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Rapport de jury CAPEPS Ecrit 1 2007 Sujet : Les finalités et les objectifs de l’éducation physique et sportive ont-ils pris en compte les évolutions culturelles de notre pays de 1945 à nos jours ? Caractérisé par un libellé clair, le sujet d’écrit 1 de la session 2007 n’en demeure pas moins complexe à analyser. Le nombre de termes clés (finalités, objectifs, évolutions culturelles), leur polysémie, sont autant de facteurs rendant son traitement difficile. En outre, l’intitulé impose au candidat de se positionner au regard d’un type de lien précis « ont-ils pris en compte » dont les indicateurs apparaissent au prix d’une réflexion conséquente. Le jury attendait des candidats non seulement qu’ils soient en mesure d’apporter des définitions opérationnelles des concepts fondamentaux, mais encore qu’ils puissent, en prenant appui sur ces dernières, proposer une réponse à la question posée, soutenue par une démonstration argumentée. Or, sans une connaissance précise des textes officiels de la discipline depuis 1945, doublée d’une culture générale d’un bon niveau, l’argumentaire du candidat ne pouvait convaincre le correcteur. Les définitions des termes clés et les champs de connaissance correspondants Concernant les finalités et objectifs de l’EPS, les définitions d’Hameline1 offrent une base intéressante et fréquemment utilisée : « Une finalité est une affirmation de principe à travers laquelle une société (ou un groupe social) identifie ou véhicule ses valeurs. Elle fournit les lignes directrices à un système éducatif et des manières de dire au discours sur l’éducation ». Les objectifs, quant à eux peuvent être définis comme « Enoncé d’intention pédagogique décrivant en terme de capacité de l’apprenant, l’un des résultats escompté d’une séquence d’apprentissage ». Les définitions ainsi posées laissent entrevoir, au-delà des similitudes, le fait que les finalités se distinguent des objectifs de par un plus haut niveau de généralisation. Exposés dans les Instructions Officielles de la discipline, finalités et objectifs peuvent toutefois apparaître sous d’autres appellations, ce qui complexifie d’autant le travail d’analyse. En effet, ce n’est qu’en 1985 que cette terminologie apparaît explicitement. Au préalable, le législateur a employé d’autres termes : « buts » en 1945 ou encore « effets généraux » en 1959. Quoiqu’il en soit, chaque texte depuis 1945 présente les intentions éducatives générales (relevant de l’école d’une part, de la discipline d’autre part) sur lesquelles il se fonde et par rapport auxquelles s’organisent les programmes. Leur analyse, plus que leur simple citation était bien évidemment attendue par le jury, agrémentée par une réflexion sur les choix de supports pédagogiques en découlant. Dans ce cadre, les candidats qui ont pris le soin de lire les textes de première main, de s’en imprégner, possédaient un avantage certain. Enfin, le candidat pouvait de façon opportune étayer ses propos en se référant à des auteurs ayant analysé les textes : J. Y Nérin, E. Combeau-Mari2 ou encore M. Herr3. Définir de manière juste et pertinente « Evolutions culturelles » était une autre attente forte du jury, et pour cette session 2007 un écueil important pour les candidats. La notion de culture4, polysémique (en 1952, A. Kroeber et C. Kluckholn5 notaient l’existence de plus de deux cents définitions différentes) nécessitait une véritable réflexion. Or, deux défauts majeurs se constatent dans les copies. Le premier réside dans le fait de ne poser qu’une seule définition de la notion de culture, définition généralement très ouverte en référence à J. Defrance6: « Chaque culture renvoie à l’ensemble des coutumes, des croyances et des systèmes symboliques d’un groupe » ou encore à M. Develay7 « Ensemble des normes, des règles, des savoirs non génétiquement héréditaires, non produits dans la dialectique spontanée des relations interindividuelles et qui nécessite donc une transmission d’apprentissage et une éducation ». Le second défaut tient en l’absence d’analyse et d’exploitation de la définition proposée : celle-ci est posée en introduction, et disparaît par la suite du coeur du devoir. Définir « les évolutions culturelles » était ici un enjeu majeur, et une clé de la réussite dans l’épreuve. Bien évidemment, le candidat ne pouvait ignorer le sens macroscopique, se confondant presque avec la notion de civilisation, donné à la culture que l’UNESCO libelle de la façon suivante : « La culture, dans son sens le plus large, est considérée comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits »8 ou que l’on retrouve chez le sociologue Guy Rocher9 : « Un ensemble lié de manières de penser, de sentir et d’agir plus ou moins formalisées qui, étant apprises et partagées par une pluralité de personnes, servent, d’une manière à la fois objective et symbolique, à constituer ces personnes en une collectivité particulière et distincte » Mais, il devait être capable, à partir de celle-ci, d’entrevoir différentes réalités sous-jacentes. Les évolutions culturelles renvoient bien évidemment aux transformations fortes des valeurs, des croyances de la société française entendue comme une entité, mais elles font aussi référence à l’existence de particularités d’un groupe social à l’autre. Les bons candidats à la session 2007 ont ainsi évoqué la présence de sous-systèmes culturels repérables au sein d’identités collectives particulières (culture jeune, culture féminine, contre-culture, culture scolaire, culture d’entreprise etc.). Enfin, les évolutions culturelles imposent aussi au candidat de réfléchir à la dynamique de production et de consommation de biens culturels (les formes d’expression humaine10) comme de connaissances dans lesquelles s’inscrivent les activités corporelles, mais aussi la production de références scientifiques. Ainsi posé, le cadre dépassait très largement la simple évocation des liens entre le sport et l’éducation physique que certains ont considéré à tort comme l’unique voie de traitement du sujet. Concernant la transformation des valeurs, des croyances, mais aussi de la structure de la société française depuis 1945, les correcteurs attendaient que les candidats ne se cantonnent pas à un descriptif du contexte social, politique ou économique, mais s’appuient sur ce dernier pour mettre réellement en exergue les évolutions. Ceci supposait un travail conséquent de synthèse et d’analyse de l’histoire de notre pays dépassant largement (en l’y incluant naturellement) l’histoire de l’EPS. L’utilisation judicieuse de travaux historiques reconnues, tel le livre de R. Rémond11, ou encore d’ouvrages plus scolaires tel celui de C. Ambrosi , A. Ambrosi et B. Galloux12 ou ceux de D. Borne13, améliorait la crédibilité des affirmations et octroyait une valeur ajoutée aux copies. Les correcteurs appréciaient aussi que le candidat soit en mesure d’utiliser des références telles que les ouvrages de G. Lipovetsky14, les travaux de N. Elias et E. Dunning15, ceux d’A. Ehrenberg16 pour ne citer que certains d’entre eux, et qu’ils fassent preuve dans leurs écrits d’une certaine curiosité historique. Le traitement du sujet La mise en évidence de ces définitions ne suffit naturellement pas à une production de qualité. Plus que tout, le sujet invitait le candidat à mettre en rapport les finalités et objectifs avec les évolutions culturelles à partir du vocable prendre en compte. Si, très souvent, un questionnement prometteur est apparu en introduction, les démonstrations n’ont guère été à l’image des questions initialement soulevées. Prendre en compte signifie littéralement « intégrer, faire référence à ». Des problématiques centrées à la fois sur le niveau de prise en compte, le degré, ou encore les décalages temporels potentiels, pouvaient amener à des productions riches à condition que ces dernières incluent les différentes dimensions de la notion de culture et, dans le meilleur des cas, s’appuient aussi sur les différences subtiles existant entre finalités et objectifs. En outre, il était essentiel qu’elles soient défendues par un argumentaire dépassant la simple énumération des connaissances. Au-delà de la nécessité d’avoir caractérisé cette prise en compte, le candidat s’approchait de l’excellence en identifiant les enjeux et les explications sous- jacents (politiques, idéologiques). Les plans retenus ont été dans la majorité construits sur une logique chronologique. Si cette option est naturellement tout à fait valable, il convient de rappeler que les plans thématiques peuvent aussi servir des démonstrations de qualité. Ainsi, envisager de structurer son devoir autour de trois types d’évolution culturelle (les évolutions culturelles larges propres à la société française dans son ensemble en renvoyant au système de valeur et de croyances ; les évolutions culturelles propres à des groupes particuliers ; et enfin les productions culturelles comme le sport ou les sciences) pouvait, si tant est que le candidat possédait le niveau de connaissances exigé, aboutir à un résultat tout à fait probant. Organisé de manière chronologique, le plan ne pouvait par contre faire l’économie d’une réflexion plus thématique à l’intérieur de chacune des parties. Dans ce cas, le candidat devait, en prenant appui sur les textes officiels17 de chaque période, analyser le degré de prise en compte des différentes registres d’évolutions culturelles identifiées. Des pistes de traitement Reprenant une logique chronologique, la première partie pouvait couvrir la période 1945-1967. Ici, le candidat devait s’atteler à démontrer que les finalités rendent compte de manière évidente et explicite des différents registres d’évolutions culturelles que connaît la France au coeur des trente glorieuses, et ce malgré une tentative peu convaincante en 1959. Ainsi, considérant les évolutions macroscopiques, les multiples productions historiques font état d’une France qui se transforme lentement mais en profondeur durant la IVème, mais surtout à l’aube de la Vème République. La France sortie meurtrie de la seconde guerre mondiale semble sclérosée sur le plan social : les individus évoluent dans des contextes préétablis, ne leur laissant que peu de mobilité sociale. La base de la sociabilité se structure autour du village, de la famille et de l’Eglise, et les valeurs qui prévalent se concentrent autour du travail, de l’effort, de l’autorité, de l’austérité, de la morale, de la mesure et du contrôle. Au début de la Vème république, la société s’est transformée, dynamisée par la croissance économique, et la foi en la société de consommation : les valeurs d’effort ou de travail se maintiennent, mais elles s’intègrent dans une recherche de performance et de compétitivité devenues les nouveaux dogmes sociaux. Les individus poussés par l’essor du tertiaire, n’hésitent plus à venir s’installer dans les villes, dont les dimensions ne cessent de croître. Dans un tout autre registre, la notion de plaisir, de loisir18, s’immisce petit à petit comme référent. En prônant un système éducatif rénové de sorte à « investir à plein profit 19», Berthoin entérine ces nouvelles valeurs au sein même de l’école française. Les finalités et objectifs de l’éducation physique rendent parfaitement compte de cette évolution majeure, exception faite du texte anachronique de 1959. Ainsi, le texte du 1er Octobre 1945 mettaient en avant des finalités tournées autour d’une santé normée, hygiénique, d’une « recherche d’attitudes correctes » mettant en exergue le poids du modèle, le tout complété par une « préparation à la vie sociale « Foncièrement différent, le texte publié en 1967 innove en accordant à la notion de santé une dimension dynamique, mais aussi en plaçant au premier plan le thème du dépassement de soi, et en accordant à la compétition la valeur d’un moyen pédagogique. La mobilité sociale que ne manque pas d’engendrer cette nouvelle société se retrouve aussi dans le texte de 1967. L’accent est ainsi mis sur l’adaptation de l’individu, mais aussi son sens de la coopération, de la responsabilité dans des groupes sans cesse mouvants. A contrario, le texte de 1959 semble bien, dès sa publication, en décalage total avec les valeurs en vogue dans la société, et le condamne à une durée de vie limitée : « Education et la correction de l’attitude » comme « l’éducation respiratoire » sont ici les finalités centrales et toute référence à la culture sportive reste inexistante. A considérer les différences pouvant exister au sein de la société française entre les groupes sociaux, il est à constater non un éclatement des formes de consommation culturelle comme cela sera le cas à l’aube des années 1970, mais au contraire, une volonté d’accessibilité de tous à la culture. Ainsi, en 1945, se maintient une France duale, où les classes aisées possèdent les connaissances culturelles dites d’élite, et la France laborieuse reste, comme le montre R. Rémond20, éloignée des formes de culture les plus prestigieuses. La Vème République, sans pour autant uniformiser toutes les consommations et productions culturelles, tente de permettre à tous l’accès à la culture. En témoigne la création du 1er ministère des Affaires culturelles confié à André Malraux en 1959, « Le ministère des affaires culturelles a pour mission de rendre accessibles les oeuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de français ; d’assurer la plus vaste audience à son patrimoine culturel ; de favoriser la création des oeuvres de l’art et de l’esprit qui l’enrichissent »21. La fusion des deux cursus scolaires débutée dès 1959 par la loi Berthoin et poursuivie en 1963 entre dans une logique analogue, et donne pour la première fois lors de la publication des Instructions Officielles de 1967 une EPS identique pour tous, le primaire étant, avant la jonction des deux systèmes, régi par des textes différents de ceux du secondaire. Dans ce contexte d’entrée dans la consommation de masse, les sports deviennent une activité culturelle parmi d’autres, d’autant plus prisée qu’elle correspond et aux valeurs de compétition et de rendement, et à la dimension de loisir qui se répand. Les chiffres retraçant l’évolution des licenciés dans les fédérations ne trompent ici d’ailleurs pas22, la pratique sportive est de plein fouet touchée par un phénomène de démocratisation sans précédant. Le souci d’ouverture à ce nouveau produit culturel, central pour une discipline s’occupant du corps, se retrouve avec acuité en EPS dans les débats comme dans les décisions institutionnelles. Le premier chapitre du texte de 1967, accordent plus de deux tiers de son contenu à défendre l’utilisation des sports au regard de leur importance culturelle « On ne saurait négliger non plus l’interdépendance qui existe entre les APS et les fondements culturels de notre civilisation. Notre époque est marquée par la croyance dans le progrès matériel et spirituel et le sport moderne participe directement à cette idée, en cherchant non seulement à dégager un type humain dans sa perfection, mais à accroître par la compétition et le travail acharné qu’elle exige, les possibilités de l’Homme » tandis que les programmations figurant dans un autre chapitre du texte le mettent directement en application. Il ne faut pas non plus ignorer dans la production culturelle les révolutions scientifiques qui touchent les années 60, plaçant au premier plan les découvertes des sciences humaines, l’intérêt porté à la psychologie comme à la sociologie. Les finalités et objectifs de l’EPS retracent une fois de plus cette évolution culturelle : en 1945, que ce soit « l’éducation respiratoire » ou encore la « Vitesse, Adresse, Résistance, Force » renvoient aux références scientifiques majeures que sont l’anatomie et la physiologie. En 1967, la psychologie est mentionnée comme référence dès la première page, et lorsque le texte développe certains objectifs prioritaires, il est fait mention du « développement des facteurs personnels de la conduite tels que l’émotivité, la faculté de création etc. ». En outre, les liens entre corps et esprit sont explicitement mentionnées dans le premier chapitre du texte. Un candidat recherchant un niveau de production élevé pouvait en guise d’ouverture de partie évoquer les acteurs ayant contribué durant les années 1960 à cette évolution majeure de la discipline : les écrits d’Ulmann mettent en exergue les réflexions qui agitent la sphère de l’éducation physique dans les années 196023 concernant l’adéquation entre les méthodes et les finalités ; les interventions de Mérand24. portent sur la nécessité d’utiliser le sport, produit culturel, en éducation physique de sorte à donner une véritable éducation aux enfants. Il était possible de développer une seconde partie en prenant appui sur la période débutant en 1967 et s’achevant en 1985-1988 (dates de parution des textes officiels). Le candidat pouvait alors défendre l’idée selon laquelle la société française se transforme de nouveau fondamentalement dans ses valeurs, dans sa perception même de l’individu, ce qui ne manque pas d’avoir des incidences sur les productions culturelles, le tout se retrouvant dans les items et le vocabulaire employé dans les Instructions officielles de l’éducation physique. Il était aussi intéressant de noter que la forme très large et consensuelle des finalités et objectifs, libellés ainsi pour la première fois, masquent parfois une « prise en compte » bien plus problématique dans les mises en oeuvre de certaines évolutions culturelles. Mai 1968 provoque en France une remise en cause fondamentale de l’organisation du pays et des valeurs sociales jusque là dogmatiques sur lesquelles il se fondait : un pays centralisé, un Etat tutélaire, des institutions prégnantes, des principes moraux encore bien ancrés, des individus sous autorité. Cette remise en cause quasi systématique de la vieille France conservatrice aboutit dans les années 1970 à l’éclosion d’une société nouvelle, dont les bases s’érigent autour des droits de l’individu, du respect des différences, de la recherche d’hédonisme, de liberté, en dehors des institutions de tutelle. En mettant en place dès 1969 un programme politique intitulé « Une nouvelle société », Chaban-Delmas ne manque pas de repérer cette évolution majeure. Le septennat de Valery Giscard D’Estaing laisse aussi entrevoir les transformations sociales : la majorité civile est fixée à 18 ans en 1974, la loi Veil sur l’Interruption Volontaire de Grossesse est votée en 1975. Cette volonté d’ouverture se retrouve bien évidemment dans le système éducatif, ou le rapport à l’autorité25 se modifie, comme la place accordée au maître dans la relation pédagogique. De nouvelles méthodes font leur apparition, telles celle de C. Rogers mettant en avant la liberté et l’activité de l’élève. Ce dernier cristallise toutes les attentions, se retrouve placé au centre de dispositif revu pour favoriser la réussite de chacun. La loi Haby de 1975 s’en fait écho, comme le montre son article premier : « Elle (la formation) favorise l’épanouissement de l’enfant (…) ». Les textes de 1985 à 1988 rendent parfaitement compte de cette nouvelle conception générale de la place de l’individu, ici l’enfant, et des nouveaux principes éducatifs que cela engendre. La notion d’élève, entendu dans sa singularité est au coeur du chapitre « Nature et Objectifs » du texte de 198526 comme le prouve le nombre de fois ou cette terminologie est utilisée en chapitre introductif. Plus qu’un formatage aux différentes techniques sportives, c’est bien la formation et l’éducation de chacun qui sont recherchées à travers le développement de ses capacités, de ses conduites motrices, de ses ressources (Attali, Saint-Martin)27. A cet égard, le texte de 1986 concernant les lycées paraît tout à fait symptomatique. Lorsque le texte évoque le triptyque « Se connaître, connaître les autres, connaître les APS » en tant qu’objectifs, il est mentionné : « Se connaître, c’est prendre conscience des différences, des particularités, des qualités et des possibilités des uns et des autres ». La finalité d’ « autonomie » paraissant dans ce même texte démontre enfin avec force combien l’individu pris dans sa singularité structure les propositions. Les nouvelles valeurs de la société française des années 1970 permettent à des groupes auparavant totalement minoritaires de se révéler, d’émettre des revendications, de mettre en avant leurs différences, et leurs souhaits. Il en est ainsi par exemple des mouvements féministes, qui bien qu’ayant par le passé déjà existé, retrouve début 1970 une nouvelle vigueur. En témoignent les réflexions sociologiques telles celles de Christine Delphy28, qui dénoncent les mécanismes de la domination masculine à travers une analyse du patriarcat, ou encore les actions médiatiques et visibles de Gisèle Halimi. Les revendications d’égalité des femmes en tant que nouvelle donnée culturelle se retrouvent implicitement dans les textes officiels de la discipline, de par l’absence d’une part de différence faites entre les garçons et les filles, tous rassemblés sous l’appellation « élève » (1985), mais aussi à travers la demande faite aux enseignants de prendre en compte et gérer les aspirations de chacun (1986), et les niveaux d’habiletés de tous (1986). Dans la même logique, les activités physiques d’expression entrent dans les possibles choix lors des épreuves d’EPS du baccalauréat (1983). A l’image de cette nouvelle société, les productions culturelles évoluent aussi. Que ce soit sur le plan musical, sportif ou cinématographique, les productions comme les consommations culturelles font la part belle à une certaine forme de « contre culture » émanant de groupes, telle la jeunesse, qui ne manque pas d’émettre ses propres revendications. Comme le symbolise parfaitement le concert de Woodstock de 1969 se développe un courant qui refuse l’affrontement et la compétition au profit d’activités de cohésion, ou le corps peut être source d’émotions, de sensations. Dans la sphère sportive, ceci engendre courant 1970 un certain recul des sports dits olympiques (J. Defrance)29 au profit d’activités dites de glisse ou libres comme le montre C. Pociello.30 Les finalités et objectifs de la discipline en évoquant de manière générale « Accès à la connaissance et à la maîtrise des faits de culture » (1986) ou plus précisément « le développement d’habiletés pouvant être réinvesties dans diverses activités : sportives, professionnelles ou de loisir » (1985) laisse supposer une fois de plus une prise en compte par le législateur de cette nouvelle dimension culturelle. Mais, à l’instar d’une réflexion de J. Ulmann en 1966, il faut ici noter que les finalités annoncées ne sont parfois pas suivies de mise en oeuvre permettant de les atteindre : les classifications proposées restent centrées sur les sports olympiques. Une autre dimension de la place prise par le corps dans la société des années 1970 est enfin à souligner. En effet, Mai 1968 a bousculé les principaux tabous, et a accéléré une certaine libération du corps31. Ce dernier, auparavant caché est davantage montré à travers une nouvelle mode vestimentaire ou encore sur les plages, lieu de vacances privilégié (A. Rauch)32. « S’occuper de son corps, en tant que lieu d’identité personnelle et de conquête individuelle, devient une priorité » écrit à ce titre Y. Travaillot33. Cette évolution aboutit, dans le domaine des activités physiques à un développement sans précédent des pratiques hygiéniques et d’entretien du corps : la Fédération Française d’Education Physique et de Gymnastique Volontaire voit ainsi son nombre d’adhérents passés de 40000 en 1972 à 240000 en 1980. Bien sûr, il est possible de tisser un lien entre cette nouvelle forme de consommation culturelle et le terme « santé » apparaissant dans chaque texte officiel des années 1980, avec le souci de « se connaître » de 1986 ou encore la place accordée à chaque individu. Mais, comme en ce qui concerne les pratiques de glisse, l’absence de mise en oeuvre de ce type remet en cause le degré réel de prise en compte de ce registre d’évolution culturelle. La dernière partie pouvait être organisée autour de la période la plus contemporaine (1985- aujourd’hui). Elle était l’occasion pour le candidat de montrer qu’une fois de plus les finalités et objectifs de l’éducation physique, par un choix de termes appropriés, par l’accent mis sur telles ou telles dimensions, rendaient compte des évolutions sociales majeures. Mais, en cohérence avec le système éducatif, l’analyse des textes de l’éducation physique laisse entrevoir un interventionnisme plus marqué de la part de la communauté éducative au regard des principaux problèmes sociaux. Subissant de plein fouet la crise économique amorcée par les deux chocs pétroliers des années 1970, la France entre à la fin du septennat de Valery Giscard d’Estaing dans une période caractérisée par un taux de chômage de plus en plus haut, et un déclin du niveau de vie d’un nombre sans cesse croissant de français. Ce durcissement des conditions de vie est encore plus perceptible dans les quartiers HLM construits à la hâte dans les années 1960 pour accueillir les nouveaux urbains. Les différents gouvernements qui se succèdent prennent bien évidemment des mesures sociales en conséquence (réévaluation du SMIG en 1981, création du RMI en 1988), mais il n’en demeure pas moins vrai que la fracture sociale devient de plus en plus importante, entre ceux qui subissent les conséquences de la crise et ceux qui en sont protégés. Les répercussions en terme de valeurs, de croyances, d’attitudes sont importantes : les individus ne se détachent pas des institutions comme dans la période précédente, mais les interpellent, les remettent directement en cause, que ce soit l’école, le monde politique, la police ou encore les services de secours. Les liens sociaux entre les différentes franges de la société aux conditions d’existence si différentes se délient, entraînant sans conteste un repli sur soi et un refus de l’étranger, comme en témoigne la création de SOS racisme en 1984. La recrudescence des actes de violence comme la montée des incivilités témoignent en outre du malaise social, et des problèmes inhérents aux droits et devoirs de chacun. Cet ensemble d’éléments, considérés comme dangereux pour la pérennité même de la société entraîne courant 90 une prise de conscience politique et scolaire qui se répercute directement sur les textes institutionnels. L’objectif devient alors de rétablir certaines valeurs fondamentales, telles le respect de l’autre dans sa différence ou encore le respect des institutions. Ainsi, est mis en place au lycée en 1998 un nouvel enseignement intitulé « Education civique, juridique et sociale ». Les « initiatives citoyennes » sont mises en place dans le même ordre d’idée en 1998. Les textes propres à l’EPS rendent totalement compte de cette évolution culturelle importante : ainsi, les Instructions Officielles du 18 juillet 1996 place la citoyenneté comme finalité essentielle de l’EPS : « En offrant des occasions concrètes d’accéder aux valeurs sociales et morales, notamment dans le rapport à la règle, l’EPS contribue à l’éducation à la citoyenneté ». Cet item reste totalement d’actualité dans les textes du lycée qui préconisent de former des « citoyens responsables et ouverts, susceptibles de s’intégrer dans une société démocratique » (2000). Consécutivement à ces évolutions macroscopiques s’affirment avec force dans les années 80-90 les identités et particularismes régionaux ou nationaux. Les références aux spécificités culturelles régionales n’ont par exemple cessé de s’amplifier au cours des années 1990 (Corse, Bretagne, Pays basque) entraînant une demande croissante de formation dans ces domaines comme le montre la demande en langue régionale ou encore la multiplication des écoles diwan en Bretagne. Le phénomène est analogue vis-à-vis des populations originaires d’un autre pays que la France, et qui sur le sol français font vivre leur différence culturelle. Entendu comme une richesse culturelle française, cette évolution est reprise dans le système éducatif, à condition toutefois que ces particularismes ne servent pas le communautarisme. Ainsi, en EPS, les programmes du lycée mettent en avant « l’accès au patrimoine culturel » en ouvrant ce dernier, à travers l’ensemble complémentaire, à des pratiques régionales. Les candidats ne pouvaient ici développer l’ensemble des sous-systèmes culturels envisageables, mais il était très apprécié qu’ils fassent mention au moins de ce phénomène. Si l’école s’ouvre ainsi à différentes formes de culture, elle ne tolère par contre pas que soit remis en cause le principe fondamental sur lequel elle repose : la laïcité. Le problème du voile islamique l’illustre parfaitement, et témoigne aussi d’une certaine forme de choc des cultures. Si la France traverse une période économique troublée, l’accès à la culture pour tous reste toutefois un véritable credo politique. Dans les faits, il convient de signaler une politique plus que volontariste de Jacques Lang, Ministre de la Culture pour la seconde fois de 1988 à 1993. Mais, cette démocratisation de l’accès aux oeuvres culturelles ne doit pas masquer le maintien d’une certaine forme de distinction sociale dans le choix même des consommations34 qu’il est aussi possible de repérer dans les pratiques sportives. Ainsi, si l’enquête de l’INSEP35 de 2000 montre la généralisation de la pratique physique chez les français, elle témoigne aussi de l’importance des activités telles que la marche, la natation ou le cyclisme, comme les statistiques des fédérations montrent la prédominance du football. Or, le champ des pratiques sportives est, comme le démontre C. Pociello36 bien plus étoffé que cela, le nombre de pratiques nouvelles ne cessant de s’accroître. Des activités se développent au rythme des attentes des consommateurs : les activités de plein air sous forme de stage de quelques jours telles que la plongée sous-marine, le canyoning ou encore les sorties équestres sont ainsi très en vogue au début des années 200037, mais réservées à une certaine classe aisée. Les finalités du texte des lycées rend bien compte de la rapidité des évolutions de la sphère sportive lorsqu’il évoque un citoyen « pleinement acteur et critique dans l’évolution des pratiques culturelles », mais les conditions de mises en oeuvre de l’éducation physique laissent supposer qu’il est difficile de proposer cette gamme d’activités sans cesse renouvelée. Société du « paraître », la société française des années 1980-1990 accorde au corps une place incontournable dans les relations sociales. Ainsi, différentes recherches38 contemporaines mettent en évidence que la jeunesse, la minceur comme le dynamisme sont des atouts considérables pour tisser des relations et accéder au marché de l’emploi, alors même que les conditions de vie entraînent bien souvent sédentarité et nourriture peu étudiée. Le corps devient quoiqu’il en soit un capital qu’il s’agit de fructifier et de protéger. Cette nouvelle réalité culturelle entraîne un développement croissant des activités d’entretien du corps, ou de coaching personnalisé et peut aboutir à un recours aux solutions médicales telle la chirurgie esthétique. Il est possible de repérer dans les textes du lycée une allusion à ce phénomène : « Le citoyen est responsable de la conduite de sa vie corporelle pendant sa scolarité et tout au long de sa vie » et une mise en oeuvre à travers les pratiques de stretching, de relaxation, de développement musculaire, de step, dont la simple énumération laisse entrevoir l’importance qui leur est donnée institutionnellement. Pour conclure Le jury attendait du candidat qu’il mette à profit des connaissances solides sur le plan des instructions officielles d’une part, sur l’histoire sociale et culturelle de la France d’autre part, et ce en vue d’assumer une démonstration portant sur la nature, le degré de la prise en compte, en EPS, des évolutions culturelles. La précision des connaissances, l’esprit critique et le niveau de culture générale (entendu ici dans son sens individuel et non collectif) a eu sans conteste un impact sur la note, d’autant que le jury déplore une fois de plus une vision simpliste, cloisonnée dans des bornes temporelles sans fondement réel, d’un certain nombre de copies. 1 Hameline (Daniel), Les objectifs pédagogiques en formation initiale et en formation continue, Paris, ESF, 1979. 2 Combeau Mari (Évelyne), « Lire les TO, » Revue EPS n° 240, Mars Avril 1993 ; « Les années Herzog et la sportivisation de l’EP », Revue Spirales N° 13- 14 1998 p259- 283. 3 Herr (Michel), « Les TO et l’histoire. Analyse de 3 textes relatifs à l’EP », dans l’ouvrage de P. Arnaud (Pierre), Clément (Jean-Paul), Herr (Michel), EPS en France, 1920- 1980, ED AFRAPS, octobre 1989, p281-293. 4 Voir pour une analyse approfondie de la notion : Fleury (Jean), La culture, Paris, Bréal, 2002. 5 Kroeber (Alfred) , Kluckholn (Clyde), Culture: a critical review of concepts and definitions, 1952. 6 Defrance (Jacques), « La place du sport et de l’éducation sportive du corps dans la culture », dans l’ouvrage de Clément (Jean-paul), Defrance (Jacques), Pociello (Christian), Sport et pouvoirs au XX ème siècle, Pug, 1994. 7 Develay (Michel), Donner du sens à l’école, Paris, ESF, 1996. 8 Déclaration de mexico sur les politiques culturelles/ Conférence mondiale sur les politiques culturelles, Mexico City, 26 juillet-6 août 1982. 9 Rocher (Guy), Introduction à la sociologie générale, tome 1 : L’action sociale, Paris, Seuil, 1968. 10 Defrance (Jacques), ibid. 11 Rémond (René), Notre siècle. 1918-1988, Fayard, Paris, 1988. 12 Ambrosi (Christian), Ambrosi (Arlette), Galloux (Bernadette), La France de 1870 à nos jours, Paris, A.Colin, 1997. 13 Borne (Dominique), Histoire de la société française depuis 1945, A. Colin, 2000. 14 Lipovestsky (Gilles), L’ère du vide : essai sur l’individualisme contemporain, Paris, Gallimard, 1983 et Le bonheur paradoxal : essai sur l’hyper société de consommation, Paris, Gallimard, 2006. 15 Elias (Norbert), Dunning (Eric), Sport et civilisation, la violence maîtrisée, Fayard, 1994 (première édition : 1986) 16 Erhenberg (Alain), Le culte de la performance, Paris, Calmann-Lévy, 1991. 17 Voir Nérin (Jean-yves), Les instructions officielles et l’EPS au XXème siècle, dossier EPS N°44, Paris, éditions revue EPS, 1999. Voir aussi Travaillot (Yves), Tabory (Marc), Histoire de l’éducation physique, genèse d’une discipline, Paris, Myt2, 2001. 18 Dumazedier (Jacques), Vers une civilisation des loisirs ?; Paris, Seuil, 1962. 19 Exposé des motifs du décret n°59-57 du 6 Janvier 1959 portant sur la réforme de l’enseignement public, JORF n°5, 7 Janvier 1959. 20 Rémond (René), Notre siècle. 1918-1988, Fayard, Paris, 1988. 21 André Malraux, décret portant sur l’organisation du Ministère des Affaires culturelles, 1959. Cité dans Institutions et vie culturelles, La documentation française, Paris, 1996. 22 Pociello (Christian), Sport et société, Paris, Vigot, 1981 23 Ulmann (Jacques), « Sur quelques problèmes concernant l’éducation physique », Revues EPS n° 81, 82, 83, 84, , Paris, juillet 1966, janvier 1967. 24 Mérand, « Rapports de l’éducation physique et du sport », Sport et plein air, Spécial CPS- FSGT, décembre 1966, pp 65-67. 25 Cette notion d’autorité est étudiée par H. Arendt : Arendt (Hannah), La crise de la culture, paris, Gallimard, 1972. 26 Voir Nérin (Jean-Yves), Les IO de l’EPS au 20ème siècle, Dossier N°44, Revue EPS, Paris,1999, p96. 27 Attali (Michaël, Saint-Martin (Jean), L’éducation physique de 1945 à nos jours, Paris, Armand Colin, 2004, pp22_-229. 28 Delphy (Christine), L’ennemi principal.1. Economie politique du patriarcat, Syllepse, Paris, 1998. 29 30 Pociello (Christian), Sport et société, Paris, Vigot, 1981. 31 Bard (Christine), Les femmes dans la société française au 20ème siècle, Paris, A. Colin, 32 Rauch (André), Vacances en France de 1830 à nos jours, Paris, Pluriel, 1996. 33 Travaillot (Yves), « Les français à la conquête de leur corps », Sciences humaines n°132, novembre 2002. 34 Bourdieu (Pierre), La distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Minuit, 1979. 35 Mignon (Patrick), Truchot (Lionel) « Les pratiques sportives en France. Enquête 2000 » MJS INSEP, 2002 36 Pociello (Christian), Les cultures sportives, Paris, PUF, 1995. 37« La nouvelle France sportive », Le Monde, 1er août 2004. 38 Juvin (Hervé), L’avènement du corps, Gallimard, 2005 ; Amadieu (Jean- françois), Le poids des apparences, O. Jacob, 2005 ; Detrez (christine) La construction sociale du corps, Seuil, 2002, chapitre 2 |
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