Des hauts et Débats
Présentateur : P
Concepteur du jeu : CJ
Professeur à Polytechnique, Auteur « La France après le fossile » : AF
Ingénieur EDF, Auteur « La France en énergie » : EF
P : Bonsoir à tous et à toutes.
Suite à un accord financier entre l’OPEP et la Russie, le prix du baril de pétrole vient de grimper. Deux jours seulement après cette augmentation soudaine, la population française s’inquiète. La présidente Nicole Sathier prévoit d’accélérer les mesures qui permettront à la France de s’affranchir petit à petit des fournisseurs d’or noir. Mais la France est-elle prête à remplacer le pétrole ?
Pour essayer de répondre à cette question, nous accueillons ce soir sur le plateau de « Des hauts et débats » trois invités spéciaux qui ont accepté de participer à cette émission en direct. Thomas Pilliterri, ingénieur chez EDF et auteur du livre «La France en énergies » édité aux éditions Aperçu. Hugues Dalle, docteur en physique, professeur de science à Polytechnique et auteur de l’ouvrage polémique « La France après le fossile » édité aux éditions Mirandole. Enfin, Jean Carnesecchi, concepteur du jeu « la course à l’énergie » récemment publié par T.H.A.J.
Alors, M Pilliterri, pouvez-vous nous faire un bref résumé de la situation énergétique actuelle en France ?
EF : Bien sûr ! Il faut savoir qu’aujourd’hui, la production d’électricité française est divisée en trois grandes sources : le nucléaire qui représente environ 73% de notre production totale, l’hydraulique avec grossièrement 14% de l’électricité française et le thermique à flamme, à peu près 8%. Dans les 5% restants, comptez l’éolien, le solaire, la géothermie ainsi que toutes les énergies encore peu développées mais promises à un grand avenir
P : Qu’entendez-vous par « un grand avenir » ?
EF : J’entends que d’ici une cinquantaine d’années, nous n’aurons plus de pétrole
P : Nous parlerons justement des réserves de pétrole un peu plus tard pour plus de précisions.
EF : Bien. Donc, quand nous n’aurons plus de pétrole, que nous restera-t-il ? Le nucléaire et les énergies renouvelables. Et bien nous savons que les énergies renouvelables sont destinées à se développer de façon considérable dans les prochaines décennies. La France produit, comme je l’ai dit, assez peu d’électricité d’origine renouvelable. Or, voyez les autres pays du monde ! Le Japon arrive à produire 200 fois plus d’électricité que nous, avec un territoire deux fois plus petit ! Nos voisins les allemands possèdent 30GW de puissance éolienne installée quand nous en avons moins d’un 1. La France a encore une marge certaine dans le domaine des énergies renouvelables. Encore faut-il qu’elle les exploite. Là réside toute la difficulté.
P : Sans aucun doute. Avez-vous quelque chose à ajouter, Mr Dalle ?
AF : Je suis tout à fait d’accords avec M Pilliterri. Nous avons une marge, c’est sûr, mais ce n’est pas tout. Nous sommes au XXIème siècle, en plein dans l’ère du progrès : les moyens techniques évoluent et deviennent de plus en plus performants. Les éoliennes de demain produiront beaucoup plus que celles d’aujourd’hui. Les projets sont légions, je pourrais vous en citer quelques un…
P : Bonne idée !
AF : Bien. Pour rester sur l’éolien, par exemple, on envisage des projets assez fantastiques. Pour les plus simples, on pense à des sortes d’ailes qui décrivent des immenses huit dans le ciel, leur conférant ainsi une plus grande productivité. On imagine aussi une sorte de voile de kitesurf qui, en tournant en l’air, tirent une corde qui actionne un alternateur. Et ce ne sont pas les projets les plus fous ! Imaginez des petites éoliennes accrochées les unes aux autres comme les mailles d’un filet, entrainés par des vents forts et constants, et cela à une dizaine de kilomètre d’altitude.
P : Dix kilomètres ?
AF : Je vous avais prévenu, ces projets peuvent sembler irréels, et même s’ils sont aujourd’hui irréalisables, qui sait ce nous prévoit l’avenir. De plus, l’avenir n’est peut-être pas si loin qu’on pourrait le croire ! Des éoliennes offshores, situées sur les mers, ont déjà été installés près de la Bretagne. Et ne croyez pas que les autres énergies soient lésées, loin de là. Figurez-vous que l’on prévoit même d’envoyer des panneaux solaires dans l’espace !
CJ : Je confirme. Quand nous avons conçu notre jeu, nous avons consulté des experts en énergie, notamment sur leur avenir. Nous avons ainsi découverts tous ces projets, farfelus pour certains, et nous avons essayé de les inclure en fonction de l’intérêt qu’ils pourraient avoir. Par exemple, nous avons retenu le solaire à concentration, l’éolien d’altitude dont parlait M Dalle, ou encore les améliorations possibles du nucléaire.
P : Et votre jeu, est-il proche de la réalité ?
CJ : Oui et non. C’est assez difficile à affirmer, car nous avons transposé la réalité au travers de codes du jeu. Tout en essayant de garder un aspect aussi réaliste que possible, nous avons dû faire des compromis, des exagérations, des simplifications. De plus, la plupart de nos données sont statistiques, donc contiennent forcement une marge d’erreur. Je le répète : il est très difficile de garder tous les aspects d’une énergie si l’on veut l’utiliser dans les codes simplifiés d’un jeu.
P : Pourriez-vous nous le présenter ?
CJ : Bien sûr ! ...
P : Merci pour cette explication complète. Des remarques ?
AF : Oui, je voudrais vous demander si votre jeu donne des résultats cohérents par rapport aux estimations actuelles.
CJ : C’est assez difficile à dire. L’avenir n’est pas certain et les pronostics sont variables. On ne peut prévoir que les grandes lignes, comme la fin du pétrole, les évolutions techniques… On peut considérer que les résultats obtenus à l’issue d’une partie sont relativement justes… Je m’explique : à la fin d’une partie, on observe une grande majorité d’énergie renouvelable alors que le nucléaire n’occupe plus qu’une part assez faible. Avant une quelconque remarque de votre part, je tiens à préciser que lors des derniers tours, il ne reste plus que les énergies renouvelables et le nucléaire, ce qui fausse forcément les résultats. Nous disposerons sans doute d’autres énergies dans notre avenir.
P : Je pense qu’il est temps que vous nous donniez votre avis sur notre avenir, M Dalle.
AF : Merci. Personnellement, je pense que notre avenir énergétique se composera majoritairement du nucléaire. Voyez-vous, le nucléaire tel qu’il est aujourd’hui n’est plus viable, voyez Fukushima, Tchernobyl… L’erreur humaine est toujours possible. Toutefois, le nucléaire tel qu’il est envisagé représente bien moins de risques. Prenez par exemple la fission du thorium. Cette technique est moins dangereuse, plus productive moins polluante. Il ne reste plus qu’à développer les technologies dans ce secteur. Mieux encore, la fusion nucléaire. Un projet encore irréalisable, mais voyez à quelle vitesse évoluent les technologies modernes. Le principe est le même que dans le cœur des étoiles : à l’aide d’une formidable pression et d’une température tout aussi énorme, les atomes d’hydrogène confinés par des gigantesques électro-aimants fusionnent et libèrent une énergie phénoménale. Le projet ITER situé à Cadarache devait permettre une avancée fantastique dans ce domaine, mais des contraintes physiques et économiques ont définitivement enterré le projet. Songez qu’il avait couté plus de 10Ga$ ! Les pays les plus riches du monde s’étaient associés dans cette entreprise pharaonique qui n’a hélas pas porté les fruits prévus. Tout n’est pas noir, cependant. Nous en avons retiré de grandes connaissances techniques.
P : C’est un fait ! Pourriez-vous mettre ce que vous venez de dire en perspective avec les autres énergies ?
AF : Oui, bien sûr. Comme je l’ai dit, le nucléaire va se développer en parallèle des énergies renouvelables. Même si celles-ci évoluent, le nucléaire gardera toujours une place prépondérante dans nos sources d’électricité. Jugez-en : au moins 73% de notre électricité provient des atomes que l’on casse. Il est impossible de faire diminuer drastiquement ce chiffre. Notre dépendance est telle que nous ne pouvons tout au plus que réduire légèrement notre utilisation du nucléaire.
P : Sauriez-vous nous expliquer d’où vient cette attachement des français au nucléaire ?
AF : Cela date du XX siècle, quand la France avait encore un grand empire colonial. Malgré les grandes possessions en Afrique et en Asie, il manquait à l’époque une ressource importante à la France : le pétrole. Baser une grande part de sa production d’électricité sur cette ressource aurait impliqué une importation massive de pétrole, ce qui, économiquement, n’aurait pas été une bonne chose. Toutefois, dans certains pays d’Afrique, on trouve de grandes réserves d’uranium. La France a alors pioché dedans. Le résultat est notre situation actuelle : nous sommes toujours centrés sur le nucléaire.
P : Merci pour cette petite leçon d’histoire. M Pilliterri, que pensez-vous de l’avis de M Dalle sur notre avenir ?
EF : Je ne suis pas tout à fait d’accords avec M Dalle. Les énergies renouvelables peuvent produire une quantité phénoménale d’énergie, pour peu que l’on favorise leur développement. Et c’est ce qui se passe ! Sachez qu’il suffirait de couvrir une étendue grande comme le Sahara pour fournir l’électricité du monde entier, que la mer produit plus de mille fois ce que l’humanité consomme… Ce sont des sources d’énergie incommensurables, infinies !
AF : Peut-être, mais les exploiter risque de perturber les écosystèmes et l’environnement.
EF : Ecoutez, Mr Dalle. Si nous devions nous attarder sur chaque détail de toutes les sources d’énergies, nous y serions encore la semaine prochaine ! Il est vrai que toutes ces sources d’énergies ont un impact sur leurs environnements. Par exemple, les hydroliennes peuvent avoir des conséquences dramatiques sur les fonds marins. Les barrages, quant à eux représentent des obstacles pour la migration de certains poissons comme le saumon. Toutefois il faut se rappeler que les emplacements de ces différentes centrales sont étudiés de manière à ce qu’aucune hydrolienne ne se trouve sur une barrière de corail ou au beau milieu d’un écosystème marin ! Pour les barrages, il existe des ascenseurs à poisson qui permettent la cohabitation de l’homme et de la faune…
AF : Peut-être, mais vous oubliez que…
EF : Attendez, je vous prie, je n’ai pas fini ! Si vous trouvez que les énergies renouvelables ont des conséquences sur l’environnement, qu’en est-il du nucléaire ? Du fossile ? Du thermique ? Faut-il vous rappeler le danger des gaz à effet de serre, des déchets radioactifs, sans parler des accidents déjà évoqués ? Je pense que l’on peut affirmer que les énergies renouvelables, même si elles peuvent abimer certains écosystèmes, sont plus respectueuses de l’environnement que les énergies fossiles.
P : Oulla ! C’est une vraie condamnation que vous faites !
EF : Evidemment, j’exagère, mais l’idée que j’essaye de faire passer est que l’on ne peut pas critiquer les énergies renouvelables respectueuses de l’environnement quand l’on défend la cause de celles qui sont potentiellement les plus dangereuses et nocives ! A la rigueur, vous pouvez être sceptique de la progression des énergies renouvelables mais pas de leur respect pour la nature.
CJ : Je trouve, monsieur, que vous condamnez un peu trop le nucléaire que nous utilisons aujourd’hui en le comparant avec les énergies renouvelables de demain ! Ayons les yeux en face des trous et soyons cohérents au niveau des dates ! Nous avons déjà évoqué le progrès du nucléaire par la fission du thorium ou la fusion d’atomes d’hydrogène. Il faut bien se dire que toutes les énergies vont évoluer en même temps. Ce n’est pas parce que nous progresserons dans le domaine du solaire que les énergies marines seront délaissées. Le nucléaire saura évoluer, à l’instar des énergies renouvelables.
EF : Oui c’est vrai, mais comme Monsieur Dalle l’a dit plus tôt, les déchets nucléaires seront moins nocifs, mais pas inoffensifs. C’est ce point que je voulais souligner.
CJ : Avec le thorium, peut-être, mais pas avec la fusion ! Et remarquez que le thorium ne produit que très peu de déchets. Le nucléaire du futur n’est pas comparable à celui d’aujourd’hui. Enfin, en théorie. Nous ne sommes pas encore demain, nous ne faisons que prévoir, deviner.
P : Bien. Nous avons beaucoup parlé des dangers que représente le nucléaire, mais ce danger existe-t-il chez les énergies renouvelables ?
AF : Il existe, en quelque sorte... Les risques sont minimes, mais sont bel et bien réels. Prenez par exemple le barrage de Malpasset qui céda en 1959 en raison d’une mauvaise assise sur les roches. Il a ainsi causé la mort de 421 personnes. Le risque de rupture est faible, mais le danger en est d’autant plus grand. C’est exactement la même chose pour le nucléaire. Il n’y a eu que peu d’accidents de grande importance, mais voyez les conséquences ! Pour revenir aux risques du renouvelable, je dirai qu’à part de rares incidents provenant pour la grande majorité de l’hydraulique, le danger est insignifiant. Le solaire représente-t-il une menace ?
CJ : Je crois que vous oubliez le danger provenant de la biomasse. Aux Etats-Unis, des tonnes de pesticides sont utilisés chaque année, empoisonnant ainsi le golfe du Mexique. Des espèces animales meurent à cause de cet abus d’engrais et d’insecticides. Je vous rappelle aussi que les terres utilisées pour faire pousser du colza utilisé dans les biocarburants ne sont plus disponibles pour la culture vivrière. Dans certains pays, les populations meurent de faim alors que les champs produisent du pétrole vert.
P : Revenons justement au pétrole. Quels sont les pronostics ?
AF : C’est une question difficile que vous posez ! Les réserves de pétrole sont très variables car il faut savoir jusqu’où l’homme est prêt à aller.
P : Que voulez-vous dire ?
AF : Nous savons que de grandes réserves sommeillent au fond des océans, mais sommes-nous prêt à polluer les mers ? Allons-nous sacrifier notre planète pour quelques années de pétrole en plus ? Nous savons aussi qu’un cinquième des réserves totales de pétrole se trouve sous les glaces de l’Antarctique. Encore une fois, irons-nous polluer ces endroits encore vierges ?
EF : N’oubliez pas les ressources potentielles des sables bitumineux. Au Canada, on exploite ce pétrole lourd en le traitant à grand renforts de chimie. Cette possibilité pollue elle aussi énormément, et dévaste les paysages. De plus, elle est extrêmement consommatrice en eau douce. Et pourtant, ces sources qu’autrefois les industriels boudaient sont aujourd’hui exploitées, la faute aux réserves qui diminuent. Voyez-vous, le besoin nous pousse à des extrémités peu souhaitables. Quel monde allons-nous léguer aux générations futures ?
CJ : J’ajouterai que, quand bien même il nous resterait un siècle de pétrole, il est plus que temps de se séparer de cette énergie qui abime la planète. C’est aussi valable pour le charbon et le gaz. Saviez-vous que 80% de l’électricité chinoise et 68% de l’électricité indienne proviennent de centrales à charbon. Les pays en développement sont de grands consommateurs d’énergie, pour le malheur de l’environnement. Même les énergies renouvelables ne sont pas exempts de ravages : le barrage des Trois Gorges en Chine, le plus grand au monde, à noyé une immense vallée dans son lac artificiel. Au brésil, le barrage de Bello-Monte donne les mêmes résultats.
P : Je vous trouve bien virulent. Seriez-vous contre toutes les sources d’énergies ?
CJ : Bien sûr que non ! Je veux simplement dire que l’on n’a rien sans rien : pour produire de l’énergie, il faut la puiser quelque part. Il ne suffit pas qu’une énergie soit renouvelable pour ne pas être dangereuse pour l’environnement. L’homme doit forcément faire un compromis entre son besoin en énergie et la préservation de son milieu.
EF : Justement ! Des scientifiques ont trouvé une solution pour remplacer les énergies fossiles dans les moteurs sans pour autant occuper les terres arables. Une espèce d’algue produit une huile qui peut être utilisée, après traitement, dans les biocarburants. Les avantages de cette idée sont que ces algues ne consomment pas d’eau douce et qu’elles produisent beaucoup plus que les plantes terrestres. Si l’on développe cette solution, nous n’aurons un jour plus besoin d’énergie fossile pour nous déplacer.
P : Ce sera le mot de la fin. Donc, pour conclure, on peut dire que les énergies ne sont ni totalement noires, ni totalement blanches. L’avenir des énergies françaises est encore partagé entre un possible nucléaire amélioré et des énergies renouvelables en développement. Nous nous retrouvons pour vos questions après une page de publicité. |