Alicia Roehrig et Thomas Reverdy








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11.La relation de sous-traitance 


Le projet étudié comporte différentes couches d’acteurs : le client, les titulaires (le consortium), leurs sous-traitants mais aussi les sous-traitants de leurs sous-traitants. Or ces acteurs n’ont pas le même niveau d’exigence en matière de sécurité, n’ont pas la même expérience des situations, ils n’ont pas les mêmes pratiques. Les relations contractuelles encouragent l’autonomie des contractants dans les méthodes de réalisation : le donneur d’ordre n’a donc pas toujours la possibilité d’imposer une mesure de prévention.

Différentes niveaux d’exigences en matière de sécurité


La première difficulté pour le déploiement de la sécurité sur le chantier vient de ce que chacune de ces organisations possède une vision de la sécurité particulière. Cette vision est façonnée par plusieurs éléments : la culture prédominante du cœur de métier : la sécurité n’est pas traitée de la même façon dans le domaine du nucléaire que dans celui de la construction par exemple, elle varie aussi en fonction des objectifs des différentes organisations, de leur degré de responsabilité vis-à-vis de la loi, de leurs ressources, etc.

Ainsi, au fur et à mesure qu’on descend au bas de la chaîne, la sécurité prises sous toutes ses formes (des procédés, du chantier, etc.) apparaît comme une donnée parmi d’autres, voire même comme une contrainte. Au top de la pyramide, nous avons le client : ses exigences en matière de sécurité sont très pointues et très élevées, mais ces exigences sont essentiellement formelles et ce n’est pas lui qui est directement en charge de leur mise en œuvre. De plus ses exigences sont souvent rappelées et précisées après contractualisation avec les titulaires et les sous-traitants : rappeler les exigences de sécurité ne lui coûte rien à la différence du sous-traitant, qui doit appliquer les exigences.

Ensuite, nous avons le consortium. Les entreprises sont davantage prises dans des contraintes de délais et de coûts fixés lors de la contractualisation avec le client. L’entreprise titulaire TITU, qui a conçu l’installation, a un rôle de prescripteur vis-à-vis de STT en ce qui concerne les modes opératoires. Enfin, nous avons l’organisation STT, qui est sous-traitante de TITU et qui est une entreprise étrangère. Les travailleurs du chantier appartiennent essentiellement à STT, c’est donc STT qui concrètement applique ou non les exigences de sécurité, et qui l’assume financièrement le plus souvent. Le titulaire et le sous-traitant sont censés avoir anticipé les exigences de sécurité et prévu le budget nécessaire dans leur réponse à l’appel d’offre. Au cours du chantier, ils ont plutôt intérêt à minimiser ces exigences pour ne pas impacter leur budget.

On retrouve aussi entre titulaire et sous-traitant le même type de conflit d’intérêt qu’entre donneur d’ordre et titulaire : en effet, lorsque le sous-traitant a construit son offre pour répondre au cahier des charges du titulaire, et même si ce dernier défini les modes opératoires, le sous-traitant doit prévoir les dispositifs de prévention et en assumer le coût. Aussi, les exigences que le sous-traitant n’a pas anticipé et qui occasionne des coûts supplémentaires sont bien sûr à sa charge.

L’équipe HSE du titulaire : principal prescripteur de la prévention

En tant que titulaire, concepteur et maître d’œuvre du chantier, TITU assume l’essentiel du travail de prévention sur le chantier, avec une équipe importante : 4 personnes spécialisées HSE sur une quinzaine de personnes. Leur bureau dans les locaux du chantier est placé de façon centrale, de sorte que la plupart des autres membres passent devant pour communiquer avec eux. Chaque HSE est l’interlocuteur privilégié d’une autre organisation : HSE1 avec le client (appelé CLI), HSE2 avec STT (son sous-traitant principal).

Le fait que le personnel HSE soit positionné de façon centrale dans l’organisation participe aussi à la multiplication des échanges qu’ils soient formels ou informels sur des questions de sécurité avec les autres membres de l’équipe. Ainsi, les espaces de discussion qui lui sont consacrés sont nombreux. Le déploiement important de ressources humaines pour la sécurité permet à TITU de gérer sur le terrain des situations qui n’ont pas pu être anticipées en amont par les concepteurs de TITU.

Les HSE de TITU détiennent un ensemble de compétences reconnu par le reste de l’équipe qui partage les problématiques de sécurité dans une optique de réduction des risques. Ces compétences se traduisent par un savoir technique permettant de comprendre les enjeux des installations mais aussi par l’expérience et les connaissances réglementaires. Par cette polyvalence, ils sont incontournables pour les différents acteurs.

« Il y a besoin souvent d’avoir la partie HSE en soutien pour apporter une expertise ou des conseils » (Une HSE qui provient du siège et qui au moment de l’immersion est présente comme soutien au reste de l’équipe en attendant qu’un nouveau HSE soit recruté).

Comme nous avons pu le constater au cours des entretiens, les HSE de TITU sont régulièrement sollicités par le reste de l’équipe, souvent de façon informelle, qui lui signale des écarts à la sécurité, soit par oral soit par mail. Ils sont aussi sollicités pour préciser une exigence légale.

Le management chez TITU cherche aussi à ce que tous les membres de l’équipe se sentent concernés par cet aspect du projet. Cela se traduit notamment par le « challenge sécurité » qui a lieu entre les différentes équipes projet de l’organisation dans son ensemble. L’équipe a proposé une méthode pour contrôler les fumées de soudage.

Le sous-traitant face aux contradictions entre exigences

STT dispose de beaucoup moins de personnel d’encadrement et de personnel technique. Ce manque de ressources de STT entraîne de gros problèmes de coordination et de communication. La remontée des écarts et des alertes n’est pas encouragée au sein de STT, l’écoute de l’encadrement est faible dans un contexte où ce dernier face à une grosse pression planning. Ils font l’expérience très concrête et très directe des contradictions entre les objectifs de coût, de sécurité ou de qualité.

Autrement dit, le principal lieu où s’exercent les arbitrages entre la sécurité et les autres exigences du projet est l’entreprise STT, mais c’est aussi celle qui est finalement la moins dotée en compétence technique et en ressource managériale pour le faire.

Dans la définition précise et l’application des exigences de sécurité, le client est en quelque sorte obligé de faire confiance (toute relative) au sous-traitant, d’attendre de lui un comportement honnête, car il ne maîtrise pas bien son domaine de spécialisation. La relation est asymétrique au regard des compétences et des connaissances dans la relation entre les deux parties (Pinto, 2014). Cette autonomie se traduit dans les relations du titulaire (TITU) vis-à-vis du client, de STT vis-à-vis de TITU.

Cette autonomie transparaît également dans la façon de faire remonter les informations du terrain, et d’identifier les situations à risque et de gérer la prévention. Chaque organisation a gardé son système au risque de créer la confusion. Il existe par exemple plusieurs manières de faire remonter les écarts sur le chantier, et de nombreux registres pour en assurer le suivi et la résolution.

Dans ce contexte de grande autonomie des sous-traitants, où le travail de préparation est assez faible, on peut se demander comment le projet fonctionne, comment les acteurs parviennent à s’entendre et comment la sécurité est maintenue. L’étude des interactions permet de comprendre comment la grande proximité des acteurs est un des facteurs de réussite du projet et permet de compenser les faiblesses du travail de préparation en amont.

Culture nationale et culture de sécurité


Dans le cadre de ces collaborations entre des entreprises contractantes et sous-traitantes, les grands projets se trouvent aussi souvent au croisement des différentes cultures nationales des acteurs impliqués. La question se pose alors de savoir si cette collaboration n’est pas rendue plus compliquée par ces différences, et si certains paramètres comme la sécurité ne dépendent pas en partie de la culture nationale des opérateurs. Ainsi, dans une étude sur des opérateurs de six pays différents, des recherches ont pu identifier une corrélation entre certains des critères culturels de Hofstede et la propension des opérateurs à avoir des conduites à risque. Parmi les 5 critères choisis, - la distance au pouvoir, la tolérance à l’incertitude, l’individualisme, la masculinité et l’orientation à long terme (Hofstede, 2010), l’étude montre ainsi qu’une forte masculinité et une distance au pouvoir importante favorisent les conduites à risque et peuvent impacter la performance sécuritaire de l’entreprise (Mearns, 2008).

Néanmoins, cette même étude tempère aussi ce résultat en précisant que l’influence de critères plus proches est davantage significative. Notamment, l’article identifie l’engagement des managers comme un facteur de plus grande importance. De la même façon, il démontre les limites de l’influence de la culture nationale en précisant les résultats obtenus par des suédois et des danois sur le plan de la sécurité sur un chantier de construction : bien que ces deux cultures soient très similaires selon les critères de Hofstede, les résultats diffèrent beaucoup selon les nationalités des opérateurs. Ces différences s’expliquent notamment par une formation, un mode de rémunération, et une organisation différents, plutôt que par des différences nationales. La question des problèmes de collaboration se posera donc davantage en termes de culture d’entreprise – implication du management, organisation – qu’en termes de culture nationale.

Cependant, dans le cas qui nous intéresse, nous avons pu constater une grosse différence entre TITU et son sous-traitant STT étranger au niveau de la culture sécurité, notamment au niveau des pratiques. Cette différence vient de la culture nationale : en France la législation sur la sécurité dans les chantiers est assez exigeantes, c’est moins le cas dans le pays d’origine du sous-traitant. Ce qui explique aussi que le sous-traitant n’anticipe pas toujours correctement les exigences de sécurité de l’entreprise titulaire ou de l’entreprise cliente.

De plus, ces différences de perception des exigences sont complexifiées par les problèmes linguistiques (Kjellén, 2011, Tam et al., 2011). C’était parfois le cas lors des réunions de TITU avec son sous-traitant STT. Les rencontres se faisaient en anglais mais les acteurs ne se comprenaient pas toujours et des petits groupes de discussions émergeaient en français et dans la langue du pays d’origine, complexifiant la situation, au détriment de l’efficacité de la rencontre.

Alors que certains sous-traitants du consortium sont habitués à remonter régulièrement les alertes, les erreurs et à communiquer facilement sur leurs difficultés, d’autres ne le font pas car ce n’est pas dans leur culture professionnelle. Il existe donc une grande variété de pratiques managériales de la sécurité, sur lesquelles les donneurs d’ordre et les titulaires n’ont pas toujours prise.

Non, mais y’a peut-être ça aussi mais c’est que de façon générale, ils n’aiment pas trop se plaindre quoi puisqu’après c’est mal vu et par rapport à l’entretien annuel qu’ils passent là… Que ce soit côté génie civil ou côté métallo, les gens sont durs etc. donc heu…Se plaindre c’est un peu passer pour une chochotte etc. (HSE1, TITU).
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