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Mardi 27 janvier 2015 10h/12h cours 13 Séquence 1 : l’expression politique de la révolte contre la guerre Séance 3 ; la dénonciation de la guerre au XXème siècle. Aragon, Le roman inachevé […] La guerre et ce qui s’ensuivit Départ du train 1 On part Dieu sait pour où Ça tient du mauvais rêve A (ABBA) rimes embrassées. Présent (actualisation du passé) On glissera le long de la ligne de feu B futur Quelque part ça commence à n'être plus du jeu B Les bonshommes là-bas attendent la relève A 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 5 Et/ nous/ vers/ l'est/ à/ nou/veau/ qui/ rou/lons /Vo/yez (Alexandrin) « voyez » : le poète s’adresse au lecteur (enjambement) La cargaison de chair que notre marche entraîne (contre-rejet) Vers le fade parfum qu'exhalent les gangrènes Au long pourrissement des entonnoirs noyés Projection dans le futur Tu n'en reviendras pas// toi qui courais les filles //coupure à l’hémistiche Anaphore (mort des soldats) 10 Jeune homme dont j'ai vu// battre le cœur à nu Quand j'ai déchiré ta// chemise et toi non plus Tu n'en reviendras pas //vieux joueur de manille Qu'un obus a coupé par le travers en deux Passé composé Pour une fois qu'il avait un jeu du tonnerre imparfait 15 Et toi le tatoué l'ancien Légionnaire Tu survivras longtemps sans visage sans yeux Retour sur le voyage au présent 3 3 3 3 Rou/le au/ loin //rou/le /train// des /der/niè//res/ lu/eurs impératif présent Les soldats assoupis que ta danse secoue Laissent pencher leur front et fléchissent le cou 20 Cela sent le tabac la laine et la sueur Comment vous regarder sans voir vos destinées Fiancés de la terre et promis des douleurs La veilleuse vous fait de la couleur des pleurs Vous bougez vaguement vos jambes condamnées 25 Vous étirez vos bras vous retrouvez le jour Arrêt brusque et quelqu'un crie Au jus là-dedans Vous bâillez Vous avez une bouche et des dents Et le caporal chante Au pont de Minaucourt Au-delà de la mort des soldats Déjà la pierre pense où votre nom s'inscrit (personnification) présent de l’auteur 1956 30 Déjà vous n'êtes plus qu'un mot d'or sur nos places Déjà le souvenir de vos amours s'efface Déjà vous n'êtes plus que pour avoir péri. (Infinitif passé) Louis Aragon, « la guerre, et ce qui s’ensuivit », in le Roman inachevé. Editions Gallimard. 1956 Questions de lecture analytique
Ce poème est écrit de manière régulière, en quatrains d’alexandrins à rimes embrassées (ABBA). On peut même remarquer qu’Aragon respecte une règle classique de la versification française, l’alternance entre les rimes féminines (celles qui se terminent par un e muet) et masculines (se terminant par une consonne ou une voyelle autre que e), à une exception près (v.18-19 : secoue / cou). Les alexandrins sont aussi réguliers pour leur grande majorité, avec une césure plus ou moins marquée à l’hémistiche. Il n’y a pas de ponctuation dans ce texte, ce qui est devenu une pratique courante dans la poésie du XXe siècle depuis Apollinaire qui, en 1913, a fait paraître son recueil Alcools sans aucune ponctuation. Aragon a donc choisi la régularité dans un certain classicisme : il semble privilégier, dans l’ensemble du recueil Le roman inachevé, le lyrisme de l’émotion, la nostalgie parfois amère du retour sur le passé, thématique qui correspond moins à des recherches complexes de versification. Le poète veut partager son émotion dans une forme plutôt simple et accessible. De plus, la régularité de la forme est particulièrement bien adaptée à ce poème qui évoque un long voyage de nuit en train et peut ainsi reproduire le bruit régulier et le bercement du train.
Aragon construit son texte avec beaucoup d’attention, en mêlant les époques, tout en suivant les étapes du voyage.
►Strophe 8 : elle sert de conclusion magistrale au poème en brisant brusquement le voyage pour un saut dans le temps jusqu’au présent de l’écriture, au-delà encore de la mort des soldats : le poète mêle présent et futur par l’anaphore de « déjà ». La progression du texte est donc particulièrement évocatrice puisqu’elle permet de mêler une vision très concrète de ce wagon de soldats et la prescience de la mort atroce qui les attend ; cette alternance renforce encore la tonalité tragique et pathétique du poème.
Le poète s’exprime ici directement puisqu’il raconte un souvenir qu’il a vécu ; en revanche, il emploie très peu le pronom Je (seulement aux vers 10 et 11) préférant le pronom nous (v. 5 et 6) et le pronom on (v. 1 et 2), qui expriment le collectif et sa solidarité avec « la cargaison de chair » de tous ces soldats qui montent au front. On peut remarquer cependant que cette solidarité et cette communauté de destins (exprimées par les pronoms on et nous) disparaissent totalement du texte à partir de la strophe 3, quand Aragon évoque la mort future de ses compagnons de wagon : il ne peut plus y avoir de solidarité ni de communauté puisqu’il sait qu’il sera le seul survivant de ce compartiment... La seule 1ère personne du pluriel que l’on trouve à la fin du texte (v.30, « sur nos places ») n’évoque plus le groupe des soldats, mais au contraire la communauté de ceux qui sont revenus et sont bien vivants en 1956. La question de savoir à qui s’adresse le poète est plus complexe, car il a dans le texte plusieurs interlocuteurs.
Toutes ces variations dans l’énonciation et cette diversité d’interlocuteurs sont encore une façon pour Aragon de transmettre son émotion et de toucher son lecteur
Dans ce poème, Aragon mêle les temps de façon très subtile car il superpose des époques différentes.
Aragon évoque les soldats de façon très concrète et physique, en mentionnant à plusieurs reprises des parties du corps : « front », « cou », « bras », « jambes », « une bouche et des dents ». Il n’y a aucune idéalisation dans l’évocation, ce ne sont pas des héros mais des hommes ordinaires, des « bonshommes » en train de dormir, secoués dans un train, dont le poète souligne certains détails triviaux (« Cela sent le tabac la laine et la sueur », « Vous baillez ») ou même comiques au vu de la gravité du texte (« Pour une fois qu’il avait un jeu du tonnerre ») : tout cela leur donne un poids d’humanité très fort, qui peut toucher le lecteur, même celui qui n’a jamais connu la guerre. En insistant sur les détails physiques, Aragon montre aussi de façon plus cruelle que les soldats, qui n’ont d’ailleurs pas de nom, ne sont qu’une « cargaison de chair », de la chair à canon selon l’expression consacrée : il rejoint ainsi la condamnation de la guerre comme « boucherie héroïque » selon Voltaire (Candide) ou « abattoir international en folie » selon Céline (Voyage au bout de la nuit). Si le poète confère une telle incarnation aux soldats qu’il a côtoyés, c’est aussi pour opposer leur présence physique d’hommes bien vivants à ce que la guerre va faire d’eux, c’est-à-dire de simples noms sur un monument, « un mot d’or sur nos places », un « souvenir » qui « s’efface »... Pour donner plus de poids encore à sa dénonciation, il évoque précisément trois figures de soldats, anonymes mais caractérisés chacun par un détail : le jeune homme « qui courai[t] les filles », le « vieux joueur de manille », « le tatoué l’ancien Légionnaire » ; il unit ainsi jeunes et vieux, militaire de carrière ou « bleus », dans une même destinée cruelle soulignée par le refrain « Tu n’en reviendras pas », et montre que la guerre est absurde et cruelle, frappant aveuglément sans tenir compte ni de l’amour, ni de l’âge, ni du pacifisme, ni même du courage ou de l’expérience. Le voyage est également évoqué de façon suggestive, par des détails concrets : « que ta danse secoue », « la veilleuse », « Arrêt brusque ». Le mouvement du train scande tout le poème, par le champ lexical (« marche », « roule », « danse »), par le polyptote* du verbe rouler (« roulons », « roule ») mais aussi par le rythme régulier des alexandrins. Le vers 17 imite précisément le mouvement et le bruit du train, par le rythme 3/3 dont les accents tombent sur les mêmes sonorités : « Roule au loin / roule train » ; de la même façon, le rythme disloqué du vers 26 mime l’arrêt saccadé du train : « Arrêt brus/que et quelqu’un crie /Au jus là-dedans » (3/4/5). Le lecteur, aidé par les rythmes et les sonorités du texte, peut donc s’imaginer facilement ce voyage et même en ressentir les impressions (bruits, mouvements, odeurs).
La mort est évoquée aussi dans toute son horreur concrète, dans ses atteintes au corps qu’elle disloque et détruit. Aragon montre les blessures horribles qu’il a vues en tant que médecin sur le front : « les gangrènes », « le cœur à nu » du jeune homme, le corps « coupé par le travers en deux » du vieux joueur, le Légionnaire « sans visage et sans yeux » ; les détails physiques qui, dans la question précédente, servaient à évoquer la vie suggèrent au contraire ici les supplices causés par la guerre au corps des soldats, « promis des douleurs ». Même la vision des cadavres en décomposition ne nous est pas épargnée au vers 8 (« Au long pourrissement des entonnoirs noyés ») dont la lenteur et les sonorités graves accentuent le caractère morbide. Mais ce qui rend le texte particulièrement frappant, c’est que la mort est présente sans cesse, au cœur même de la vie (on l’a déjà vu à la question 4) : la destination finale des soldats est claire dès le début (v. 7 et 8), scandée par le refrain. Dans les strophes 5 et 6, le voyage dans la nuit prend des allures fantomatiques et rejoint le « mauvais rêve » du vers 1 : le train personnifié devient « train des dernières lueurs » ; les soldat assoupis qui « laissent pencher leur front et fléchissent le cou » ont déjà des attitudes de morts, et l’éclairage blafard de la veilleuse les transforme en morts vivants « de la couleur des pleurs » ; et ce n’est pas sans raison que le poète fait rimer « destinées / condamnées ». La double image du vers 22, « Fiancés de la terre et promis des douleurs », unit pathétiquement la mort à la vie en jouant sur la thématique du mariage, ordinairement promesse de vie, qui se transforme ici en promesse de mort. Aragon crée tout un système d’échos très subtils qui montrent à la relecture comment la mort rôde partout dans le texte : le « cœur à nu » du jeune homme est le même que celui qu’il offrait à toutes les filles et qui sera d’ailleurs repris dans l’image des « fiancés » et « le souvenir de vos amours » (v. 31) ; « le jeu du tonnerre » du vieux joueur fait écho dans un humour grinçant au tonnerre de l’obus qui va le couper en deux, et il était annoncé dès le vers 3 qui prévenait déjà que « ça commence à n’être plus du jeu » ; enfin la chanson du caporal au vers 28 évoque précisément la nécropole nationale de Minaucourt et son monument où « la pierre pense » déjà au nom des morts, d’où la transition brutale de la dernière strophe. Le corps de soldats n’est déjà plus qu’une « cargaison de chair » de boucherie au v. 6, puis devient « terre » et enfin « pierre », pour s’effacer définitivement, dans un processus de déshumanisation totale. Il est souligné cruellement par la personnification de la pierre qui hérite de la pensée, caractéristique humaine, alors que les soldats ne sont plus rien, ne sont plus sujet que du verbe au passé « avoir péri ». Les rimes de cette dernière strophe montrent bien l’hypocrisie de la nation qui croit racheter la mort de ces millions d’hommes par un beau monument, alors qu’ils n’ont même pas eu le temps de vivre et sont de toute façon promis à l’oubli : « s’inscrit / péri », « nos places / s’efface ». Entraînement à l’oral
Comment Aragon exprime-t-il sa révolte contre la guerre dans ce texte ?
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