendée comme une construction de significations pour l'action.

L’action en classe ne consiste pas en l’exécution de plans, mais en des émergences qui obéissent à une dynamique intrinsèque. L’idée selon laquelle le couplage action – situation est non déterminé, revient à considérer l’action comme autonome : elle n’est pas l’exécution d’un programme mais l’émergence en contexte d’une totalité irréductible à des déterminants extrinsèques. Ni l’organisation ni la signification de cette action ne sont contenues dans un ensemble de commandes a priori : elles émergent de la dynamique même de chaque action. L’action est auto-organisée

En dépit de la singularité de l’action et de sa réceptivité aux circonstances, elle présente une organisation et des régularités. L’organisation émerge pas à pas dans le moment même où l’action se développe. Ces ordres émergeants émanent des conditions environnementales et de caractéristiques inhérentes aux acteurs (intentions, connaissances, expérience, etc.). C’est à partir des régularités qui définissent des formes typiques qu’une science de l’enseignement est possible au-delà des cas singuliers.

Autrui est un cas particulier de « ressources pour l'action », une opportunité de coopération. Cette coopération est une production, une émergence qui procède de l'action. La cognition est « distribuée » entre les acteurs (et les objets dans l’environnement). L’analyse des actions collectives dans la classe est encore à ses débuts, mais les quelques données disponibles mettent en évidence l’émergence de configurations, de totalités complexes qui sont à la fois organisées et organisantes. Un extrait d’un programme de recherche relatif à l’enseignement de la Natation illustre cette idée (Gal-Petitfaux, 2000).

Pendant les leçons, les enseignants demandent souvent une circulation en « file indienne » dans le bassin : les élèves opèrent des allers et retours d’un mur à l’autre dans les lignes d’eau, en se croisant par la droite. Dans les cas analysés, les enseignants disposaient des deux lignes d’eau latérales pour les évolutions de leurs élèves (Figure 1).

Figure 1 : Représentation schématique de la piscine et des lignes d’eau, ainsi que des zones les plus souvent occupées par les enseignants d’Education Physique.




L’espace de la piscine n’est pas investi de façon régulière par les enseignants et trois zones sont préférentiellement occupées correspondant à des organisations de l’action très différentes.

Le premier cas est celui des enseignants qui se situent la plupart du temps dans les Zones 1 dans l’angle et à l’extrémité des lignes d’eau, pour délivrer des consignes collectives aux élèves, ces derniers étant massés et immobiles dans l’angle du bassin. Les communications sont prolongées et visent surtout l’organisation et le contrôle de la « file indienne » : « Vous allez prendre une planche et faire deux longueurs en battements de crawl », « Vous allez partir les uns derrière les autres, à la suite, en veillant à maintenir toujours la même distance avec celui qui vous précède ». Les fonctions prioritairement assurées sont de surveiller les départs, les passages au mur et les arrivées des nageurs. Les enseignants encouragent ou stimulent les élèves qui ont tendance à utiliser cette opportunité du changement de sens de déplacement pour s’arrêter, communiquer entre eux, se reposer. Ce qui fait l’objet de leur attention est le défilement des élèves, la densité de l’alignement des nageurs, la présence ou l’absence de ruptures dans l’alignement et la continuité de leurs actions. Les interactions verbales en cours d’action des élèves sont des rappels individuels au respect des consignes qui concernent l’ordre dans la ligne d’eau, la continuité des actions, la régulation de la vitesse de déplacement, la coordination des actions par rapport aux autres élèves, etc. : « On ne s’arrête pas », « N’attends pas que tes camarades reviennent pour partir ».

Le deuxième cas est celui des enseignants qui se placent au milieu de la plage, dans la Zone 2. Ils supervisent les actions des élèves par des interactions individualisées et brèves adressées au moment où ils passent dans une « fenêtre » correspondant à la partie du bassin à leurs pieds. Les enseignants lancent des sortes d’injonctions : « Pierre, souffle dans l’eau, mets ta tête dans l’eau… », « Yohann, la tête, allez souffle dans l’eau… », « Allonge-toi, allonge-toi bien, tire sur tes bras ». Ces injonctions reprennent les consignes initiales sous forme d’ordres, et sont le plus souvent centrées sur la forme des mouvements de nage et le respect de contraintes techniques. Ces communications expriment des préoccupations simultanées relatives aux apprentissages techniques des mouvements de nage et au contrôle de la classe. Trois aspects sont à noter. Le premier est que ces communications ont une fonction phatique globale : elles assurent une permanence dans le contact, visuel et auditif avec les élèves. Le deuxième est la recherche d’une configuration optimale au plan perceptif. Ici la symétrie et la prégnance de l’organisation perceptive en deux demi-files s’éloignant et se rapprochant constituent des « bonnes formes perceptives ». Le troisième est la préoccupation d’être vu le plus possible par les élèves en dépit de leur posture horizontale dans l’eau et des trajets d’un mur à l’autre. Cette permanence perceptive est un affichage ostensible de l’activité de surveillance.

Dans le troisième cas, les professeurs sont positionnés dans les Zones 3, immobiles ou en déplacement. Les communications sont individuelles et prolongées. Elles ont lieu avec un élève arrêté ou en mouvement. Lorsque l’élève est immobile à sa propre initiative ou à celle des professeurs, les communications sont plus longues et complexes : « Ludo, arrête-toi. Oui, Ludo, arrête. Souffle un peu… Voilà, tu es essoufflé, hein ? Et pourquoi ? Parce que tu ne fais pas ce que j’avais demandé. J’avais demandé de souffler dans l’eau, de faire des bulles en nageant. Et toi, qu’est-ce que tu fais ? Tu souffles hors de l’eau. Tu souffles dehors […]. Alors ça te prend tout ton temps et tu n’as plus le temps d’inspirer que déjà tu as la tête dans l’eau. Ce qui fait que tu nages la moitié du temps en apnée. Tu comprends ce que je te dis ? Oui ? Alors si tu comprends, essaie de changer ça. Essaie de respirer en soufflant dans l’eau. Tu ne dois penser qu’à ça : souffler dans l’eau et inspirer dès que tu sors la tête de l’eau. Tu essaies ? ». Dans d’autres cas,  les enseignants se déplacent le long de la plage à une vitesse et selon un sens asservis au déplacement d’un nageur sélectionné dans la file. La communication est prolongée, et à son terme, les enseignants abandonnent l’élève à qui ils parlaient, en prennent un autre en charge. Les communications sont « hachées » et synchronisées avec les mouvements de nage : « Essaie de pédaler un peu moins et de faire marcher un peu plus tes hanches… et remonte un peu plus tes pieds derrière […].Tu ne remontes pas assez […]. Voilà j’aime mieux ça […]. Voilà d’accord, remonte tes pieds en dedans […]. C’est bien […]. C’est mieux comme ça […]. J’aime mieux ça […] ». Les consignes et rétroactions sont des demandes de modification d’une composante du mouvement, une évaluation de la modification réalisée, une consigne complémentaire, une nouvelle évaluation, etc. L’intention des enseignants est nettement orientée vers l’apprentissage et la supervision spécifique de tel ou tel élève. Les préoccupations de contrôle de la classe sont au second plan, laissant même l’impression qu’elles peuvent être totalement absentes.

Ces trois organisations sont plus ou moins stables. Plus elles le sont, plus ce sont de « bonnes formes ». Lorsqu’elles sont instables, cela est dû à deux facteurs : la perte de contrôle de la file des élèves par les enseignants, et sa rupture réelle ou potentielle. Ces formes émergent de l’interaction d’une multitude de variables : intention de faire apprendre les élèves, nécessité de contrôler l’engagement de l’ensemble de la classe, niveau sonore dans la piscine et nécessité d’être proche des élèves pour communiquer, difficulté à entendre des messages alors que l’on nage, conceptions de l’apprentissage, etc… Elles intègrent toutes les dimensions de l’acte éducatif : les contenus enseignés, la relation pédagogique, l’intention des enseignants, la gestion de la classe, le mode de décision, le type de rapport aux élèves, la docilité et/ou l’adhésion des élèves aux propositions de l’enseignant, leur degré de participation.

Ces formes sont des artefacts. Ce sont à la fois les produits de l’action des enseignants et leurs conditions. L’action consiste à la fois à mettre en place et à entretenir la « file indienne », et à s’y adapter. Puis, de façon ponctuelle et transitoire les enseignants « sortent » de la configuration en cours. Cette transition a lieu lorsqu’un événement atypique se produit : fatigue excessive d’un élève, désorganisation de la file, etc. Cela peut aussi être observé lorsque la file est particulièrement stable, assurée, laissant à l’enseignant l’impression qu’il peut sans risque en abandonner momentanément le contrôle.

Pour les élèves, les modalités de déplacement induites par ces formes pédagogiques imposent une vitesse et un rythme de nage commun à tous et des relations particulières aux autres : ne pas perturber le déplacement de celui qui suit, respecter la distance par rapport à celui qui précède... Par ailleurs l’apprentissage est guidé par des consignes délivrées massivement avant l’action ce qui leur impose de les maintenir à la conscience. La réception d’aides sous forme de consignes complémentaires, d’évaluations ou de messages plus laconiques est soit tributaire de l’endroit où les élèves se situent dans la piscine (à proximité de l’enseignant), soit d’une demande muette qu’ils adresseraient à l’enseignant, soit enfin de difficultés spectaculaires. Les interactions avec les enseignants suscitent différentes modalités et formes d’apprentissage : par application de consignes mémorisées et recherche individuelle non guidée de solutions techniques (Forme n°1), par application de consignes mémorisées et corrections ponctuelles de la forme des mouvements en cas d’erreurs grossières (Forme n°2), par application de consignes mémorisées et recherche guidée de solutions (Forme n°3 sans arrêt), et explication, compréhension, mémorisation et application des principes de nage efficace (Forme n°3 avec arrêt).
1.2. Les objets comme artefacts cognitifs

Envisager l’action comme un couplage auto-organisé implique d’appréhender les acteurs non pas comme des individus faisant face à un monde hostile, et s'efforçant de surmonter des contraintes pré-existantes et extérieures à eux, mais comme des individus agissant dans un monde complexe et énigmatique mais organisé, et utilisant ce que ce monde leur offre pour agir. Ces offres sont des « ressources pour l'action » (Norman, 1993) au sein desquelles les objets constituent une « aide cognitive ».

Les objets fabriqués par l’homme sont des amplificateurs de ses capacités corporelles et cognitives : un bâton augmente la force appliquée en un point donné, ou la distance à laquelle on peut agir, un calepin amplifie les capacités de mémoire, etc. Conçus et exploités dans un environnement pédagogique, les objets sont des concrétisations des intentions éducatives des enseignants. Ce sont des « artefacts » qui augmentent le pouvoir d’action des enseignants et des élèves : mieux voir et entendre, agir et percevoir avec plus de rapidité, s’évaluer avec davantage de facilité et de précision, etc. Ils sont à la fois des instruments qui aident à la lecture et l’évaluation du contexte et des outils pour agir sur et dans ce contexte.

Ces objets définissent l’espace d’action : les enseignants n’exploitent qu’une partie de l’espace qui leur est dévolu, délimitant par des objets « l’arène » au sein de laquelle va se dérouler l’interaction avec les élèves. Les objets matérialisent aussi cette arène au plan temporel : ils définissent des durées, des intervalles, ils signifient qu’un événement débute ou s’achève… L’arène pédagogique est un territoire commun, limité et réservé. Sa définition contribue aussi à spécifier les modalités de circulation des élèves : les objets balisent les lieux de travail, l’attente, dans le but de rendre leur action plus efficace, et aussi pour qu’elle ne gêne pas celle des autres ou satisfasse des préoccupations de sécurité. L’espace n’est pas homogène : il est constitué de zones obligatoires, interdites, conseillées... Par ailleurs, ils « documentent » l’action des élèves en concrétisant des objectifs à atteindre, les repères pour l’action et l’évaluation, les interdits prévenant les réponses erronées ou maladroites. Leur présence modifie l’action des enseignants et des élèves telle qu’elle se déploierait sans eux, et change leur tâche en leur offrant des possibilités nouvelles d’action.

Un épisode en apparence banal d’enseignement du Saut en Longueur avec une classe de 3ième illustre cela. L'enseignante a placé un élastique tendu entre deux poteaux en travers de la fosse de réception à environ deux mètres de haut et trois mètres de la zone d’impulsion et a dit aux élèves : « La tête là. Celui ou celle qui parvient à toucher l’élastique avec sa tête a gagné. C’est le seul moyen d’aller loin, de grandir pendant le saut. Alors hop, vous venez vous caresser les cheveux avec l’élastique ». Elle a commenté ainsi ce dispositif : « C’est un truc classique : les élèves ne pensent qu’à la distance et ils oublient que pour aller loin il faut d’abord aller haut. Alors je mets souvent un repère en hauteur. Là j’avais vu que les trois derniers à passer avaient la tête baissée et des sauts « rasants ». Donc je leur donne un guide qu’ils ne peuvent pas oublier au moment où ils sont en action ». Durant la même leçon elle a disposé un tremplin sur la zone d’impulsion et indiqué aux élèves : « Voilà ça ne change rien, sauf que vous allez voler plus haut et plus longtemps. Vous n’y pensez pas, simplement vous essayez toujours de toucher l’élastique et de rester équilibrés en l’air ». Son commentaire a été : « Le tremplin ça allonge la durée de la suspension. Je ne sais pas si c’est vraiment efficace. En tout cas pour moi c’est pas si mal parce que en plus, le bruit du saut m’indique s’ils bossent ou pas et s’ils prennent ou pas une vraie impulsion. Je peux me consacrer à l’autre groupe sans avoir en permanence le regard sur ceux-là ».

Le fait de devoir toucher un élastique pendant la phase de suspension en Saut en Longueur, concrétise une des composantes de la performance dans cette discipline, et enjoint aux élèves de coordonner deux sous-buts : sauter haut et sauter loin. Cela rend donc pour eux la tâche différente. Ces objets disposés dans l’arène de l’action sont aussi des supports d’informations et rendent ces informations disponibles de façon permanente. Le fait que l’élastique soit disposé « à demeure » fait qu’il est inutile pour les élèves d’avoir cette information « en tête ». La mémoire des consignes, des actions et des événements de la classe est en quelque sorte déposée, inscrite dans les objets et à disposition.

Par ailleurs, le recours au tremplin est, pour l'enseignante, un moyen de superviser à la fois la quantité de travail des élèves et la qualité de leurs sauts, sans avoir à les regarder. Pour elle le tremplin est un artefact qui code en informations auditives des informations naturellement acquises selon une modalité visuelle. Ceci lui permet d’allouer son attention visuelle à d’autres événements de la classe, tout en étant « en prise » avec la rotation et le travail des élèves à l’atelier Saut en Longueur.
2. SE PREOCCUPER DES ELEVES OU DE LA MATIERE ?

Les notions clés de notre cadre d’analyse étant précisées, il est possible de focaliser sur la façon dont l’action des enseignants d’EPS prend en compte la diversité des élèves dans les classes.

Cette action est organisée en deux séquences types (Durand, sous presse). La première est une séquence de « Définition de l’action des élèves » au cours de laquelle ils définissent et /ou prescrivent, le plus souvent collectivement, l’action et le travail des élèves. La deuxième est une séquence de « Supervision de l’action des élèves » au cours de laquelle ils contrôlent, guident, aident les élèves au travail, le plus souvent individuellement ou par petits groupes. L’analyse met en évidence un contraste entre deux formes de pédagogie. La première correspond à une centration ou préoccupation très forte sur les éléments enseignés et les consignes définissant collectivement l’action des élèves, la deuxième sur les actions de ces élèves au point parfois d’en « oublier » les consignes initiales et la tâche prescrite.

Classiquement la pédagogie différenciée est envisagée au niveau de la conception et planification de l’action des élèves : contenus proposés, modes de constitution des groupes dans la classe, prise en compte des besoins… Mais il est aussi intéressant d’envisager cette question de la différenciation de l’action lors du guidage et de l’aide à l’action des élèves.
2.1. La préoccupation de la matière et « l’oubli des élèves »

Une dynamique tout à fait particulière est observable dans certains épisodes de classe. L’extrait qui suit provient d’une leçon de Gymnastique avec des élèves de Terminale. Dans cette APS, la plupart des enseignants recourent à une organisation du travail en ateliers : la classe est divisée en groupes de quatre à huit élèves qui ont des tâches différentes à exécuter en parallèle et effectuent une rotation pour s’investir successivement dans chaque atelier. Dans la mesure où les élèves sont dispersés et où leur activité n’est pas uniforme, les enseignants sont contraints à diviser leur attention, et à prendre en considération des événements simultanés et hétérogènes. Schématiquement, deux procédures principales sont possibles de leur part : l’une consiste à circuler d’un atelier à l’autre accordant du temps, de l’attention et des conseils aux élèves selon un ordre plus ou moins systématique ; l’autre à demeurer à un atelier et à « accueillir » les élèves qui se déplacent d’un site à l’autre. Cette deuxième procédure est adoptée lorsque l’un des ateliers présente un caractère dangereux et complexe ou s’il est jugé important pour l’apprentissage : saut, figure sur des agrès en hauteur, apprentissage d’habiletés nouvelles.

Dans la leçon que nous avons étudiée, l’enseignant s’est déplacé dans le gymnase et a guidé le travail des élèves dans ces ateliers. L’observation a porté sur son action dans l’atelier Saut de cheval. Après avoir entendu les consignes délivrées par lui, les élèves passaient à tour de rôle durant les 20 minutes environ que durait cet atelier.

Ces consignes ont été les suivantes : « Vous allez recommencer aujourd’hui à travailler le saut de lune, comme je l’ai dit tout à l’heure. Vous avez déjà fait cet exercice la semaine dernière et je ne fais que vous rappeler les consignes de sécurité et ce à quoi vous devez prêter attention. Vous ne devez pas vous élancer avant que le camarade qui vous précède soit sorti du tapis. Vous devez penser à prendre une bonne impulsion sur le tremplin et pour cela il faut aller assez vite et pousser dans la toile ; vous devez venir poser vos mains sur le cheval, écartées comme ceci (il démontre la pose des mains) et sans embarquer les épaules (il mime une « avancée des épaules ») puis pousser avec vos bras le plus en extension possible (il mime), et retomber en position « Gym », jambes serrées et bras en extension (il mime). Moi j’assure la parade avec Frédéric qui est dispensé. Pas de questions ? Allez en place ».

De façon répétitive et stable l’enseignant a délivré un commentaire après chaque essai. Ces commentaires étaient donnés immédiatement après la fin du saut alors que les élèves étaient en train de sortir du tapis ou revenaient vers l’aire d’attente. C’étaient des commentaires précis et reliés à la prestation des élèves. Ils étaient essentiellement de quatre types : des descriptions du mouvement ou de la posture pendant le saut avec une référence implicite à un modèle (« Tu as les épaules là… » « Tu balaies le cheval avec tes cheveux »…), des descriptions d’un défaut de placement, de posture.. pendant l’exécution du saut (« Tes bras sont trop fléchis », « Trop avancées les épaules »…), des prescriptions qui concernaient de façon implicite le saut suivant ou consistaient en l’énonciation d’un principe général d’efficacité (« Tes bras, tends-les », « La bonne largeur c’est les épaules »), et exceptionnellement des explications (« Sans pousser devant ça ne peut pas passer »). Plus rarement les commentaires étaient des associations de descriptions, prescriptions et explications. Dans certains cas, ils ont été complétés par des encouragements. Enfin dans huit cas au moins le début des énoncés faisait explicitement référence à un lien avec la prestation de l’élève précédant (« Pareil pour toi… », « Toi c’est l’inverse… », « Même chose pour toi… »).

Ces commentaires ont été classés en cinq catégories en fonction de leur contenu :

  • action des bras (B) : l’enseignant faisait référence au fait que les bras ne doivent pas être trop fléchis pendant le passage à l’équilibre renversé, et qu’il faut produire une répulsion active et efficace ;

  • position des épaules (E) pendant la phase de renversement : l’enseignant faisait référence à la position le plus souvent « en avant des appuis » qu’occupent les épaules des élèves ;

  • la qualité de l’impulsion (I) sur le mini-trampoline avant le saut de lune proprement dit ;

  • l’écartement des mains (M) sur le cheval lors de la phase de renversement : l’enseignant préconisait un écart équivalent à la largeur des épaules ;

  • la nécessité de se concentrer (C) pour réussir le saut (voir Tableau 1).

Tableau 1 : Série de commentaires délivrés à chaque élève à l’atelier Saut de cheval de Gymnastique avec une classe de Terminale (E1.1 = élève n°1 ; essai n°1, etc).


E1.1

Allez… ne faîtes pas les clowns messieurs…

C













E1.2

Sans pousser devant ça ne peut pas passer…







I







E1.3

Les épaules en avant… et allez…




E










E1.4

Et les bras qui fléchissent…










B




E1.5

Les bras fléchis… les bras fléchis…










B




E1.6

Alors là… toi… non t'as encore les épaules là…




E










E2.1

Non… là non… je fais tout le travail moi… tends les bras










B




E2.2

Longtemps dans la toile… et résiste…







I







E2.3

Trop avancées tes épaules… essaie de voir ça euh…




E










E2.4

Pareil… trop fléchis... les bras…










B




E2.5

La bonne largeur c'est les épaules… pas trop…pas moins…




E










E2.6

Un bel envol avant… pas mal… bonne détente… ça vient…







I







E3.1

Tes épaules sont trop en avant…




E










E3.2

Pam… il faut gicler dans le trampolino…







I







E3.3

Tendus les bras… Joachim…










B




E3.4

Pousse devant… c'est un saut…







I







E3.5

Lui-aussi… tes mains comme ça…













M

E3.6

Saute avant de tourner…







I







E4.1

Pareil pour toi Boris… tes épaules…




E










E4.2

Bras en ex-ten-sion monsieur Boris…










B




E4.3

Idem… tendus les bras…










B




E4.4

Et l'impulsion? Où est-elle?…







I







E4.5

C'est mieux les épaules… Boris…




E










E4.6

Oui… toi aussi…ça monte bien…







I







E5.1

Embarquées les épaules…




E










E5.2

Pareil pour toi Mathieu… tes bras sont pas tendus…










B




E5.3

Trop écartées tes mains… t'es là… faut resserrer quoi…













M

E5.4

Raides… bien raides les bras…










B




E5.5

T'as les épaules là… regarde-moi… là comme ça…




E










E5.6

Non… tes bras… tends-les plus… raides










B




E6.1

Loin devant… pour ne pas embarquer les épaules…




E










E6.2

Fléchis... tes bras… c'est pas bon… regarde Alexandre…










B




E6.3

Même chose… danger les mains écartées…Alexandre













M

E6.4

Pareil… tes bras tends-les… Alex… raides…










B




E6.5

Voilà ce qui arrive… ouf… tes épaules sont trop avancées…




E










E6.6

Pareil… tu balaies le cheval avec tes cheveux… tends les bras…










B



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