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Le Petit Galopin de nos corps. J'ai ce livre dans ma bibliothèque, pages titre et frontispice enlevées, pour pas qu'on reconnaisse le livre. Pourquoi ne me suis-je pas levé ce jour-là, j'aurais rencontré Yves à sa conférence du CEGEP de Jonquière. C'était le temps qu'Yves vienne, ça fait deux fois que je vois Albert Jacquard en conférence à Jonquière et je commençais à en avoir ma claque. Pas besoin d'être à Paris pour connaître la planète quand la planète se déplace jusqu'à vous. Edrin regrette ses paroles. Une seule petite phrase sans importance devient les remords les plus gigantesques lorsque la personne meurt. La vie est belle parfois, il s'agit d'être sur le bord de crever et puis tous nos ennemis se rendent compte de la futilité de certaines idées et de certains débats. C'est qu'il y a quelque chose de plus haut que tout ça, de plus sérieux qu'on a tendance à oublier : la mort. Mais comme le proverbe dit : « Les humains pètent, les écrits restent. » Moi je suis incompétent pour parler de littérature, je ne suis pas un étudiant aux études supérieures à la Sorbonne. Dans le fond, je ne connais même pas la France. Peut-on entièrement discréditer quelqu'un parce que parfois il radote certaines choses ? La France connaît-elle son histoire coloniale en Amérique ? Moi je l'ai oubliée. Il est rare que quelqu'un avoue son ignorance, il faut du cran pour ouvrir son cerveau à l'humanité et lui dire en pleine face : regardez ! Vingt ans d'études et je ne connais qu'une infime partie de toutes vos niaiseries ! Et c'est tant mieux, parce que sinon ces vingt dernières années m'auraient été un supplice s'il m'avait fallu tout connaître, et surtout tout connaître de l'histoire de la France. Le père de Sébastien ce soir m'a subtilement fait comprendre que si Sébastien allait travailler c'est qu'il avait besoin d'argent. Et puis après ? Il a dit que c'est qu'il a compris que l'on ne pouvait vivre d'eau fraîche et de philosophie, me suggérant ainsi que moi je vis d'eau fraîche et de philosophie. Si je suis en France pour poursuivre des études supérieures, il me semble que ce n'est pas pour de l'eau fraîche. Au contraire, j'ai un désir de m'en sortir, de ne pas mourir dans la misère jusqu'à la fin de mes jours. Puis ce n'est pas vrai que je n'aime pas l'argent, je suis peut-être un idéaliste à un certain niveau, mais je ne suis pas inconscient. Ça lui a enlevé un préjugé mauvais pour ma santé. Hier pour la première fois Sébastien m'a fait comprendre que de ses parents il en avait assez et qu'il ne pourrait pas toujours tenter de les satisfaire. D'autant plus qu'ils ne croient pas du tout en sa réussite dans la musique et que par le fait même ils deviennent le plus grand obstacle à franchir. Sébastien vient de téléphoner du bureau, il est en christ contre moi parce que j'ai dit à Paul combien d'argent il lui restait. Comment pouvais-je savoir que ses finances devaient être tenues dans le secret des dieux ? Je n'ai pas hâte qu'il arrive de travailler, ça m'inquiète, il avait vraiment l'air fâché. J'ai l'impression que je vais maintenant insister pour qu'il reste au Canada. J'aime autant m'engouffrer seul en France que d'y entraîner quelqu'un d'autre avec moi. Je ne veux définitivement pas avoir la responsabilité de sa faillite. Mais comme il dit, c'est déjà trop tard. J'ai encore vu un film sur les vampires dernièrement. Il y a tout ce parallèle entre la vie d'un vampire et celle d'un gay. Comme si la nuit il fallait se cacher pour aller sucer des bites loin des yeux de la populace qui n'en peut supporter la seule pensée. Sucer jusqu'à en crever d'une maladie bizarre. Puis au grand jour, retourner dans les catacombes de Paris ou bien redevenir le gentil papa de famille marié avec deux enfants. Mais les temps changent, on n'a plus besoin de se marier et d'avoir des enfants pour l'apparence. On n'a plus besoin non plus de s'enfermer dans les égouts de la ville pour aller sucer la bite de son copain. On le crie partout et les gens trouvent ça normal maintenant. Car ils l'avouent enfin, la bonne mémère aussi suce la bite de son mari. Sinon le mari devrait se poser des questions, considérer la possibilité de changer de mémère. Ça me rappelle les parents de Christèle, capables de battre les enfants, mais incapables de se déshabiller pour faire l'amour. On fait ça de temps en temps, tout habillé, sous les couvertures, dans le noir, quand tout le monde est parti. Voilà pourquoi il est devenu alcoolique le vieux et qu'il s'est mis à battre les enfants. Et qu'elle est devenue folle et qu'on a dû l'interner dans un hospice pour malades mentaux. Moi j'ai fait office de père pour la Christèle. Je l'ai fait souffrir aussi. Longtemps j'ai essayé de me convaincre que l'on pourrait se marier un jour. J'ai éjaculé une couple de fois avec elle, jamais à l'intérieur, elle avait peur de tomber enceinte même avec un condom alors qu'en plus elle prenait la pilule et que le sida était loin de l'actualité. Dans le journal The Citizen aujourd'hui (23 décembre) il y a un paradoxe effrayant. D'un côté nous avons Robert Eady, mieux connu sous le nom d'ennemi public numéro un des divorcés, des divorcées, des avortées, des homosexuels, des lesbiennes, des pornographes et de leurs clients potentiels. Aussi bien dire l'ennemi public numéro un de la société en général. De l'autre côté vous avez Claudette Gravelle surnommée la Sœur C., la meilleure amie des sidéens d'Ottawa qui a vu mourir quinze de ses nouveaux amis en dix-huit mois. Robert Eady lui-même se dit porte-parole de l'Eglise catholique, son message en est un de haine du prochain. Il prend souvent la parole dans le Citizen : "Thousands of people still go to church on Sundays, but very few are prepared to openly oppose homosexuality, divorce, abortion, pornography.", "Many believers have been so brainwashed [en particulier par toi] they actually sympathize with the false notion that Christianity has been a negative force in the history of this country." Sure, religion brings us only love and peace, that's why I love you so much. Bref, ce n'est pas dans cet article que l'on peut apprécier la violence de ce monstre. Disons cependant qu'il est en guerre contre une émission gaie qui passe à la radio de l'Université de Carleton et qu'il revendique au CRTC la perte du permis de radiodiffusion. Sister C. transmet un vrai message d'amour, elle me semble parler davantage au nom de Dieu. Le problème c'est qu'elle doit se battre avec l'Eglise pour faire le bien, car l'Eglise, c'est bien connu, est devenue une force du mal. Elle catégorise les gens et juge lesquels on peut aider. En première page : « Gravelle is a member of the Sisters of Charity. She's also a regular volunteer at the Living Room, a drop-in centre for people, mostly men, with HIV and AIDS. They call her "Sister C." She calls them "the guys." The statement she makes is that the Catholic Church is building a bridge with the gay community, one gentle-hearted nun at a time. » « She won't discuss church policy or the apparent contradiction of her many close friendships with gay men and the Vatican's anti-homosexual stance. "The church is more than a set of rules," she allows. "There is a lot of love in the church." » How come it's the first time I can see it? And the article is clear, Sister C. is in contradiction with the church, with the Vatican. « "I feel at ease in the gay community just as I feel at ease in my own surroundings. People are people. You don't have to put up a barrier because your culture is different." » « She adds: "History will judge us not on how people got AIDS but on how we accepted to walk hand in hand with other people who were suffering." » Voilà tout un message que Robert Eady devrait avaler, de force s'il le faut. Ou plutôt non, laissons-le mourir dans sa haine. J'adresse plutôt mon message aux autres, je suis parfois haineux moi aussi, souvent parce que la société qui m'entoure est elle-même haineuse. J'invite donc les gens à prendre un recul lorsque n'importe qui s'approche pour parler de haine, même s'il dit parler au nom de l'Eglise catholique. Créer un fossé, quel qu'il soit, est contraire à n'importe quel projet d'amour. L'Eglise ou les religions ont un message de haine et de guerre à transmettre, l'ancien testament que l'on cite sans cesse est clair là-dessus. Prenons donc le message de l'Eglise avec un grain de sel et nous sauverons ce qui reste d'humanité dans ce monde. Allez et vivez en paix, que le curé dit à chaque semaine après avoir bien dit de détester les homosexuels et de se battre afin qu'ils n'aient aucun droit. Aimez-vous les uns les autres, que le curé dit après vous avoir dit de détester et de rejeter la femme célibataire qui s'est fait avorter, même si elle fait partie de la famille. Cherchez donc à comprendre à qui profite que l'on ait une société de haine, de conformisme, de gens à l'écoute parfaite des préceptes de l'Eglise, cela par peur. Posez-vous la question : et si la vie était vraiment plus simple qu'on voudrait nous le faire croire ? Pourquoi se compliquer l'existence, la vie est si simple pourtant. D'habitude Noël est la date pour les crises. Cette année la seule lueur de crise à l'horizon, nous sommes le matin tout de même, c'est la sœur de Sébastien qui vient de nous annoncer que dorénavant, quand son copain serait là, il faudrait que je couche dans le sous-sol. Moi qui suis allergique au sous-sol ! Il ignore que nous sommes gays. Ça fait pourtant trois ans que je sors avec Sébastien, deux ans que je couche chez lui dans son lit. Tout le monde le sait. Même que le copain de Sara a déjà couché ici plusieurs fois pendant que je couchais dans la chambre de Sébastien. Même qu'elle s'est lamentée qu'on faisait trop de bruit en faisant l'amour. C'est quoi cette soudaine histoire ? Il n'y a qu'à le lui dire qu'on est gay bon dieu, une chose qu'il sait déjà en plus. C'est stupide les gens, ils savent que les autres savent, ils n'osent pas en parler même s'ils savent qu'ils savent. En plus ça voudrait jouer le jeu jusqu'au bout, c'est-à-dire qu'il faudrait que j'aille coucher dans la cave. Moi qui commence à pourrir ici, moi qui voulais retourner voir ma famille pour Noël et qui ne peux pas parce que Sébastien, fils à sa môman, refuse de quitter la maison. C'est Noël aujourd'hui, et comme d'habitude, ça explosera. (17h00) C'est Noël aujourd'hui, la vie est plate. Il ne neige même pas dehors, on voit le gazon. Je ne suis pas venu au Canada pour la famille, ni même pour Sébastien, mais pour l'esprit du temps des fêtes et la neige. Or, il n'y pas de neige et encore moins d'esprit du temps des fêtes chez Sébastien. La journée a été longue, elle a coulé loin la rivière ma conscience, je me suis même senti coupable de ne rien foutre. Un jour de Noël, j'étais enfin prêt à attaquer ma grammaire. Sébastien a fait une misérable mousse au chocolat, j'ai lavé pour trois heures de vaisselle pour sa misérable mousse. Elle n'a pas l'air bonne en plus. Ils font du poulet bouilli qui bouille depuis quatre heures, c'est le seul plat qu'ils vont avoir pour le repas de Noël. Ces Français, aucun sens du temps des fêtes. Noël, il faut que ça sente l'argent, il faut de la musique de Noël qui joue toute la journée, une multitude de lumières qui clignotent partout tout le temps, cinq à six plats principaux, une dizaine de desserts différents, il faut qu'on bouffe à en mourir, se paqueter de boisson par-dessus la tête, plus être capable de marcher avant dix-huit heures, crier toute la gang comme des malades, dégueuler dans son bas de Noël. C'est ça Noël. On dirait qu'ils sont en crise, ils ne boivent plus autant de vin qu'avant, à croire qu'ils ont fait une surdose de vin après mon départ. A moins que toute la famille boive en cachette quand je suis là ? C'est possible. Moi ici je n'ose rien manger et Sébastien bouffe quand je suis par exemple dans mon bain ou sur l'ordinateur, me laissant me faire ensuite ce que je veux, alors je crève davantage de faim ici qu'à Paris. J'ai de la misère à digérer la salade depuis cet été, j'ai dégueulé trois fois après avoir avalé une salade, un vrai lavage d'estomac. Alors je n'ose plus trop m'aventurer et ça complique les choses car il n'y aura que cela ce soir à manger pour moi et qu'en plus je ne peux pas leur dire que la salade je ne la digère plus parce que le père va commencer avec sa série de commentaires, « alors le végétarien incapable de manger de la salade, on aura tout vu », et que je vais encore passer pour un con et qu'ils vont se sentir mal parce qu'il ne va rien y avoir à manger pour moi et je me demande vraiment pourquoi je ne suis pas descendu seul à Jonquière, ma sœur inaugurait sa nouvelle maison blanche au toit vert à deux étages et un sous-sol avec un garage et une coulée à l'arrière, qu'elle donnait le réveillon et que cela devrait être mieux qu'ici et que la famille ici n'a fait aucun spécial pour moi et que je suis mal qu'ils fassent du spécial pour moi et que je vais encore attirer l'attention ce soir et que j'aurais dont bien dû décrisser et que parce que je suis ici ils m'ont tous fait un cadeau de Noël et moi qui suis complètement hypothéqué et qui n'ai même pas réussi à acheter the greatest hits de Charles Aznavour pour Sébastien parce qu'à Ottawa, la pseudo-bilingue, les disques français sont introuvables et que Sébastien aime la chanson où Aznavour crache sur sa femme en la traitant de grosse laide sans-cœur et que je voulais lui faire plaisir et que j'ai manqué mon coup et que là je capote et que Noël est toujours affreux et que la crise s'en vient et que je ne sais plus où me mettre et que c'est Noël et que la vie est plate... Je pense que Sébastien est irrécupérable. On est dans le train qui fait Montréal-Jonquière et comme par hasard il y a un beau petit garçon à côté. Alors Sébastien est incapable de regarder ailleurs. Pire, il dit que je le surveille, que je l'empêche de regarder. Il fait chier en christ. Je n'ai plus l'impression que je peux lui faire confiance. On ne regarde pas les gens comme il le fait si on n'a pas l'intention de faire déboucher les choses, surtout si l'autre aussi nous regarde. Or justement le petit gars passe son temps à regarder Sébastien, sa petite bosse, sa grosse bosse dans ses pantalons. Sébastien voudrait lire ce que j'écris sur l'ordinateur. C'est la troisième fois que je suis obligé de fermer la machine. C'est la troisième année en ligne que je me paye l'interminable train Ottawa-Jonquière. Il neige à chaque fois, c'est le dépaysement le plus pur. Avoir son adresse à Paris, perdre son temps entre les villages de Montréal jusqu'à Jonquière. Me forcer ainsi à me replier dans mes pensées, à tenter d'oublier l'obsédé lancer des coups d'œil au flot à côté. J'aime mieux fermer les yeux et ne pas souffrir. The end of the world dans mon Walkman. Hier Sébastien m'a fait une crise à propos de l'argent que je lui dois. On a parlé jusqu'à trois heures, il s'est vidé le cœur. Je ne me suis pas endormi avant quatre heures. Ce n'est pas possible d'avoir autant de problèmes que j'en ai dans le moment, presque sans en être conscient. Tellement de problèmes d'argent, d'amour, d'école, de vie. Ma vie, un gouffre sans fond, un trou noir qui aspire tout, comme dirait Sébastien. L'argent, l'argent, l'argent, il n'y a que ça dans la vie. Toujours l'argent, tout mène à l'argent, on ne vit que pour l'argent, vive l'argent. Sébastien sait apprécier les bonnes choses, il sait jouir du luxe. Moi c'est tout le contraire. Je suis incapable d'apprécier une lampe ou une montre, le luxe me semble inutile, on va tous crever un jour ou l'autre. Le luxe est à la limite du palpable, ce qui est palpable ne change rien à ma vie. On ne se construit aucune motivation à vivre avec la richesse. Je déteste le Jardin du Luxembourg, c'est de la frime. Quand la France au complet se met à payer des châteaux et des statues recouvertes de fines feuilles d'or, ça ne me donne rien à manger. Ça profite à quelques bureaucrates qui en font leurs tours à bureaux. Ça attire les touristes qui ne savent plus quoi faire de leur peau. Demandez-leur, aux touristes, qu'est-ce qu'ils en ont à foutre de la Tour Eiffel. On la voit, on y monte, on redescend, une journée de perdue, misérable ver de terre, 5000 $ dans le feu, être venu à Paris pour voir une antenne de télévision. Je suis en train de me pomper, j'ai envie de tuer tout le monde, sauter hors du train et me perdre dans la nature. Ma cousine Line l'a bien fait. On ne l'a pas encore retrouvée. Elle a crissé son bébé là, chez une vague tante, elle est disparue dans la nature. Quelle joie, quel courage, quel détachement total de tout ce qui peut l'entourer, famille, copain, amis, argent, bébé. Elle ne saura sans doute jamais comment je l'admire. Mais il ne faut pas se faire d'illusions, ses problèmes doivent être sérieux. Drogues dures, ça je sais, prostitution, ça je m'en doute. Je pourrais débarquer à la prochaine gare, j'ai mon billet d'avion, départ le 11 janvier. Repartir pour Paris et oublier mes études. Aller explorer plus profondément encore les bas-fonds de Paris, aller jusqu'au plus profond de cette vieille station désaffectée reconstruite. Avoir du sexe chaque soir avec une personne différente, mourir d'une maladie bizarre tout au bout. Voilà une belle destinée. Quelqu'un qui se crisse de tout, ne croit plus en rien, se laisse voguer sur les vagues, se laisse engouffrer dans les tourbillons pour voir jusqu'où ils vont l'emmener. Quelqu'un qui jouit dans les bas-fonds, apprend à savourer la misère à son juste titre. Ne croire en rien ouvre toutes les portes, fait disparaître toutes les limites. L'amour, Sébastien vient de me le dire, c'est une prison. La religion, une flagellation. Dieu, selon les diverses définitions, une autorité intolérante et dévastatrice. L'amitié, une exigence impossible à combler, un blocage psychologique, une vie en fonction des autres. Les parents, je ne connais déjà plus ce que c'est, c'est déjà trop loin de moi. Des parents, c'est Dieu, et c'est pire. Ce qui me rappelle que c'est là que je vais, voir mes parents et ma sœurette et sa belle maison qui vient de lui hypothéquer la vie. J'ai bien envie d'aller quêter une cigarette au flot à côté puisque Sébastien tient le coup et que c'est la première fois que je le vois insister pour rester dans un wagon fumeur alors que moi-même j'étouffe. Un fumeur, c'est bien connu, ça n'étouffe pas, ça jouit à chaque bouffée, un suicide à moyen terme. La cigarette, ce n'est pas assez fort, il me faudrait pouvoir me suicider à court terme. La drogue ? Je viens d'envoyer Sébastien chercher de la bière, j'en ai profité pour quêter une cigarette au flot. Il vient de Montréal, il va visiter de la famille. Quelle est la meilleure façon de crever sinon avec un mélange d'alcool et de cigarette ? Dix puffs, mes bras et mes jambes tremblent. Je pollue un peu ce bel univers que Sébastien aime. Les fumeurs apprécieraient davantage la cigarette s'ils en fumaient moins. Chaque cigarette que je... Je reviens à la vie après une heure à me tordre sur mon banc et dans les toilettes. I'm so sick, one cigarette, half a beer et je retire ce que j'ai dit. Il s'agit ici d'un suicide à court terme. Le gars s'appelle Alain Ouellet, il fallait le voir reprendre le briquet une fois que je l'eus utilisé, il m'a pris la main, quelle chaleur dans cette prise de main. Le pauvre pitou, c'est probablement ce à quoi il doit se contenter, me toucher furtivement la main. Seize ans, secondaire quatre. Sébastien dit que je l'ai traumatisé avec mes quelques questions. Je suis malade ! Fraîche innocence qui ne s'est jamais levée un matin pour découvrir que la vie existait et que l'on peut encore garder la foi en l'amour, pour autant que notre naïveté nous en ouvre toutes les portes. On dirait que je parle avec une grande expérience, on dirait que j'arrive à la fin de ma vie. J'ai envie de me tirer une balle, un peu d'action dans cet univers fétide et renfermé. Ce qu'on peut souffrir quand on connaît la destination du train, ça ne vaut pas un tour dans l'Underground de Paris. Sébastien était tellement heureux que j'aie parlé à Alain, il avait un sourire intarissable qui faisait sonner les cloches de minuit dans mes oreilles : "They were ringing all along, they were ringing all along!" Enterrant "the mad man" that "was singing" but "was drowned out by the church bells". Une belle histoire de gay, misérable en l'occurrence. J'ai envie de vomir la bière, je vais dégueuler des cigarettes. Alain connaissait Jessica Larouche, une fille que j'ai connue en deuxième année à l'école Jean XXIII. J'ai vraiment envie de dégueuler et ce train qui n'arrive nulle part. La grande parche de Jessica, un vieux souvenir me remonte, j'ai envie de le vomir aussi. J'ai souvent passé pour celui qui ne comprenait jamais rien dans mes classes. Je n'ai jamais réussi à comprendre un problème de math ou une règle de grammaire en tout cas. Je me débrouillais avec les livres la veille des examens. Je me demande aujourd'hui ce qu'il en était des autres, s'ils feignaient de comprendre ou s'ils comprenaient vraiment directement en classe. Ce qui serait inquiétant, si l'on faisait une étude là-dessus, ce serait de découvrir qu'en classe on n'a jamais rien appris et qu'il aurait mieux valu nous dire par écrit quoi étudier, quoi lire, quels problèmes faire et nous laisser free of boring classes. On aurait cru qu'à la Sorbonne on aurait pu adopter ce système, mais semble que non. Ces classes avec un professeur, n'était-ce pas pour l'époque où il n'y avait aucun livre de suffisamment complet pour nous enseigner une matière vide de sens ? Mes deux cours par correspondance de la Télé-Université m'ont appris davantage que dix cours en classe où un prof radote trois heures de temps. Quel calvaire pour les étudiants qui ne font que prendre des notes machinalement pour les relire et enfin les comprendre (ou peut-être même pas) la veille de l'examen. Il est temps que l'on révolutionne l'école pour maximiser la transmission du savoir et arrêter le suicide de nos jeunes qui n'y ont jamais trouvé aucune motivation. La société devrait se sentir coupable qu'après vingt ans à s'écorcher je ne sais quels os sur trois planches, je ne sache que très peu de choses, et que l'on ait perdu temps et argent avec des niaiseries. Dans quel genre de société vivons-nous ? Pourquoi faudrait-il tuer à petit feu un enfant avant qu'il puisse décrocher un emploi aussi stupide que de la retranscription de nouvelles radio sur papier ? Une société qui se dit instruite et qui engouffre toute son énergie à éduquer inutilement des enfants qui ne produisent rien pendant toutes ces années, ne court-elle pas à sa perte ? Combien d'années encore faudra-t-il laisser crever la moitié de la planète de faim pour satisfaire cette maladie de l'instruction ? Une obsession tellement institutionnalisée qu'en septembre je capotais de ne plus être à l'école, semble-t-il, je voulais y crever. C'est ironique, sachant combien je déteste les études, pour la branche que j'étudie en plus. D'accord pour l'instruction, mais faudra trouver des méthodes moins longues, moins coûteuses et moins plates. Le p'tit christ de morveux de 16 ans qui ne lâche pas des yeux la grosse bosse de mon copain, j'ai bien envie de lui mettre ma main dans ses culottes pour le contenter. S'il manque de sexe, d'accord, mais pas sur mon copain. Plus j'avance, plus je comprends des choses, plus je comprends l'immoralité et ce qui la provoque. Huit heures de calvaire. J'écoute U2, toujours, il neige à manger debout. "Nothing changes on new year's day", et c'est tellement vrai. Life is so boring. Le flot fume comme un trou, like everyone in the train, je ne peux plus respirer. Sébastien doit être en transe, il ne réagit plus du tout, lui qui est asthmatique à mourir. Vous savez qu'on a déjà quitté des restaurants qui n'avaient pas de section non-fumeur alors que personne ne fumait ? Il est même fâché que je le regarde regarder l'autre et me dit qu'il a le droit de faire ce qu'il veut. Il fait semblant de lire son livre, |
![]() | ![]() | «Paris—is—really—great !», semblables non seulement en apparence, mais aussi dans leur voix et leur façon de parler, à tel point... | |
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![]() | ![]() | «Respirer, parler, chanter La voix, ses mystères, ses pouvoirs», Le Hameau Editeur, Paris 1981 | |
![]() | «roman d’anticipation utopiste», note Jacques Allard; d’autres parlent aussi du «premier roman séparatiste au Québec», ou du «premier... | ![]() |