Underground un Québécois à Paris Roland Michel Tremblay Éditions T. G., Paris Du même auteur, publiés chez l’éditeur iDLivre : L'Anarchiste (Poésie) Denfert-Rochereau (Roman) L'Attente de Paris (Roman) L'Éclectisme (Essai)








titreUnderground un Québécois à Paris Roland Michel Tremblay Éditions T. G., Paris Du même auteur, publiés chez l’éditeur iDLivre : L'Anarchiste (Poésie) Denfert-Rochereau (Roman) L'Attente de Paris (Roman) L'Éclectisme (Essai)
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date de publication14.04.2017
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Like a Virgin et Erotica. Son plan de travail est digne d'un mémoire de doctorat. Ça fait peur une telle analyse intellectuelle des vidéos de Madonna.

Parlant de Madonna, moi et Maurice sommes sortis au Queen. J'étais assez paqueté, je ne me souviens plus si on y a été en bateau ou en Airbus. Sur les Champs Elysées il n'y a plus d'autobus, de taxi, de métro ou de RER. Il y a tous ces gens qui marchent d'un bord et de l'autre et qui vont comprendre bientôt qu'ils vont devoir marcher ou attendre le métro de cinq heures trente du matin pour rentrer. Comme par hasard à la porte du Queen on se croirait devant un bar illégal où pour pénétrer à l'intérieur il faut un mot de passe et prouver que tu es bien la pire salope de la planète. Le gars a demandé à Maurice quel âge j'avais. Quatre personnes sont passées devant nous alors qu'ils étaient en arrière, là je commençais à m'agiter parce que moi leur petit jeu plate ça me fait chier et que leur bar de trou du cul pourri avec trois ou quatre grosses drag queens, vieilles par-dessus le marché, je n'y tiens pas plus qu'il ne le faut. Faire téter les gens comme ça, même quand on a le titre du bar tapette des Champs Elysées, ça ne mérite pas que l'on se déplace du Canada pour aller voir ça. D'autant plus que, je l'ai déjà dit, les bars gais sur la planète c'est universel et que celui-ci ne fait pas exception, on se serait cru au K.O.X. à Montréal. Identique. Surtout paqueté, je me sentais chez moi. Bref, je n'ai pas trop niaisé, après les quatre mongols, deux autres en arrière voulaient passer également. J'ai fait le blocage, je me suis mis sur le pan de la porte et la femme s'est affolée. Je lui ai demandé si on pouvait passer, en voulant dire que ça suffisait le niaisage. Finalement elle a dit oui. Maurice n'en revenait pas, il me disait que c'était courant qu'ils ne te fassent pas entrer. Bullshit. Il m'avait averti de me taire sinon on pouvait se faire refuser l'accès. Bref, dans les toilettes il y a un comptoir où ils vendent des barres de chocolats et de la gomme. Aucune de bonne, c'est assez incroyable. Le sexe y est aussi en vente je suppose, il y avait un de ces gars presque tout nu, il pissait là en me montrant sa grosse bite. Il y avait une dizaine de gars musclés en bedaine dans le bar, c'est l'avantage des bars gais. Mais tu sors de là tellement en manque de sexe, ils provoquent des inhibitions, tu veux exploser, sauter sur le premier du bord, avoir du sexe là dans le bar. Un gars m'a dragué, je lui avais enlevé une mousse sur son manteau. La nouvelle mode à Paris, enlevez-lui une mousse et il vous donnera le paradis, pour un soir. Bref, il me regardait, il était beau, je le regardais, j'étais pas mal amoché, il était beau, il me regardait, j'étais là à penser à Sébastien, je le déshabillais, je revoyais Sébastien nu, je voyais sa grosse bite, sa petite bedaine, j'essayais de penser à Sébastien, il me regardait, et Maurice disait qu'il était beau, il me regardait, là Maurice m'a dit que si je voulais me ramasser quelqu'un il n'y avait pas de problème pour lui parce que lui aussi voudrait bien se ramasser quelqu'un, il me regardait, je voyais la forme de son corps et j'ai fait signe à Maurice de marcher plus loin, je ne voulais plus rester là. Un peu plus tard Maurice m'a dit qu'il voulait draguer et me demandait si cela me dérangeait d'être seul. Bien sûr que non, me retrouver seul dans les rues de Paris à trois heures du matin, c'est mon style. Finalement il n'a pas osé parce que je pense qu'il a vu ses intérêts et que ses intérêts c'était moi. Mais il ne faut jamais sous-estimer Roland, Sébastien-Sébastien-Sébastien ! C'est une épreuve que Dieu m'envoie de temps à autre pour voir si je vais résister, si j'ai une once de volonté. On a marché à pied pour le retour. Des Champs Elysées à la Cité universitaire. Deux heures de marche, paqueté. A se demander si on n'a pas été aidé par des extra-terrestres, ça me semble impossible aujourd'hui cette marche. Comme d'habitude la musique était d'une platitude qui caractérise tous les bars gais de la planète, du techno qui saute dans le house. Quel malade a inventé ce genre de musique ? C'est encore pire que le rap qu'on avait réussi à imposer partout en 1990. Ils ont acheté à coups de milliards les succès que tout le monde déteste mais qu'on finit par se rentrer dans le crâne à force de sortir dans les bars. Tu entends le rythme techno et tu bandes automatiquement. Voilà pourquoi ce sera difficile de se débarrasser de ce genre de musique dans les bars gais. Aurais-je vieilli ? Incapable d'embarquer dans les modes actuelles ? Pourtant hier je me suis bien rendu compte que je ne cadrais pas avec le modèle du petit étudiant en maîtrise de la Sorbonne. C'est un problème ça le rejet systématique de tout, je devrais réfléchir. Mais que je le veuille ou non, la musique techno, il faudra me la faire avaler de force, parce que ça tue. Paris la nuit, c'est de l'arnaque. Quatre-vingts francs pour entrer dans le bar tapette des Champs Elysées. Vingt-deux dollars ! La bière ? Cinquante francs ! A ce rythme-là, nul besoin de vous dire que j'étais le seul qui avait bu avec Maurice dans tout le bar. Ne comprennent-ils pas qu'il y a de l'argent à faire avec la boisson ? Pas cher et tout le monde boit et ça facilite tous les contacts ? Qui peut payer 80 francs pour sortir ? C'est de la ruine ! Et que faire des pauvres petits étudiants, beaux, qui voudraient rencontrer quelqu'un ? Non seulement on les effraie à l'entrée mais on leur demande toutes leurs économies. Paris l'arnaque ! J'ai de la misère à comprendre que l'on puisse accepter de telles choses. On devrait organiser un boycottage du Queen, ou ouvrir un bar juste à côté qui ne demande rien pour l'entrée et qui offrirait la bière à dix francs. C'est un bar pour l'élite ou quoi ? Egalité, Fraternité, Liberté, ça ne vous dit rien ça ? Ça, c'est la plus grosse connerie du siècle. On aurait besoin d'une petite révolution pour ramener les gens sur la terre. Heureusement Montréal est encore épargné et que l'on ne demande pas des prix d'entrée aussi exorbitants. Maurice dit que d'habitude c'est bien pire que ce que je pense. Il y a qu'ils choisissent les plus beaux et les plus fins et les habitués, en interdisant l'entrée aux femmes, aux laids, aux vieux et aux quétaines. Quand il y a trop de monde, une grosse file d'attente, c'est encore plus humiliant. Ils te font entrer et c'est à l'intérieur que la femme dit aux portiers de te sortir. Paraît que c'est encore pire dans les autres bars de Paris. Ça explique pourquoi il n'y avait aucun vieux. C'est discriminatoire mais, de ce point de vue-là, j'en suis bien heureux. J'ai toujours un fan club de vieux qui me tourne autour, ça permet à Sébastien de dire que c'est tout ce que j'attire.

C'est ce soir que je vais descendre dans le ravin pour voir où conduit le chemin de fer. C'est lourd à porter. Mais si je n'y vais pas, comment aurai-je un autre rendez-vous ? Ce n'est pas comme de se dire, est-ce que je sors seul ce soir dans le Marais ? On remet ça à plus tard parce qu'on pourra toujours le faire. De toute façon je n'ai pas l'intention de sortir seul dans le Marais. Et j'irais là ce soir ? Je me suis procuré une chandelle et des allumettes. Je vais partir d'ici vers deux heures. Je n'emmènerai pas de papier d'identité sauf ma carte de résidence de la Cité. Il m'a traversé l'esprit d'aller au Queen seul. Eh bien ça m'a donné encore plus mal au ventre que d'aller explorer les bas-fonds de Paris. J'ai repris confiance, le dimanche Paris est tellement désert, je ne crois pas que je vais rencontrer quoi que ce soit. Mais que vais-je rencontrer ? J'ai tendance à oublier qu'il y a un dessein à tout cela. C'est même très inquiétant. C'est comme mon départ pour Paris, sans trop le vouloir tu fais toutes les démarches et c'est tellement de troubles qu'à la fin tu pars, pour pas que cela ait été fait pour rien.

J'y suis enfin allé hier. J'ai passé proche de laisser faire, ça semblait trop risqué. J'en reparlerai tantôt. J'ai eu le temps de décompresser mais je suis en christ. Le petit pecnot d'en face, Eric, il fait crissement chier. C'est straight, c'est puceau, ça se nourrit d'Emmanuelle la prostituée et ses quarante clients, ça ne s'affirme pas et ça vient se permettre des commentaires comme quoi je ne suis pas évolué parce que je suis végétarien, pourquoi pas aussi parce que je suis gay ? Parce que ce soir France ne s'est pas empêchée de parler de mon homosexualité devant Steve. De quel droit peut-elle parler de ça ouvertement, surtout après mes mises en garde ? Christ, si elle m'avait conté qu'elle s'est fait avorter deux fois dans la même année, sacrée enceinte par deux gars différents, je n'irais pas le crier sur les toits ! Et c'est presque le même problème parce que le préjugé auquel on a à faire face est justement celui de l'immoralité. Mais le végétarisme, c'est fort. J'ai presque autant honte de le dire que d'être homo. Je parle du cadavre qu'elle a dans son assiette, elle me dit qu'avant elle le disait ça, c'est-à-dire parler des os de poulet comme d'un cadavre. Ça lui rappelle des mauvais souvenirs peut-être ? Elle semblait suggérer que je n'étais pas évolué pour la seule raison que madame a décidé d'arrêter douze ans de végétarisme militant l'an passé en même temps que sa prise de décision de venir en France, parce qu'en France on te regarde comme un martien quand tu dis que tu es végétarien. C'est bien de valeur mais ce n'est pas parce que tu pensais quelque chose dans le temps et que tu ne le penses plus aujourd'hui que moi je suis arriéré parce que je le pense aujourd'hui et que je ne le pensais pas dans le temps. Et Eric avec son petit commentaire, qu'elle au moins elle avait évolué. Qu'il vienne me reparler le p'tit christ, j'm'en vas te'l dévierger moé, hostie ! Tellement en manque de sexe que ça ne sait plus où se branler, étrangement il s'accroche aux hommes. Ô Dieu ! Le p'tit fils à son poupa va bientôt découvrir les réalités de la vie et de l'amour ? Come on ! Peut-être que lorsque tu évolueras tu deviendras végétarien aussi, qui sait ? Je ne pense pas qu'il soit possible de retirer quoi que ce soit de positif à vivre dans des résidences. Au contraire, tu deviens comme fou, tu t'évanouis dans la masse, tu ne réfléchis plus. Le cerveau de tout le monde devient un et un seul. Ils sont tous contents d'être Québécois en plus. Vive le Québec libre ! Maudits Français ! Anglais Square head, tête de bloc ! C'est tout heureux de vivre, ça respire pour la première et dernière fois de leur vie, moi ça fait longtemps que je fais le plein au gaz ! Mais moé chu pas pur tabarnack ! Ça me regarde pis ça s'imagine que je n'ai pas vécu, que je suis un p'tit crétin qu'y'a jamais sorti de chez lui. Ça donne envie de prendre un fusil puis de tirer dans le tas. A savoir si je passais l'été ici, je ferais des recherches intensives d'appartement. Ici c'est caverneux.

Salut Sébastien,

Je t'écris aujourd'hui parce que je m'ennuie énormément. Je pense à toi sans cesse, l'idée que l'on ne se voit pas à Noël me désole. Mes parents ne m'aideront pas, c'est confirmé. Ils disent que ça ne fait pas assez longtemps que je suis parti. Ça fait six mois que je n'ai pas été à Jonquière. Je pense sans cesse à toi, je revois ton visage, tes mains, tes jambes, tes pieds, fallait être inconscient pour partir en France. Mais il le fallait. Je suis allé au Queen, mais aucun ne te vaut, même si comme je t'ai dit il y en avait quelques-uns de beaux. Mais je ne t'ai pas trompé, tu me suffis même à distance.

Tu te souviens de Granville ? Je voudrais y retourner avec toi. Je voudrais y habiter et me débrouiller sur place pour trouver de quoi vivre. Cours d'anglais, cours de français, cours de piano. Pourquoi tous nos projets sont-ils pour plus tard ?

Pouvoir te prendre dans mes bras, t'écraser contre moi, t'embrasser toute la nuit, ma langue dans ta bouche, ma main dans tes caleçons, moi nu contre toi. Ô Sébastien, je suis à toi car tu es beau, simple, gentil et que je peux avoir confiance. Avec toi je suis heureux. Tu m'aimes ? Quand viendras-tu à Paris ? Faut pas avoir peur des changements radicaux, ils apportent beaucoup.

Dans tes bras, dans un lit, ne serions-nous pas beaux ? Survivre sans te voir, c'est impossible ! Le cap des trois ans est passé, on entame notre quatrième année. Allons-nous nous tromper et risquer de perdre une relation qui pourrait durer une vie ? Si tu étais à côté de moi je commencerais par enlever ton chandail et tes pantalons. Puis tes caleçons et tes bas. Je te mettrais sur le ventre, te caresserais les cheveux, te masserais le cou, les bras, les mains, le dos, les fesses. Et là j'embrasserais tes fesses, je les lécherais partout, le trou, je lécherais le trou pendant dix minutes en même temps que je masserais tes couilles. Je jouirais, toi aussi. Après je masserais tes jambes, tes pieds, je lécherais tes orteils, placerais mon visage dans le creux de tes pieds. Ensuite je te donnerais une claque sur les fesses et tu te retournerais. Je masserais tes seins, ton ventre. Je te frencherais jusqu'à ce qu'on s'étouffe. Je baverais dans ta bouche et toi dans la mienne, pendant que je gratterais ta bite et que je te masturberais. Après je masserais tes genoux et je t'attacherais aux pattes du lit sur le ventre. Je mettrais ma bite dans toi après avoir bien léché à nouveau. Je ferais cela, entrer et sortir, pendant vingt minutes, sans venir. Ensuite c'est toi qui m'attacherais, tu entrerais en moi, pendant vingt minutes tu entrerais et sortirais. Tu finirais par venir dans moi. Je me retournerais, te prendrais dans mes bras, me masturberais et je viendrais à mon tour. Là on serait mort et on dormirait nu l'un contre l'autre. Voilà ce que nous ferons si je descends le 24 décembre.

Je prévois des jours encore plus noirs, j'ai vraiment atteint le fond du baril. J'ai 115 $ dans le rouge sur ma carte de crédit et ça c'est si j'ai bien compté. Il me reste quatre coupons repas, je regrette d'en avoir donné un à une femme qui ne semblait même pas en avoir besoin. Il n'est certes pas question que je retourne au Canada pour Noël. Connaissez-vous l'histoire du malheur ?

Connaissez-vous l'histoire du bonheur ? Il frappe encore à ma porte, est-ce possible ? Je vais essayer de changer la date de mon billet le plus tôt possible. Je repars pour Ottawa illico presto, j'ai convaincu Sébastien que mon prêt après Noël je vais le lui donner. En plus, il me confirme presque sa venue à Paris en janvier ou février. Ça ne me donne pas plus d'argent mais ça va me permettre de respirer et de travailler sur ma bibliographie à Ottawa. Faudrait que je parle avec M. Abarnou, lui faire croire que je dois descendre parce que mon grand-père est mort.

Connaissez-vous l'histoire du malheur ? Je viens de rappeler Sébastien, c'est 700 $ qu'il faut qu'il dépose pour que je paye mon loyer avant de partir et que je rembourse ma carte de crédit en souffrance. Tout à coup il s'est mis à crier : « Quoi ? et ça c'est en plus du billet d'avion de 700 dollars ? » C'est franchement irréaliste ce départ anticipé. Il va rappeler tantôt pour me dire de laisser faire. La vie est complexe.

Connaissez-vous l'histoire du bonmalheur ? Demain je vais chercher un billet.

Qui suis-je moi mes amis pour venir au monde et venir vous dire ce qui est bien et ce qui ne l'est pas ? Vous, qui êtes-vous mes ennemis pour venir me dire que mes jugements sur ce qui est bien ou mal sont bien ou mal ? Moi qui arrive à la fin de ma vie et vous qui ne l'avez point encore commencée ? Si je dis que je suis beau, est-ce du narcissisme ? Ne savez-vous pas que si j'eus été laid je n'aurais jamais trouvé suffisamment de papier pour assouvir ma peine ? Et si vous eûtes été un tant soit peu beau, votre vie en serait à jamais changée. Alors, ne cracheriez-vous pas sur moi qui suis laid ?

Je n'ose pas écrire le reste de ma soirée d'hier. Je viens d'avoir un de ces rêves qui fait que je veux repartir tout de suite pour Jonquière. Un cri désespéré qui m'appelle là pour une raison que j'ignore. J'ai fait deux fois ce genre de rêve dans ma vie, qui me fait songer que parfois je m'ennuie plus inconsciemment de chez moi que je ne le crois. La première fois j'étais dans l'ouest canadien et je voulais tellement être à la maison que je me suis retrouvé à l'intérieur de ma chambre avant, constatant que mes meubles avaient changé de place, ce qui s'est avéré vrai lors de mon retour. Ainsi ce rêve prémonitoire m'annonçait que l'on avait viré ma chambre de bord. J'avais même palpé des disques cette première fois. Selon le décalage horaire, il faisait effectivement clair à Jonquière, il était cinq heures du matin en Alberta. Cette fois-ci je voyais la vue de par ma chambre arrière, c'était tellement beau que le cœur me battait. Je touchais le rebord de la fenêtre tant que je pouvais, même que j'ai essayé d'arracher la petite fenêtre. J'y serais arrivé, mais je ne voulais pas la briser. J'y étais tellement, je me suis réveillé de mon demi-sommeil tout étourdi. Le seul hic c'est que tout était vert et que les arbres avaient des feuilles. Or je sais que là-bas il y a de la neige depuis trois bonnes semaines. Je vois que c'est vrai que j'ai un blocage, c'est le chum de ma mère qui m'empêche l'entrée de la maison et le stupide chien auquel je suis allergique. Peut-on espérer qu'ils crèvent tous les deux ? Mais alors ma mère serait malheureuse. En plus il y a un pensionnaire, un deuxième bientôt qui fera que ma mère pourra en vivre, mais que moi je ne pourrai même plus penser y coucher un soir, même si Amédée disparaissait dans la nature. Peut-être ma mère se trouvera un autre homme ? Ils me semblent tellement liés par l'argent que ce me semble une possibilité impensable. Il me faut maintenant aller à mon cours de latin avant d'aller changer la date de mon billet d'avion. Je ne crois pas avoir beaucoup dormi, je ne suis pourtant pas fatigué.

Les cafés de l'opéra me rendent sociologique. Je regarde tous ces gens, j'attends l'ouverture de l'agence de voyage. Un café à même l'Underground de Paris, dans les bas-fonds de la France. J'ai encore manqué mon cours de latin, je manquerai celui de Dalloz. Paris.

Si je passe à travers mon année universitaire, je jure de... j'allais dire de me raser la tête, mais il y a tout de même une chance que je passerai à travers, alors je jure de remercier Dieu. Vaut mieux remercier Dieu que de se raser la tête. L'alcool et l'altitude est un mélange qui me rend folâtre. J'ignore s'il y aura des cours à la Sorbonne la semaine prochaine. Je me sens coupable, je me ronge les sangs. Il y a que je retourne un mois au Canada et que j'ai besoin d'une autre bière et que les hôtesses sont cheaps et que je ne veux pas passer pour un alcoolique sur les ailes d'Air Canada. J'aime mieux Canadian, ils se foutent du client sur Air Canada. C'est ça quand tu as ton monopole. Je suis végétarien ? Ça cause problème, elles sont toutes fuckées, plus capables de comprendre la chaîne industrielle de la distribution des cochonneries pour contenter le passager qui souffre un voyage interminable de sept heures. Le service me fait penser un peu à ce film ou tout le vol l'avion risque de s'écraser, les moteurs pètent, les ailes partent, plus de roues, pire, plus de café, et voilà qu'à la fin on vous dit merci d'avoir pris Air Canada, nous espérons vous revoir bientôt sur nos lignes.

J'étais bien mal pris ce matin quand Steve m'a demandé si j'allais à Jonquière, notre ville commune. Enervé comme je l'étais, comment ma destination aurait pu être autre chose que ma famille ? C'est qu'il ne comprend pas que mon Sébastien m'attend à Ottawa et que je n'en peux plus d'être loin. N'empêche que ce matin le cœur m'a plié en deux. Quoi ? Quitter Paris ? Je vais dire comme Franklin, bientôt je ne pourrai plus me passer de Paris. J'y étais encore et je m'ennuyais déjà. C'est inexplicable. Je ne me suis même pas ennuyé une miette d'Ottawa. Il fallait que je me dise que j'allais bientôt revenir, ça ne suffisait pas. Tout l'étage était là ce matin pour me dire à Dieu. C'était charmant, Steve en bedaine en plus. Tout à coup tu comprends que sans le vouloir tu deviens proche d'eux. Que tu existes par eux, que tu respires par leurs narines. Que lorsqu'ils sont dans le corridor tu veux ouvrir la porte et quand ils vont manger tu y vas aussi. C'est complexe la vie. Aussi complexe qu'une truite disséquée sur le bord du comptoir. J'aime Paris aussitôt que je sais que je vais le perdre.

Céline Dion se marie avec son gérant. Célinas, my beauty, like all gays in America I need your picture all over my room! I love you so much, you became suddenly the Madonna of Quâback. I want you to become more successful, so Quâback will finally be on the map. But if Quâback is not on the map, who cares? And we will finally be able to get rid of English everywhere and at last we will be free to speak French and only French! I hate English so much, I can't stand anyone who speaks that language at all. Moreover, when I hear just one English word, I want to take out a gun and shoot those bastards! I am the separatist you don't want to meet around the corner. Oh, oh, I guess we will be arriving soon. I can't wait to go to Ottawa and hear some Chinese or Arab people. Soon French will be the third official language in Ottawa. In fact, I can tell you French is already the third. Les statistiques mentent encore ! Les statistiques sont l'outil rêvé des gouvernements pour nous faire gober à peu près n'importe quoi. La différence d'avec le régime communiste, c'est que sous Staline au moins la Russie connaissait la vérité, il suffisait de prétendre ne pas la connaître. C'est déjà mieux qu'ici. De toute façon j'aime les Arabes, eux au moins ils ne parlent pas l'anglais. J'aime les Anglais. Ce n'est pas de leur faute s'ils sont nés dans des familles anglaises, il ne faudrait pas commencer à faire de la discrimination. Etre anglais ou ne pas l'être, ce n'est pas un choix. Puis j'aime Jean Chrétien, c'est un brave bougre. Ses politiques sont tout sauf transparentes et c'est ce dont un pays a besoin. J'adore les Indiens qui veulent ravoir l'Amérique du Nord en entier parce que leurs ancêtres y auraient peut-être habité et qu'on les aurait décapités jusqu'au dernier. Que voulez-vous, quand la civilisation arrive, il faut prendre le virage. Puis j'adore CSIS, c'est grâce à eux qu'on nourrit le racisme et que l'on sauve notre pureté d'origine. Sans les Services Secrets d'intelligence canadiens, nous serions privés de l'équivalent du Ku Klux Klan canadien, The Heritage Front, financé et composé à même l'argent et les agents secrets du pays, ce brave Grant Bristow par exemple. C'est bien, nous sommes en train de nous construire une histoire et un patrimoine. Je me sens fédéraliste aujourd'hui, comment cela pourrait-il être autrement. Je vis à Ottawa, je veux m'y établir plutôt qu'à Paris, ça vous montre jusqu'à quel point je suis fédéraliste. Aujourd'hui j'adore vraiment les Anglais, sans eux notre niveau de vie serait encore les cavernes et les feux de camp, car la France ne se servait de ses colonies que pour les matières premières, pillage en fait. Ce n'est pas du colonialisme ça. Je vous l'ai dit que je connaissais mon histoire, n'importe quel historien français me contredira, mais franchement, dites-moi, croiriez-vous vraiment un historien français qui parle de l'histoire de la France ? Aujourd'hui j'aime le pape, il n'y a pas plus saint qu'un pape, c'est ma grand-mère qui le dit. Selon ma grand-mère un pape ça devient pape par ordre du ciel, ça communique directement avec Dieu et ça n'a pas tué personne pour arriver où c'est. Ça n'a même pas trafiqué quelques magouilles et écrasé tous les autres pour arriver à la tête du gouvernement le plus puissant de la planète. Pour ma grand-mère, un pape c'est pur. Moi aussi j'ai la foi, il n'y a pas plus saint qu'un pape. On atterrit, c'est le temps, je commençais à devenir fou aliéné.

Le métro de New York, bien qu'il soit dangereux à souhait et que l'on puisse y faire les rencontres les plus effrayantes, je l'aime moins. Il est sale, en décomposition, on y crève de chaleur ou on y meurt de froid. Le métro de Montréal, on n'en parle pas. Trop propre, des wagons bleus quétaines, des stations trop belles, le quartier italien hérite de stations au design italien. Non, un métro faut que ce soit sale, il faut que ça pue, comme le Métropolitain de Paris. Tellement vieux qu'on se demande comment ils ont pu construire ça au début du siècle et comment cela est possible que ce soit encore en fonction. Mais rien ne vaut l'Underground de Londres. Il fait un bruit démoniaque, on dirait qu'il vit. Il sort à une vitesse vertigineuse d'un trou pas plus gros que le wagon lui-même. Le monstrueux Underground, des stations faites en rond où on étouffe, des wagons où on étouffe encore, des corridors où on étouffe encore plus, et lorsque les bombes sautent au dessus et que Londres est en feu, voilà qu'on peut enfin y étouffer tout à son aise partout sur les rails dans les tunnels.

Les gays dans les bars de Paris sont plus beaux que les Parisiens en général. Ils sont à la mode des gays de Montréal et New York. Je suppose que c'est pour ça que je m'y suis reconnu. La musique était la même qu'en Amérique, ce me semblait simple de rencontrer quelqu'un pour passer la nuit avec. Il y a cette uniformisation du monde gai dans le monde occidental, de ce que je peux constater. Comme si l'on pouvait franchir l'océan et construire une vraie société ou communauté uniforme à l'intérieur d'autres plus disparates. J'ai vu plusieurs films gais, j'ai vu des images de bars gais à Londres, on se reconnaît. Nous pourrions former notre propre nation à travers les nations. Gays de l'univers, unissez-vous ! Nous allons prendre le contrôle de ce tout. Ce sera notre société secrète qui arrivera à agir dans le noir puis à la lumière. C'est à la lumière que l'on doit notre vie et c'est à la lumière que l'on vivra. Pour cela il faut cependant façonner les nôtres et les autres.

Demain à Jonquière ce sera le temps des fêtes. Comme d'habitude on ira peut-être au Caméléon pour fêter le jour de l'an. Bar semi-gay du Saguenay, musique alternative, pas mal plus intéressante que n'importe où ailleurs dans le monde. Mais revoir Christèle et son copain, pas sûr que ça me tente. Revoir mes amis, pas sûr que ça me tente. Pourtant je ne puis me passer de Jonquière, l'Envol surtout. Mais pas l'Envol de Paris, quoique les deux envols me caractérisent. Un comme Jonquiérois et l'autre comme Québécois. Sauf que celui de Jonquière est 25 % gay, davantage certains soirs. Fleuron de notre patrimoine, faudrait sauver les ruines. Je vais bouffer comme un malade à Noël, je vais me reprendre pour toutes les fois où je n'ai pas mangé cette année. Ma mère m'aura fait un congélateur complet de pâtisseries, je regarderai dans l'armoire, je verrai que la graisse qu'elle aura utilisée sera de la Maple Leaf, alors on sait que ce n'est pas bon et que ça vient de la vieille bourrique morte qu'on a tuée pour avoir sa viande et sa graisse. Là je serai obligé de lui demander quelle sorte de graisse elle a utilisée, puis elle me dira que je niaise, Amédée va faire une crise, il va claquer la porte, elle pleurera, je retournerai chez ma sœur, j'aurai hâte de repartir, puis finalement je quitterai Jonquière satisfait, comme je le quitte toujours. Tant pis, je ne suis pas le bienvenu chez moi, je serai le bienvenu dans le monde. Car je communique avec les étoiles et le monde m'appartient.

Novembre, le mois des morts, a bien fait son ouvrage cette année. Comme le mois de mars, il déborde dans le mois suivant. Ainsi mon nouveau grand-père vient de mourir emporté par un cancer (lui et ma grand-mère se sont mariés à 83 ans voilà deux ans). Le père d'Hariette, où on allait l'été pour se baigner à St-Gédéon, est mort d'une crise cardiaque en revenant de funérailles. Quel est le troisième mort ? Je n'arrive pas à m'en souvenir, voyez, on les a déjà oubliés. Ah oui, Mme Doucet notre voisine. Ma grand-mère, elle, elle est perdue. Elle souffre d'Alzheimer et voilà qu'on l'a retrouvée dans un centre d'achat, demandant à tout le monde où était son banc d'église. Elle s'est alors mise à pleurer comme un enfant. Ma mère me racontait cela en riant, n'est-ce pas héréditaire l'Alzheimer ? Mais enfin, ça ne vaut pas la fois où ma grand-mère cherchait sa rembourrure de sein à l'église entre les bancs, pour se rendre compte ensuite qu'elle les avait mises du même côté dans son soutien-gorge. Alors elle avait une grosse boule d'un bord et de l'autre rien du tout. Elle priait le Seigneur ainsi. Je propose que ma grand-mère est devenue folle à force de prier et de croire en Dieu. Vous pouvez le constater, tout ce que je raconte d'elle mène au curé. Ainsi je prends conscience que l'humain est mortel et que tout le monde qui m'énerve et qui m'écœure va finir par crever très bientôt. J'espère qu'ils crèveront tous avant moi, ça me permettra enfin de jouir de la vie. Mais que dis-je, petit ignare que je suis, les cons crèvent et sont immédiatement remplacés par d'autres. Et ces cons d'avant ou d'après guerre souhaitent tous impatiemment que moi je crève. Je mourrai peut-être avant eux, qui sait. C'est bien de savoir que l'on va mourir à l'avance, si tel est le cas. Ça change radicalement une vie j'imagine, César tout à coup se met à préparer des soupes à l'oignon, à nous donner la recette, à écrire ce qui sera sans doute son premier et dernier scénario de cinéma. On fera comme avec Bernard-Marie Koltès, que César a interrogé d'ailleurs, que César n'a pas été capable d'interroger d'ailleurs à cause de l'émotion, on savait qu'il n'en avait plus pour longtemps. On fera comme avec Cyril Collard, un dernier film et puis couic, la mort au bûcher. Edrin le connaissait. On fera comme avec Yves de Navarre. Edrin me disait qu'il lui avait dit au téléphone avant son départ pour Montréal : « Je m'en vais en Amérique pour renaître », à quoi Edrin a spontanément répondu : « Comment pourrais-tu renaître en Amérique alors que tu n'as même pas réussi à naître ici ? » Quelle insulte, je l'ai prise en pleine face, évidemment Yves a raccroché le téléphone au nez d'Edrin. C'est vrai qu'Yves Navarre était un homme impossible, mon ancien ami Georges l'avait rencontré à Jonquière dans le temps, il en était revenu traumatisé, il en a parlé pendant un mois. Ça ne l'a pas empêché de déguster son livre
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