1955-2005 : cinquante ans de science refléTÉs dans le petit








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1955-2005 : CINQUANTE ANS DE SCIENCE REFLÉTÉS DANS LE PETIT

LAROUSSE ILLUSTRÉ1

F. Wesemael et R. Wesemaël

2e Journée québécoise des dictionnaires

« Les dictionnaires Larousse: des mots, des choses, des lieux, des gens »

1. L’année 2005: deux grands anniversaires

La francophonie fête cette année le centenaire du dictionnaire Le Petit Larousse. Pour le scientifique, l’année 2005 est également l’Année mondiale de la physique (IYP2005), puisque la communauté de physiciens fête, de son côté, un autre centenaire : celui de l’année mémorable marquée par la publication par Einstein de trois travaux d’importance capitale en physique: l’introduction de la théorie de la relativité, l’explication en termes corpusculaires de l’effet photoélectrique, et une étude théorique du mouvement brownien, cette agitation constante des particules microscopiques observées au sein d’un liquide qui est associée aux chocs avec les molécules du liquide. Tous ont entendu parler de la théorie de la relativité, quelques-uns de l’effet photoélectrique, et une minorité seulement du mouvement brownien. Pourtant, pour le physicien, ces trois travaux font date : le premier bouleverse notre compréhension de la relation entre le temps et l’espace, le second celle de la nature de la lumière; le troisième, enfin, contribue à mettre un terme aux hésitations positivistes face au modèle atomique de Dalton, formulé en 1808.

Ces deux anniversaires importants nous donnent l’occasion de réfléchir à la façon dont les énormes progrès scientifiques du siècle dernier, en particulier en physique, trouvent leur place dans le dictionnaire encyclopédique d’usage courant. L’exercice, sous cette forme, n’est cependant pas d’un très grand intérêt, puisque la fin du XIXe siècle et les premières années du XXe siècle sont identifiées à la naissance de la physique moderne : par exemple, les années 1895 à 1897 amènent à elles seules la découverte des rayons X, de l’électron, de l’effet Zeeman et de la radioactivité. Le Petit Larousse de 1905 ne peut donc être, tout au plus, que le reflet d’une certaine paléophysique sans commune mesure avec nos connaissances actuelles. Plus intéressante, cependant, serait la comparaison entre le Petit Larousse de 2005 et son édition de 1955 : cinquante ans qui ont vu les sciences en général, et la physique en particulier, assumer une place importante dans la vie quotidienne : est-il besoin de mentionner que la construction des premières centrales nucléaires, l’invention de la fibre optique, du circuit intégré et du four à micro-ondes, le lancement de Spoutnik et la découverte de la magnétosphère terrestre (ceintures de Van Allen), ainsi que l’usage médical de la résonance magnétique et des ultrasons remontent tous aux années 1955-1970 ?

La comparaison de deux Éditions du Petit Larousse, espacées de 50 ans, peut prendre plusieurs formes et nous explorons ici quelques-unes de ces possibilités : inclusion de nouveaux mots; améliorations apportées aux définitions soit pour les moderniser soit pour les faire coller à une réalité changeante; inclusion de nouveaux noms propres; choix d’illustrations, etc. La comparaison se fonde sur le Nouveau Petit Larousse Illustré (NPLI) de 1955 et sur le Petit Larousse Illustré (PLI) de 2005.

2. Les définitions : les défis de l’exactitude, de la modernisation et de la concision

La comparaison des définitions associées à des mots présents à la fois dans le NPLI et dans son incarnation moderne, le PLI, est extrêmement révélatrice. Elle nous montre tout d’abord un effort louable d’amélioration et de modernisation des définitions. Pour mettre ce courant en évidence, nul besoin d’aller plus loin que les trois grandes contributions d’Einstein mentionnées en introduction. Sous brownien on trouve, respectivement,

Mouvement brownien, mouvement incessant des particules microscopiques en suspension dans un liquide. (NPLI)

et, d’autre part,

(du n. du botaniste Robert Brown ). PHYS. Mouvement brownien : mouvement incessant des particules microscopiques en suspension dans un liquide ou dans un gaz, dû à l’agitation thermique des molécules du fluide. (PLI)

Tout en reprenant globalement la définition du NPLI, le PLI i) en donne l’étymologie2, ii) la complète avec l’information qu’un tel mouvement peut exister au sein d’un gaz, et --- précision importante --- iii) associe l’origine de ce mouvement à l’existence d’entités microscopiques au sein du fluide. Sous photoélectrique (écrit photo-électrique dans le NPLI), un constat similaire s’impose:

Relatif à la lumière et à l`électricité : cellule photo-électrique. (NPLI)

et

Qui a trait à la photoélectricité ◊ Effet photoélectrique : propriété qu’ont certains métaux d`émettre des électrons sous l’effet de radiations lumineuses dont la fréquence est supérieure à un seuil caractéristique du métal (seuil photoélectrique) --- Cellule photoélectrique : dispositif utilisant l’effet photoélectrique; spécial., instrument de mesure de l’intensité du rayonnement lumineux, utilisé notamm. en photographie. (PLI)

Ici il n’existe plus aucune commune mesure entre les deux définitions. Le PLI décrit avec précision le processus physique en cause, tout en incluant une description, plutôt qu’une seule mention, de ses applications. Quant au terme relativité, on comparera avantageusement :

Physiq. Théorie d’Einstein sur la relativité du temps et de l’espace. (NPLI)

et

2. PHYS. Théories de la relativité : ensemble de théories selon lesquelles tout ou partie des lois de la physique sont invariantes par changement à l’intérieur d’une classe donnée de référentiels. (PLI)

définition suivie d’un long développement qui inclut la définition d’un principe de relativité, ainsi que les définitions d’une théorie relativiste et d’une théorie de la relativité. Il est étonnant de noter, cependant, que rien dans cette définition ne permet de lier la relativité de quelque façon que ce soit à Einstein, puisque son nom n’apparaît pas à cette rubrique, bien que les principes de relativité restreinte et de relativité générale y soient mentionnés.

Dans les trois exemples choisis jusqu’ici, les définitions modernes, en raison de leur précision accrue, sont beaucoup plus longues que leurs contreparties au NPLI. Ce n’est pas toujours le cas, cependant, puisque le PLI reflète à l’occasion le fait que exactitude n’est pas nécessairement antinomique de concision. Considérons par exemple les changements apportés à la définition du terme fluorescence. Le NPLI nous donnait une définition très complète, que nous reproduisons intégralement ici :

Physiq. Propriété de certains corps de transformer la lumière qu’ils reçoivent en radiations lumineuses de plus grande longueur d’onde : la fluorescence n’est qu’une phosphorescence de courte durée. ― Les corps fluorescents transforment certaines radiations lumineuses en d’autres moins réfrangibles. Ils se colorent également sous les lumières invisibles, rayons X, cathodiques, etc. Ainsi, le platinocyanure de baryum, à fluorescence verte, apparaît vert à la lumière violette, indigo ou bleue.

La définition du PLI est ici beaucoup plus succincte :

OPT. Propriété qu’ont certains corps d’absorber un rayonnement (visible ou invisible) et de l’émettre à nouveau avec une longueur d’onde plus grande. (On distingue la fluorescence, qui s’arrête dès que cesse l’illumination, de la phosphorescence, qui persiste.)

Plusieurs points dans cette comparaison frappent, et rendent la brève définition du PLI supérieure à celle, pourtant plus développée, du NPLI : tout d’abord, la lumière n’est plus transformée, formulation obscure s’il en était; elle est maintenant plutôt absorbée puis réémise, ce qui est beaucoup plus précis. Ensuite, il ne s’agit même plus de lumière, terme qui pourrait être restreint, dans l’esprit du lecteur, à la partie visible du spectre électromagnétique, mais bien de « rayonnement », terme plus général, qui est de plus accompagné de la précision que ce rayonnement peut être visible ou invisible (c.-à-d. non perçu par l’œil). Le contexte d’emploi du NPLI fait l’analogie avec un autre processus physique, la phosphorescence, une stratégie qui semble quelque peu maladroite puisqu’elle force le lecteur à vérifier la définition de ce mot. Le PLI est ici beaucoup plus habile, puisqu’il contraste les deux mots mais ne définit pas l’un en terme de l’autre. Finalement, le terme platinocyanure, qui figure dans la définition du NPLI de fluorescence, n’est lui-même pas défini au NPLI, ce qui limite assurément l’utilité de la définition fournie.

Au-delà du débat sur la concision et la précision des définitions dans les deux éditions consultées, ces quelques comparaisons suggèrent également un changement notable dans le style des définitions, qui semblent fréquemment beaucoup plus techniques dans l’édition moderne. Citons, comme autres exemples, le terme morte-eau, qui a respectivement pour définition :
Nom donné aux marées les plus faibles, entre la nouvelle et la pleine lune. Époque de ces marées. (NPLI)

et

Marée de morte-eau, ou morte-eau : marée de faible amplitude, qui se produit lorsque la Lune est en quadrature (par oppos. à vive-eau ). (PLI)
ainsi que le mot balane, défini comme

n.m. Genre de crustacés cirripèdes, dits aussi GLANDS DE MER. (NPLI)
alors que le PLI lui donne la définition suivante :

n.f. Petit crustacé fixé sur les rochers littoraux ou sur les coquillages, entouré de plaques calcaires blanches formant au centre un opercule. (Taille 1 cm env.; sous-classe des cirripèdes).
Dans les deux cas, les qualités littéraires de la définition du NPLI semblent s’être estompées au profit d’un style de rédaction beaucoup plus technique.

3. Les définitions : reflets de l’extraordinaire explosion des connaissances

La comparaison des définitions du NPLI et du PLI reflète cependant aussi, et ce dans toute son ampleur, l’évolution de nos connaissances scientifiques. Cette évolution peut transparaître sous différentes formes dans un dictionnaire encyclopédique : dans un changement substantiel du contenu de certaines définitions, dans une multiplication des rubriques scientifiques au sein desquelles certains mots sont définis, ou tout simplement sous la forme de néologismes. Considérons tour à tour quelques illustrations de cette division. Afin d’illustrer le premier volet de ce développement, considérons la définition du mot comète. Le NPLI donne :

Astre errant, décrivant autour du soleil une orbite très allongée, et qui est accompagné d’une traînée de lumière appelée queue ou chevelure. […] Les comètes décrivent une vaste ellipse ou une parabole dans des orbites très excentriques, dont le soleil occupe le foyer. Certaines comètes reviennent périodiquement : la comète dite de Halley revient tous les soixante-quinze ans.
La définition du NPLI, reflet de notre connaissance des comètes en 1955, n’aurait pas déplu au grand astronome Edmund Halley (1656-1742) tant elle nous renseigne peu au-delà de tout ce que Halley connaissait déjà. La définition moderne du PLI, de son côté, montre ce que l’élaboration d’un modèle de noyau de comète (p. ex., Calder 1982) et les étonnantes observations in situ par les sondes spatiales VEGA 2, Giotto et Deep Space 1 nous ont appris  au cours des cinquante dernières années :

1. Astre du Système solaire formé d’un noyau solide rocheux et glacé, qui, au voisinage du Soleil, éjecte une atmosphère passagère de gaz et de poussières à l’aspect de chevelure diffuse, s’étirant dans la direction opposée au Soleil en une queue parfois spectaculaire.

Le PLI poursuit plus loin, dans la rubrique ASTRON. en décrivant le

[…] noyau irrégulier, de dimensions kilométriques, en rotation sur lui-même, constitué d’un mélange de glaces, de fragments rocheux et de poussières. […] La chevelure est entourée d’une vaste enveloppe d’hydrogène, décelable dans l’ultraviolet.

Halley serait, ici, ébloui par tant d’information. Dans la même veine, comparons les définitions du mot ozone. Le NPLI donne :

Variété allotropique de l’oxygène, de forme O3 . C’est un gaz très oxydant que l’on prépare par action de l’effluve électrique sur l’oxygène.

De son côté, le PLI présente un portrait qui va bien au-delà de la simple carte de visite chimique de ce corps qui, elle, ne diffère pas énormément de celle du NPLI. Ce portrait rend bien compte de la place prise par l’ozone dans la conscience collective au cours des cinquante dernières années :

Corps simple gazeux, à l’odeur forte, au pouvoir très oxydant, dont la molécule (O3) est formée de trois atomes d’oxygène. ◊ Trou dans la couche d’ozone, ou trou d’ozone: zone de la stratosphère où l’on observe chaque année une diminution temporaire de la concentration en ozone. (Causé par la réaction d’atomes de chlore, issus des chlorofluorocarbures, qui détruisent les molécules d’ozone, le trou d’ozone réside à présent en quasi-permanence au-dessus de l’Antarctique.) 

Le PLI poursuit avec un long texte (83 mots) complémentaire, où la distinction est faite entre ozone stratosphérique et ozone troposphérique, où l’on décrit les emplois industriels de l’ozone (stérilisation, blanchiment), et où le rôle joué par cet élément comme écran de la radiation ultraviolette est mis en relief. Cette information très complète3 est accompagnée d’une carte couleur de la concentration d’ozone au-dessus du pôle austral, compilée à partir de données obtenues par satellite ! Qui aurait pu s’imaginer une telle chose à l’époque pré-Spoutnik du NPLI ?

Pour illustrer le deuxième volet, soit la multiplication des sens de certains mots à portée scientifique, considérons le mot noyau, dans le sens de « partie centrale » : ce terme se retrouve au NPLI au sein de cinq rubriques : biologie végétale (le noyau de pêche), physique (le noyau d’un atome), construction (le noyau d’un escalier), biologie cellulaire (le noyau d’une cellule) et astronomie (le noyau d’une comète). Au PLI, ces rubriques sont augmentées des six suivantes : géophysique (le noyau terrestre), électrotechnique (le noyau d’une bobine), métallurgie (le noyau d’une pièce moulée), météorologie (un noyau de condensation), anatomie (le noyau de l’encéphale) et algèbre (le noyau d’un espace vectoriel). De la même façon, le mot diffusion, défini au sens propre dans le NPLI de la façon suivante :

Action par laquelle un fluide se répand : la diffusion de la vapeur d’eau dans l’atmosphère. Distribution d’une substance dans l’organisme.

se voit maintenant nanti au PLI de cinq sens distincts au registre purement scientifique:

1. a. Mouvement d’un ensemble de particules dans un milieu, sous l’action de différences de concentration, de température, etc. b. Dispersion d’un rayonnement incident (lumière, rayons X, son) dans toutes les directions lorsqu’il traverse certains milieux. c. PHYS. Changement de la direction ou de l’énergie d’une particule lors d’une collision avec une autre particule. d. Diffusion gazeuse : procédé de séparation des isotopes fondé sur la différence de vitesse de passage d’un gaz à travers une paroi poreuse en fonction de la masse molaire de ce gaz. (Ce procédé est utilisé pour l’enrichissement de l’uranium.) 2. Action de retransmettre qqch par la radio, la télévision ◊ Diffusion hertzienne numérique : système de diffusion par voie hertzienne adapté à la transmission numérique des programmes de télévision et de radio.

Les néologismes représentent bien entendu la signature la plus évidente du progrès de certaines disciplines : ainsi, les termes boson, coelacanthe, estran, laser, méthadone, photodiode, quark, radiotélescope, supernova, superfluidité, supraconductivité et thermonucléaire font tous acte de présence au PLI, alors qu’ils sont uniformément absents du NPLI. Autres exemples révélateurs, les néologismes scientifiques commençant avec les préfixes micro, nano, et pico. Le préfixe micro est le plus fréquent. Le NPLI et le PLI nous informent qu’il représente la millionième partie; cependant, le NPLI précise que le préfixe exprime aussi l’idée de petitesse. Étonnamment, cette précision n’apparaît plus au PLI, bien qu’elle semble toujours d’actualité pour des mots comme microcosme, microscope, ou microcéphalie qui n’ont rien à voir avec la millionième partie de quoi que ce soit. D’intérêt également, le nombre de néologismes inclus au NPLI mais qui n’apparaissent plus au PLI, probablement en raison de leur manque d’intérêt pour ce qui semble aujourd’hui une échelle relativement banale, celle de la millionième partie d’une unité : ainsi, microfarad, microhm, et microthermie ont tiré leur révérence dans le PLI. Et que penser, dans ce contexte, de l’étonnant micromillimètre, inclus au NPLI, qui le décrit comme synonyme de micron, représentant donc la millionième partie du mètre ? Ce terme semble aujourd’hui (bien heureusement) disparu, remplacé qu’il est par micromètre qui semble beaucoup plus cohérent avec les conventions du système métrique.

Le préfixe nano qui ― placé devant une unité ― signifie la milliardième partie, n’apparaît pas au NPLI ; dans le PLI, outre le préfixe, six néologismes apparaissent : nanoélectronique, nanomètre, nanophysique, nanoscience, nanotechnologie et nanotube, une multiplication qui illustre bien les récents développements technologiques à cette échelle, mille fois plus petite que la précédente. Cependant, même là, le PLI prend déjà un certain retard, puisque de nombreux néologismes tels que nanoconstruction (Whitesides et Love, 2001), nanocristal (Alivisatos 2001), nanofabrication (Joachim et Gauthier 2001), nanojonction (Reed et Tour 2000), nanomachine (Collins 2001), nanoparticule (Agence Science-Presse , 2004), et autres nanosonde (Collins 2001) n`y figurent pas. Quant à pico, prochain préfixe en file signifiant la billionième partie, seul le préfixe apparaît actuellement au PLI. Ce n’est assurément qu’une question de temps avant que les néologismes ne suivent …

4. Les noms propres et l’effet Nobel

Le travail scientifique est accompli par des hommes et des femmes. Le PLI permet donc, par l’inclusion d’une section des noms propres, un autre regard sur les progrès des sciences physiques au cours du dernier demi-siècle. Cette section inclut déjà, bien évidemment, les noms des géants de ces disciplines au cours des siècles : Archimède, Copernic, Galilée, Lavoisier et Planck. Cependant, les acteurs des progrès plus récents sont-ils aussi bien représentés ? Un échantillon présentant un certain intérêt serait celui des récipiendaires des Prix Nobel. Nous nous concentrons ici sur la période 1955-2003, date de la dernière entrée dans la compilation des Prix Nobel de physique du PLI (p. 1830). Durant cette période, le Prix a été décerné à 49 reprises, et ce à 109 scientifiques différents (Bardeen est le seul à l’avoir gagné deux fois, en 1956 et en 1972). Un tel honneur n’est cependant pas une garantie de l’inclusion du nom de son lauréat dans le PLI : ce n’est le cas que pour 69 de ces chercheurs, alors que 40 en sont tenus à l`écart. Peut-on trouver un fil conducteur à ces exclusions ? Elles semblent, dans la plupart des cas, arbitraires : ainsi, en 1988, les physiciens américains Lederman, Schwartz et Steinberger se partagent également le prix pour leurs efforts instrumentaux en physique des particules et la découverte d’une nouvelle particule élémentaire. Pourtant seuls les deux premiers trouvent la faveur du PLI. Quelquefois, le lauréat unique est carrément omis, comme c’est le cas pour Alvarez (1968) ou Gabor (1971). La nationalité du lauréat ne semble pas non plus être un facteur, puisque Chinois, Américains et Britanniques subissent l’exclusion. Cependant, le PLI semble moins enclin à inclure les récents nobélisés : parmi les 27 nobélisés des dix dernières années, seuls trois méritent leur inclusion : ceux de la promotion 1997 qui inclut, est-ce un hasard, le Français Cohen-Tannoudji, de l’École Normale Supérieure de Paris. Pourtant, tous les Prix Nobel de littérature des dix dernières années figurent au PLI, du Japonais Oe Kenzaburo (1994) au Sud-africain Coetzee (2003). Autre décision d’apparence arbitraire, parmi les 109 récipiendaires du Nobel de physique depuis 1955, un seul a droit à sa photo : l’Américain Gell-Mann (1969) ; par contre aucun des cinq physiciens français nobélisés dans cette période4 n’a droit à la sienne.

5. Les noms propres : être ou ne plus être

Comment les éditeurs du PLI s’y prennent-ils pour faire place au nombre croissant de noms propres à inclure, tout en gardant la taille de cette section raisonnable ? Deux stratégies peuvent être mises en évidence. La première consiste à exclure un certain nombre de noms de l’édition moderne. Ainsi, au hasard, on trouve que les noms de Cailletet, qui travailla à la liquéfaction des gaz, de Poggendorff, inventeur de la pile au bichromate, de Poinsot, un des créateurs de la mécanique, ou du mathématicien Sturm ont tous disparu de l’édition moderne.

La seconde stratégie, qui va de pair avec le travail de modernisation discuté précédemment, consiste à abréger certains textes. Considérons, par exemple, celui consacré à Archimède. Le texte du NPLI, long de 235 mots et accompagné d’une illustration du savant, fournit tout d’abord quelques détails biographiques, suivis d’une ligne sur les contributions de ce savant à la géométrie et à la mécanique. Le NPLI discute ensuite longuement de trois anecdotes classiques associées à Archimède : tout d’abord, la destruction de la flotte romaine qui assiégeait Syracuse à l’aide de gigantesques miroirs qui concentrèrent les rayons du Soleil; ensuite sa mort aux mains d’un soldat romain alors qu’Archimède était absorbé dans sa réflexion (Noli tangere circuleos meos) ; finalement, l’épisode du tyran Hiéron et de sa couronne d’or, l’invention de la pesée hydrostatique, et le fameux Eurêka! poussé par Archimède au sortir du bain. Le NPLI fait donc une large part à l’anecdote5. Le PLI, de son côté, est beaucoup plus sobre avec son texte de 126 mots : l’illustration a disparu et le texte est beaucoup plus spécifique en ce qui concerne les résultats d’Archimède en mathématiques et en physique. À la fin, une ligne seulement : « Pendant trois ans, il tint en échec les Romains, qui assiégeaient Syracuse, et fut tué lors de la prise de la ville ». Les mentions anecdotiques de l’incendie de la flotte romaine, les détails de sa mort, et tout l’épisode de la couronne sont évacués au profit d’un texte resserré, plus spécifique et … considérablement abrégé qui semble maintenant issu de la plume du mathématicien plutôt que de celle de l’helléniste 6.

Ce travail d’abréviation n’est cependant pas systématique, et certaines rubriques biographiques ont pris de l’ampleur, même si les contributions de ces scientifiques sont depuis longtemps digérées : la rubrique de Newton dans le NPLI (97 mots accompagnés d’une illustration) ne mentionne que sa découverte des lois de la gravitation universelle et de la décomposition de la lumière, avant de s’étendre sur l’incident, anecdotique lui aussi et tout aussi peu avéré7, de la pomme. Le PLI (165 mots, également accompagnés d’une illustration) mentionne son invention du télescope réflecteur8, sa formulation d’une théorie corpusculaire de la lumière, la controverse qui l’oppose à ses contemporains Hooke et Huygens, sa formulation des trois lois de la mécanique, son développement du calcul différentiel et intégral, ainsi que ses contributions en théologie et en alchimie. Par les détails qu’elle fournit, la définition moderne est de loin supérieure à la précédente, tout en étant considérablement plus longue.

La section des noms propres se doit, elle aussi, de refléter l’évolution des idées entre 1955 et 2005. Ainsi, la plus récente rubrique associée à Wegener, en plus de mettre en relief ses contributions de météorologue et sa participation aux expéditions polaires danoises, ce que le NPLI ne faisait pas, mentionne également que sa théorie de la dérive des continents, qui date de 1915 et dont mention est déjà faite au NPLI, a été ― cinquante ans après son exposition ― « confortée » par la théorie de la tectonique des plaques. Quant à Marie Curie, mentionnée seulement au passage au sein de la rubrique de son mari Pierre Curie dans le NPLI,

[…] On lui doit, avec sa femme, Marie SKLODOWSKA, née à Varsovie (1867- 1934), la découverte du radium. (Prix Nobel, 1903 et 1911).

elle bénéficie au PLI d’une rubrique à elle toute seule ― la moindre des choses pour l’unique femme ayant reçu deux Prix Nobel ― qui met en relief, d’une part, le fait qu’elle fut la première femme titulaire d’une chaire à la Sorbonne et, d’autre part, son travail sur le radium, accompli après le décès accidentel de son mari en 1906.

6. Une image vaut mille mots

Les illustrations du Larousse ont assurément contribué à l’impact de cet ouvrage sur des millions de lecteurs au cours du dernier siècle. Qui n’a jamais regardé, dans un vieux Larousse, l’étonnante illustration du supplice de la roue ou été captivé par celle des pêcheurs de perles ? Un hommage bien mérité à ces délicieuses figures qui ont alimenté notre enfance est rendu à la section « Il y a un siècle » du PLI. Cela dit, la représentation visuelle de la science n’a certes pas échappé au travail de modernisation accompli au cours des cinquante dernières années, et de nombreuses illustrations de nature scientifique jugées désuètes ont été évacuées de l’édition moderne : argonaute, bouteille de Leyde, commutateur, électrophore, levier, marmite de Papin, système métrique, table de multiplication, phénakistiscope, stéréoscope, vases communicants en sont quelques exemples identifiés au hasard. L’exercice n’est évidemment pas gratuit, puisqu’il s’agit de faire de la place aux nombreuses nouvelles illustrations requises par l’évolution des sciences et technologies. Ainsi, sous la lettre M seulement, magnétophone, magnétoscope, marée, matière, méiose, météorologie, métro, micro-ordinateur, microphone, microscope électronique, mitose, ruban de Möbius, moelle, monocotylédone, muscle et mur du son ont trouvé la faveur des artistes du PLI.

Ce simple constat des ajouts et omissions est donc le reflet de l’évolution d’un domaine scientifique donné. Le sont aussi, cependant, les changements apportés aux illustrations qui survivent d’une édition à l’autre. Considérons, par exemple, celle qui accompagne le terme télescope au NPLI (Fig. 1). Elle n’est pas identifiée, mais n’importe quel astronome reconnaîtrait qu’elle représente le télescope Hooker de 2.5 m situé au sommet du mont Wilson et complété en 1917. Ce télescope n’était pas le plus grand télescope en activité en 1955, date de publication du NPLI, puisque ce rôle était alors tenu par le télescope Hale de 5 m au sommet du mont Palomar, en activité depuis 1948 . Cependant le télescope Hooker, avec son dôme de 500 tonnes et son utilisation révolutionnaire du mercure pour diminuer la friction dans le système d’entraînement du



Figure 1: Illustration à la rubrique télescope du NPLI. Elle représente le télescope Hooker de 2.5 m, installé en 1917 au sommet du mont Wilson, en Californie.

télescope, était considéré comme une merveille d’ingénierie pour l’époque (American Society of Mechanical Engineers, 1981) et avait probablement frappé l’imagination collective beaucoup plus que le télescope Hale, construit plus récemment : c’est en effet à l’aide du télescope Hooker que Hubble avait réussi à élucider la nature des nébuleuses spirales, et avec lui encore qu’il avait jeté les bases de la cosmologie d’observation en mettant en relief l’expansion de l’univers. Le choix de cette illustration spécifique pour le NPLI semble donc tout à fait justifié par le contexte historique. Dans le PLI, cette illustration a fait place à celle de l’étonnante grappe de quatre télescopes de 8.2 m qui composent le VLT (Very Large Telescope) au Chili. Bien que chacun de ces géants n’occupe que le quatrième rang dans la liste des plus grands télescopes en activité à l`heure actuelle, leur impressionnante concentration au sommet du Cerro Paranal frappe assurément l’imagination de façon tout aussi efficace que l’avait fait le télescope Hooker en 1955. Le choix de cette illustration pour l’édition moderne semble donc, lui aussi, largement justifié.

7. Conclusion

Comme le rappelle le site Web des Éditions Larousse, la mission que s’était fixée Pierre Larousse était de produire un dictionnaire encyclopédique « où l’on trouvera, chacune à son ordre alphabétique, toutes les connaissances qui enrichissent aujourd’hui l’esprit humain », de façon à « instruire tout le monde sur toutes choses ». Le Petit Larousse n’a assurément pas failli à la tâche : le NPLI et le PLI sont bien deux ouvrages d’envergure encyclopédique. Individuellement, ils sont tous deux un reflet fidèle de leur époque. Contrastés l’un à l’autre, les changements perceptibles de forme et de fond qu’ils révèlent permettent de mesurer l’extraordinaire explosion des connaissances qui a accompagné le dernier demi-siècle et d’admirer l’habileté et la mesure des comités de rédaction confrontés aux défis posés par cette explosion.

Aucun lecteur du Petit Larousse ne peut rester insensible à l’ampleur des connaissances diffusées par cet ouvrage, qui reste inégalée. Dans le domaine scientifique, le Petit Larousse est, encore aujourd’hui, un dictionnaire de choix, dont la polyvalence ne cesse d`étonner : il sert avec brio celui qui y cherche simplement le sens d’un mot (qu’est-ce que la « télétoxie » ?), permet de faire des distinctions subtiles entre divers termes pourtant semblables (quelle est la différence entre un météore et une météorite ?), fournit des détails d’intérêt pour le spécialiste averti (combien de gluons sont vecteurs de l’interaction forte ?), cite des valeurs numériques précises de certaines quantités (quelle est la vitesse du son dans l’eau ?), et calme même nos angoisses au sujet des noms propres (quel était donc le vrai nom de Paracelse ?).

Le Petit Larousse est la preuve qu’il est possible pour un dictionnaire, tout en étant généraliste, de satisfaire également le spécialiste. Ainsi, aujourd’hui encore, l’incontournable Semeuse reste l’incarnation parfaite de cette volonté didactique qui, il nous semble, révèle clairement le profond amour de Pierre Larousse pour l’enseignement, son premier métier.

Références

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Westfall, Richard S., 1980, Never at Rest, A Biography of Isaac Newton, Cambridge, Cambridge University Press.

Whitesides, George et Christopher Love, 2001, « L’art de la nanoconstruction », Pour la Science, no. 290, p. 86-93.

www.larousse.fr/qui/fondateur.asp (13 décembre 2004)

1 Ce travail a bénéficié de l’aimable collaboration de MM. Jean-Claude Boulanger et Robert Lamontagne.


2 Tant le NPLI que le PLI incluent une entrée pour Robert Brown dans la section des noms propres. Celle du NPLI inclut cependant une mention de sa découverte du « mouvement oscillatoire des particules infiniment petites dans les liquides », mention qui complète la définition donnée dans la rubrique des noms communs ou, suivant le point de vue, lui nuit puisque le « mouvement incessant » est maintenant devenu « oscillatoire » . Cette mention semble essentielle, cependant, puisqu’il n`y a aucun moyen, dans le NPLI, de rattacher brownien à Robert Brown.

3 On peut cependant regretter que ni le NPLI ni le PLI n’ont d’entrée pour le chimiste Christian Friedrich Schönbein (1799-1868), découvreur de l’ozone.

4 A. Kastler (1966), L. Néel (1970), P.-G. de Gennes (1991), G. Charpak (1992), et C. Cohen-Tannoudji (1997).

5 L’épisode des miroirs, en particulier, est loin d’être avéré. Comme le note encore récemment Ingram (1998), la première mention de la destruction de la flotte romaine apparaît quatre siècles après l’incident, alors que la première mention de l’usage de miroirs attendra sept siècles.

6 Notons ici que la consultation d’une version intermédiaire du Nouveau Petit Larousse, édition de 1970, révèle un texte hybride, qui inclut à la fois des éléments anecdotiques déjà abrégés et une description beaucoup plus détaillée que celle du NPLI des contributions d’Archimède à la géométrie.

7 Voir, par exemple, Westfall (1980, p. 154-155).

8 Plus exactement, le PLI mentionne sa construction du « premier télescope utilisable », tournure erronée qui ne reflète assurément pas l’originalité de la contribution de Newton.

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