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M. Jules Ferry ... et je vous défie - permettez-moi de vous porter ce défi, mon honorable collègue, monsieur Pelletan -, de soutenir jusqu'au bout votre thèse, qui repose sur l'égalité, la liberté, l'indépendance des races inférieures. Vous ne la soutiendrez pas jusqu'au bout, car vous êtes, comme votre honorable collègue et ami M. Georges Perin, le partisan de l'expansion coloniale qui se fait par voie de trafic et de commerce. Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai ! il faut dire ouvertement qu'en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures... (Rumeurs sur plusieurs bancs à l'extrême gauche.) M. Jules Maigne. Oh ! vous osez dire cela dans le pays où ont été proclamés les droits de l'homme ! M. de Guilloutet. C'est la justification de l'esclavage et de la traite des nègres ! M. Jules Ferry. Si l'honorable M. Maigne a raison, si la déclaration des droits de l'homme a été écrite pour les noirs de l'Afrique équatoriale, alors de quel droit allez-vous leur imposer les échanges, les trafics ? Ils ne vous appellent pas ! (Interruptions à l'extrême gauche et à droite. - Très bien ! très bien ! sur divers bancs à gauche.) M. Raoul Duval. Nous ne voulons pas les leur imposer ! C'est vous qui les leur imposez ! M. Jules Maigne. Proposer et imposer sont choses fort différentes ! M. Georges Périn. Vous ne pouvez pas cependant faire des échanges forcés ! M. Jules Ferry. Je répète qu'il y a pour les races supérieures un droit, parce qu'il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures... (Marques d'approbation sur les mêmes bancs à gauche - Nouvelles interruptions à l'extrême gauche et à droite.) M. Joseph Fabre. C'est excessif ! Vous aboutissez ainsi à l'abdication des principes de 1789 et de 1848... (Bruit), à la consécration de la loi de grâce remplaçant la loi de justice. M. Vernhes. Alors les missionnaires ont aussi leur droit ! Ne leur reprochez donc pas d'en user ! (Bruit.) M. le président. N'interrompez pas, monsieur Vernhes ! ![]() M. Jules Ferry. Je dis que les races supérieures... M. Vernhes. Protégez les missionnaires, alors ! (Très bien ! à droite.) Voix à gauche. N'interrompez donc pas ! M. Jules Ferry. Je dis que les races supérieures ont des devoirs... M. Vernhes. Allons donc ! M. Jules Ferry. Ces devoirs, messieurs, ont été souvent méconnus dans l'histoire des siècles précédents, et certainement, quand les soldats et les explorateurs espagnols introduisaient l'esclavage dans l'Amérique centrale, ils n'accomplissaient pas leur devoir d'hommes de race supérieure. (Très bien ! très bien !) Mais, de nos jours, je soutiens que les nations européennes s'acquittent avec largeur, avec grandeur et honnêteté, de ce devoir supérieur de civilisation. M. Paul Bert. La France l'a toujours fait ! M. Jules Ferry. Est-ce que vous pouvez nier, est-ce que quelqu'un peut nier qu'il y a plus de justice, plus d'ordre matériel et moral, plus d'équité, plus de vertus sociales dans l'Afrique du Nord depuis que la France a fait sa conquête ? Quand nous sommes allés à Alger pour détruire la piraterie, et assurer la liberté du commerce dans la Méditerranée, est-ce que nous faisions oeuvre de forbans, de conquérants, de dévastateurs ? Est-il possible de nier que, dans l'Inde, et malgré les épisodes douloureux qui se rencontrent dans l'histoire de cette conquête, il y a aujourd'hui infiniment plus de justice, plus de lumière, d'ordre, de vertus publiques et privées depuis la conquête anglaise qu'auparavant ? M. Clemenceau. C'est très douteux ! M. Georges Périn. Rappelez-vous donc le discours de Burke ! M. Jules Ferry. Est-ce qu'il est possible de nier que ce soit une bonne fortune pour ces malheureuses populations de l'Afrique équatoriale de tomber sous le protectorat de la nation française ou de la nation anglaise ? Est-ce que notre premier devoir, la première règle que la France s'est imposée, que l'Angleterre a fait pénétrer dans le droit coutumier des nations européennes et que la conférence de Berlin vient de traduire le droit positif, en obligation sanctionnée par la signature de tous les gouvernements, n'est pas de combattre la traite des nègres, cet horrible trafic, et l'esclavage, cette infamie. (Vives marques d'approbation sur divers bancs.) ![]() Voilà ce que j'ai à répondre à l'honorable M. Pelletan sur le second point qu'il a touché. Il est ensuite arrivé à un troisième, plus délicat, plus grave, et sur lequel je vous demande la permission de m'expliquer en toute franchise. C'est le côté politique de la question. Messieurs, dans l'Europe telle qu'elle est faite, dans cette concurrence de tant de rivaux que nous voyons grandir autour de nous, les uns par les perfectionnements militaires ou maritimes, les autres par le développement prodigieux d'une population incessamment croissante ; dans une Europe, ou plutôt dans un univers ainsi fait, la politique de recueillement ou d'abstention, c'est tout simplement le grand chemin de la décadence ! Les nations, au temps où nous sommes, ne sont grandes que par l'activité qu'elles développent ; ce n'est pas « par le rayonnement des institutions »... (Interruptions à gauche el à droite) qu'elles sont grandes, à l'heure qu'il est. M. Paul de Cassagnac. Nous nous en souviendrons, c'est l'apologie de la guerre ! M. de Baudry d'Asson. Très bien ! la République, c'est la guerre. Nous ferons imprimer votre discours à nos frais et nous le répandrons dans toutes les communes de nos circonscriptions. M. Jules Ferry. Rayonner sans agir, sans se mêler aux affaires du monde, en se tenant à l'écart de toutes les combinaisons européennes, en regardant comme un piège, comme une aventure, toute expansion vers l'Afrique ou vers l'Orient, vivre de cette sorte, pour une grande nation, croyez-le bien, c'est abdiquer, et dans un temps plus court que vous ne pouvez le croire, c'est descendre du premier rang au troisième ou au quatrième. (Nouvelles interruptions sur les mêmes bancs. - Très bien ! très bien ! au centre.) Je ne puis pas, messieurs, et personne, j'imagine, ne peut envisager une pareille destinée pour notre pays. Il faut que notre pays se mette en mesure de faire ce que font tous les autres, et, puisque la politique d'expansion coloniale est le mobile général qui emporte à l'heure qu'il est toutes les puissances européennes, il faut qu'il en prenne son parti, autrement il arrivera... oh ! pas à nous qui ne verrons pas ces choses, mais à nos fils et à nos petits-fils ! il arrivera ce qui est advenu à d'autres nations qui ont joué un très grand rôle il y a trois siècles, et qui se trouvent aujourd'hui, quelque puissantes, quelque grandes qu'elles aient été descendues au troisième ou au quatrième rang. (Interruptions.) ![]() Aujourd'hui la question est très bien posée : le rejet des crédits qui vous sont soumis, c'est la politique d'abdication proclamée et décidée. (Non ! non !) Je sais bien que vous ne la voterez pas, cette politique, je sais très bien aussi que la France vous applaudira de ne pas l'avoir votée ; le corps électoral devant lequel vous allez rendre n'est pas plus que nous partisan de la politique de l'abdication ; allez bravement devant lui, dites-lui ce que vous avez fait, ne plaidez pas les circonstances atténuantes ! (Exclamations à droite et à l'extrême gauche. - Applaudissements à gauche et au centre.) ... dites que vous avez voulu une France grande en toutes choses... Un membre. Pas par la conquête ! M. Jules Ferry. ... grande par les arts de la paix, comme par la politique coloniale, dites cela au corps électoral, et il vous comprendra. M. Raoul Duval. Le pays, vous l'avez conduit à la défaite et à la banqueroute. M. Jules Ferry. Quant à moi, je comprends à merveille que les partis monarchiques s'indignent de voir la République française suivre une politique qui ne se renferme pas dans cet idéal de modestie, de réserve, et, si vous me permettez l'expression, de pot-au-feu...(Interruptions et rires à droite) que les représentants des monarchies déchues voudraient imposer à la France. (Applaudissements au centre.) M. le baron Dufour. C'est un langage de maître d'hôtel que vous tenez là. M. Paul de Cassagnac. Les électeurs préfèrent le pot-au-feu au pain que vous leur avez donné pendant le siège, sachez-le bien ! M. Jules Ferry. Je connais votre langage, j'ai lu vos journaux... Oh ! l'on ne se cache pas pour nous le dire, on ne nous le dissimule pas : les partisans des monarchies déchues estiment qu'une politique grande, ayant de la suite, qu'une politique capable de vastes desseins et de grandes pensées, est l'apanage de la monarchie, que le gouvernement démocratique, au contraire, est un gouvernement qui rabaisse toutes choses... M. de Baudry d'Asson. C'est très vrai ! M. Jules Ferry. Eh bien, lorsque les républicains sont arrivés aux affaires, en 1879, lorsque le parti républicain a pris dans toute sa liberté le gouvernement et la responsabilité des affaires publiques, il a tenu à donner un démenti à cette lugubre prophétie, et il a montré, dans tout ce qu'il a entrepris... M. de Saint-Martin. Le résultat en est beau ! ![]() M. Calla. Le déficit et la faillite ! M. Jules Ferry. ...aussi bien dans les travaux publics et dans la construction des écoles... (Applaudissements au centre et à gauche),que dans sa politique d'extension coloniale, qu'il avait le sentiment de la grandeur de la France. (Nouveaux applaudissements au centre et à gauche.) Il a montré qu'il comprenait bien qu'on ne pouvait pas proposer à la France un idéal politique conforme à celui de nations comme la libre Belgique et comme la Suisse républicaine, qu'il faut autre chose à la France : qu'elle ne peut pas être seulement un pays libre, qu'elle doit aussi être un grand pays exerçant sur les destinées de l'Europe toute l'influence qui lui appartient, qu'elle doit répandre cette influence sur le monde, et porter partout où elle le peut sa langue, ses moeurs, son drapeau, ses armes, son génie. (Applaudissements au centre et à gauche.) Quand vous direz cela au pays, messieurs, comme c'est l'ensemble de cette œuvre, comme c'est la grandeur de cette conception qu'on attaque, comme c'est toujours le même procès qu'on instruit contre vous, aussi bien quand il s'agit d'écoles et de travaux publics que quand il s'agit de politique coloniale, quand vous direz à vos électeurs : « Voilà ce que nous avons voulu faire » soyez tranquilles, vos électeurs vous entendront, et le pays sera avec vous, car la France n'a jamais tenu rigueur à ceux qui ont voulu sa grandeur matérielle, morale et intellectuelle (Bravos prolongés à gauche et au centre. - Double salve d'applaudissements - L'orateur en retournant à son banc reçoit les félicitations de ses collègues.) ![]() En phase avec la pensée de Jules Ferry, ce sale raciste qu'il faut virer des écoles Ben Webster et Oscar Peterson, Hanovre, 1972 Désolé, chères amies et chers amis, je sais que c’est dimanche, mais il va falloir faire du ménage… sur la première rangée de votre discothèque préférée, car voici une perle intersidérale et absolue, la rencontre de Ben Webster et Oscar Peterson en 1972, à Hanovre. Perso, je ne m’en suis pas remis, et je dois vous dire que le médecin sort à l’instant de la maison, après m’avoir prodigué quelques soins de réanimation. Attention aux âmes sensibles, nous n’avons qu’une vie sur terre, et - au passage - je vous recommande préalablement ligoter belle-maman et de la coller chez le voisin du dessous, elle ne supporterait pas. Au piano, celui que Duke Ellington appelait « the maharaja of the keyboard ». Il est impressionnant, ce génie qui manifestement ne se nourrissait pas au filet de sole grillé, garni d’un demi citron. Tout est géant, généreux, chez Oscar Peterson. Sa musique est un appel à la vie, fantastique. Il joue avec les fidèles de son trio, Tony Inzalaco à la batterie et Niels Henning Orsted Pedersen à la contrebasse. Pour ce concert de Hanovre, les trois amis ont été rejoints par Ben Webster, au sax ténor, et là, on meurt. Tout commence avec la première image : un peu sur l’arrière, assis sur un coin de chaise, un homme aux yeux mi-clos installe son saxo bien confortablement sur son petit bedon. Ben Webster ? Aux premières notes de Putin, vous aurez compris qu’on est dans un autre monde.Sunday lance véritablement le concert, et tout bascule avec I Got It Bad And That Ain't Good…Oh la la, repassez-vous cent fois Ben Webster posant le thème, c’est fabuleux, et toute l’équipe qui va de prodige en prodige... Ce I Got It Bad And That Ain't Good est une réussite devant l’éternel. Regardez bien à la fin… Oscar Peterson se tourne vers Ben Webster, le visage ébloui, pour lui dire : « franchement, je ne pensais pas qu’on irait aussi loin ». Et là, il regarde le clavier, pose trois notes, et on se dit que ce n’est pas possible… mais si… Incroyable mais vrai, ils enchaînent avec Perdido… le mythique Perdido de Charlie Parker. L’émotion nous dépasse et la beauté envahit tout, et pour les survivants, nos quatre amis repartent comme si de rien n’était avec les grandes sonorités blues de Come Sunday. Là j’ai plongé, suffoqué, mais ne voulant rien rater de cette aventure dans le plus somptueux des ciels, je me suis cogné une double dose de Laphroaig 12 ans d’âge, et là, j’étais à point pour écouterFor All We Know et Cottontail. Bienvenue dans la légende… Ah, une dernière chose. Si vous me dites où peut trouver la veste que portait Oscar Peterson pour ce concert, je fonce, à New York, à Tokyo ou à Melbourne… http://www.youtube.com/watch?v=q5IaMdhVBFo ![]() |