J’aime mon musée : la perception esthétique des enfants et leur rapport à l’art








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date de publication12.04.2017
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J’aime mon musée : la perception esthétique des enfants et
leur rapport à l’art


Kafia Ayadi

Rouen Business School

Virginie De Barnier

IAE Aix en Provence

Joëlle Lagier

Rouen Business School
Si les musées ont pour mission de conserver les œuvres et de les exposer au plus grand nombre, un de leurs engagements est également pédagogique afin de sensibiliser les enfants à l’art et de rendre plus accessible ce milieu aux plus jeunes. Or, les musées sont des lieux souvent méconnus et peu appréciés des enfants qui préfèrent de loin des lieux plus ludiques. Il est donc essentiel pour les conservateurs de musées de comprendre la perception esthétique des enfants et leurs attentes vis-à-vis de l’art et des musées d’art afin de continuer à être des lieux d’échange culturels ouverts à toutes les générations.

Bien que de nombreuses études aient démontré, dans le domaine du marketing, que les enfants évaluaient les produits sur la base d’une dimension affective, peu de recherches ont été menées sur le rôle spécifique de la dimension esthétique dans leur processus perceptuel individuel et dans leurs choix (Derbaix, 1982 ; Brée, 1993).

Selon Belk (1984), les enfants sont capables d’évaluer la dimension esthétique et symbolique d’un objet dès l’âge de 7 ans. Mc Neal (1964; 1992) a démontré que les enfants sont sensibles à la couleur des packagings et établissent une relation entre la nature de l’objet et la couleur de celui-ci. De même, la forme et le conditionnement doivent être originaux et suivre les codes esthétiques attendus (Felix, 1993).

Montignaux (2002) a indiqué, de son côté, que la forme et la couleur du packaging pouvaient conduire à une certaine appréciation esthétique des enfants et à un positionnement clair de leur part vis-à-vis de la marque présentée. Dans ce contexte, l’âge (Moore, 1973 ; Parsons, 1982), le genre et l’implication (auteur, 2010) semblent constituer également des caractéristiques importantes dans le choix et les préférences esthétiques développées. Il a été démontré par ailleurs que certaines couleurs sont associées chez l’enfant à des odeurs (Bellizzi et al., 1983).

Cependant, si certains constats ont déjà été faits dans ce domaine, les champs de recherche peu investigués et encore ouverts sont nombreux : les processus mis en place par les enfants dans l’appréciation esthétique de l’environnement en général sont mal connus. De ce fait, il est difficile d’appréhender les attitudes de l’enfant et de comprendre comment ses appréciations finales se forment dans cet univers.

Cet article a pour objectif de mieux comprendre comment les enfants évaluent un lieu dont la dimension esthétique est cruciale : les musées. Afin d’appréhender comment cette perception esthétique influence leur perception globale du musée, nous avons choisi d’investiguer le vécu d’enfants vis-à-vis des musées et tenté d’en comprendre les attentes de cette cible spécifique que constitue les enfants.

Nous présenterons, dans une première partie, un état de l’art relatif aux recherches établies à ce sujet. Nous proposerons, dans une seconde partie, la méthodologie de recherche retenue ainsi que les résultats de l’analyse de la perception et de l’appréciation des enfants vis-à-vis des musées et des œuvres d’art présentées dans ce contexte.

Attitudes et représentations des enfants vis-à-à vis des musées

Lla sphère muséale s’est profondément transformée et diversifiée ces trente dernières années, avec notamment une évolution des médiations dans l’exposition. Tout le champ culturel s’est trouvé aussi bouleversé par la révolution numérique, à la fois dans ses contenus, ses usages et ses modes de consommation. Nous assistons dans ce contexte à une hybridation de l’offre muséale en raison d’une porosité croissante entre la sphère culturelle et la sphère des loisirs, plus précisément entre les musées et les parcs d’attraction (Pulh et Mencarelli, 2010). Tentant de s’adapter à de nouvelles attentes des visiteurs, à la recherche d’une expérience muséale plus ludique et plus attractive, cette démarche s’appuie notamment sur des principes et des outils du réenchantement de l’expérience vécue tels que la thématisation, la spatialisation et la scénarisation de l’offre (Ritzer, 2000).

Si cette tendance de la part des musées à rendre leur médiation culturelle plus ludique et interactive pour attirer de nouveaux publics, notamment les jeunes visiteurs, a été réelle et a donné lieu à une profonde mutation des musées en France et à l’étranger, peu de recherche se sont penchées sur l’efficacité de cette modernisation des musées et sur l’impact de ces évolutions sur la perception des musées. Les recherches portant sur l’impact de ces mutations sur la cible que constitue les enfants sont encore moins nombreuses. Aucune recherche en marketing n’a abordé la thématique sous l’angle de la perception des musées par les enfants, seule la sociologie s’est intéressée au phénomène. Nous ne pouvons, en effet, citer ici que l’existence de certaines études sociologiques récentes, dont notamment la recherche menée par Jonchery (2010) sur la représentation des musées par des enfants âgés entre 8 et 11 ans. Cette étude réalisée pour le Ministère de la Culture et de la Communication a délivré à ce sujet un certain nombre de résultats intéressants qui peuvent être synthétisés en quelques points. 

Tout d’abord, les associations libres que les enfants rattachent spontanément au terme « musée » se réfèrent majoritairement à des musées d’art, auxquels ils associent des noms (« Le Louvre »…), des objets, des sculptures, des tableaux, des peintures (« La Joconde, le Sphinx »…), mais également des lieux, des endroits où il y a des expositions. La notoriété de la marque muséale ou de l’œuvre est donc un élément fort impactant la perception des musées.

Ccette recherche a également montré qu’il existe différents types de musée, présentant une diversité des expériences vécues. Si la taille du musée peut constituer un critère typologique, la distinction par catégories thématiques constitue ici la dimension la plus opérante. Ces enfants associent ainsi le musée d’art à « un musée de peintures ou de tableaux », tandis qu’ils rattachent le plus souvent les autres musées à la catégorie des « sciences et techniques » (Musée de l’Armée, de l’air, de l’espace, Musée d’histoire naturelle…). La typologie des musées opérée spontanément par les enfants est donc très liée au contenu du musée, opposant art et technique.

La différenciation s’opère aussi selon les médiations mises en place vis-à-vis de l’oeuvre et la possibilité ou non que l’enfant se trouve acteur dans l’espace visité. Les enfants interviewés vont, par exemple, indiquer que lorsqu’il y a des guides et des audio-guides, il s’agit bien d’un musée ou encore que dans un musée les objets ont été déplacés pour être vus, présentés et exposés, à la différence d’un monument historique, par exemple, dont la qualité majeure d’être « insitu ».
Le musée fait par ailleurs partie d’un univers culturel complet, où apparaissent à ses côtés les châteaux, les monuments, les zoos, les aquariums, les planétariums, les salons, avec la difficulté parfois de catégoriser certains de ces événements ou institutions en raison de la proximité de leurs activités avec celles mêmes des musées. La plupart de ces enfants pensent cependant que «  l’inanimé » est une caractéristique inhérente aux musées.
Les musées reflètent enfin un certain nombre d’activités, telles que « raconter, marcher, rêver, regarder, écouter, apprendre, savoir». Le musée est ainsi pour ces enfants à la fois un lieu de promenade enrichissant mais parfois ennuyant et fatiguant. Les raisons de cette fatigue muséale sont, en fait, diverses. Tout d’abord, la marche est ressentie par les enfants comme une contrainte physique importante qui se prolonge dans le temps. La nécessité d’une contemplation visuelle et d’une écoute auditive passive constitue, par ailleurs, un élément négatif de leur attitude vis-à-vis du musée.
Les enfants comparent, en effet, naturellement ces activités à d’autres activités plus attractives et amusantes qui existent dans des d’institutions éducatives ou culturelles parallèles. Le Palais de la Découverte constitue, par exemple, dans ce contexte un cas de figure, où les enfants apprennent tout en s’amusant et ne voient pas le temps passer.
La possibilité d’apprendre et de savoir grâce au musée reste néanmoins pour les enfants un élément positif et essentiel, car il est le reflet de certains aspects historiques et culturels de notre civilisation. Pour ces enfants, il serait effectivement très handicapant de grandir sans aller au musée, car l’acquisition de connaissances est nécessaire à leur propre croissance ainsi qu’à leur vie d’adulte, ne serait-ce que pour échanger, communiquer ou même avoir plus tard un métier. L’utilité scolaire est également évoquée, en soulignant l’idée que la visite de musée est un excellent complément d’apprentissage.
Les fonctions et le rôle du savoir au musée reste donc aux yeux de ces enfants fondamental, même s’ils pensent que cela pourrait se passer différemment. Quelques uns de ces enfants évoquent néanmoins un certain plaisir esthétique et une certaine joie de pouvoir découvrir « de nouvelles choses » dans le cadre de la visite d’un musée.
En conclusion il semble donc que pour les enfants de 8 à 11 ans, les musées se définissent comme un lieu concret et incontournable, où il y a rencontre et confrontation avec l’objet, où se développent des activités culturelles directement liées à la culture et au savoir. Cette rencontre est également source de certaines attitudes négatives, en raison de l’effort physique demandé et de la difficile participation interactive à la démarche menée.
Ces résultats ne sont pas sans faire écho aux transformations du paysage muséal depuis les années 80, mais ne présentent pas pour autant de conclusions très encourageantes, en ce qui concerne l’approche muséale des enfants. Car si ces derniers reconnaissent la nécessité et l’intérêt de visiter un musée pour apprendre et se cultiver, ils ne semblent pas être totalement convaincus et satisfaits de l’offre et des services proposés, malgré l’ensemble des actions menées à ce sujet.
Il nous a donc semblé intéressant d’approfondir et de poursuivre cette recherche en prenant à nouveau le point de vue de l’enfant vis-à-vis des musées mais en essayant de comprendre de manière plus approfondie les perceptions et les appréciations mises en place. Notre approche a privilégié l’étude du ressenti des enfants vis-à-vis des musées par la mise en place d’étude qualitatives en profondeur opposant enfants familiers des musées et enfants peu familiers. La méthodologie est explicitée précisément dans la partie suivante.
La méthodologie

En nous appuyant sur un guide d’entretien élaboré à cet effet, nous avons mené 16 entretiens semi-directifs individuels auprès d’enfants âgés de 7 à 12 ans avec une répartition égalitaire des sexes. Ces enfants étaient originaires des villes de Rouen, Caen ou de leurs alentours et présentaient des caractéristiques différentes en termes de sensibilisation à l’art. Tandis que 10 d’entre eux n’ont, en effet, jamais visité de musée ou en ont visité un lors d'une sortie avec l'école, les 6 autres ont déjà fait plusieurs visites de musée en famille ou avec l’école.

Privilégiant la parole de l’enfant, l’entretien a été mené sans la présence des parents ainsi qu’organisé en plusieurs étapes, afin de soutenir la concentration des enfants et permettre le recueil de différents matériaux. Les entretiens ont été entièrement enregistrés et les verbatim retranscrits pour l’analyse des données qualitatives.

Les enfants peu familiers de musées se sont ainsi exprimés librement sur différentes thèmes : l’identité d’un musée (qu’est-ce qu’un musée ?), les appréciations spontanées positives et négatives vis-à-vis des musées, les suggestions de choses intéressantes à faire dans un musées etc. Le guide d’entretien destiné aux enfants familiers des musées comprenait les mêmes questions mais il leur était également demandé de citer les musées qu’ils avaient appréciés ainsi ceux qu’ils n’avaient pas aimés et de justifier pourquoi. Enfin, interrogés à la sortie même d’une visite de musée, il leur a aussi été demandé de raconter cette dernière expérience, en mettant en lumière ce qu’ils avaient ressenti de positif et de négatif dans ce contexte précis.

Les résultats obtenus

Afin de procéder à l’analyse une analyse thématique a été choisie, permettant de mettre en exergue les thèmes majeurs évoqués spontanément par les enfants et de différencier les thématiques en fonction de la familiarité ou non des enfants avec les musées. L’analyse a été réalisée par deux chercheurs séparément, les résultats confrontés et en cas de désaccord un troisième chercheur a arbitré afin que les thématiques principales soient parfaitement identifiées.

Les résultats sont présentés par type d’enfant (peu familier vs familier) et par thématique.

Les perceptions des enfants peu familiers avec les musées

Quatre thématiques majeures ressortent de l’analyse des entretiens : le caractère inaccessible des musées, l’absence de ludique et de sensoriel, le manque d’une approche expérientielle et personnelle, enfin, l’intérêt mais dans un horizon temporel très lointain. Ces thématiques sont détaillées ci-après.

L’inaccessible

Dans son appropriation du musée, les enfants peu familiers avec les musées décrivent, dans sa majorité, le musée comme un lieu abstrait et immatériel, sans finalité ou inutile : "moi, je ne sais pas trop à quoi ça sert" (M., 8 ans) .Un petit nombre d’entre eux (deux) a, au contraire, idéalisé le lieu comme L. 11 ans : "le musée, c'est un grand palais avec les murs dorés et des grande pièces [...] ça coûte très cher pour y rentrer, normal vu que c'est quand même du luxe".
Interrogés aussi sur la cible des musées, les enfants interviewés ne se sont pas identifiés comme une cible potentielle de ce lieu. Les qualificatifs donnés par ces derniers sur les caractéristiques de la cible visée ont, en effet, été les suivants: pour les "intellos", "les gens cultivés", "les vieux" ou encore "les riches".
Même si les principales sources d'information sur les musées proviennent de l'école ou de la télévision, notamment les dessins animés et certaines émissions pour enfants, la définition d’un musée et de son environnement demeure donc encore pour ces enfants floue et vague, représentant, de toutes façons, un lieu inaccessible en raison principalement du niveau intellectuel et du coût exigés. Un enfant nous a cité néanmoins un nom d'artiste : "Dans les musées, tu trouves plein de choses rare comme des tableaux de, heu, Picasso. Tu sais c'est celui qui fait des peintures un peu bizarres avec des têtes déformées" (L., 11 ans). La notoriété de l’œuvre, de l’artiste ou du musée a donc une fonction forte dans la représentation des musées par les enfants peu familiers avec les musées.
L’absence de ludique et de sensoriel
Les enfants peu familiers avec les musées se sont également exprimés sur l'appréciation du musée ou de ce qu'il représente à leurs yeux. Les réactions ont été ici de deux ordres. Sept enfants ont eu un comportement de rejet comme l'illustre le verbatim suivant : "Moi, j'aimerais pas aller au musée parce que c'est ennuyeux, c'est super long et silencieux. On ne peut pas s'amuser comme quand on va à la piscine ou au parc" (R. 10 ans). Pour ces enfants, le musée n'évoque ni le plaisir ni la stimulation. L’absence de ludique et de sensoriel les gêne profondément : "j'aime bien aller au parc Astérix, mais au musée ça ne m'intéresse pas. Déjà que je travaille à l'école, j'ai pas envie de réfléchir encore!" (P. 10 ans). Les trois autres enfants ont cependant évoqué une image positive des musées et pensent même demander à leurs parents de les y emmener.
La demande d’une approche expérientielle et personnelle
Les attentes sur le lieu de ces enfants peu familiers avec les musées portent davantage sur l'atmosphère que sur le contenu lui-même. Dans ce contexte, les enfants semblent, en effet, plus sensibilisés par l'environnement sensoriel que les œuvres proprement dites du musée.
Les plus jeunes nous ont ainsi fait part de leurs attentes en matière d'activités divertissantes lors de la visite des musées : "Ce serait bien si on pouvait avoir des toboggans et tout ça à l'extérieur, comme ça on peut s'amuser et rigoler avec les copains" (M. 8 ans).
Par contre, les enfants plus âgés ont imaginé un musée qui serait le reflet de leurs centres d'intérêts : "dans un musée idéal, j'aimerai bien voir des voitures de collection. Mes préférées à moi c'est les Ferrari! Je les collectionne. Les miniatures bien sûr! (rire)" (Y. 11 ans).
Le paradoxe : j’irai bien quand je serai grand…
Sur le plan conatif, il a été également observé un certain paradoxe. En effet, les enfants, qui ont rejeté le musée, ont manifesté néanmoins de l'intérêt pour visiter ce lieu.
il est important néanmoins de souligner que la fréquentation éventuelle d’un musée peut s'envisager dans l'avenir à l’âge adulte : "ça serait bien quand même d'y aller plus tard quand je serai un peu plus grand parce que quand même, ça doit être intéressant et comme ça je connaitrai plus de choses" (F. 9 ans).

Les perceptions des enfants familiers avec les musées

De nouveau quatre thématiques majeures ressortent de l’analyse des entretiens : le caractère unique, féérique, exceptionnel, l’offre plurielle, la référence au passé et l’aspect esthétique, participatif et sensoriel. Ces thématiques sont détaillées ci-après.

L’unique, le féérique, l’exceptionnel
Pour les enfants plus experts, le musée représente, de son côté, un univers unique et exceptionnel : "on y voit des choses que l’on ne peut pas voir ailleurs [...] par exemple des tableaux uniques [...] il n’en existe qu’un comme celui-là " (A. 7 ans).
Le musée constitue, pour eux, un lieu original : "c’est un endroit où l’on peut observer les choses qui sont un peu bizarres, comme un naufrage, des statues…" (T. 7 ans). Ce lieu est représenté la plupart du temps par un bâtiment, un édifice de grande taille : "le musée pour moi, c’est comme un château, il y a des fourchettes, des couteaux, des meubles que les rois et la reine utilisaient autrefois" (M. 8 ans) ; "Un musée, c’est comme un immeuble parce qu’il y a beaucoup de fenêtres [...] C’est grand" (F. 7 ans). Dans ce même contexte, cet endroit peut prendre parfois des dimensions magiques, voire féériques : "Regarde ce tableau, on dirait qu’il y a une princesse dedans" (M. 8 ans).
L’offre plurielle
Contrairement à l’enquête menée précédemment par Jonchery (2010) pour le Ministère de la Culture et de la Communication, les enfants ici interrogés n’associent pas obligatoirement une catégorie d’objets à un certain type de musée.
Pour la grande majorité, l’objet du musée peut être diversifié, sachant que cet objet doit être toujours unique et original : "c’est un endroit où l’on peut voir 36000 trucs, des œuvres, des tableaux mais aussi des objets…" (R.10 ans) ; "c’est un lieu où l’on ne voit pas que des tableaux, un lieu où l’on voit des choses différentes, des choses normales, des choses pas normales [...] par exemple, des peintures, on en fait encore dans les musées…" (M. 8 ans).
L’ancien, la référence à l’histoire, au passé
L’objet exposé au musée doit être également ancien ou faire référence au passé : "au musée, tu vois des choses anciennes que l’on ne veut pas voir dans une maison moderne" (A. 7ans) ; " on y voit des objets qui sont très vieux, d’il y a longtemps" (M. 8 ans).

Cette approche peut ainsi faire référence à des métiers d’autrefois : "dans un musée, on voit des choses que l’on utilisait avant pour vivre comme par exemple des meubles, des métiers, le métier du maréchal-ferrant, l’atelier du cordonnier" (F. 7 ans) et permettre une certaine reconstruction du passé : "j’ai vu dans ce musée comment la ville était avant la guerre [...] c’était pas du tout pareil et ça c’est vraiment intéressant parce que tu vois ce qui a changé" (A. 7 ans) ; "J’ai bien aimé ce que la dame nous a expliqué sur le tableau de Granville. On allait pas se baigner, y avait pas des tentes, y avait des cabines roulantes sur la plage. C’est intéressant parce que on savait pas" (M. 8 ans).
L’aspect esthétique, participatif et sensoriel
Les enfants familiers avec les musées expriment aussi clairement un certain plaisir esthétique ou sensoriel : "un endroit où l’on expose de belles choses…" (A. 7 ans) ; " un musée, c’est gai" (R. 10 ans) ; "une visite de musée, c’est drôle… c’est grand… en plus, il faut monter des escaliers…" (T. 7 ans). Mais ce plaisir est vécu différemment selon les types de sensibilité rencontrée.
Pour un enfant, ce plaisir se développe, en effet, dans un lieu, où la sérénité et la tranquillité sont appréciées : "un lieu calme… enfin, on entend les gens qui bavardent mais on entend pas les gens qui crient… (A. 7 ans), tandis que pour les cinq autres, il s’agit de pouvoir s’exprimer physiquement ou verbalement lors de la visite d’un musée: "C’est bien parce qu’elle (la guide) n’a pas que parlé [...] elle nous a posé des questions, sinon c’est trop ennuyeux [...] elle nous a demandé notre avis. Je me rappelle qu’elle a demandé si la mer est agitée ou pas… Est-ce qu’il pleut, est ce qui pleut pas... quel objet on voit…" (M. 8 ans) ; " Les expériences qui étaient bien, c’est que l’on faisait des choses à l’atelier en mélangeant des choses qui faisait un truc gazeux comme le coca [...] moi, j’aime bien les expériences [...] j’ai mieux aimé que l’atelier peinture [...] A l’école aussi, on fait des expériences, on mélange par exemple du jaune et du vert" (F. 7 ans).
Cette activité recherchée se traduit par un intérêt encore plus prononcé de l’enfant, lorsque l’expérience vécue est en relation directe avec ce qui a été vu au musée ou fait à la maison: "j’ai peint un arbre à l’aquarelle, c’était bien [...] j’ai peint quelque chose de l’extérieur, un arbre comme dans des tableaux que l’on a vus au musée aujourd’hui" (M. 8 ans) ; "aujourd’hui, j’ai peint à l’aquarelle et je pense que certains tableaux que l’on a vus avant étaient aussi peints à l’aquarelle [...] C’était bien parce qu’à la maison, j’ai que des pots de peinture à eau …" (A. 7 ans).
Le souvenir, dans tous les cas, avec une histoire antérieure est ressenti de manière très positive et engendre une certaine forme de satisfaction : "par exemple, le tableau avec une tempête près d’une falaise, c’est mon tableau préféré [...] parce que j’ai déjà fait ça, j’ai déjà eu une tempête en prenant le bateau" (M. 8 ans) ; "J’ai bien aimé cette visite de musée parce que c’était la mer et le thème à mon école, c’est la mer" (F. 7 ans).
Le musée ne constitue pas pour autant pour ce second groupe d’enfants plus avertis un pur lieu de divertissement : "Un musée, ce n’est pas une récréation [...] y a pas de balançoire par exemple et de toutes façons, ce serait pas l’endroit idéal pour les balançoires" (A. 7 ans) ; "Non un musée, c’est pas un endroit pour s’amuser [...] c’est un endroit où il y a des choses bizarres" (M. 8 ans).
Dans ce contexte, deux enfants émettent des vœux plus spécifiques, reflétant la recherche de certaines sensations complémentaires : "Ce serait bien qu’au musée, il y ait de la musique aussi [...] par contre, des odeurs non" (A. 7 ans) ; "J’aimerais bien peindre dans un musée un tableau du musée, mon tableau préféré, à côté du tableau sur un chevalet" (F. 7 ans).
L’évocation d’un musée idéal pour les enfants quel que soit leur degré de familiarité vis-à-vis des musées
Interrogés sur l’idée d’un musée idéal, tous les enfants évoquent la nécessité de mettre en place des activités diverses et variées pour éviter la lassitude ou la monotonie dans ce contexte : " il faut faire des choses différentes d’un musée à l’autre, car sinon on s’ennuie" (A. 7 ans).
Cet ennui se manifeste, comme dans la première étude, par un temps trop long et une fatigue déclenchée, le plus souvent, par la position debout : "Mais des fois au musée, on s’ennuie parce que c’est trop long… Maintenant, j’ai envie de rentrer chez moi [...] j’ai pas envie de retourner au musée " (R. 10 ans) ; " C’est un peu long [...] on est obligé de rester debout et moi j’aime pas trop. On marche beaucoup (F. 7 ans) ; "C’est bien quand on s’asseoit" (M. 8 ans).
Les enfants évoquent enfin, à ce sujet, des idées amusantes et créatives, le plus fréquemment en rapport avec leur propre centre d’intérêt :  "je ferais mon musée dans un endroit ancien avec des vieilles pierres [...] pas trop de plâtre" (A. 7 ans). ; "ce serait quelque chose de grand, de carré avec des objets vieux de la guerre [... des morceaux d’avion par exemple [...] j’ai vu ça à la télé [...] c’était des morceaux d’avion que l’on avait retrouvé dans la terre" (M. 8 ans) ; "je construirais un musée un peu bizarre [...] à l’intérieur et à l’extérieur (T. 7 ans)." ; "je ferais une maison avec plein de fenêtres, avec des murs, des tableaux, et j’aimerais m’y balader avec d’autres enfants…"(R.10 ans).


Conclusion, implications et recommandations
Les résultats de notre recherche ont montré que la perception et l’attitude que les enfants ont des musées sont différentes selon leur degré de familiarité avec ce type de lieu. Il apparaît, en effet, que les enfants non sensibilisés à l'art sont peu intéressés par les musées, alors que les enfants plus avertis les reconnaissent comme des lieux merveilleux, reflet d’une certaine époque riche en histoire et en anecdotes. Curieux d’apprendre et de connaître, leur esprit est déjà ouvert à l’idée d’une certaine multiplicité des objets présentés dans ces lieux, même si pour la plupart d’entre eux, la référence au passé semble essentielle.
Pour les enfants peu familiers avec les musées, le musée relève du domaine du luxe, de l’inaccessible et semble peu attractif. Une image caricaturale muséale semble être mémorisée : un lieu ennuyeux, triste, silencieux, fatiguant. Dès lors que les enfants sont déjà allés dans un musée, l’image devient positive : le musée relève de l’inédit, de l’original, de l’unique que l’on a plaisir à découvrir. Les musées subissent donc une image négative peu conforme à la réalité. Il est donc important que les musées, à l’image des marques subissant des images défavorables, mettent en place des communications ayant pour cible les enfants et réaffirment les éléments, source d’intérêt et d’attractivité pour ces derniers : magie, unicité, féérie, exception…
Un certain nombre de points communs dans l’approche du musée semblent cependant apparaître. Il existe effectivement une demande identique d’évasion et de divertissement de la part de tous les enfants interrogés, centrée sur une volonté de participation dynamique et interactive au sein du lieu visité, même si le musée doit garder son identité majeure qui est celle de transmettre de la connaissance et du savoir. Ces éléments peuvent également devenir des axes de communication auprès des enfants afin de revaloriser l’image institutionnelle des musées.
Enfin, la dimension expérientielle des musées est très importante pour l’ensemble des enfants interrogés. Les enfants semblent, en effet, vouloir ici toucher, bouger, peindre, sentir…et créer des musées qui soient le reflet de leurs propres centres d’intérêt, en utilisant leurs sens. Ces résultats constituent là encore des pistes d’action pertinentes auprès de cette cible exigeante.
En conclusion, il semblerait que dans le domaine des musées, l’éducation ludique soit une dimension fondamentale à exploiter auprès des enfants, car cela leur permet d’apprendre en se distrayant et de se distraire en apprenant.
Si nous ne souhaitons pas faire de l’enfant « un braconnier des politiques culturelles » (Sirota, 1998 ), il faut, de toutes les façons, prendre en compte le point de vue de l’enfant, un enfant considéré comme acteur social et non plus récepteur passif, Car comme l’indique à nouveau Sirota (1998): « Les enfants doivent être considérés comme des acteurs à part entière et non pas simplement des êtres en devenir. Les enfants sont à la fois produits et acteurs des processus sociaux Il s'agit de renverser la proposition classique, non pas de s'interroger sur ce que fabriquent l'école, la famille ou l'Etat mais de se demander ce que fabrique l'enfant à l'intersection de ces instances de socialisation ».

Nous avons néanmoins conscience, dans ce cadre, de la limite de nos premières recherches, qui ne revêtent qu’un caractère exploratoire. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons par la suite ouvrir de nouvelles voies d’investigation, en complétant nos entretiens et en nous appuyant sur les registres psychologiques et sociologiques de l’enfant, afin de mieux appréhender encore ce sujet et enrichir nos recommandations managériales dans ce domaine.

Bibliographie
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