Underground un Québécois à Paris Roland Michel Tremblay Éditions T. G., Paris Du même auteur, publiés chez l’éditeur iDLivre : L'Anarchiste (Poésie) Denfert-Rochereau (Roman) L'Attente de Paris (Roman) L'Éclectisme (Essai)








titreUnderground un Québécois à Paris Roland Michel Tremblay Éditions T. G., Paris Du même auteur, publiés chez l’éditeur iDLivre : L'Anarchiste (Poésie) Denfert-Rochereau (Roman) L'Attente de Paris (Roman) L'Éclectisme (Essai)
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date de publication14.04.2017
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How soon is now?, il y a de quoi danser, surtout avec six bières dans le corps. Saoul mes amis ! J'ai été direct au but avec Fred, je lui ai dit que les bars gais dans le coin ça faisait pitié, que la musique c'est pourri. Il a dit que c'était vrai. Je lui ai ensuite dit que la Renaissance dans le temps, ça c'était un bon bar gai. J'ai comme l'impression qu'il est gay.

La crise allait éclater, j'aurais dû m'en douter et la prévenir, mais voilà, les choses sont ainsi faites ici que ça explose lorsque l'on s'y attend le moins. Croyez-vous que je n'aie l'expérience depuis le temps ? Je fais tout pour essayer de ne pas trop en faire, même jusqu'à ne pas sortir de la maison, mais voilà qu'aujourd'hui j'ai dit à ma mère qu'elle mettait beaucoup trop de beurre sur le pain. Ça tombait mal parce qu'elle était fatiguée de son avant-midi de travail où elle garde quatre enfants à 1 $ l'heure, et qu'en plus, le grand-père venait et elle n'avait pas eu le temps de faire son ménage. Pour ajouter au tout, Amédée a décidé de sacrer le camp parce que je serais selon lui quelqu'un qui chiale tout le temps. J'imagine que j'ai des torts dans cette histoire, je passe un commentaire sans m'en rendre compte, ma sœur est comme ça aussi, et surtout mon père. Mais maintenant que la famille est définitivement éclatée, il faut faire avec Amédée, le chien, M. Dupuis, Odette, Louiselle, Valois, Patrick et sa copine, la fille d'Amédée et son copain. Peut-on vraiment essayer de contenter toute cette nouvelle famille que l'on m'impose ? Bien sûr, mais même à essayer ça ne fonctionne pas. Le vrai problème c'est Amédée. Ma mère s'accuse elle-même, mais on sait que c'est Amédée. C'est lui qui marmonne en arrière et qui ne dit jamais rien jusqu'à ce qu'il claque la porte parce que ma mère ne nous dit jamais rien non plus. Il faut s'adapter, il faut prendre sa place et ne rien dire, il faut essayer de développer une complicité, bien que ce soit difficile avec des hypocrites qui font semblant que tout va bien en disant que rien ne va dans notre dos et que les agents de liaison ne font pas leur travail, c'est-à-dire en nous conseillant clairement de ne pas faire ci ou ça. Ça me donne encore l'impression d'être un mauvais garçon, quelqu'un qui ne sait pas vivre, pourtant, quand je regarde à côté, j'ai l'impression que nos petits problèmes sont tout de même banals. Pierre-Marc semble être sur la drogue, il boit comme un déchaîné chaque soir, il vient de perdre sa blonde, il a fait trois accidents avec l'auto d'Harold en trois jours à cause de l'alcool. Marie-Anne ne rentre plus le soir, à la plage elle disparaît avec des gangs de gars que l'on accuse de voler des roulottes. La situation dans la famille du côté de ma mère ne tient plus qu'à un fil, ma mère est maintenant incapable de sentir Tania, elle trouve qu'elle chiale trop après Fernand et qu'elle fait tout le contraire de ce qui serait normal avec ses enfants. Pourtant, lorsque ma mère s'est mise à pleurer tantôt, j'ai dit que je comprenais maintenant, que j'allais essayer de faire un effort à l'avenir, qu'Amédée, j'allais essayer de m'en rapprocher pour rire avec lui. Semblerait que l'épisode de l'ordinateur que je lui ai donné soit passé et que maintenant il me faudrait faire un autre geste pour réussir à m'entendre avec. C'est bien, mais c'est à sens unique. Ma mère m'a dit en plus que c'est déjà très difficile pour son copain d'accepter les homosexuels, qu'il est incapable de les sentir, mais si en plus il fallait qu'ils se lamentent, là, c'est trop. Elle dit que M. Dupuis lui a dit que les végétariens il connaissait ça, ils finissent tous dans des sectes religieuses bizarres puis se font mettre en prison. Puis quoi encore ? Elle dit qu'il ne faudrait jamais qu'il sache que je suis gay, ce serait la guerre. Elle dit qu'il veut tous les tuer. Je me demande ce qui flotte dans le cœur d'Odette, j'imagine que je vais le savoir avant de partir, sinon, le motton va rester, ils vont se contenir jusqu'à ce que je parte. Est-ce un bon moyen de régler un problème ? Ils voudraient que l'on soit hypocrite à mort. Qu'on les flatte à ne plus finir, qu'on dise que tout est beau et bon, même quand ce n'est pas le cas. Et on le fait, mais pas assez à leur goût.

C'est l'enfer dans la famille parce que Pierre-Marc vient de décider qu'il allait faire électrotechnique au CEGEP plutôt que l'ingénierie à l'université. Bien sûr, Harold était le premier à dire que j'étais un médiocre lorsque j'ai lâché les sciences pures au CEGEP et que j'ai abandonné le droit. Je ne vaux pas grand-chose à ses yeux, à l'entendre ses enfants allaient devenir médecins. J'ai abordé la possibilité d'aller en génie devant le grand-père, ses yeux se sont illuminés. Je regrette de lui donner de faux espoirs, je n'étais pas pour lui dire que je m'en allais à New York, quand même. Je lui ai répété quatre fois que ça allait attendre un an parce que j'allais prendre un arrêt pour travailler. Il m'a dit qu'il allait payer mes études (après s'être assuré que j'avais bien l'intention de les finir et d'avoir demandé si j'en avais les capacités). Il m'a dit de ne pas hésiter à l'appeler si j'avais des problèmes et que j'étais en génie. Autrement, crève de faim mon p'tit garçon, parce qu'on s'en fout. Ainsi donc la société s'organise pour aider et tout donner à ceux qui deviendront médecin, ingénieur ou avocat, alors qu'eux, ils n'auront pas de problèmes plus tard. Le reste, on ne les connaît pas. Mais quels sont donc leurs intérêts ? S'imaginent-ils que si l'on est ingénieur on va les soutenir plus tard, et que sinon il n'y a aucune chance qu'on les soutienne ? Il a dit qu'il fallait au moins que l'on me réchappe, genre, qu'il fallait que l'on me conduise quelque part. Comme si mon diplôme en littérature, ça, ça ne valait rien. Ma mère et Odette en ont long à dire sur la famille de mon père de Desbiens qui n'osait pas, encore aujourd'hui, se mélanger avec les Champagne parce qu'eux sont des intellectuels et que les Champagne sont des gnochons. Je commence à voir clair. Je commence à croire que je suis vraiment mal tombé dans cette famille de malades dont plus de la moitié des seize enfants sont ingénieurs alors que l'autre moitié ne tient plus à terre et veut absolument sauver l'honneur de la famille en boostant les enfants. Ces gens-là auraient intérêt à sortir de leur trou, ils verraient que le commérage se perd dans les grandes villes et que l'honneur, ça ne veut plus rien dire. Faut pas avoir d'orgueil dans la vie. Ou du moins, il ne faut pas en faire une obsession. Mon père s'inquiète beaucoup avec moi parce qu'il trouve que je vais nulle part. J'avoue que c'est peut-être vrai, je m'en fous. Tout ce que je sais pour l'instant c'est que j'ai franchement hâte de décrisser d'ici, et ce ne sera pas parce que je n'aurai pas fait d'efforts. Puis je vais faire l'hypocrite, je vais leur dire que mes vacances ont été merveilleuses. J'aurai été une seule fois à la plage et je n'aurai même pas fait de camping. Trop cher, trop compliqué. Eux, ils sont incapables de comprendre pourquoi je veux me retrouver trois jours seul dans les bois pour refaire le plein d'énergie, parce qu'eux ça ne leur arrive jamais de voir que leur univers est tellement stressant qu'il faut s'en éloigner parfois. Sont incapables de comprendre que je puisse dépenser dix dollars parce que je suis supposé être pauvre. Pendant ce temps ils dépensent à la pochetée sur toutes sortes de choses inutiles sans s'inquiéter outre mesure. Enfin, à les entendre, si j'ai bien compris, je suis plus riche qu'eux en ce moment.

Ouh là là, j'ai parlé avec ma sœur en une soirée au chalet à son copain, on s'est vidé les entrailles. J'ignore si ça fait du bien ou si au contraire ça nous renfonce dans les problèmes, mais moi je sais que ça me renfonce. Parce que les problèmes de la famille are deeper than I thought. Où donc étais-je moi ? Comment donc ai-je pu oublier des choses qui sont davantage marquées dans le cœur de ma sœur ? Au début j'avais peur, quand ma sœur boit huit bières, habituellement une crise va suivre. J'y ai goûté plus d'une fois. Là, par miracle, la crise n'a pas éclaté. Mais à la fin, il était temps que l'on aille se coucher, ça s'en venait. Conclusion, tous les gens qui l'entourent sont des malades, des parents jusqu'à Nancy en passant par tous les techniciens du bureau et les ingénieurs seniors. Disons qu'elle avait bu. Mais j'apprends à me souvenir que nous étions des enfants battus. Voilà, certains en déduiraient que ça explique pourquoi je suis homosexuel. Bien sûr, battez vos enfants, ils deviendront névrosés, homosexuels ou premier ministre. Il est vrai cependant que chez nous ça fonctionnait aux coups de pied et aux claques. J'apprends aussi que ma sœur était la plus droguée et folle de la ville avec ses amies. Bon, je le savais déjà, mais enfin, c'est pire à chaque fois que j'en entends davantage. Même François prenait de la drogue en masse. Plus de doute maintenant, tout le monde a pris de la drogue. Ma mère dit que je ne suis pas mieux parce que je suis alcoolique et que dans sa définition la bière c'est de la drogue. Ma sœur volait de 10 $ à 15 $ par jour à ma mère pour la drogue, je me demande si on peut encore me reprocher mon voyage en France de l'an passé. Ce n'est pas suffisant d'avoir pleuré avec ma mère et ma sœur aujourd'hui, Odette aussi pleurait ce soir à la maison. Des problèmes avec son père, je pense que la famille l'accuse de quelque chose à tort et que le père ne veut pas comprendre qu'Odette n'a pas tous les torts. Il en aurait parlé à Jean-Marc qui l'aurait répété à Odette et voilà que l'on va essayer de régler la question avant que le cancer emporte le vieux dans sa tombe. Il n'y a pas que nous qui avons des problèmes ! Ça n'ose même pas l'avouer et ça nous juge à mort. Bref, quand ma mère me met dehors, ce que l'on me cache c'est que ma sœur l'appelle pour lui dire qu'elle n'est plus sa mère, qu'elle ne veut plus rien savoir d'elle, la traite d'esti de chienne. Je comprends maintenant pourquoi ma mère pleurait tant, moi qui voulais mourir. En plus qu'on avait caché la vérité à tout le monde, surtout à ma sœur, et que tout ce monde s'est assis avec moi pour me faire comprendre que je devais faire un effort avec Amédée, que jamais je ne réussirais à m'entendre avec qui que ce soit. Bref, c'est moi qui ne savais pas vivre. Alors, quand ils ont su le fond de l'histoire, l'alcoolique que ma mère avait ramassé, qu'il m'avait foutu dehors sans raison valable, ils se sont tous retournés contre ma mère alors que moi j'avais fini par accepter que c'était moi le fauteur de trouble. Comme à l'heure actuelle d'ailleurs. Je veux repartir parce que j'ai l'impression que certaines personnes ne peuvent me sentir, ce qui en bout de ligne me rend tout de même coupable indirectement de causer du trouble par ma seule présence. Mais Amédée agissait comme ça avant de savoir que j'étais gay, maintenant ce serait pire, aucun pardon possible. L'homophobie existe bel et bien, mais il est inutile de cacher son homosexualité, ils finissent toujours par tout savoir. J'apprends aussi, par ma sœur, que ni ma mère ni mon père n'ont accepté mon homosexualité. On refuse de m'en dire davantage mais paraît qu'ils ne l'accepteront jamais. Quelle belle mise en scène ! Ma sœur par contre l'aurait accepté à 100 % et prendrait ma défense partout où elle pourrait. Tant mieux si c'est le cas, c'est elle qui a réagi le plus mal de toute façon. Je me souviendrai toujours de sa crise dans l'auto au jour de l'an, avec Néomie en plus. J'apprends aussi que c'est Néomie le problème. C'est elle qui allait se vider le cœur à ma sœur, j'ignore ce qu'elle lui a dit, mais ma sœur en a perdu la raison. Genre, j'm'en fous ben de tes problèmes de petite fille qui se trouve un premier chum gay, moi c'est mon frère ! J'étais avec Sébastien à Ottawa dans ma chambre, ma sœur entendait des craquements et se rongeait les sangs dans son lit, s'imaginant le pire. Elle pensait que j'étais en train de prendre le sida pendant qu'elle était dans sa chambre à rien faire. C'est là qu'a éclaté la crise et qu'il me fallait déménager. J'avais trouvé une chambre et finalement il m'a fallu rester pour les trois derniers mois. Elles refusaient que je reçoive Sébastien alors qu'elles, chaque soir, recevaient Eric et Jacques accompagné de son enfant de quatre ans. Quelle injustice, pardonnable pour le contexte j'imagine. Mais que pouvions-nous faire moi et Sébastien ? On ne pouvait aller ni chez lui ni chez moi. Ni l'un ni l'autre ne pouvait payer une chambre d'hôtel histoire de se retrouver ensemble, même juste pour s'embrasser ou se tenir la main. Ma sœur aime exagérer les volées qu'elle a mangées. Je l'écoute et je dois me demander si c'était aussi l'enfer. En fait, n'ayant jamais connu autre chose, tout me semblait normal. Si c'était à recommencer, pas de problème pour moi. J'ai été tellement sage comparativement aux autres, à ma sœur surtout. Moi c'est plus tard que j'allais emmener la crise : hey, by the way, I'm gay! Attestant la note parfaite de zéro à mes parents pour l'élevage des enfants. Perdants sur toute la ligne. Enfin presque, ma sœur est finalement ingénieure. Mais à quel prix ? Elle avoue avoir été obligée du début jusqu'à la fin. Elle n'avait pas le choix. J'avoue que c'est vrai, car comment peut-on demeurer en génie lorsque l'on a coulé cinq cours la première année ? Ma sœur m'a avoué qu'elle me détestait dans le temps et je comprends aujourd'hui pourquoi elle jouissait quand c'est moi qui mangeais la volée. J'ai toujours cru que j'avais été plus battu qu'elle, elle pensait la même chose. Quand elle recevait des coups, je pleurais pour elle, mais elle, elle pensait qu'ainsi justice était rendue, qu'enfin c'était à mon tour. Par la suite, semblerait qu'on lui répétait sans cesse que j'avais toujours des 100 % à l'école, que j'étais sur mon ordinateur, je programmais, j'étais un brain. Elle avait effectivement toutes les raisons de me détester. Ce que les parents n'avaient pas prévu, c'est que les sciences je les balancerais sous prétexte d'aller en droit. Pire, j'ai balancé le droit sans leur rien dire, pour qu'ils constatent ensuite qu'il était trop tard pour tenter quoi que ce soit. C'est ce jour-là que tout s'est détérioré et que mes parents m'ont définitivement lâché. Le grand-père aujourd'hui disait, pour m'encourager à aller en génie, que j'avais toujours été plus intelligent que ma sœur. A moi on me disait exactement le contraire. C'est drôle que tout à coup cela refasse surface. Après mes presque tentatives de suicide, encore cette année, parce que j'ai toujours eu le sentiment d'être un moins que rien qui n'arriverait jamais nulle part dans la vie. Vous savez, c'est ce genre de blabla qui détruit les familles. Ces comparaisons qui font que les enfants ne se parlent plus entre eux, qu'ils souhaitent que les autres meurent étouffés. Mon oncle Rémi en est à sa deuxième tentative d'étranglement de ma tante Audrey-Anne. Terrorisée, elle refuse de le poursuivre en justice. Son but à Rémi est de pouvoir habiter la maison avec sa maîtresse, sans que ma tante reste là. On ne peut pas dire qu'il ne s'en passe pas des choses dans cette famille de chrétiens catholiques jusqu'aux dents. Ma sœur a terriblement peur d'aller passer un test du sida, elle dit qu'elle a couché avec des gars de toutes les nationalités et elle s'imagine que c'est impossible (tout à coup elle se réveille) qu'elle n'ait pas le sida. Elle a très peur de l'avoir donné à son futur. Mon père, lui, ne se pose même pas la question avec ses différentes maîtresses. Dieu sait comment tout ce monde-là s'inquiétait et s'inquiète encore pour moi. Le proverbe le dit, commence par t'inquiéter avec toi-même, ensuite va renifler chez ton voisin et fais courir des bruits. C'est ça la vie dans les familles traditionnelles. Je comprends pourquoi plus personne ne se parle dans la famille, avec tous les commérages, qui voudrait ne pas fuir ? Lorsque même ton père fait partir les rumeurs, il n'y a plus rien que tu peux faire pour contrôler les miettes de ta vie que les gens ont interprétées à leur façon, toujours négativement. Ma mère s'est remise à pleurer de plus belle aujourd'hui en se rappelant ce que mon père disait, qu'elle avait tellement un gros cul qu'il ne l'emmènerait jamais jouer aux quilles, ça découragerait tout le monde. Elle trouve le cœur pour en rire en même temps qu'elle en pleure. Je ne veux pas alerter la planète, mais ma mère est moins grosse que la majorité des mères de famille de ce monde. Une fois il avait sorti une de ses petites culottes, l'avait montrée à toute la visite et avait dit que c'était malheureusement tout ce que ça femme pouvait porter. Lorsque tu regardes mon père pourtant, il a l'air très distingué, les femmes se l'arrachent. Ce sont des comportements que les gens ne voient même pas. Il doit toujours faire son commentaire mal placé, on me reprochait aujourd'hui d'être un peu comme ça. C'est très vrai, j'ai été programmé en ce sens. Dorénavant j'aurai une défense, je dirai que c'est la faute à mon père et que mon grand-père n'a pas aidé. Mon grand-père brandirait sa christ de religion s'il venait à savoir que je suis gay, d'ailleurs il serait surprenant qu'il ne le sache pas. Pourtant les rumeurs courent qu'il est gay. La vie est ainsi faite qu'il faut sauver les apparences. Vivre en fonction des autres et seulement en fonction des autres. Plus besoin de Dieu pour nous juger, les autres s'en chargent. Un jugement dernier ? Pourquoi faire ? Les remords nous détruiront bien suffisamment pour que Dieu finisse par dire que notre dette est payée. On dit que la naïveté c'est dangereux, moi je regrette mon éveil au monde des adultes. La prise de conscience de ce qu'il me faudra sans cesse affronter jusqu'à la fin de mes jours. Je suis si bien dans le fond d'Ottawa, tout m'arrive avec distorsion, je peux encore raccrocher quand ça ne fait plus mon affaire. Vivement mon isolement complet dans une montagne quelque part. S'il me faut m'isoler, tant pis, je suis prêt pour la vie en solitaire loin de ces relations avec autrui.

Demain je repars, je n'ai pas le choix. Patrick s'en vient et il lui faudra bien coucher quelque part. J'ai fait semblant que ça tombait bien, il arrivait quand je partais, j'essaye de leur faire croire que je ne pars pas à cause qu'il arrive. De toute façon il n'y a que ma sœur qui m'ait prouvé qu'elle voulait que je reste plus longtemps. Ma mère peut bien continuer à pleurer, j'imagine que cela veut aussi dire qu'elle voudrait que moi et Amédée ça puisse bien aller, mais je crois que c'est sans espoir, du moins pour cette fois. Elle sera satisfaite si je pars, malheureuse à la fois. C'est ça l'amour, ça exige des sacrifices. Bullshit. Mon père n'a rien dit, il m'a dit d'accord tu pars demain. En fait, ça règle le problème du couchage de Patrick et de sa belle copine. Mon père doit se sentir mal. Ah ! ces enfants qui ne sont plus capables de foutre le camp de la robe maternelle, c'est du masochisme ma foi. Ils sont hypocrites jusqu'au bout, jusqu'à ce que la soupape saute. Alors là, les risques que l'on ne revienne plus s'agrandissent. Une semaine de plus, Amédée et ma mère c'était fini. Peut-être que je devrais aller passer une autre semaine chez ma mère ? Ah non, trop dangereux, voyez l'oncle Rémi qui veut étouffer Audrey-Anne, ça pourrait donner des idées à Amédée. Un nouveau Amityville la maison du diable, on se ferait tous tirer au fusil durant la nuit parce qu'il aurait recommencé à boire. Moi le premier, je suis gay. C'est drôle comment en deux jours seulement on peut en apprendre des choses. En comprendre des choses. Ainsi le père d'Odette serait un alcoolique permanent depuis son jeune âge, un vrai paranoïaque, il a toujours cru que ces seize enfants complotaient dans son dos pour lui voler ses deux choses les plus importantes : sa maison, sa voiture. Il disait à tout le monde que ses enfants essayaient de le faire interner, Odette au premier plan. Il était extraordinairement violent. Bon dieu d'alcoolique de fou ! Incapable d'avouer qu'il avait tous les torts, sur son lit de mort, cancer généralisé, drogues assez puissantes pour achever un cheval, il vient de renouveler son permis de conduire et marmonne contre Odette. Et cette dernière qui se ronge les sangs et en pleure... I can't wait to go home, fuyons cet univers malsain qu'est la famille traditionnelle tant vantée par la religion !

Chez Sébastien ça ne va pas mieux. Sébastien en a par-dessus la tête d'être obligé d'aider son père avec la serre, les fenêtres, finir le toit sur la serre et puis quoi encore. Les enfants sont-ils des esclaves ? En plus, il paye 150 $ par mois aux parents, ça ne les contente pas. Son père il chiale, il chiale après Sébastien sans cesse. C'est le temps qu'il parte et ça tombe bien, on s'en va. Ses parents l'ignorent encore. Ils provoquent la fuite sans le savoir, ils vont bientôt se retrouver complètement seuls, et là, ils vont paniquer parce qu'ils sont vraiment dépendants de leurs enfants et semblent parfois l'ignorer. L'année prochaine Sara se marie et déménage avec son copain. Quand Sébastien a été mis dehors ou obligé à partir par sa famille voilà quatre ans, parce qu'il était gay, peu longtemps après la famille regrettait amèrement et voulait qu'il revienne. On dirait que les parents finissent par ne plus voir clair. Ils finissent par s'encroûter et à sans cesse exiger des choses. Souvent les enfants ne peuvent plus vivre avec leurs parents et ce n'est pas toujours la faute aux enfants, c'est les parents qui sont incapables de s'adapter aux réalités, quand les enfants ne sont plus des enfants en fait. Peut-être aussi que les enfants ne veulent pas accepter qu'ils ne sont plus des enfants, mais le problème c'est autant les parents. Dans l'autobus j'ai vraiment compris toute l'indépendance que j'avais acquise. Maintenant je n'ai plus à attendre après mes parents pour vivre. Maintenant je n'ai plus à aller à l'école si je ne veux pas. Maintenant je peux partir pour n'importe où sans avoir de comptes à rendre, m'installer pour aussi longtemps que je veux ou peux selon les lois, recommencer une vie du jour au lendemain. Sentir la liberté, même si elle n'existe pas. A force d'être cynique, on devient lucide.

Sébastien m'appelle et me dit que son père pleure. Sa mère vient juste de lui dire : « J'espère que tu n'auras jamais d'enfants ! » Toc, la guillotine vient de tomber, celle que j'attendais, mais je ne croyais pas qu'elle frapperait si fort. Au début je pensais que son père pleurait à cause de ses mauvais souvenirs de guerre, les Allemands qui sont venus tuer tout le monde, je ne sais pas moi, je sais qu'il vivait durant la guerre. Mais voilà que c'est parce que Sébastien vient juste de leur annoncer qu'il veut partir pour New York. Quoi ? On veut partir pour trois ou quatre mois, six à la limite, et ses parents se mettent à pleurer ? Comme c'est attendrissant, c'est le moment où l'on apprend que nos parents nous aiment. Après avoir eu l'impression qu'ils faisaient tout pour nous décourager et se débarrasser de nous. Il ne faudrait vivre qu'en fonction d'eux ? Eh bien, s'il me faut me battre avec eux, je le ferai, mais je ne gagnerai pas. C'est terminé, les pleurs font toujours leur effet, Sébastien ne voudra jamais partir. Sébas me disait que maintenant qu'il ne serait jamais ingénieur, ses parents ne voudront jamais l'aider pour son hypothèque, c'est trop risqué. Jamais on ne pourra partir, son père s'est mis à pleurer ! Et mon père qui encore cette semaine me disait qu'un homme ça ne pleure pas. Cela désarme complètement. On a envie de leur offrir le monde après ça, tout leur donner ce qu'on peut, devenir ingénieur s'il le faut. Est-ce possible que les parents reposent autant d'espoirs sur leurs enfants ? S'ils tiennent tant à nous, pourquoi leurs actions vont dans le sens contraire ? Pourquoi leur aide doit-elle être conditionnelle ? Dieu qu'ils ne se mêlent pas de leurs affaires ! Ils sont toujours là à essayer de contrôler nos vies. La paix ! Vous l'avez vécue votre vie ? Laissez-nous vivre la nôtre ! Il n'y a pas de si grand sacrifice que vous faites qui mériterait que l'on vous offre le monde. Et s'ils font un quelconque sacrifice pour nous, là, c'est fini, nous leur devons tout ensuite. Il faudrait leur en remettre dix fois le montant, en argent ou en fierté. Se peut-il qu'ils se targuent sans cesse à qui peut l'entendre qu'ils ont les meilleurs enfants du monde, qu'ils étudient ou étudieront en génie, qu'ils seront des avocats, et quand arrive le temps de contredire le tout à qui a entendu ces histoires, c'est là que la dépression commence ? Sébastien n'est pas accepté en génie. Personne ne l'a su, sauf sa famille immédiate. Moi, pas de complexe, lorsque j'ai été refusé en maîtrise parce que je suis trop poche, tout le monde l'a su, je l'ai crié partout sans exception. Même à la cousine Marie-Pier, ce qui veut dire qu'à l'heure actuelle tout le monde est au courant : je suis cruche ! Quelle douleur pour mes pauvres parents qui n'achèvent plus de s'illusionner sur mon avenir. Je me demande quelle phase ils traversent quand c'est accompli et que ma sœur est effectivement ingénieure. On se retourne vers moi pour me dire, watch out, tu nous as joué dans le passé, mais maintenant tu vas faire ce que l'on te dira. La mère de Sébastien a dit qu'il fallait que Sébastien remplisse les formulaires de chaque université du Canada pour qu'il entre en génie l'an prochain, à n'importe quel prix. My God! He's 26 now! Let him enjoy life a bit! He has done five or six years of university, it's enough!

Ah, je n'en peux plus, changeons de sujet. Dans le
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