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FONCTION 4 : Construction d’un cadre d’analyse et d’une expertise des pratiques éducatives et sociales 4-1 : Implication dans une structure sociale ou au sein d’une équipe éducative et dans un travail éducatif et dans un travail pluridisciplinaire relevant de professionnalités différentes L’exemple de L’URPS est justement celui qui par son projet fondateur a réuni au sein même de l’hôpital le plus de branches professionnelles différentes. Le brassage de celles-ci a concerné des infirmiers, médecins, des moniteurs-éducateurs, des éducateurs spécialisés, des aides soignants, des A.S.H, des psychologues et psychiatres, une assistante sociale. Ceci se déroula en intra-muros. En extra muros ce fut avec les centre médico-psychologiques, les structures d’accueil de jour, les associations sportives, les associations de séjours adaptés que je fus en lien. Réunir et mener tous ces professionnels vers un même objectif aura été plus facile à imaginer qu’à concrétiser. Chacun était porteur d’une expérience de plusieurs années dans le milieu hospitalier et leur attentes et questionnement étaient bien différents les uns des autres. Les éducateurs « fraichement importés » à l’hôpital pour les besoins du projet venaient d’un monde le plus souvent méconnu. Je me dois de préciser aussi qu’à l’ouverture du service en janvier 2004 certaines personnes de l’équipe étaient présentes pour des raisons bien éloignées du projet de l’U.R.P.S, celui qui à l’origine devait tous nous fédérer. Certaines d’entre elles faisaient parties de l’ancien service « Sainte-Blandine » et ne souhaitaient pas pour des raisons personnelles quitter les lieux malgré le changement de service et de projet. D’autres étaient en attente de trouver un nouveau poste ailleurs. Les aides soignants ainsi que les A.S.H étaient restés dans le service convaincus qu’ils auraient pour une fois un rôle actif à jouer dans un projet semblable. Leur parole allait enfin être prise en considération et cela les motivait fortement à investir le projet et les nouveaux patients. L’histoire de l’ancien service, service de soins et d’accueil de situation de crises allait peser lourd dans notre quotidien mais cela nous ne le savions pas encore. Un changement de nom n’allait pas suffire à passer « à autre chose ». Et ce dans la pratique quotidienne comme dans la pensée. La mémoire et les « fantômes » de « Sainte-Blandine » était portées par certains patients et professionnels occupant déjà les lieux à l’ouverture de l’URPS et pour qui le changement n’existait que dans les écrits. En tant que monitrice-éducatrice je fis en sorte que mon quotidien soit étroitement lié à tous les membres de l’équipe. J’avais à apprendre comme à transmettre et j’avais fais le choix de ce poste en psychiatrie en toute conscience de mes ignorances mais sacrément curieuse et enthousiaste face à ce monde de la folie que je ne connaissais pas. J’emploi le mot « folie » sciemment. Car il s’agit bien de cela, de « fous » dans un hôpital pour les « fous ». Même si la terminologie actuelle du mot cherche à masquer une réalité dérangeante c’est bien avec les « fous » que j’allais avoir à faire les mois avenirs. Mme P. la psychiatre fut une des personnes vers qui je pus échanger régulièrement, très intéressée par notre expérience et savoir éducatif, elle était convaincue que les éducateurs étaient indispensables au projet de réinsertion. Selon elle l’éducateur induisait de par son essence professionnelle un « extérieur », un mouvement vers « un ailleurs » des murs de l’hôpital. Nous pouvions être ceux par qui ce mouvement allait pouvoir prendre forme. J’allai peut être pouvoir insuffler quelque chose de l’ordre du sociétal dans l’esprit des patients. Si elle attendait beaucoup de notre corporation professionnelle elle permit à l’équipe éducative de se nourrir de toute sa richesse professionnelle et de son enthousiasme sans limite. Je lui faisais régulièrement part de mes doutes et incertitudes face à la maladie et ses symptômes. Tant que sa disponibilité le lui permettait elle était présente et me rassurait dans mes questionnements mais en retour elle demandait à ce que j’apprenne aussi à être créative et à regarder et comprendre autrement la maladie mentale. Nous étions réellement dans un échange professionnel et ce fut enthousiasmant de participer avec elle aux entretiens avec des patients seuls ou avec leur famille. Elle prenait toujours un temps afin de confondre nos sentiments et compréhension de ce qui avait été dit et de ce que nous avions pu comprendre du patient à ce moment là. Elle m’aida ainsi à décrypter le sens une parole un peu « folle » et les cheminements de celle-ci lors d’un entretien. Lors de ces entretiens Mme P. de donna une vraie place et ma parole fut reconnue en tant que telle et de là où elle provenait. Mme P. tomba malade assez vite et fut absente très longtemps au point qu’une nouvelle psychiatre co-fondatrice du projet vint au bout de quelques mois la remplacer dans le service. Ce départ non officialisé laissa longtemps planer la possibilité d’un retour ne nous permettant pas de faire le deuil de son départ. Cette situation nous fit vivre bon nombre de sentiments controversés : de la colère, du manque, de l’absence voir de l’abandon. Cette absence vint rajouter une difficulté supplémentaire à l’équipe qui se trouvait déjà en difficulté et qui perdait là le commandant du navire… L e contact et travail avec les infirmiers fut tout autre de par les diverses personnalités et expériences des personnes rencontrées. Je dois préciser qu’en tant que monitrice-éducatrice je travaillai en binôme avec la même personne du début à la fin de mon expérience à l’URPS. Je fus rarement au contact d’autres collègues infirmiers sauf certains jours où par le hasard de l’emploi du temps le service regorgeait de personnel. Parallèlement j’eus à pâtir d’un turn-over conséquent et bien souvent je dus redoubler d’effort pour m’adapter de nouveau à une nouvelle personne. Le hasard fit que je travaillai avec M, une infirmière ayant été formée comme infirmière psychiatrique et non générale. Celle-ci avait une longue expérience derrière elle d’infirmière psychiatrique et de cadre de santé. Parallèlement elle était diplômée en ethnologie ce qui conféra à sa réflexion une dimension supplémentaire on ne peut plus riche pour moi. De par son éthique professionnelle et sa générosité celle-ci me permit de suivre une « formation continue » à ses cotés. Je savais que l’infirmière est en grande partie formée aux soins du corps sauf qu’en psychiatrie le soin physique est quasiment inexistant. De plus l’hôpital était composé d’un pole médical complet auquel les patients se rendaient si besoin: dentiste, gynécologue, dermatologue, pédicure. Les liens avec ce pole était quotidien et le médecin venait autant que possible dans le service afin de rencontrer certains patients et d’observer l’évolution des soins. Un classeur fut mis en place pour des écrits faisant le lien avec le pole et le service. Une lecture de ma part était possible mais seuls les infirmiers étaient en mesure de pouvoir y annoter des observations. Ceci étant et même si le soin physique dans le service était rare il n’était pas à minimiser. C’est tout autant à travers ce corps que le patient nous transmettait une parole, avec un corps dont la perception restait encore bien complexe. Avec M. et seulement de par ma présence je participai à la distribution des traitements et j’appris à quel point être sujet dans ces temps là était primordial pour pouvoir évoluer dans la maladie. J’appris surtout à accueillir une souffrance propre à ce temps, une souffrance liée à la difficulté de l’acceptation de la maladie. Mais aussi accueillir un silence, une crise, une parole délirante, des cris, accueillir dans le respect de l’Autre et de sa douleur. Apprendre à me positionner avec mon corps, réajuster cette position physique, sans parole, juste avec ma présence et la sécurité qu’elle pouvait engendrer. A plusieurs reprises je dus m’assoir avec M. en salle commune alors que la tension était au plus haut point et que la situation était « haute » en jargon psychiatrique. M’assoir, parler peu et contenir ainsi au mieux des angoisses plus que réveillés. De par nos présences la tension baissait, le passage à l’acte sous jacent s’éloignait laissant place à une parole « saine » reprenant sa place et son rôle. Les relations avec le corps infirmier ne furent pas toute semblables à celle-ci. Je dus me battre et signifier fortement mon identité professionnelle afin ne pas me noyer dans les interstices professionnel. J’entends par là que sans vigilance de ma part il eut été facile de devenir un androgyne dans ce service où les espaces de chacun étaient en construction et encore bien fragiles. J’aurai pu me transformer en éducatrice-infirmière-aide- soignante-femme de service sans même m’apercevoir des limites et du danger. Je dus par exemple refuser après une première expérience négative de donner « un bain thérapeutique » à une patiente. Je fus mal comprise mais je n’avais pas été formée à cela et appréhendait une deuxième séance ne sachant pas comment m’y prendre, ne connaissant pas les limites et particularités de ce soin. Ma relation avec l’assistante sociale fut plus simple, elle faisait partie d’un corps professionnel avec lequel j’avais déjà été en lien dans mes autres expériences professionnelles. Nous pûmes facilement discuter de certaines situations et voir ensemble comment travailler la notion d’argent avec le patient, comment aider à budgétiser l’A.A.H, travailler ensemble des possibilités de séjour de vacances, d’achats de vêtures, de besoin ponctuels.
Des entretiens se mettaient ainsi en place en prenant rd directement avec l’assistante sociale ou en notant une date sur un carnet crée à cet effet. Cependant l’assistante social ne resta pas longtemps dans le service et quitta son poste en juin 2004. Elle ne fut pas remplacée. Travailler avec le personnel ASH fit tout autant partie de mon rôle à l’hôpital. Partant de leur pratique et de la mienne nous envisageâmes ensemble comment penser un projet autour de la chambre des patients en les invitant à notre réflexion et en les incitant à penser leur participation. Outre passant le choc de représentations souvent violentes sur la maladie et les patients des questions émergèrent laissant ainsi place à une réalité constructive : comment faire respecter les murs de ce service, les espaces collectifs en évitant les dégradations supportées par tous au quotidien ? Comment préserver et se donner un espace personnel attrayant ? Comment vivre ensemble malgré nos différences et nos peurs dans ce service pas comme les autres ? Toutes ces questions vinrent rejoindre la cohorte de questions nées de chaque pratique professionnelle confrontée à la psychose et à ses manifestations dans le quotidien. La résultante de ce melting-pot de vécus et de pensées vint parfois étourdir les esprits et embrouiller les chemins de chacun. Bien malin celui qui trouva sa route sans se perdre dans les dédales des doutes et craintes que la psychose induisit chez chacun d’entre nous. 4-2 : Echange d’informations nécessaires aux besoins d’un milieu professionnels au sein duquel la communication est à la fois institutionnelle et informelle L’U.R.P.S proposait dès sa naissance des outils de communications que je qualifierai de « classiques » hérités du fonctionnement d’autres services hospitaliers. Cependant ce service n’était pas identique aux autres de par son socle de fondement. De ce fait il devait relever d’outils différents propres à la spécificité de l’équipe et des patients accueillis. Ces outils restaient à imaginer, à créer. Ils ne pourraient émerger et prendre forme qu’en réponse à un dysfonctionnement, à un besoin, à des failles. L’équipe de l’aile B. était pluridisciplinaire. Tous ses membres se retrouvaient au gré des emplois du temps qui très vite nous firent vivre les incohérences de leur conception. Je ne peux repérer là les infirmiers de nuit avec lesquels nous étions très peu en lien sauf aux moments des relèves du matin. De plus il arrivait régulièrement que les infirmiers de nuit soient des vacataires -intérim qui n’avaient jamais travaillé dans le service et qui de ce fait n’en connaissaient rien de son fonctionnement. Les principaux temps d’échange d’informations se déroulaient principalement dans le bureau infirmiers ou en salle de réunions. En ce lieu (bureau infirmier) était regroupés les écrits et la parole y était retransmise. Ces lieux étaient reconnus comme cadre officiel de la transmission. Transmission qui très vite ne correspondit pas à mes attentes, transmission « technique » avec un jargon médical ne parlant pas du patient dans son ensemble mais des symptômes de celui-ci. Ce fut une période où j’interpellai mes collègues éducateurs en leur demandant leur avis sur la forme des relèves. Nos avis convergeaient. Il fallait maintenant se faire entendre des autres membres de l’équipe sans violenter ni perturber de trop un certain fonctionnement. Ce qui fut fait et accepté. La nouvelle durée de la relève vint vite nous signifier que nous manquions de temps pour parler d’autre chose que des symptômes des patients. Comment détrônée alors ce qui allait devenir de toute manière la nouvelle forme de relève imposée par l’administration : la relève ciblée ? (voir annexe) La parole « officielle » existe parce que son opposé la fait vivre. De par mes diverses expériences j’ai pu observer et vérifier que tout ce qui est reconnu et repéré comme officiel fait naitre en parallèle un joyeux champ de liberté à l’informel. Cet « informel » est vital parce qu’il reste le signe d’une pensée en mouvement, d’une parole vivante, d’une réflexion libre en opposition d’un cadre officiel parfois dictateur et mortifère. Le bureau était l’espace où les relèves orales avaient lieu. Elles étaient au nombre de trois sur 24h : à 6h, 13h40, 20h40. J’ai de par mes horaires participés aux 3 types de transmissions orales. Chacune était sensiblement différente puisque les temps vécus avec les patients étaient peu semblables. La relève de 6h dans le noir et à voix basse ne réunissait que 4 personnes et donnait parfois le ton de la journée lorsque certains patients avaient passé la nuit à errer dans les couloirs la cigarette et l’angoisse au bord des lèvres. Celle de 13h40 était souvent celle qui emplissait le plus le bureau infirmier et qui pouvait collecter et transmettre le plus de d’information de par la diversité des professions représentées. Celle du soir de nouveau regroupait les deux professionnels du soir et l’infirmière et l’aide soignante de la nuit. Cette relève porteuses d’une longue journée d’évènements et de ressentis préparait à la nuit avenir. Les écrits avaient divers supports : classeur du service où étaient notés tous les patients et les observations concernant la journée, notes du médecin ou de la psychiatre. Un autre classeur fut mis en place. Celui-ci plus personnalisé concernait chaque patient dans leurs traitements, activités, médecin et psychiatre traitants, informations personnelles, etc. Les deux étaient utilisés mais du fait de présenter part des mêmes informations ils étaient parfois sources de confusions. Sur l’un certains écrits qui auraient du se trouver sur l’autre et vis versa. Je dois ajouter un autre support écrit, un classeur se trouvant en salle de soins. Celui-ci concernait la prise de traitements, les dosages prescrits, les observations faites à ce moment du temps de la prise médicamenteuse. Mes observations ne concernaient pas ce classeur. Les réunions institutionnelles étaient diverses :
Dans les espaces non-officiels de la parole, le plus important reste celui de la salle du personnel où nous déjeunions régulièrement quand il ne nous était pas possible de descendre à la cafétéria de l’hôpital. Je me souviens de cet espace comme de celui où les dérives et les dérapages furent fréquents. J’entends par là que cet espace devint parfois celui de l’exutoire de bons nombres d’inconscients au dépend de certaines situations professionnelles. La fatigue, la peur, la colère amenaient certains professionnels à abandonner une contenance de leur propre parole. En ce lieu la transmission d’informations pouvait être particulièrement riche et nourrissante comme très appauvrie par les « délires » aussi du personnel. Heureusement les fous rires avaient aussi leur place, les projections allaient bon train et les phantasmes suivaient de près. Mais je tiens à souligner que malgré mon aversion pour ce genre de situation, l’hôpital psychiatrique est un lieu si étrange, parfois si peu encré dans la réalité que ces débordements étaient compréhensibles. Dans le cas d’une ouverture de service la parole et à travers elle la transmission fut la première à prendre différentes formes et différents contenus. Elle vint transmettre, encourager, rassurer, partager, aider mais aussi cloisonner, troubler, pervertir, détruire, maltraiter équipe et patients. Cette parole de transmission au sein de l’URPS ne cessa de raconter qui nous étions et quelles étaient nos peurs, les angoisses qui nous traversaient et qui s’inscrivaient derrière chaque mot. 4-3 : Veille et attention permanente par rapport à l’évolution des connaissances technique et théorique du champ social ou éducatif afin de maintenir une pratique adaptée à ses évolutions Mon chemin et ma réflexion en psychiatrie furent la résultante directe des acquis de mon expérience professionnelle, de mon investissement personnelle et de rares formations glanées de ci de la. A l’URPS nous ne bénéficiâmes pas de formation à notre grand regret. Rares furent les temps où nous nous arrêtâmes sur des écrits, des nouveaux textes de lois. Deux d’entre d’eux firent tout de même un peu plus « jaser » dans les couloirs et nous ramenèrent à notre réalité et notre devoir à l’hôpital. Il s’agissait du texte de loi interdisant la cigarette dans les lieux publics ainsi que celui parlant de la confidentialité des dossiers de patients. Loi Evin : la cigarette dans les lieux publics (voir annexe texte de loi) La loi contre la cigarette à l’hôpital me parut assez vite être une gageure. En réfléchissant à cette loi et à son application en psychiatrie je ne peux m’empêcher de penser au petit enfant et à la ribambelle d’objets rassurants, essentiels dont il s’entoure pour faire face à ses angoisses et terreurs. Comment ôter le « doudou » à l’enfant quand celui-ci n’est pas affectivement et émotionnellement mature ? Le doudou se « perdra » un jour lorsque et seulement lorsque l’enfant sera « prêt » à le perdre. Cet objet de lien entre la mère et l’enfant dit transitionnel et décrit par Winnicot disparait de la vie de l’enfant quand celui-ci n’a plus besoin de lui comme rempart pour affronter le monde et sa réalité. L’abandon de cet objet de multiples rassurances ne pourra s’envisager qu’à partir d’une certaine évolution psychique et accompagné d’un entourage affectif solide et constant. Ainsi la séparation d’avec l’objet pourra se faire dans de bonnes conditions et sera bien vécue. En transposant cette étape sur les situations de certains patients fumeurs chroniques du service j’imagine difficilement la disparition brutale et soudaine du « doudou-cigarette » si cela n’a pas été désiré, pensé, élaboré par le patient. Comment imaginer que cela soit viable sans une certaine maturité et élaboration en amont ? Comment dans ses conditions l’équipe pourrait elle continuer à travailler dans une relation d’aide et de confiance quand l’acte suggère autant de violence ? La violence de la perte ne peut conduire l’individu qu’à une régression et à une recherche de compensation immédiate. Cette attitude peut mener le patient vers des comportements encore plus déviants et toxiques qu’auparavant. Je suis loin de militer pour que la cigarette reste à l’hôpital mais je pense que sans une profonde réflexion en amont cette Loi appliquée telle quelle au sein d’un service psychiatrique aura des conséquences lourdes pour les patients comme pour les professionnels. Cette loi fut régulièrement parlée et interrogée lors des réunions des patients le lundi après midi. Elle provoqua de vives réactions et fut compris comme une agression à leur liberté de fumeur. Suite à celles-ci il se décida que les patients auraient droit de fumer uniquement dans la salle commune (salle sans portes et avec paravents). J’observai alors un court temps pendant lequel les patients se mirent à fumer au pas de la porte du service. Mais très vite les escaliers et les murs devinrent sales et nous fumes interpellés par le personnel de nettoyage ainsi que par les familles ou autres professionnels. Parallèlement les professionnels du service sujet à la même règle se retrouvaient avec les patients devant la porte d’entrée…ce temps qui devait être un temps de pause n’en était plus un. Et puis dehors il faisait froid…alors chacun reprit ses habitudes et malgré mes nombreuses remarques et les conflits engendrés les patients se remirent à fumer dans les couloirs et leurs chambres. Les professionnels quant à eux se remirent à fumer en salle du personnel…. A ce jour je ne sais pas si la cigarette a disparu de l’URPS et comment il a été possible de conjuguer l’application de la loi Evin avec le quotidien d’un service psychiatrique. Loi sur la confidentialité des dossiers des patients ( voir annexe) Pour la majorité des patients de l’URPS la maladie était loin de leur réalité, de leur conscience première. Un peu comme si elle vivait à leur coté mais sans être pour autant la principale responsable de leur présence à l’hôpital. Certains pouvaient tout à fait m’expliquer quelles furent les rasions de leur hospitalisation et me démontrer par la même que la maladie n’y était pour rien. Ceci étant, de temps à autre, selon les personnes et l’importance de leurs symptômes, la maladie était évoquée et des liens entre leur état et leur pathologie étaient alors possibles. Je pouvais par exemple parlé avec eux de certains médicaments indispensables à leur stabilité et des effets secondaires de ceux-ci au quotidien. Ainsi il était même parfois possible de revenir à l’origine des symptômes de la maladie et comment celle-ci avait pu être décelée et diagnostiquée. Lors de ces temps de dialogues certains moments traumatiques revenaient à la mémoire et il n’était pas simple d’être là et de contenir au mieux les émotions et les angoisses provoqués par cette réminiscence des souvenirs. Parfois ceux-ci étaient « atteignables » pas trop éloignés de la mémoire ni trop délirants. Je me permettais alors de parler du dossier du patient et de lui préciser que celui-ci était consultable à sa demande. L’étonnement était toujours là. Comme si leur vie à malgré plusieurs hospitalisations ne s’était inscrite nulle part. Comme si les dossiers des patients ne pouvaient se composer que de prescriptions ou de diagnostiques. Comme si ceux-ci ne les avaient accompagnés lors de leurs pérégrinations hospitalières. Comme si dans le fond leur vie n’avait pas de consistance, de matière pour s’inscrire et laisser trace quelque part. Une vie volatile et sans attache, sans rivage. Au gré des aléas de la maladie… Pourtant la majorité des renseignements concernant les patients se trouvent sur leur dossier, de la première hospitalisation à la dernière en passant par une multitude d’avis médicaux, de soignants, de récits de chapitres plus ou moins violents ou d’allers retours chez eux. C’est leur histoire qui défile à travers les pages de ces dossiers, il s’agit du récit de leur vie et des nombreuses batailles contre la maladie dont sont gonflés les dossiers. Les lire renvoi le patient à son histoire et à l’origine de sa cohabitation avec la maladie. Peu d’entre eux font ce pas. Certains seront venus me « menacer » lors de conflit de vouloir récupérer leur dossier. Un peu comme si l’hôpital le leur avait dérobé, cet hôpital qui les enferme et leur dérobe tout autant leur vie… Mais seuls ceux qui sont en voies de se réapproprier leur histoire font en sorte de se rapprocher de leur dossier. Cette démarche est rare à l’hôpital car lire son dossier c’est oser regarder son existence et la dégradation de celle-ci. C’est se confronter aux illusions perdues. C’est un deuil de soi que l’on de fait pas. On ne fait pas d’économie à se rapprocher de son vécu, de sa réalité et c’est avec la plus grande attention que je dois moi aussi accompagner cette lecture. Je me dois d’aider à la compréhension des termes. Je dois veiller à ne pas laisser l’angoisse prendre le pas et savoir limiter la lecture au bon moment quitte à reporter pour une autre fois la suite de cette démarche. Cette lecture se faisait dans un cadre physique précis et neutre et dans un temps délimité. Je répondais rarement à l’immédiateté d’une demande cherchant à comprendre avec la personne quelle était la réelle demande. Et puis j’avais besoin d’en référer à mes collègues, d’imaginer ce temps et de pouvoir y réfléchir en amont. Je fixai alors un rendez-vous avec le patient. Ce temps nous permettait au patient comme à moi-même de prendre de la distance et de pouvoir se projeter. Ce rendez-vous pouvait être annulé ou encore reporté, nous en parlions ou pas selon le besoin du patient. Je me devais de respecter cette décision si je souhaitai qu’un jour celui-ci reproduise une demande dans le même sens. Si aujourd’hui cette Loi a été votée il s’agit pour nous professionnels de la reconnaitre, de l’accepter de la comprendre et de pouvoir en expliquer les principaux alinéas. Le dossier des patients n’est plus la propriété exclusive de l’hôpital et du personnel médical. C’est à travers ces textes de Loi que la société redonne aux patients une existence et des droits leur permettant de devenir sujet de leur maladie et de leur passage à l’hôpital. 4-4 : Capitalisation permanente des acquis de l’expérience individuelle et collective par une formalisation de ceux-ci, en vue de faire progresser et de partager son propre savoir professionnel Au cours de mon instance à L’URPS j’expérimentai une double position : celle où j’accueillis le savoir et celle où je le retransmis. Je n’accueillis pas du savoir auprès de tous malgré la pluridisciplinarité de l’équipe professionnelle. Je fus « emportée » plus loin de mes acquis par une psychiatre totalement « habitée » par son projet de réhabilitation, par une infirmière pour qui la psychiatrie était encore une expérience vivante et humaine, une rencontre de notre semblable, l’aliéné, avec qui il était possible de partager l’expérience de notre altérité. Je saisis alors une autre dimension de la psychiatrie. Celle de l’humain, du sujet, de l’échange. Encore aujourd’hui je trouve le sujet de la maladie mentale passionnant et ouvrant des portes insoupçonné de rencontres elles-mêmes uniques Ma branche professionnelle, celle de l’éducation spécialisée ne peut être celle du « statisme intellectuel ». Ma profession est viscéralement liée à l’humain, elle est vivante et évolue tous les jours. De ce fait et par soucis d’honnêteté et d’éthique je ne peux me contenter de mes acquis. Par choix, par engagement aussi je continue à me nourrir de nouvelles connaissances, à m’interroger, à remettre en question mes croyances afin de naviguer un peu plus sereine vers cette part inconnue de l’Autre. Pour cela je lis, m’informe régulièrement, puise dans les sources même du savoir. Ainsi en mars dernier je suis retournée à l’hôpital Saint Jean de Dieu pour un cycle de conférence (proposées par l’AFIREM*) dont l’une cherchait à démanteler et à expliquer « Les mécanismes de la répétition dans la relation professionnelle ». A celle-ci intervenait Mme F. André Fustier et Mme Grange-Séguéral toutes deux psychanalystes et intervenant dans des structures d’accueil pour enfants ou familles en difficultés. Les thèmes et questions furent nombreux : Comment ce qui a manqué chez soi va nous mener nous professionnels à vouloir le réparer chez l’Autre ? Comment allons nous combler des manques en s’exposant dangereusement à nos propres écueils, illusions et espoirs ? Comment la répétition va-t-elle pouvoir transformer positivement la problématique de l’individu en passant par la famille ? Comment l’Institution va-t-elle pouvoir accueillir et mettre en travail ce que la famille va déposer de pathologique en son sein ? Les pistes de réflexion proposée lors de cette conférence m’auront mené à comprendre certaines positions vers lesquelles je pourrai glisser si je ne prends pas garde de me décentrer et observer à distance les mouvements propres à une famille pathogène ou à un fonctionnement de groupe comme ceux d’une équipe en institution. De part et d’autre les émotions et les ressentis sont présents et s’entrecroisent dans un ballet de projections invalidantes si nous ne prenons le temps de les analyser et comprendre. Lors de mon expérience en Centre d’Hébergement à Réinsertion Social je bénéficiai d’une formation de plusieurs semaines sur « L’entretien en binôme dans la relation d’aide ». La prise de parole est toujours un risque et à l’hôpital elle est de plus parasitée par la maladie. Cette formation fut réellement adaptée à ma pratique et me mena à réfléchir sur la place de chacun lors de l’entretien, sur ma prise de parole et comment parvenir à aider l’Autre à la prendre aussi. Comment parvenir à prendre de la distance et comprendre les mécanismes, les enjeux d’un entretien ? Comment établir ce terrain de confiance afin d’aider l’Autre à « accoucher » d’un mot, d’une pensée, d’un sentiment ? Comment l’aider à faire baisser l’anxiété, à soulager l’angoisse ou reformuler le projet de soin en rappelant la loi, le cadre, les consignes ? Je crois qu’il faut savoir quitter nos perceptions, nos références culturelles, prendre du jeu par-rapport à nos propres habitudes, pour être ouvert à la perception de l'Autre. Ce dans l’objectif de pouvoir ainsi accompagner l’Autre au plus près de sa réalité. Mes collègues éducateurs furent des alter-égo essentiels à ma survie intellectuelle en psychiatrie. Nos questionnements jalonnèrent notre quotidien sans cesse interrogé et mis à mal par notre inexpérience et méconnaissance pratique de la maladie. Nous nous retrouvions parfois égarés dans les dédales de l’expression de la maladie, du fonctionnement hospitalier sans outils pour nous en dépêtrer. J’entends par outils des temps de formation qui auraient pu « épaissir » notre assise professionnel. Pas de repères pour baliser nos vécus et pouvoir faire des liens rassurants et structurants. Ceci dit et après plusieurs mois de bataille acharnée nous réussîmes à obtenir des temps bimensuels d’analyse de la pratique avec un psychiatre dont la renommée n’était plus à faire. Je veux en venir au fait que seules mes pratiques antérieures, ma curiosité et ma volonté d’apprendre m’aidèrent lors de situations pour le moins critiques ou déstabilisantes. Aucune formation ne fut proposée ni acceptée et ce malgré nos nombreuses demandes. Je dus alors piocher là où me semblait il se trouvait la connaissance et l’information. Ce fut alors dans les temps de réunion où l’expérience de certains professionnels de l’hôpital fut souvent riche et abordable que je récoltai autant que possible de quoi nourrir ma petite science… Mais je crois que les premiers qui m’apprirent mon métier en psychiatrie furent les patients eux même. Moi je travaillais alors qu’eux vivaient « en direct » sous mes yeux leur vie de patients. A leur coté et jours après jours je dus réadapter ma manière d’être, d’écouter, de voir, de comprendre. Travailler en psychiatrie restera une expérience fondatrice dans ma vie d’éducatrice. L’URPS fut un terrain où nombre de stagiaires-infirmiers vinrent se « frotter » à l’expérience de la folie au rythme d’un par mois voir deux parfois. Ils étaient tant bien que mal encadrés par un infirmier, la régularité de l’encadrement étant peu aisée en lien avec la complexité des emplois du temps. Je fus et ce à plusieurs reprises mandatée comme éducatrice pour accompagner l’infirmier dans cet encadrement de stagiaire. Cette fonction supplémentaire était innovante pour moi et m’apporta beaucoup de plaisir mais aussi bon nombre des questionnements. Je mesurai alors la difficulté et la précision que je devais avoir dans l’observation de la pratique de l’autre. Comment guider l’Autre à s’interroger sur une situation, un concept sans «parasiter » sa pensée avec la mienne? Comment lui permettre d’aller confiant vers sa propre réflexion, d’aller sereinement se confronter à l’émotion provoquée par la rencontre avec le patient? La maladie mentale bouscule et dérange, effraie souvent. Bien des stagiaires s’interdirent toute émotion et furent dans l’évitement du patient et de ce qu’il pouvait provoquer chez eux. Certains agirent comme s’ils avaient à faire à des personnes « normales » croisées dans un service général. Dans la négation de la maladie, dans le déni, la frontière avec le risque est plus qu’étroite et le danger n’est jamais bien loin. Comment me détacher de mes « tics »professionnels, de mon jargon protecteur afin d’être accessible, entendue et de transmettre au mieux ma parole, ma pensée, mon vécu ? Les stagiaires n’était pas là pour devenir infirmier-psychiatrique ultérieurement et encore moins pour me rencontrer moi éducatrice dans ce service un peu «bizarre ». Ce stage obligatoire était « un mauvais moment » à passer mais incontournable pour la suite de leur formation. J’avais envie de leur transmettre à quel point la qualité de leur relation avec les patients allait pouvoir les emmener plus loin qu’il ne l’espérait en mettant les pieds à l’URPS. Que ce stage pouvait devenir essentiel et les enrichir dans leur avenir professionnel et personnel. Peu furent sensibles et comprirent ce lieu unique dans lesquels ils semblaient s’être égarés. L’une d’elle refusa même ma présence lors de la validation de son stage, elle était en denier mois de formation et ne comprenait pas comment ma parole et mon regard sur sa pratique pouvait avoir du poids, se pensant déjà professionnelle et reconnue par ses pairs. Ceci étant et malgré sa résistance et les défenses qu’elle mit en place j’assistai à son évaluation et lui dit à quel point sa réaction était à l’image de son stage et ne présageait rien de bon quand à un futur travail en équipe et à sa capacité à accepter un regard extérieur. Je ne pense pas qu’à ce stade de l’écriture je puisse faire l’économie d’une réflexion et d’une mise au point de ma pratique professionnelle après ces quelques années de présence active sur le terrain de l’éducation spécialisée. D’autant plus qu’aujourd’hui je cherche à faire valider ce parcours professionnel par mes pairs. Un parcours de vie professionnelle comme personnel. Un parcours en évolution continue. Comment tout cela s’est conjugué, articulée pour en arriver aujourd’hui à ce curieux mélange de mise au point, de distanciation, d’espoirs et de désillusions? J’espère être suffisamment nourrie par la Vie, par mes expériences personnelles pour pouvoir me confronter à certains questionnements, certaines remises en question et surtout certains choix. LA SUITE PLUS TARD……. |
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