Underground un Québécois à Paris Roland Michel Tremblay Éditions T. G., Paris Du même auteur, publiés chez l’éditeur iDLivre : L'Anarchiste (Poésie) Denfert-Rochereau (Roman) L'Attente de Paris (Roman) L'Éclectisme (Essai)








titreUnderground un Québécois à Paris Roland Michel Tremblay Éditions T. G., Paris Du même auteur, publiés chez l’éditeur iDLivre : L'Anarchiste (Poésie) Denfert-Rochereau (Roman) L'Attente de Paris (Roman) L'Éclectisme (Essai)
page17/20
date de publication14.04.2017
taille0.8 Mb.
typeEssai
p.21-bal.com > loi > Essai
1   ...   12   13   14   15   16   17   18   19   20
Grammaire du Français classique et moderne écrite par deux profs de la Sorbonne et ils ont ce ton pédant qui nous dicte ce que l'on est en droit de dire ou pas, ce qu'on est obligé d'utiliser ou non. Ils jugent négativement le roman moderne. Réveillez-vous ! Vous êtes en train de manquer le bateau de la révolution littéraire qui s'opère, eh papa ! Ils sont un siècle en retard et ils s'imaginent que ce sont eux qui font la littérature et la langue parce qu'ils ont passé à travers un petit doctorat pourri. J'ai des petites nouvelles pour vous autres quand vous dites que l'on ne devrait pas s'inspirer de Faulkner ou de Joyce lorsqu'il s'agit d'employer le discours direct sans aucune marque interne ou externe de morphèmes ou termes annonciateurs ou suggestifs ou de guillemets et ses traditionnels deux-points : c'est faux ! La seule chose que vous pouvez dire là-dessus c'est que ça rend la lecture difficile. Puis commencez donc par relire votre grammaire qui prétend nous dicter la vérité, elle est pleine de fautes d'orthographes, d'erreurs de frappe et de retranscription. En plus, elle est tellement prétentieuse votre grammaire qu'elle est impossible à comprendre. Ce n'est pas normal de prendre quatre jours pour lire trente-six pages parce qu'on a tellement voulu faire grammaire de haut niveau que l'on n'explique rien, alors il faut se concentrer une heure sur chaque page. Ça donne juste envie de lâcher le livre, sortir de sa chambre, téléphoner à des gens. Je vais couler mon examen samedi, pas par manque de volonté, mais à cause de la complexité de ces grammaires qui ne cessent d'en inventer, pensant ainsi passer à l'histoire grammaticale du XXIième siècle. Aucune chance, ça fait peur. Il est trois heures du matin, je n'étudie pas, je n'y arrive pas. Ce n'est pas nouveau. Mais au moins j'ai la cervelle en fonction. Il est 21 heures only in Ottawa. I wish I could be there. Je vois d'ici les sujets de doctorat de ces profs-là. Ça devait ressembler à l'étude du point-virgule dans Le Soulier de satin de Paul Claudel. Et c'est ces gens-là qui viennent péter plus haut que le trou ensuite pensant tout savoir. J'en ai assez de ce qu'il est permis ou pas de faire. J'en ai assez parce que c'est les écrivains qui la font la grammaire et qui font que l'usage change et que de siècle en siècle ça évolue et que si on ne laisse pas respirer les auteurs on arrivera à la stagnation et ces profs pourront se targuer d'être ceux qui l'ont défini cette grammaire. Non ! Si je veux m'affirmer auteur, il me faudra inventer la grammaire Roland. Ce ne sera pas un problème, j'ai déjà un plan tout fait. Ça commencerait par l'étude des ellipses dans l'œuvre de Roland qui nous amènerait à inventer le premier chapitre: Les grands absents de la grammaire classique, traditionnelle et moderne. On y retrouverait entre autres le langage Roland, les figures de style à la sauce Roland, les théories psychanalytiques des mécanismes de l'imaginaire selon Roland, comment Roland a été déviergé de son innocence face à la grammaire, et puis un chapitre complet consacré à la prétention de Roland ainsi que ses modalités et fonctions à l'intérieur de la construction de phrases hyper-complexées. Je ferais des millions ! Je me demande si Hachette publierait mon livre et le vendrait aussi cher que celui de mes nouveaux collègues de la Sorbonne. Ah que je suis méchant ce soir. Ces pauvres vieux qui ont dû passer une couple de nuits blanches à nous recopier d'autres grammaires la théorie qu'ils semblent nous apporter ici comme si tout cela venait d'eux. Bon encore, je suis vraiment méchant ce soir. D'accord, je vais aller me coucher parce que demain il va falloir que je me le paye ce stupide livre de grammaire plate à mort.

J'ai parlé avec France aujourd'hui, j'ai beaucoup de respect pour elle. Elle a cogné sur ma porte à sept heures, demain elle veut le faire encore. Je serai incapable de lui dire non, il y a des gens comme ça à qui l'on donnerait le monde sans garantie. Elle me demanderait de lui prêter de l'argent que je n'ai pas et je dirais oui. Je lui ai raconté l'histoire de ma mère qui m'avait dit qu'elle ne voulait plus jamais me revoir à cause de son copain alcoolique qui venait de claquer la porte pour aller manquer son suicide dans la nature, je l'ai gagnée complètement. Maintenant elle va avoir l'instinct maternel et une forte amitié. Complice de mes problèmes, elle croit probablement que je lui ai avoué le plus dur de mes secrets, une confession que l'on ne fait que par courrier recommandé. Dans le fond c'est un peu vrai. Mon seul regret a été de lui dire que je n'étais pas dans la rue, mon père habitait deux rues plus loin. J'aurais voulu lui dire que j'étais vraiment dans la rue, sans le sou. Mais on ne peut tout de même pas faire plus pitié pour le plaisir d'avoir l'amitié des gens, et d'ailleurs je ne suis pas sûr si c'est une bonne idée d'installer des bases amicales sur ces histoires. Je n'ai nul besoin d'une mère protectrice, j'ai besoin d'une bonne amie à Paris, une amie que je serais heureux de voir, ce qui est très rare. En fait, à part Sébastien, je ne me souviens pas d'avoir vraiment été heureux de rencontrer quelqu'un. Edward peut-être. C'est plutôt un besoin quand ça fait trop longtemps que tu pourris dans ta chambre. Ou bien, bon, parfois entendre les problèmes de tes amis ça te fait comprendre que les tiens ne sont pas si grands.

Le meilleur ami de France est gay, comme par hasard. C'est pourquoi elle s'est tout de suite reconnue en moi, à cause de cet autre moi à Montréal probablement. Qui sont donc ces gays, grands confidents de ces femmes, qui répandent la bonne nouvelle et l'écoute sur leur chemin et nous facilitent la tâche afin d'approcher les gens ? Ainsi serait-ce que les gays sont les seuls hommes qui écoutent ces femmes ? Seraient-ils les seuls hommes à ne point vouloir voler une parcelle de leur sexualité ? C'est que la France me confiait que les conversations avec les hommes sont souvent oppressantes. Ici à la Maison des étudiants canadiens, ça fait trois mois que les gars n'ont pas baisé et ils ne peuvent plus se contenir, même si leur douce moitié existe quelque part sur la planète. Je lui ai dit que je croyais en la fidélité, je le pense malgré mes erreurs, sinon toute relation serait impossible. A ne pas croire en la fidélité j'aurais déjà couché avec le Switzerlandais, avec l'autre en bas, je serais sorti dans les bars gais de Paris, j'aurais rencontré des gens, j'aurais déjà couché avec Franklin, et puis même avec Franklin et Edrin à la fois. Quelle vie ce serait pour Sébastien, le pauvre. C'est pourquoi je pense que même s'il y a des manques, vaut mieux ne pas s'entendre sur un concept de fidélité plutôt morcelé. Les chances de coucher avec le monde sont infinies. Je suis gay et voyez les chances qui se sont présentées à moi. Ce doit être pire chez les straights, cela voudrait dire que j'aurais cinq victimes potentielles sur huit, juste dans l'aile de mon étage. En étant gay, j'ignore quelles seraient les victimes possibles dans la maison. Peut-être Eric, mais il est ou coincé ou discret. Quelques filles m'ont d'ailleurs fait un minimum d'avance au 5 à 7 l'autre jour. Un minimum, il faudrait ensuite que je me compromette. Alors elles pourraient se rétracter et m'accuser d'être la bête immonde qui veut coucher avec elles. Mais enfin, ce n'est pas sûr qu'elles se rétracteraient. Il n'y a plus de belle morale, les filles ne sont pas plus folles que les gars, du sexe, elles en veulent. D'ailleurs, le gars à côté se masturbe encore ce matin.

La vie est plate, affreuse, longue, ennuyante. On la perd à faire des choses totalement inintéressantes, comme si c'était la seule chose que l'on avait trouvé à en faire, la rendre la plus démotivante possible. Il n'y a rien de plus plat que la grammaire sur la planète et je ne vois pas l'heure de relire des notes complètement assourdissantes et incompréhensibles. Je n'ai pas le courage de lire les briques qu'il me faut lire pour samedi. La France m'a déjà laissé tomber. Notre pacte de fidélité de ce matin, elle ne semble pas le mettre en pratique. La voilà qui va souper avec Steve, seule, et qu'elle veut sortir à l'Envol. Moi c'est l'abandon complet. Je ne vais servir que pour prendre le café tôt le matin. J'ai dû l'effrayer avec mes histoires d'enfant traumatisé. Le gars d'en dessous, Maurice, j'ai dû lui dire certaines choses qu'il n'a pas digérées, il est devenu soudainement froid. Je ne vais plus aller les voir, les laisser venir à moi, de toute façon je ne suis pas de nature très sociable. Je déteste les gens, ils n'ont rien à dire, rien à m'apprendre. Quelques exceptions, mais même les exceptions font des problèmes. Je vois déjà notre amie France aller parler au psychologue de mon homosexualité, me voilà tout découvert. Mais maintenant que je parle avec Maurice, que j'ai parlé un peu avec lui, alors que tout le monde le sait pour lui, me voilà probablement étiqueté. La vie n'est qu'une longue série d'étiquetage. D'où viens-tu, en quoi étudies-tu, as-tu une copine, ou même un copain... et voilà, on te pose une étiquette, on pourra t'envoyer à la morgue plus facilement quand on te retrouvera écrasé sur les rails en dessous d'un RER. Parce que je ne me fais pas d'illusions, les formalités que l'on doit rencontrer quand on meurt doivent être infernales. Heureusement nous n'y sommes plus et ce n'est plus de notre ressort. On m'expatrierait peut-être dans le fond du Québec ? Mon père ferait tout pour qu'on me mette au four à 4000oC le plus tôt possible, alors que par superstition j'aimerais que l'on attende trois jours avant de le faire. En plus, le mieux serait que l'on jette mes cendres sur un champ vert. Mais la liberté n'existe pas dans ce bas monde, on va m'enfermer dans une urne affreuse, plaquée faux or ou en argent. Peut-être en or, quel gaspillage ce serait. Mais je ne me fais pas d'illusions là-dessus non plus, personne ne voudra débourser pour mon urne. Est-ce qu'on dit une urne ou un urne ? Comme dirait la mère de Sébastien, la vie est une belle saloperie. On ne se demande pas pourquoi Yves Navarre et Romain Gary se sont suicidés malgré leur succès, la vie est une vraie saloperie. Tu vois le métro passer, tu as juste envie de te tirer en dessous. Tu n'as même plus besoin de le faire volontairement - ou bien c'est inconscient - depuis mon arrivée à Paris on m'y a presque poussé à trois reprises, par des gens énervés qui ne voulaient pas attendre trois minutes pour le prochain train. Mais à courir comme ça, faudra deux heures de repos rendu à la maison pour compenser cette demi-heure de course dans la vie souterraine de Paris où chaque jour des millions de gens y risquent leur vie. Grégoire me parlait de ces gens qui chaque jour se lancent sur les voies ou ceux qui justement y sont poussés. On entend que suite à un accident les trains en direction de Charles de Gaulle Etoile seront retardés de quinze minutes. Le temps qu'on enlève le corps écrabouillé sur les voies, électrocuté, coupé en morceaux, mort instantanée, what a way to die ! A Paris en plus, on immortalise le mythe. Je vais aller boire une bière, j'ai envie de me saouler la gueule, ne pas étudier, couler le partiel, abandonner mes études, crisser le camp sur le pouce, aller le plus loin possible de Paris. Un autre moyen d'aller loin serait peut-être de me jeter sur les rails justement. Mais comme je suis pervers, je m'arrangerais pour qu'on m'y pousse et ainsi porter la mauvaise conscience de l'humanité sur au moins une personne. Elle se sentira coupable de m'avoir poussé sur les rails, mais en fait, elle devrait plutôt se sentir coupable de n'avoir rien fait pour améliorer le sort de l'humanité. La vie est une vraie saloperie.

Je viens de terminer la lecture de mes notes pour le seul cours de M. Tapin, j'y ai passé la journée entière. Il me faudrait relire d'ici samedi 10h mes notes au moins trois fois, ma Grammaire du français (600 pages), Syntaxe du français, L'Enonciation en linguistique française (La grammaire 1: phonologie, morphologie, lexicologie), Introduction à l'analyse stylistique, Le Vers français, un dictionnaire de lexicologie à apprendre par cœur, une grammaire du 17ième siècle, et bien sûr, connaître à fond Tartuffe et L'Ecole des femmes de Molière. Limitons-nous à huit briques, deux par jour, est-ce possible ou vais-je flancher ? La question se pose-t-elle. La vie est vraiment plate. Pourquoi faut-il sans cesse que l'on m'en impose autant. La matière du cours est tellement dense, le plan de l'examen me semble tellement irréaliste, en deux heures j'aurai à peu près juste le temps d'écrire mon nom et de lire les questions. Cinq grosses parties, des douzaines de sous-parties. Peut-être s'imaginent-ils que l'on va écrire une phrase par sous-partie ? Et cela serait-il possible. Le tout implique une connaissance professionnelle d'une science si grande qu'elle était restée totalement insoupçonnée : la christ de grammaire ! Moi qui déteste la grammaire. Moi qui ne voulais qu'apprendre à ne plus faire trop d'erreurs. Je vois maintenant, je le sais que la moitié de la classe va couler et que j'en serai. Autant abandonner tout de suite, c'est une perte de temps. Je n'ai pas été habitué à un tel système, je vais recevoir la volée de ma vie, une méchante claque en pleine face. Je vais, disons, tenter de faire mon possible. Y travailler comme c'est possible dans les circonstances, et prier. Prier pour qu'une aide extérieure m'absolve de cette tâche, ou du moins, qu'elle m'aide à passer au travers, aussi pour l'année scolaire qui s'en vient. Que dirait tout le monde si je retournais au Canada ? Que diraient les gens de la nef mère si je rebroussais chemin et décidais d'abandonner mes idées de grandeurs de découvrir la fin de l'océan ? Quel échec ce serait. Dans ce cas-là j'aimerais encore mieux demeurer ici et perdre mon temps, à espérer que Sébastien vienne m'y retrouver, parce que là je m'ennuie pour vrai. Il était nu dans mon rêve tout à l'heure. Nous étions l'un contre l'autre et c'était si réel que je me suis réveillé en sueur. Ça commence à être grave. Il faut que quelque chose arrive, qu'il vienne ou que j'y aille, l'un ou l'autre, mais vite ! Bof, finalement le partiel ne m'énerve pas. Il est là pour nous donner une claque et pour s'assurer qu'on lit un peu. Alors je vais lire un peu, recevoir la claque, ne pas la sentir ou faire semblant, et survivre.

Je suis dans le cours de M. Tapin. Je viens d'apprendre que le partiel ne compte pas et que la majorité n'ira même pas à l'examen. Dans la même veine j'ai appris que le taux d'échec est 80 % et que la lecture des livres que j'ai achetés serait largement insuffisante. Suicide suicide suicide suicide suicide suicide.

Je m'ennuie de Sébastien. Je me souviens de ce souvenir à l'Université d'Ottawa où on s'était embrassé un peu pas mal à la sortie arrière de Fauteux, mon ancien pavillon de droit, souvenir oublié. Les souvenirs qui me remontent, étrangement, sont ceux où l'on s'est rencontré. Quand il est venu chez moi un soir d'hiver, on s'était sauté dessus, quelle sensation c'était. Quelle nostalgie soudainement. Si c'était fini entre nous, comme je souffrirais en ce moment. J'ai même peur que quelque chose change. J'ai aussi ce dernier souvenir, la veille de son départ pour le Canada, quand il était en caleçon, parlant au téléphone avec Albane. Je m'étais collé contre lui. Je souffre. C'est plaisant de voir que ce qui m'excite le plus en ce moment ce sont ces souvenirs et non pas les possibles qui pourraient arriver avec d'autres. Je n'aime pas l'idée d'avoir du sexe pour avoir du sexe. Je ne condamne pas cela cependant. Si je n'étais pas avec Sébastien, bien sûr, à défaut d'avoir quelqu'un, pourquoi pas. Mais ça m'excite moins, il y a une fin brutale, rapide et on n'est pas contenté. Mais je ne peux pas dire que j'ai eu beaucoup de sexe pour avoir du sexe à l'opposé des autres, straights y compris, qui m'entourent. En fait, je n'en ai pas eu. Avec le prof il ne s'est pratiquement rien passé et ça ne m'excitait pas. Sylvain, ça m'a traumatisé plus qu'autre chose, je ne m'acceptais pas. Il n'y a que Sébastien et Edward. Mais Edward, puisqu'il doit toujours y avoir un mais, ça n'a été qu'une seule nuit et on n'est pas passé des heures dans les bras l'un l'autre. Le spectre de Sébastien nous rongeait. Mais j'avais des sentiments pour lui, sentiments complètement morts aujourd'hui. Franklin me disait que, si j'ai eu des sentiments pour Ed, il est impossible que j'en aie eu ensuite pour Sébastien. Au contraire, j'aime davantage Sébastien aujourd'hui. J'avoue que cela est inexplicable après tout ce qui s'est passé.

J'écoutais des filles parler aujourd'hui, faut être malade pour faire ses études à la Sorbonne. Ça fait deux et trois ans qu'elles tentent de passer ce cours de grammaire chiant. C'est délibérément fait pour te faire couler des années pour la bonne réputation d'une école. Des écoles avec de bonnes réputations, sure, but not on my back! Il y a une limite aux problèmes que je veux me donner pour le plaisir de dire que je suis gradué de la Sorbonne, en admettant que je vais m'en sortir. C'est sûr, the first thing I should do is start studying. Sure, that's what I should do, but that's not what I will do.

Je n'ai pas pu dormir, on est allé à l'Envol, le bar québécois. C'est moins pire que j'imaginais, même que l'atmosphère y est agréable. Bref, je me suis senti chez moi, d'autant plus qu'on a écouté le téléjournal de Montréal et même que ça m'a fait un peu chier. Toute une mise en scène melting pot de toutes les pièces de Michel Tremblay, spécialement pour monsieur Tremblay. On est en train de lui dire merci parce qu'il va mourir bientôt ou quoi ? Ça me montre que moi je n'arrive nulle part. Seigneur, j'ai fait un misérable 6000 $ cet année, le seuil de pauvreté c'est 12 000 $. Les espoirs conduisent le monde, on espère des choses et ça reste espoir, ça ne se réalise pas. Comment on fait pour devenir U2 ? On travaille fort, mais cela suffit-il ? Le Bono, cette nouvelle mode de montrer une image de soi un peu homo et même travestie. Peut-il vraiment en tirer profit ? C'est ça l'image un peu dure qu'ils recherchent ? Un groupe non gay en arriverait-il à pousser la fausse image jusqu'au point de nous faire croire qu'il est gay ? Moi je n'ose même pas avouer que je suis gay aux gens de la Maison des étudiants canadiens, ni à ma classe, ni au travail, ni... eux ils en font une fierté et ils ne le sont pas. A moins qu'ils le soient, sincèrement je l'espère, mais alors leurs chansons seraient de la frime. Au moins Morrissey (un autre avec qui je coucherais) ne tente pas de nous en faire croire. Quoique je devrais peut-être me sentir flatté ? Comme si c'était un modèle à suivre en société ? C'est être branché d'être gay ? Demandons à Mimi on the beach, Jane Siberry, pas lesbienne mais fait tout pour qu'on le croit. Elle l'a avoué publiquement, elle n'est pas lesbienne. Ce doit être un aveu difficile à faire. Je peux les comprendre, moi non plus je ne voudrais pas être hétéro. Tout mais pas ça ! Mais il faut que je fasse attention aux préjugés. Je suis un peu vite à les juger. Peut-être qu'on arrive à être straight et avoir des rêves et de l'imagination et être heureux et vouloir faire le bien. Ce serait déjà mieux que moi, parce qu'il ne faudrait pas me laisser m'amuser avec une centrale nucléaire, ça péterait en trois minutes. Puis il faut me souvenir du scientifique que j'ai rencontré l'autre soir, à peine si je lui ai dit une chose, genre, ton univers de scientifique, il s'est senti attaqué et a éprouvé le besoin de se justifier. Me disant qu'il était capable de sentiment et de passion et qu'il était capable d'aimer sa copine et que les gens se font une fausse opinion de lui. J'avais un peu honte de moi, mais après trois heures de conversation plate à mourir à propos de Science, Dieu, Vérité et des concepts et des notions tellement vagues que les morts deviennent davantage réels que les vivants, je me demandais si je n'avais pas raison dans mes préjugés. Pauvre femme, ce doit être fatigant de vivre avec ça. Pourtant je devrais pouvoir faire un effort, tant de gens se font de fausses idées sur moi, ouh, il est gay, immoral, sida, mérite la mort. Mais souvent les gens ont raison dans leurs préjugés, surtout en ce qui me concerne. Oui je suis immoral, oui je suis peut-être séropositif, je suis très à risque de toute manière, puis oui je mérite la mort, pour renaître en Antéchrist et tous vous exterminer. On relira peut-être ça un jour et vous pourrez confirmer vos préjugés. Oui, j'en avais des idées à la Staline, pour un juste rétablissement de l'équilibre pour l'histoire. Mais moi j'aurais réussi à me débarrasser de tout le monde, parce que c'est tout ce qu'il mérite le monde. En psychanalyse, que voudrait dire cette volonté de détruire l'humanité ? Frustration, refoulement, complexe inversé, drame de l'enfance, enfant qui s'est rendu compte qu'il n'existait pas sur terre d'origines merveilleuses et qui maintenant va se venger de sa misère. Eh bien non, je ne suis pas violent, ce serait encore un préjugé de le croire. Au contraire, la France est tombée amoureuse de moi. Me flattant sans cesse, se rapprochant avec des familiarités un peu folles. Elle ne garde pas tout pour elle, ce soir à l'Envol elle a presque carrément avoué à l'assemblée que j'étais gay. Je n'ai vraiment pas aimé.

I am in the Métropolitain, somewhere between l'Assemblée nationale and Concorde. Un quêteux a fait son discours et a insisté sur le fait qu'il acceptait toute forme de nourriture. Or, j'avais un sandwich gruyère à moitié mangé dans la main. Que pouvais-je faire d'autre qu'écouter mon cœur et dans un élan lui offrir mon sandwich gruyère ? Il ne l'a pas voulu ! Je n'arrive pas à le croire, c'est trop drôle. Mais ça a soulagé ma conscience. Ce qui est encore plus drôle c'est qu'il a commencé par dire que beaucoup de quêteux n'étaient pas sincères et d'autres l'étaient, que c'était sa propre situation et qu'il n'avait rien mangé depuis x jours. Mais quelqu'un qui n'a rien mangé depuis x jours refuserait-il trois quarts d'un sandwich gruyère ? Et dieu qu'il était appétissant ce sandwich. J'avoue qu'il serait immoral de juger la sincérité de quelqu'un sur l'acceptation ou non d'un sandwich gruyère. Si ça se trouve, ça prouve que quêter dans le métro c'est noble, dire que l'on accepte toute sorte de nourriture également, mais de ramasser un sandwich entamé, ça par exemple, un quêteux n'oserait jamais s'abaisser à cela.

La France m'a complètement laissé tomber. Allez, ouste ! Non seulement elle ne me parle plus, mais en plus elle va prendre un verre de bière avec Eric et un autre avec Steve ensuite. Comme par hasard, tout ce beau monde tout à coup me regarde bizarrement. Ça a commencé avec Christel, elle est devenue bête du jour au lendemain, Eric me parle maintenant un minimum, et Steve, lui, au contraire, m'observe avec des yeux d'un psychologue surintéressé à enfin analyser un cas gay. Quel est donc l'intérêt de France d'avoir crié à tout le monde que j'étais gay ? On ne peut pas faire confiance à ceux qui semblent les plus ouverts, ce sont ceux qui ont tellement banalisé l'homosexualité qu'ils le crient partout, se foutant des restes de préjugés qui restent à l'intérieur des gens. Et si moi aussi j'ai envie de les mépriser pour leur hétérosexualité, hein ? La fille à côté entre autres qui fait craquer le lit et qui jouit pour les trois étages ? Elle s'en retourne à Montréal d'ailleurs, elle semble heureuse de laisser son Tunisien à ce qu'on voit. Etre gay n'est pas si pire, mais que des gens qui n'en ont jamais côtoyé tout à coup en côtoient un, ce n'est pas toujours évident et c'est toujours un long apprentissage. Un peu comme de découvrir que ton voisin est séropositif, je suppose.

Je repense à Ed. Sans lui je ne serais même pas à Paris. Il m'a téléphoné ce soir. Je lui ai dit que je m'ennuyais de lui, il a explosé. Il dit qu'il a encore montré ma photo à des amis hier. En plus, il a dit à son copain qu'il m'aimait avant tout et que je passais avant tout le monde. Il est malade. Il paye un appartement de 1100 $ dans le centre-ville de New York, il veut que j'aille le rejoindre. Si je m'écoutais je partirais ce soir. Ainsi j'ai mon deuxième copain qui m'attend à New York avec une place pour moi dans son lit. Bref, Ed m'attend à New York, il dit qu'il viendra peut-être à Paris quand il aura trouvé un colocataire et qu'il pourra enfin économiser de l'argent. Il se demandait s'il fallait mettre Sébastien au courant. Je lui ai suggéré de venir pendant que Sébastien serait là. Il a dit non. He doesn't seem to understand that I don't want to sleep with him, because I love my Sébastien more than anything. Que ferai-je lorsqu'il viendra ? Il est passé sur plusieurs gars depuis peu, son dernier copain l'a laissé là, il en a trouvé un autre qui n'est pas un vrai copain. Ces derniers chums étaient tellement beaux que ça ne s'explique pas au téléphone. Mais ce qui s'explique c'est que c'est impossible de garder des chums comme ça plus d'un mois. Et encore, ils te trompent. C'est beau la vie. Enfin, demain il me faut me trouver une lampe de poche et descendre dans le trou. J'ignore ce que je vais y trouver, peut-être même y a-t-il des sans-abri en dessous. Je ne sais même pas s'il y a effectivement une station de métro désaffectée. Là il me faut descendre en bas parce que ce soir on fête la Noël à la Maison des étudiants canadiens. Noël un 10 décembre, ça se comprend, tout le monde décrisse le 15 pour le Canada. Mais qu'est-ce qu'ils vont tous faire au Canada, l'action, c'est ici qu'elle se passe, pas en Amérique.

I feel so sick my fingers hurt. Qu'est-ce que j'ai fait ? Huit bières, je vais fonctionner comme un zombi toute la journée. Je commence à me sentir coupable de ne rien foutre pour la maîtrise et l'université. Il y a eu la soirée dansante de l'élite de la MEC hier, ce fut terrible. Des gens au doctorat ou au postdoctorat qui ne sont jamais sortis de leur vie, ou du moins jamais sortis dans les cinq dernières années. On en a fait des monstres. Ça danse comme des planches de bois séchées au soleil, mais fait surprenant, une bonne partie connaissait les chansons. La musique était d'ailleurs très bonne, j'ai dansé. Mais bon, c'est le genre de soirée qui fait peur et dont tu regrettes d'avoir trop crié le lendemain. Là je n'ose plus sortir de ma chambre. Ils ont passé Tainted love, Sunday Bloody Sunday, The Smiths, Duran Duran, ce n'est pas pour me rajeunir. Moi qui suis déjà si vieux. Il y avait une fille tellement niaiseuse, mais paraît-il, elle n'est pas comme ça d'habitude. Elle se tenait si près de moi que je ne comprenais plus. Après coup, Maurice m'a dit qu'elle savait que j'étais gay. En plus elle le contait à tout le monde. Ça va m'apprendre, à l'avenir je ne me ferais plus d'amis gays dans les genres de pensions comme ici. Il me reste la misanthropie pour ne plus me tracasser. Ah et puis je m'en fous. Mais si Sébastien venait habiter avec moi après Noël ? Ce sera clair qu'on est ensemble. J'ose à peine y penser. De toute façon, je rêve si j'imagine que Sébastien va venir après Noël. Je suis arrivé à côté d'un gars qui parlait avec une superbe fille. Tout à coup j'entends parler philosophie hyper-poussée, comme j'en voyais dans mes cours de philo anthropologique ou anthropomorphique, je ne sais plus. Pauvre fille. L'autre malade de tantôt, Florence qu'elle s'appelle (je ne mens pas, la semaine passée je rencontrais la France, et maintenant c'est Florence), commence à me dire que ça n'a pas de bon sens parce que le gars est incapable de parler d'autre chose que de philosophie. Juste en arrière il y avait l'autre scientifique avec qui j'ai passé une soirée à m'obstiner à propos de la vérification scientifique de l'hypothèse d'une vérité ou de la Vérité. Alors on commence à rire, que ces gens-là n'ont pas de vie, leur vie c'est leurs études. Alors j'ai soudain le malheur de demander à Florence, qui est au doctorat, sur quoi elle avait fait son mémoire de maîtrise. Oh my god! « J'ai fait une étude de linguistique comparée entre un roman français et un roman espagnol de... » ça a duré vingt-cinq minutes, la tête m'en tournait. A la fin je me suis retourné vers Eric et je lui ai dit à la blague qu'elle était aussi pire que les deux autres. Aucune réaction, elle s'est défendue qu'elle c'était différent, que c'était important et intéressant. Ça me fait penser à l'étude que fait Maurice pour une revue, une analyse du rôle social que joue Madonna par la dichotomie vierge \ putain dans
1   ...   12   13   14   15   16   17   18   19   20

similaire:

Underground un Québécois à Paris Roland Michel Tremblay Éditions T. G., Paris Du même auteur, publiés chez l’éditeur iDLivre : L\Note : Underground contient certains passages en anglais, ils ont...

Underground un Québécois à Paris Roland Michel Tremblay Éditions T. G., Paris Du même auteur, publiés chez l’éditeur iDLivre : L\Du même auteur : joie, éd. Le Temps des Cerises, Paris, 1997
«Paris—is—really—great !», semblables non seulement en apparence, mais aussi dans leur voix et leur façon de parler, à tel point...

Underground un Québécois à Paris Roland Michel Tremblay Éditions T. G., Paris Du même auteur, publiés chez l’éditeur iDLivre : L\Du même auteur, publiés aux Éditions T. G

Underground un Québécois à Paris Roland Michel Tremblay Éditions T. G., Paris Du même auteur, publiés chez l’éditeur iDLivre : L\Du même auteur, publiés aux Éditions T. G

Underground un Québécois à Paris Roland Michel Tremblay Éditions T. G., Paris Du même auteur, publiés chez l’éditeur iDLivre : L\Roland Michel Tremblay, Londres uk

Underground un Québécois à Paris Roland Michel Tremblay Éditions T. G., Paris Du même auteur, publiés chez l’éditeur iDLivre : L\Pierre Curie (15 mai 1859 à Paris 19 avril 1906 à Paris) est un physicien...

Underground un Québécois à Paris Roland Michel Tremblay Éditions T. G., Paris Du même auteur, publiés chez l’éditeur iDLivre : L\Est née à Paris en 1965. Depuis 1999, elle a publié huit récits aux éditions Verticales, dont

Underground un Québécois à Paris Roland Michel Tremblay Éditions T. G., Paris Du même auteur, publiés chez l’éditeur iDLivre : L\Les cinq constituants du ton
«Respirer, parler, chanter La voix, ses mystères, ses pouvoirs», Le Hameau Editeur, Paris 1981

Underground un Québécois à Paris Roland Michel Tremblay Éditions T. G., Paris Du même auteur, publiés chez l’éditeur iDLivre : L\Littérature québécoise
«roman d’anticipation utopiste», note Jacques Allard; d’autres parlent aussi du «premier roman séparatiste au Québec», ou du «premier...

Underground un Québécois à Paris Roland Michel Tremblay Éditions T. G., Paris Du même auteur, publiés chez l’éditeur iDLivre : L\Tid vente Preparation;Art tNumLotPr�parationVente;Art Designation;Art...








Tous droits réservés. Copyright © 2016
contacts
p.21-bal.com