télécharger 182.81 Kb.
|
Quand le toucher devient le premier sens. Consommer dans le noir Elisabeth Tissier-Desbordes, ESCP Europe, 79 Avenue de la République, 75011 Paris France Tél. 33 (0) 1 49 23 22 45 tissier-desbordes@escpeurope.eu Pauline Maclaran, Royal Holloway University, School of Management University of London Egham Surrey TW20 0EX Tél. 44 1784 276409 Pauline.MacLaran@rhul.ac.uk Quand le toucher devient le premier sens. Consommer dans le noir Abstract What kind of experience is it when the consumer is deprived of sight? How do the senses reconfigure themselves? The authors investigate the narratives of patrons of the restaurant Dans le Noir to conclude that touch becomes the primary sense. Different categories of touch are highlighted: self touch to confirm one’s own existence, the touch of others to be reassured, the touch of the waiter which is upsetting and the touch of objects in order to survive. Finally, touching the food is necessary to eat, but this involves two different types of touch, regressive or informative. The other senses are not particularly aroused in this environment because consumers do not perceive sounds, smells and tastes very acutely. Résumé Quelle expérience de consommation quand le consommateur est privé de la vue ? Comment se réorganisent les sens ? Au travers d’une analyse des récits de clients du restaurant Dans le Noir, les auteurs montrent que le toucher devient le premier sens. Plusieurs catégories de toucher ont été mises en exergue : toucher de soi pour confirmer sa propre existence, toucher des autres pour se rassurer, toucher du serveur qui perturbe et toucher des objets pour survivre. Enfin, le toucher de la nourriture est nécessaire pour se nourrir, mais il peut-être régressif ou informatif. Les autres sens ne sont pas réveillés par cet environnement, les consommateurs perçoivent mal les sons, les odeurs et les goûts. Key words: experience – experiential marketing- senses- touch- « Si le monde est en quête de sens, les nôtres sont sans doute fort mal exploités ! Et si le sens était justement là, devant nous … En nous … ? Et si la vue, sens dominant par excellence, disparaissait provisoirement et nous ouvrait les portes d’un monde étonnant en réveillant soudainement l'ouïe, le toucher, le goût, l’odorat ?! Nous faisant peut être prendre conscience que nous sommes peut être « handicapés » de certains de nos sens ? ». Tels sont les mots que l’on peut lire sur le site web du restaurant Dans le Noir1, où le consommateur dine dans un noir absolu. Cette suppression temporaire d’un sens dominant nous a conduit nous interroger sur la hiérarchie des sens dans un univers obscur et à la place particulière du toucher dans ce cadre expérientiel. Si l’importance de la vue et du regard dans les comportements de consommation a été mis en évidence par de nombreux auteurs, les autres sens sont assez peu étudiés. L’objectif de cette recherche est de comprendre comment le consommateur réorganise ses sens dans cet environnement et si la privation de la vue modifie la perception des produis consommés et de l’expérience vécue à travers la valorisation temporaire d’un sens particulier, le toucher. Notre recherche se situe dans une perspective expérientielle dans un contexte particulier, celui des expériences à thème (les restaurants Dans le Noir). Un environnement expérientiel nous semblait tout à fait approprié pour étudier la modification de la hiérarchie des sens. En effet, les lieux expérientiels sont organisés pour solliciter les sens. Nous développerons cet aspect dans le paragraphe suivant, avant de nos intéresser à la littérature spécifique du toucher. Les sens, facteurs d’atmosphère Kotler (1973) fut un des premiers auteurs à souligner l’importance stratégique de l’environnement d’achat et des facteurs créant une atmosphère autour du consommateur qu’il a appelé « atmospherics ». Ces travaux ont été repris et développés par de nombreux auteurs. Turlet &Milliman (2000) ont établi une liste des variables contribuant à la création d’atmosphères en complétant la typologie de Berman &Evans (1995) :
La plupart des chercheurs s’intéressent le plus souvent à l’effet d’une variable sur le comportement d’achat ou sur l’effet combiné de plusieurs variables (Lemoine, 2003). Leurs approches sont principalement basées sur les théories S-O-R (Stimulus- Organisme- Réponse) et s’appuient sur le modèle de Mehrabian and Russell (1974) ou sur celui de Donovan and Rossiter (1982). C’est l’influence de la musique sur les comportements d’achat qui est le plus souvent étudiée suivant ainsi les nombreux écrits en psychologie sur l’impact de la musique sur nos comportements en général (Yalch & Spangenberg, 1993, Milliman, 1986). Cependant le stimulus qui nous intéresse dans cet article est la lumière, et plus exactement l’absence de lumière. Un certain nombre de travaux portent sur ce thème, mais le plus souvent les chercheurs s’intéressent aux variations d’une lumière existante. Ainsi, il semble qu’une augmentation de l’intensité lumineuse incite les consommateurs à prendre en considération plus que de produits. Toutefois, aucune influence sur les ventes n’est mise en évidence (Areni &Kim, 1994, Baker, Grewal & Parasuraman, 1994 or Baker, Levy & Grewal, 1992, Summers et Hebert, 2001). Toutefois, ces approches, si elles mettent en évidence l’importance d’une variable prise isolément, ne permettent pas de considérer l’interaction des variables entre elles. Elles supposent que la somme de l’action des variables est la somme des actions de chacune des variables. Or l’interaction de certaines variables entre elles peut considérablement modifier leurs effets. Aussi, un certain nombre de chercheurs ont-ils préféré intégrer ces variables dans un modèle global. C’est par exemple le cas de Bitner (1992) qui a développé le concept de « servicescape », ou environnement de service. La globalité de l’environnement de service Pour Bitner (1992), un environnement de service est un environnement construit par des individus qui comprend aussi bien les éléments de design (la décoration, le style, le mobilier) que les conditions ambiantes (la température, la lumière, la musique) que les interactions entre les employés et les consommateurs. C’est l’ensemble qui fait sens, qui crée des interactions entre variables et entre individus. Bitner considère que les environnements ont une incidence sur les attitudes et les comportements, plus précisément sur les réactions physiologiques des consommateurs qui vont affecter leurs comportements et les interactions sociales. Ce dernier point a été également démontré par Holahan (1982). L’importance des hommes a été maintes fois soulignée dans l’environnement de service (servicescape) (Sherry, 1998). Plus récemment les chercheurs se sont interrogés sur l’influence de la décoration, du mobilier et ont étudiés la façon dont les consommateurs s’appropriaient cet espace (Aubert-Gamet, 1997) Les travaux de Kaplan (1987) présentent également un intérêt dans le cadre de notre recherche. En effet, ce chercheur a montré que la préférence pour un environnement donné peut être prédite par trois dimensions principales : la complexité, le mystère et la cohérence. La complexité créerait un éveil émotionnel et la cohérence permettant de renforcer cet éveil. Nous retrouvons ces trois éléments dans le cas du restaurant « dans le noir » : mystère, on ne voit rien, et on peut même ne pas savoir ce que l’on mange si l’on choisit le menu mystère, complexité car les stimuli sont nombreux, et cohérence, nous verrons si les consommateurs perçoivent de la cohérence dans cet environnement De l’environnement de service (servicescape) à l’environnement de consommation (consumptionscape) Depuis plusieurs années, des chercheurs se sont intéressés à la notion d’expérience de consommation et d’espace de consommation (consumptionscape) (Ger and Belk ,1996). L’environnement de service deviendrait espace de consommation dès lors que les consommateurs s’approprient ces espaces (Aubert-Gamet, 1997, Venkatraman and Nelson, 2008). Chez Starbucks, les consommateurs se sentent comme chez eux, dans un havre de paix, en sureté, avec une grande liberté de mouvement (Venkatraman and Nelson (2008). Certes, Starbucks proposent une vaste gamme de café, mais l’expérience de consommation créée par l’environnement est au moins aussi importante que les produits proposés, certains consommateurs n’appréciant pas particulièrement le goût du café. Pour les chinois vivant dans des appartements beaucoup plus petits que les logements des Américains, Starbucks est perçu comme un endroit d’intimité et de calme. Un lieu d’expérience et d’atmosphère particulier : le restaurant Si la plupart des recherches portent sur le commerce de détail et les magasins, certains chercheurs se sont intéressés aux variables d’atmosphère dans les restaurants. Ils y ont surtout étudié l’impact de la musique (Milliman, 1986, Caldwell and Hibbert, 2002). Mais on trouve quelques recherches sur l’impact de l’environnement lumineux mais aussi de ce qui est visible ou non dans le restaurant. Ainsi pour Alonso and O’Neill (2010), quand le client voit la cuisine et la préparation des repas, il pense que le repas est préparé avec plus d’attention et que la cuisine est plus propre. Jacob, Guéguen and Boulbry (2010) ont eux montré l’influence des éléments visuels sur le choix des produits par le biais d’expérimentations. Par exemple, ils ont montré que si on pose un bateau en bois sur une table, les clients vont choisir plus de poissons qu’en l’absence du bateau. Pour Ryu and Jang (2008), le plaisir et les émotions que peut avoir un consommateur dans un restaurant varient en fonction d’un certain nombre d’éléments : la décoration florale, les peintures sur les murs, le style des meubles, ce que les auteurs appellent les aménagements esthétiques (« facility aesthetics »). Mais à l’inverse, pour ces chercheurs, l’environnement lumineux n’a pas d’incidence sur les émotions des clients dans ce restaurant. Le concept d’expérience (Holbrook et Hirschman, 1982, Pine et Gilmore, 1999, Kozinets et al., 2004) s’avère particulièrement intéressant en matière de restaurants. S’il existe une consommation de routine de certains restaurants, d’autres sont devenus des lieux d’exception. Hanefors & Mossberg (2003) distinguent plusieurs types de restaurants d’exception : les restaurants de célébrité (ceux de Michael Jordan, par exemple), les restaurants de chef (Ferran Adria, Alain Ducasse), les restaurants design (Rainforest Café, Planet Hollywood) ou enfin les restaurants à thème (maison de Mao à Singapour). L’expérience de consommation de restaurant comprend une offre avec une fonction économique (manger rapidement ou fêter un anniversaire), les composants de l’offre, un système d’approvisionnement, des facteurs de demande des consommateurs nature de l’occasion, émotions, motivations et attentes, niveau d’implication dans l’expérience, contexte social et satisfaction). L’exacerbation des sens est un facteur clé de l’expérience et particulièrement de l’expérience d’un restaurant extraordinaire. Pour Hetzel (2004), la grande cuisine est caractérisé par l’utilisation des cinq sens qui ensemble, permettent de créer une expérience unique : « Le facteur dominant de la stimulation du consommateur a évolué d’une suprématie de la dimension gustative à une prééminence d’une stimulation complète des cinq sens. En même temps, tout le processus est devenu plus intellectuel ou conceptuel. Manger devient un prétexte pour faire l’expérience de quelque chose d’unique : détruire (par incorporation) une pièce d’art éphémère conçu sur le vif par le Chef ». Comme nous l’avons vu précédemment, la plupart des recherches s’intéressent à la vue, au regard, au cœur de la société de consommation. Pourtant le toucher est un sens essentiel. Le toucher : caresse ou gifle, douceur ou violence Le toucher est au cœur de notre vie. L’enfant se construit par le toucher de sa mère, et le consommateur qu’il deviendra plus tard, touche les produits pour les choisir ou les utiliser. Les fonctions du toucher sont nombreuses, il permet de reconnaître, prenant le relais des yeux, mais il permet aussi de caresser, devenant ainsi un élément de communication de la relation amoureuse ou amicale. Il peut également se faire violent, gifle, coup, agression. Le toucher est très normé par les cultures et les mœurs. Aussi le toucher du bras peut-il être perçu dans certains pays comme une marque d‘amitié, d’intimité, alors que dans d’autres, il sera perçu comme une violation de l’espace privé, une volonté de s’imposer. Si la vue est le sens qui a le plus mobilisé les chercheurs, quelques recherches ont cependant été publiées sur le toucher et ses implications en matière de comportement du consommateur. Par exemple, il a été démontré que le serveur qui touche le client recevra plus de pourboire que le serveur distant (Crusco & Wetzel, 1984, Guéguen et Jacob, 2005), que le consommateur acceptera plus facilement de tester de nouveaux produits (Hornik, 1992) ou d’être interrogé (Hornik and Ellis, 1988). Tous les consommateurs ne sont pas égaux devant le toucher. Krishna and Morrin (2008) ou Peck and Childers (2003a, 2003b) ont montré qu’il existe des individus avec une orientation haptique. Les hommes et les femmes ne sont pas « haptiquement » égaux, de même que les jeunes et les plus âgés (Hornik, 1992). Le seuil de sensation varie également selon les parties du corps qui sont touchées et selon leur distance avec le centre du corps. La préhension des produits est un facteur clé dans la décision d’achat et la probabilité de mettre le produit dans son caddie. Mais le toucher affecte également la perception des produits. Ainsi Krishna (2006) montre que les consommateurs perçoivent un verre d’une taille plus grande qu’il n’est réellement s’ils le regardent (biais d’élongation), mais d’une taille plus petite qu’il n’est réellement s’ils le touchent. Scheibehenne, Todd et Wansink (2010) ont montré que quand des individus mangent dans le noir, ils sont moins conscients des quantités avalées que des consommateurs voyant ce qu’ils mangent. Quand on sert plus à manger, les consommateurs mangent plus et ne sont pas rassasiés au dessert. L’expérience : le restaurant dans le Noir En s’inspirant des diners organisés par des aveugles pour les voyants au 19éme siècle, deux entrepreneurs ont ouvert un premier restaurant à Paris en 2004, avec l’aide d’une Fondation. Devant le succès rencontré, ils ouvrent un autre restaurant à Londres, puis à Moscou et en 2011 à New York. A ce jour, le restaurant parisien a compté plus de 100 000 clients. D’autres restaurants de type ont été créés ailleurs dans le monde, en Allemagne, en Finlande et aux Etats-Unis. Par ailleurs, les créateurs du restaurant dans le noir ont développé en 2006, une filiale destinée à l’organisation d’évènements autour du même concept, Ethik Event, et en 2011 le premier spa « Dans le noir » à Paris. Le visiteur est accueilli dans un premier espace, où on lui demande de jeter ses « outils de lumière ». Plus précisément, il doit déposer dans un casier son téléphone portable et sa montre qui peuvent émettre des signaux lumineux. Dans un petit salon d’attente, on lui propose l’apéritif, on lui demande ses interdits alimentaires et de choisir son menu. Il a le choix entre un menu surprise – il ne connaîtra alors aucun plat à l’avance, un menu viande ou poisson. Un serveur aveugle enjoint aux clients de les rejoindre, de mettre la main sur son épaule ou sur celui de la personne devant pour constituer une chaîne. Il guide les participants à leur table, les installe et un peu plus tard leur apportera les plats commandés. Le noir est total, aucun filet de lumière n’est visible, ce qui très inhabituel pour la plupart des participants. Les participants se rendent compte alors du coté inhabituel de l’expérience. Quand les clients désirent partir, ils appellent le serveur, recommencent la chaîne, main sur l’épaule, franchissant à nouveau le lourd rideau qui sépare le noir de la lumière. Les clients peuvent alors prendre connaissance de ce qu’ils ont mangé, s’ils ont pris le menu surprise, règlent leur addition et récupèrent leurs affaires dans les casiers avant de quitter le restaurant. |
![]() | «Enquêtes sur le sens de la vie» est parsemé. Les questions de l’interview ont été inventées mais les réponses sont conformes à 99... | ![]() | «paillettes» (Roederer, 2008) comme par exemple le cas des magasins amiraux de marque, ces deux contextes expérientiels sont créateurs... |
![]() | «Nous sommes dans un lieu, quelconque. Pourtant, par la faille entrouverte entre ciel et terre, dans l’écart qui déploie, entre ici... | ![]() | «au travers» des obstacles à l’apprentissage dont les principaux sont : les "conceptions" des élèves |
![]() | Chaque œuvre produit une réponse à la question que pose l’artiste. L’artiste s’exprime par l’image car IL n’y arrive pas par les... | ![]() | «charnières» dans le squelette dont l’ouverture et la fermeture favorisent une mobilité orientée dans le sens antérieur. Et l’organisation... |
![]() | «certa variat memeria actae rei» ( le récit de l’événement varie beaucoup selon les auteurs) IL y a des variations dans le récit... | ![]() | «La réalité spatiale à laquelle accède un organisme dépend fondamentalement de l’équipement sensoriel dont IL est doté» [Paillard,... |
![]() | ![]() | «progrès de l’humanité» dans le domaine des biotechnologies au sens large et les problèmes éthiques posés déjà aujourd’hui et probablement... |