Littérature québécoise








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L’arrivée


La prison de Québec, extérieurement, n’offre rien de remarquable. N’étaient les barreaux de fer qui s’entrecroisent aux fenêtres, on dirait tout aussi bien d’un hospice ou d’un couvent. J’ai vu, depuis, dans l’autre Tarascon, l’antique château du roi René, qui sert aujourd’hui de prison à la ville. C’est infiniment plus intéressant.

Mais on ne peut pas tout avoir, et il est permis aux Québecquois de se consoler : si leur prison n’est pas la plus belle du monde, ils ont au moins le plus beau des geôliers, après avoir eu le plus beau des shérifs.

Au reste, je n’étais pas encore descendu de voiture, que je ne pensais plus guère à contempler la façade du monument. L’intérieur me préoccupait bien davantage.

Ce fût le geôlier (en style cellulaire le gouverneur) qui se chargea de m’y conduire.

M. Morin (tel est son nom) n’était pas précisément un inconnu pour moi. J’avais eu l’avantage de causer avec lui, quelque deux semaines plus tôt, au moment où je rendais visite à mon confrère Asselin, qui pour lors moisissait au fond des cachots...

Cette fois-là le gouverneur s’était montré pour moi d’une amabilité touchante. « Ah c’est vous, c’est vous, monsieur Jules Fournier ?... me répétait-il avec insistance. Que je suis heureux de vous voir ! Depuis le temps... » Et il n’achevait plus de me vouloir prodiguer ses embrassements.

Je me rappelais tout cela, et aussi comme il avait ri de bon cœur lorsqu’à cette question : « Mais que venez-vous faire ici ? », j’avais répondu, prévoyant le sort qui m’attendait : « Je suis venu choisir ma cellule... »

Maintenant...

Maintenant, hélas, « quantum mutatus ab illo ! »

Ah ! il n’avait plus envie de rire, le gouverneur !

Immobile et rigide comme la statue du Commandeur, il se tenait tout d’une pièce sur le haut du perron. Étonnantes variations d’un cœur de geôlier ! croiriez-vous bien qu’il ne me dit seulement pas : « Bonjour, monsieur » ? Je vis qu’il jetait sur moi, comme je descendais de voiture, des yeux chargés d’un immense mépris. J’en demeurai presque confondu.

Pour la première fois depuis le début de mes tribulations, je me demandai si je n’étais point coupable. Ma conscience disait non, mais l’œil du geôlier disait oui. Enfin, je m’arc-boutai comme je pus contre ce regard accablant, et je montai rapidement le perron. Alors, tandis qu’un garde, portant un énorme trousseau de clefs, ouvrait la première porte de fer, le gouverneur fit deux pas vers moi, et, d’un geste rude, m’indiqua le chemin fatal.

III



On apporte la livrée


Je passe par une deuxième porte, distante de la première de cinq ou six pieds, j’enfile un couloir, et me voici dans un grand vestibule sombre et humide, rappelant vaguement un hangar abandonné. Une demi-douzaine de gardes s’y promènent à pas cadencés.

Dans un coin, une espèce de vieux pupitre sordide, plus deux ou trois chaises suspectes. C’est là qu’on m’amène tout d’abord.

– Asseyez-vous... me dit d’une voix de taureau l’un des collaborateurs de M. Morin.

Très bien, je m’assieds.

Rien à lire, personne à qui je puisse parler... Ce n’est pas réjouissant, et je me demande pourquoi l’on ne m’a pas conduit tout de suite à ma geôle, au lieu de me laisser suspendu de la sorte entre l’air libre et la captivité.

En attendant que l’on me tire de cette situation fausse, je m’amuse à considérer, pour me distraire, la pièce où l’on me faire faire antichambre.

À ma gauche, vis-à-vis de la porte d’entrée, j’aperçois deux vastes grilles, que sépare un intervalle d’au moins quatre pieds. C’est là, derrière la deuxième rangée de barreaux, que j’irai, dans quelques jours, causer à distance avec mes amis de l’extérieur. En ce moment même, un prisonnier reçoit des visiteurs ; mais il m’est à peu près impossible de discerner ses traits, à cause de l’obscurité...

Un peu plus loin, tout près de la porte, un petit cabinet grand comme la main, où je viendrai, par la suite, rencontrer de temps en temps mes avocats.

Au mur de droite, une grande horloge. En ce moment elle marque deux heures trente. Encore neuf heures et demie, et j’aurai terminé ma première journée. Il ne me restera plus alors que quatre-vingt-onze jours à faire... Une bagatelle !

Une demi-heure se passe, et je n’ai pas bougé de ma place... Mais voilà que soudain deux gardes se précipitent vers moi, seuls et sans armes. Que me veulent ces hommes intrépides ?

– Donnez-nous, me dit le premier d’une voix éclatante, tout ce que vous avez sur vous !

Une à une, je vide mes poches. J’en retire successivement un canif, deux trousseaux de clefs, trois ou quatre lettres, un numéro du Nationaliste, deux dollars cinquante en argent dur, une statuette de la bonne sainte Anne et un portrait de M. Gouin. Aussi, un billet de retour pour Montréal.

Quand ce fut fini :

– Est-ce tout ? me demanda le deuxième garde.

– C’est absolument tout : vous voyez, mes poches sont à l’envers...

Et je retourne l’un après l’autre tous mes goussets.

– Faites voir, réplique le numéro un.

Et les voilà partis, lui et son complice, à vérifier, chacun de ses dix doigts, le vide affligeant de mes poches. Leur conscience étant sur ce point satisfaite, il ne leur restait plus qu’à me palper, puis à me repalper, des pieds à la tête. Rude besogne, qui ne leur prit pas moins de cinq minutes. N’allèrent-ils pas jusqu’à entr’ouvrir ma chemise et à fouiller dans mes chaussettes ?

Enfin, fixant mes souliers d’un œil soupçonneux :

– Vous n’avez rien là-dedans ? questionna le numéro deux.

– Si.

– Quoi ?

– Des cors.

Ainsi s’acheva la cérémonie.

J’avais à peine repris place à mon siège, qu’un autre séïde arrivait, les bras chargés d’un gros paquet. C’était ma livrée au complet : camisole rayée, pantalon rayé, chemise en toile bise, sous-vêtements dont saint Antoine eût pu se faire un cilice, souliers du dernier modèle, enfin large panama en paille du pays.

L’homme posa délicatement le tout sur le pupitre.

– Pour qui ça ? lui dis-je.

– Ça, c’est pour vous.

– Pour moi ?... Alors pourquoi m’a-t-on fouillé, si l’on doit maintenant m’enlever mes vêtements ?

– Ah, quant à ça... demandez au gouverneur !

Quelques minutes plus tard, mon avocat, sur le point de repartir pour Montréal, venait me faire ses adieux. Il s’étonna que je pusse plaisanter en un pareil moment. Je m’étonnai non moins sincèrement qu’il pût ne pas plaisanter.

Il m’eût peut-être trouvé moins fier s’il eût pu me voir vingt minutes après, attendant, toujours à la même place, que l’on voulût bien m’emprisonner pour de bon...

IV



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