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Allons enfants Aymeric de Heurtaumont ALLONS ENFANTS ! - Roman - Février 1916. Je m’appelle Ciremya ! La lecture à l’envers de mon vrai prénom. On m’appelle comme cela parce qu’il est trop germanique. Pensez donc ! Aymeric !!! A l’annonce de ma naissance en 1905, les anciens du village ont protesté d’une seule voix. -Un fils de notre village ne peut porter le blaze d’un fritz… -On’sait jamais ! Mon père et ma mère trouvaient cette position ridicule… Mais que dire à des anciens traumatisés de la guerre de 1870 ? Ce matin, Louis, le préposé de la poste du canton nous a apporté des nouvelles du front. Il s’enlisait depuis quelques semaines à l’Est. Il est arrivé maladroitement à cheval sur sa bicyclette comme il le fait tous les jours et assez tôt de sorte de pouvoir s’accorder une courte pause chez Lucien. Lucien ! C’est le patron du seul bistrot du village. Clapotant d’un bord à l’autre de la route départementale, Louis était déjà rempli du bon cidre offert par les paysans à chacune de ses haltes. Les uns à la suite des autres, chacun de ses arrêts à discuter du temps rendaient son labeur de plus en plus périlleux. -Rapport aux ballonnements gazeux d’mon pauv’ventre, j’prendrais plutôt un p’tit verre de ton si bon calva. De temps en temps, il repartait en titubant aux côtés de sa monture, bien incapable alors de l’enjamber sans risquer de tomber sur le gravier de la cour. Parfois, on le retrouvait un peu plus loin endormi dans un fossé. Quelle que fut la saison, la météo ou son état physique, Louis se sentait fortement responsable d’apporter au bon endroit les nouvelles d’un membre éloigné d’une famille. Le plus souvent, il amenait dans sa sacoche de cuir qui pendait en bandoulière du bonheur, parfois du malheur, recueillait les premières larmes de joies ou de tristesse, félicitait ou consolait de ses grands bras. Depuis le début de la grande guerre, les villageois recevaient du courrier en plus grand nombre que d’ordinaire, chacun ayant un ou plusieurs membres de sa famille répartis sur les lignes qui se dressaient majestueuses face à l’Allemagne de l’Empereur Guillaume et de ses alliés. Comme les adolescents de mon village pas encore en age de porter un fusil, je la trouvais injuste car elle avait emmené avec elle tous nos hommes, ne laissant que les vieillards, les enfants et les invalides comme aide stérile pour des femmes épuisées d’attendre que le Prévost ne vienne leur annoncer la mort en héros de leur mari parti si loin. Dès que le Prévost franchissait la cour d’une ferme, le glas rompait le silence des champs, battait les haies, les bois et les étangs, puis venait mourir dans chaque cour de chacune des quinze fermes de Brivegny. Le jeune Alire qui nourrissait le troupeau de noiraudes reçu de son père tombé pour la France l’année passée, se demandait bien pour qui on le sonnait cette fois. Depuis la veille, la neige recouvrait les valons du bocage, étouffant les bruits habituels d’une nature en chantier à l’approche de son renouveau, comme si ses bruits naturels venaient uniquement des racines enfouies dans la terre que cultivaient les hommes pour leur vie. Lorsque la terre était couverte de son blanc manteau, tous les sons de la nature étaient étouffés, si bien que plus aucun filtre ne temporisait les meuglements de cette vache à qui le vétérinaire était en train de tirer son veau qui peinait à venir au monde ou ceux des fermiers qui les rassemblaient pour la traite. Notre bâtard attaché à sa chaîne aboya à l’approche de Louis dont il n’aimait ni l’uniforme ni l’odeur du bonhomme ; il tira sur sa chaîne à la faire rompre et grogna crescendo jusqu’à ce que je fasse claquer le fouet qui servait à faire avancer le troupeau lorsque je le changeais de cotis. Louis s’approcha prudemment et lui caressa généreusement les flancs. -Alors mon pépère hein ? Depuis le temps que je viens là, tu ne me reconnais toujours pas ? Le chien se mit sur le dos en tirant la langue et se laissa aller à cette bonne caresse. Je compris alors que le bâtard, pas si idiot que ça, s’amusait à grogner pour ce petit moment tendre à chaque passage de Louis. - Il se fout bien de notre gueule ce maudit cabochard, dans le fond je l’aime bien ton chien. Alors Ciremya où qu’il est déjà ton père ? -Je crois qu’il se trouve encore ans la région de Verdun. -Maudit gars… Il n’est pas veinard ton père, les casques à pointes ont repris le combat là bas, bien décidés à en péter le verrou. Plus de mille obusiers ont été envoyés en renfort la semaine dernière et les tirs d’artilleries pilonnent nos lignes sans relâches. -Il n’a qu’à baisser la tête et attendre que ça passe. -Attendre que ça passe, t’en as de bonne toi mon garçon. C’est pas si simple, les troupes d’infanterie boches s’élancent entre les salves à l’assaut des tranchés. Paraît même qu’elles utilisent des gaz et des machines qui lancent du feu ! -Il s’en sortira bien et je suis sûr qu’il reviendra bientôt, dis-je d’un ton rassuré. Dieu t’entende mon garçon. Pour qui sonne le glas cette fois ? -Ah, le glas ! C’est Emile qui est mort -Pauvre Léontine. -C’est la guerre Ciremya et encore si t’avais connu les campagnes de 70, c’était autre chose en ce temps là. Quand on était touché on crevait, quand on ne l’était pas on crevait quand même de nos blessures que personne ne soignait. La guerre moderne soigne ses blessés mon garçon ce qui laisse une sacré chance à ceux qui ne sont pas pulvérisés. Les armes tirent plus loin qu’avant ce qui permet d’éviter les contacts et de sentir la lame de la baïonnette ennemie vous transpercer la vareuse ou celle du sabre du cavalier qui vous tranche les carotides en une seule volée. -Avec un peu de veine, je ne connaîtrais jamais la guerre. -La guerre fait notre honneur et nos hommes, il faut être fier de ce que la patrie en danger te commande de la faire un jour. -La guerre ne fait que des hommes morts et l’honneur d’une patrie qui trempe ses pieds dans les larmes de ses filles et de ses enfants ne vaut rien. -Parles pas comme cela maudit gamin, tu vas porter la poisse à la Nation toute entière… Louis se grattait maintenant le haut de la cuisse que Vulcain humait de sa truffe mouillée et tiède pendant que de l’autre main il fouillait le fond de sa sacoche. Il avait reçu la veille au bureau de poste tout un tas de cartes et de lettres venues du front que le vaguemestre militaire stockait pour limiter les envois. Des économies, voilà ce que la République réclamait de ses sujets. Tant pis pour les impatients en manque de nouvelles, il leur fallait attendre que le tas soit suffisamment dense pour que la distribution soit assurée par autant de Louis dont le pays disposait en cette fin d’hiver 1916. Des lettres, il en avait deux, une pour ma mère et une autre pour moi. Enfin des nouvelles de mon père qui se languissait de ne pouvoir nous revoir. L’Etat major n’indiquait pas de date de permission depuis que les « fritz » avaient repris les combats dans la région de Verdun où il était stationnée depuis trois mois. Il avait été légèrement blessé à l’épaule lors d’un affrontement avec une section allemande qui avait tenté de percer sa ligne de défense. En dépit de nombreuses victimes poilues, lui et ses camarades avaient tenu bon pendant trois jours et deux nuits passés à repousser les furieux assauts que menaient les boches entre deux séances de tirs de canons de 155 mm. Le froid envahissait les tranchés et il réclamait des vêtements chauds qu’il pourrait mettre en dessous de son pardessus bleu. On disait dans les rangs que les tirs d’artillerie étaient d’une telle intensité que la fameuse cote 304 avait perdu 7 mètres de hauteur, ne culminant plus qu’à 297 mètres. Pour le reste c’était la routine, peu de repos, beaucoup de morts et énormément de blessés que les antennes médicales plantées sur les lignes de front ne pouvaient plus absorber. Je m’étais posté sur la trappe de la grange à foin pour être tranquille, réclamant une intimité légitime avec mon père qui me manquait. Louis attendait que ma mère lui serve une rasade de son cidre qui reposait patiemment dans son tonneau au fond de la cave puis il espérait bien un léger compte rendu des nouvelles venues du front. Elles constituaient un moyen efficace d’enrichir sa culture et surtout le vecteur principal des ragots qu’il colporterait ensuite séance tenante. Nous le rassurions que les nouvelles étaient bonnes et que mon père ne viendrait pas encore étoffer la liste de morts qui se rallongeait au fil des heures. Tout juste avait-il froid indiquait-il dans ses lettres. Il pensait être rentré pour Noël si les évènements tournaient en leur faveur comme l’indiquait leur Etat-major. Chacune de ses lettres, pas si nombreuses, me rassuraient mais elle me plongeait ensuite dans un profond cafard, une impression étrange vivait au plus profond de moi, comme si j’avais été persuadé que nos au revoir ne furent que des adieux. J’étais certain que je ne le reverrai jamais plus et qu’il serait enterré dans un champs de l’Est dans un cimetière militaire que l’on aurait improvisé le long d’une route. Pourquoi pas sur les pentes de la cote 304 que lui et ses camarades défendaient coûte que coûte au péril de leur propre existence. Une prière vite dite par des frères de combat qui le garderaient anonyme dans leur souvenir et la guerre reprendrait ses droits jusqu’à ce que l’un des camps ne reconnaisse sa défaite. Je la repliais et la rangeais dans la poche de ma chemise rapiécée et partais pour l’école. Point ne serait être question de devenir bête parce qu’il y avait la guerre. Le déchirement auquel se donnait l’Europe n’était pas aux yeux du maire une raison suffisante pour ne pas s’instruire. Le maître qui s’appelait Lionel, nous attendait chaque matin vers huit heures trente sur le haut des marches de la salle de cours qui regroupait en une seule, trois classes d’age différentes. De fins lorgnons lui donnait un air grandement sérieux qui se pinçaient sur un nez qu’il avait étroit malgré de géantes narines d’où sortaient des poils durs et sombres. Nous rigolions de ce qu’elles étaient si immenses en raison de la fâcheuse manie qu’il avait d’y enfoncer ses doigts jaunies par le tabac qu’il roulait à longueur de journée. Nous ne savions pas si c’était l’épaisse toison drue qui le gênait ou bien s’il était à la recherche de quelques nourritures du diable dont certains anciens vantaient la haute teneur en vitamine. J’y avais déjà goûté, je veux dire la mienne, la crotte de mon nez bien entendu et n’avais pas senti de saveurs particulières. C’était visqueux et gluant comme un jeune crapaud que l’on avalerait tout cru, sans goût, bon ou mauvais, comme si l’impression de rendre à mon corps ce qu’il expulsait en était la cause. Certains de mes camarades de classe prenaient des allures offusquées lorsque parfois ils me surprenaient les doigts dans le fond du nez, mais je savais que certains d’entre eux avaient déjà but leur urine par expérience et ne manquais pas de le leur rappeler. Des bagarres démarraient alors en un vacarme que faisaient les curieux qui s’entassaient en cercle et que séparait le Maître Lionel en tirant nos oreilles. Il nous accompagnait ainsi jusqu’au fond de la classe que nous ne pouvions plus quitter avant qu’il nous en donne la permission. Ce matin là, Lionel réclama de notre part une minute de silence que nous dédions à la mémoire d’Emile qui était tombé au champs d’honneur, s’ensuivait une marseillaise dont nous devions connaître chacun des couplets. Chacun des mots de notre hymne avait été appris à grand coup de réglette sur les doigts, pas question d’être fils de France et ne pas en savoir l’intégralité. Pour ma part je le trouvais violent, beau certes, mais violent –Egorger nos fils et nos compagnes… Aux armes citoyens ! j’avais eut grande peine à en comprendre le sens et le fait que l’on nous inculque toute la haine qu’il supposait. Emile était mort non loin de l’endroit où survivait mon père et Antoine son fils assis à côté de moi en classe demeurait digne et n’avait versé pour ainsi dire aucune larme. Se pouvait-il que les allemands ne soient que la tyrannie dont parlait la chanson qui s’élevait fièrement dans la classe et qu’Emile ne fut que ce pauvre fils de France qui ne le reverrait jamais plus ? Les adultes sont parfois compliqués mais nous demandions à Lionel qu’il nous explique pourquoi les hommes étaient à la fois capables de grandes choses et à l’inverse capable de détruire ce qu’ils bâtissaient. C’était à ses yeux bien ardus que de se lancer dans un cours de philosophie et résumait son explications par des « c’est ainsi que l’homme est un loup pour l’homme » que voulez vous que nous y fassions ?. D’accord, la question d’Eugène était peut-être un tantinet trop générale, alors je lui demandais pourquoi les hommes du village étaient partis au front au lieu de faire ce pourquoi ils étaient fait : cultiver la terre. -Voyez vous avait-il reprit, certains pays comme l’Allemagne, la Turquie et l’Autriche Hongrie, se sont un jour mis d’accord pour se protéger mutuellement. C’est ce que l’on appelle la Triple Alliance. Une alliance de cette taille est influente dans le reste du monde. Les anglais et les français de leur côté se devaient également d’en faire une tout aussi puissante voire plus puissante que la première. Ils invitèrent la Russie du Tsar à se joindre à eux. Une autre alliance était née que l’on a appelé la triple entente. Lorsque l’Empereur François Ferdinand d’Autriche s’est fait assassiné à Sarajevo l’Europe s’est embrasée au nom de ses alliances. -Vaindieu ! tous ces morts à cause d’un empereur ? demanda Martial. -Tu copieras cinquante fois « je ne dois pas jurer en classe » ordonna Lionel qui reprit son cours d’Histoire contemporaine. Oui tous ces hommes meurent par ce que d’autres se sont juré assistance et protection. N’en feriez vous pas de même si votre compagnon était sauvagement attaqué par un gars d’un autre village ? -Assurément que nous aurions riposté aussi sauvagement, repris-je l’air décidé. Un air aussi décidé que celui qui avait animé le visage de mon père lorsqu’il était parti sur la route son baluchon à l’épaule certains d’être revenu pour les fêtes. Je regardais les cartes de l’Europe qui ornaient les murs de la minuscule classe. Les fleuves et les principaux axes routiers renvoyaient aisément les mouvements de troupes, ainsi que les épingles fixées dedans, sur lesquelles Lionel avait scotché des drapeaux en papier, nous donnaient les dernières positions des membres du village qui en décousaient avec les boches. Assurément, depuis deux mois, elles n’avaient guère bougé, la guerre se tassait, se transformait en conquête de positions que les tranchés respectives repoussaient inlassablement. Les divisions ne progressaient que de quelques mètres et lorsque cela arrivait qu’elles fassent une poussée plus avancée, elles plongeaient subitement dans une frénésie incontrôlable. Chaque mètre comptait son flot de morts, la victoire n’en était que plus méritée. Ces victoires, aussi infimes fussent-elles, donnaient aux hommes le courage de ne pas reculer et de progresser encore et encore sous les obus et les tirs des mitrailleuses ennemies. Mon père savait être philosophe dans ses lettres et se demandait parfois si l’ennemi avait le même courage. Il pensait au début que celui qui défend à plus de courage que celui qui attaque parce qu’il est moins préparé à l’affrontement. Mais au fil des batailles, des défaites et des victoires, à l’énumération croissante des camarades tombés dans la zone des combats, à chaque mètre conquit ou perdu, il se rendait compte que des deux côtés de l’orage, disait-il, on trouvait le courage. Parfois, j’avais le sentiment étrange que mon jeune age n’était qu’une injustice irréparable. Je voulais alors être plus vieux et ressentir cette force incroyable qui pousse les hommes à se dépasser. La guerre en est un fidèle outil et le convoi des corps inertes en était la preuve. La guerre disait mon père, tout comme l’amour, est horrible mais appelle des élans que la raison ignore. Rien que le fait de devoir remettre sa propre vie dans celle de ses camarades chargés instinctivement de surveiller tous les côtés à la fois pendant que vous progressez, scelle des amitiés profondes que la paix ne peut élancer aussi bien. Certain que cet allemand m’aurait dessoudé si mon grenadier voltigeur n’avait pas été le plus rapide à le neutraliser, concluait mon père. Surtout, la guerre puise en l’homme des instincts dont il se croyait totalement dépourvu. Mon père était le digne successeur de générations de paysans et le voilà qui se lançait maintenant à l’assaut de la cote 304 baïonnette au canon. |
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