Toute ressemblance des héros de ce roman avec des situations réelles, avec des personnages vivants ou ayant vécu, ne peut être que pure coïncidence…








télécharger 0.98 Mb.
titreToute ressemblance des héros de ce roman avec des situations réelles, avec des personnages vivants ou ayant vécu, ne peut être que pure coïncidence…
page1/34
date de publication28.03.2017
taille0.98 Mb.
typeDocumentos
p.21-bal.com > loi > Documentos
  1   2   3   4   5   6   7   8   9   ...   34


Toute ressemblance des héros de ce roman avec des situations réelles, avec des personnages vivants ou ayant vécu, ne peut être que pure coïncidence…

Caro Mio


Chapitre I

Portée par le flot métallique, la Renault Cinq atteint le delta bétonné de la Porte de Bagnolet où elle est précipitée dans le périphérique, selon la loi de Bernoulli qui régit la turbulence molle des fluides visqueux. - « Parti trop tard, déjà des bouchons », se dit Sébastien, questionnant sur sa droite la centrale de chauffe, peut-être assez joliment bariolée des couleurs primaires du Corbusier. D’un coup de volant virtuel, il évite sur sa gauche l’effondrement de tours de vingt niveaux qu’un architecte affairé de less is more a érigé sur les coteaux insubordonnés, ontologisés depuis en Porte Urbaine par un fonctionnaire illuminé. L'exode aoûtien roule les flots de salariés stressés des Carrefour du nord aux Auchan du sud, des ronds points boréaux aux austraux, des bétons zupiens à ceux des marinas. Des acacias étiques aux palmiers fripés. Mêmes papiers gras, plastocs sales, survêtements bariolés, camouflages parachutistes, carrosseries boutiquières, Grévin des speakers, édiles iconiques, robinetterie à zizique, déodorant chimique, abris Decaux à la propreté nette pareille, sanisettes dont nul ne ressort, Canigou, Ronron, bébés phoques et Claudette, Ricard et Loto, Luxembourg pour Monte Carlo. Sur une lunette arrière un singe en peluche gigote, une bulle signale qu’« on s’en fout, on a le temps » si l’alcool tue lentement. Fleuve lent des paniqués, étiquetés, tôt niqués, catarthiques du caddy, toqués de chrématistique, d’éthique éradiqués. Sur France Musique, la logorrhée parisianiste tolère chaques vingt minutes trois flonflons de romantisme tardivement fadasse. Sur les radios librement enchaînées, la musaque au mètre submerge de sa daube les ultimes soubresauts contestataires.
Sébastien désoeuvré éprouve dans un sursaut d’empathie ses plus récentes grimaces sur le regard éberlué des marmots écrasés sur les vitres arrière, l’un d’eux parfois n’y résiste et renvoie, étonné de l’aubaine, un sourire primesautier. Un de sauvé, si le jeu lui dure. Les autres, rabroués, se renfrognent sur leur banquette sous la vigilance courroucée des matronne et patron.

« - Graines de moutons, de matons », se dit-il, se reprochant sitôt sa morgue élitaire en croisant deux doigts.
Poussée par le flot des tires soudées aux pare-chocs, le nez au cul de l’autre, la Renault projetée mètre à mètre hoquète les sanglots de ses bielles, pistons, boulons et carburos. Les pieds tétanisés aux pédales, Sébastien sent soudain son corps se dilater, emplir l’habitacle de fatigue et d’ennui, tandis qu’il innerve une mécanique qui asservit à son tour synapses et neurones. De part et d’autre, trois alignements de ses semblables entôlés, devant derrière la même chenille processionnaire aux anneaux soudés vaporise son poison. L'absurdité grégaire surligne l’angoisse du piège refermé par l’instrument supposé d’évasion. La route jusqu’aux Alpes promet le pire, délitant son frêle enthousiasme. Les gaz vésicants rongent les poumons. Les suspensions corrosives attaquent la gorge, irritent les amygdales, sécrètent des mucus, s’encroûtent aux plèvres. Le sang, à chaque giclée de ventricule, sédimente métaux rares et radicaux libres aux moindres glandes et tissus, certifiant asthme, métastases, artériosclérose, vieillesses catarrheuses et cacochymes. En prime, la gastro-entérite des restoroutes. La civilisation. Qu'importe puisqu'il vit la mégalopole sur l’écran réel du pare-brise, en alternance à la télé, canalisé dans la tranchée d’immeubles aux yeux clos, inquiétants cyclopes des mythologies urbaines, troufions vaincus avant l’offensive, mal ficelés, mal équarris, qui n'ont rien à lui dire ni à personne, que l'Immuable écoulement, l'Immobile, l'immonde gidouille.
S’il savait au moins pourquoi il est parti ! Il roule seul en sa moraine, caillasse coincée parmi des milliers d'autres s’entre broyant en un glacier sale et puant, érodant les rives, lent écoulement congelé, veillé à chaque porte par les tours, sentinelles de stupidité silico-aluminée. Vallès, incongruité les pieds dans Les Puces, Pariphéric d'Auber, vide comme ses consœurs de Pleyel, Pantin, flanquée d’une muraille HLM d’un million de briques rouges, assorties à l'écharpe de l’architecte flottant au vent des télés dans un romantisme bolcheviste cimenté de flouze. Les tours comme autant de molaires cariées de gueules d'hippopotames ruminant leurs espoirs floués de crues nigériennes. A la proue des beaux quartiers, le bosquet de tours s’étoffe en forêt, martelant son chaos d’obscénité affairiste, démise en scène cynique que chacun a cessé de voir, le regard dévasté de laideur, aveuglé de rage contre les hiérarchies granitiques, les collègues, les piranhas, les paranos, les faiseurs, bonimenteurs et autres stigmatisés de l’écran, du volant.

La touffeur d’été ensevelit son ire sous les monceaux de scories du quotidien. Hors ses gonds, une épilepsie lui vient aux jambes cependant qu’une poigne conformiste le cloue aux épaules sur les rails d’une survie asservie. Ressentant une incapacité physiologique à durer dans son enveloppe promise à l’explosion des montgolfières trop proches du soleil, il suffoque, à s'arracher les ongles aux parois capitonnées de la cellule tractée dont il est l’irrémédiable galérien, condamné à mouvoir les frein et accélérateur alternatifs au rythme imposé, la conscience démantelée par ces automatismes destructurants, comme par l'infini urbanisé où se reproduisent la même incohérence, la même dilution des affects, la même relation destructrice imprimée jusqu’aux rugosités des murs. Séquestré dans une gestuelle manipulée par d'autres, il sait se soumettre par us et obligation alimentaire aux buses qu'il courtise bien qu’elles ne comprennent rien à rien, reproduction cyclique d’une ignorance bovidée. Enfermé dans ses trajets répétitifs, frotté de haine tôle à tôle, chacun est assoiffé de battre l'autre au feu, à la file de gauche, à la voie de dégagement, de gagner une place, un quart de mètre où exhiber sa hargne à vivre, faire hurler moteur ou frein, l’esprit de compétition rebecqueté le soir à vociférer son foot au canapé, à sa télé pataté. Pour n’être en plus looser au volant, chacun risque son carrosse et sa vie, gonfle sa supériorité animale, souffle du sens au chiche quotidien en humiliant le quidam afin de s’immerger trois minutes plus tôt au catafalque bureautique ou aux froides noirceurs des cambouis d’atelier.
La triste aventure périphérique condense la vie aliénée, redouble l'ineptie des écrans, des enceintes, des tabloïds. Les manipulateurs stipendiés détournent le signifiant dérobé aux arts, à la raison, le réifient, le remâchent jusqu’à l’insipide. Seb, contaminé d’une frénésie agressive, incube une rage défoliante. Pour se dominer, il tend son bras sa main jusqu’au pare-brise s’efforce à la fixité mais ils se prennent d’un tremblement qu’il ne parvient à calmer. Des étoilements parasites scintillent en périphérie de la cornée, toute image de vie disparaît du rétroviseur vicieux. Caractériel, névrosé, le voici candidat aux cliniques brejnéviennes, au divan lacanien où on le dressera à apprécier l’inacceptable, à avouer sa déviance. Fourmi parmi les fourmis, prête à inoculer son venin, à escalader les cocagnes huilées où décrocher les bouquets de crépon. Les tunnels de Vincennes bouclent la désespérance de l'ironie entrevue de trois arbres merdoyant leur verdoiement factice en un dérisoire calicot de fête foraine qui bouge au vent mou sa java déchirée.
Une folle tentation le saisit d’avancer jusqu'à l’énormité de l'interdit tacite, d’oser franchir le mur et de toucher le pare choc devant si proche, de le pousser en accélérant légèrement, comme une caresse de reconnaissance et d’invite puis en souriant complice, d’appuyer sournoisement davantage, de plus en plus vite et de proche en proche, d’engager la résonance, d’entraîner ses congénères entôlés en une rotation hallucinée, de monter en puissance et par sympathie démoniaque de pousser toute la Chaîne du Périphérique, de transmuer le mol anneau de milliers de gnoles en accélérateur de particules, de le saisir d’un champ gravitationnel, magnétique et pulsionnel, de gagner exponentiel des vitesses sidérales, gigantesque train d’ondes ceignant Paris, bombardant d’un champ de violences neutroniques à chaque porte intra muros et banlieue, dissolvant le malheur construit, l’entropie de veulerie diffuse, la boulimie des vers, les murs de boue mastiquée des cavernes où se moulent les inhumations précoces. Un champ surdéterminé d'ondes psycho- magnétiques, de tension de survie désespérée, amplifié jusqu'à la fusion, au trou noir où annihiler la mégalopole, ses billions d’agitations insignifiantes dans une dépression définitive, une entropie terminale. La ronde furieuse creuse sur la capitale une trombe qui aspire les siècles de luxe et forfaiture à Grenelle et Saint Honoré, Lowendal et Neuilly, asperge des débris déchiquetés des dorures le glacis vernaculaire, le technocratolore des banlieues vannées.
L’éruption tire sa haine du plus profond des cheminées telluriques pour la vomir en spasmes, une insurmontable envie de hurler s’irradie au plexus, bout aux viscères, noue la gorge. Une immense dérision l’accompagne : il ne s'agit que de pédaler ses automatismes, de lever, baisser ses pieds aux cadences pavloviennes. Son visage s'empourpre de soudaine allergie, un œdème de King lui gonfle et rougit ses joues, noie ses yeux, envahit comme une baudruche l'espace du véhicule, adhérant aux vitres, glissant des hernies aux anfractuosités des portières pour que d’autres bagnoles claquent au passage les excroissances comme autant de vessies de pissat vénéneux. Il n'y a aucun moyen de changer cela, de faire cesser la souffrance, l'ennui suraigu, la claustrophobie ravageuse, l'insoutenable identification au néant.
Une issue s’offre pourtant : s’évader, s’arrêter pour de bon, glisser le toit ouvrant, capter trois rayons de soleil blafard, trois goulées de l’haleine fioulée du bouchon empuanti. Sébastien va cesser de jouer le jeu hébété. Il s’arrête tout bonnement dans le flot métallisé, ouvre le toit, se hisse, agite des bras de noyé, exhorte ses auto-congénères. Une angoisse chassant l’autre, il renoue avec la peur panique des portes d’usine quand, adolescent et mort de timidité, il devait se forcer à créer l’incongru, à passer de la grisaille à l’hystérie politique, le morveux d’intello appelant incongru à la résistance les prolétaires incrédules, tête basse poussant leur vélo, honteux pour lui d’une exhibition si ridicule.
« - A deux mains tirez vos freins, quittez vos voitures, jetez les clés, arrêtez tout, bloquez le périphérique, il faut vivre autrement, ça ne peut pas continuer, ils nous empoisonnent, nous nous empoisonnons nous-mêmes. Marchons ensemble jusqu’aux rives du plaisir, aux parterres de joies, aux moissons piquetées de nielles. Juste dessous le pont une péniche force la Seine comme un linga l’origine des mondes, pointant son groin vernissé dans l’ombre frisée des yonis, sous le reflet ondoyant des frondaisons. Ne sommes-nous frères et sœurs ? Nés pour aimer ? Embrassons-nous, folle ville, valsons sous les charmilles, baisons sous les belvédères. Nous n’iront gratter que demain, juste de quoi survivre et divaguer, errons aujourd’hui, cueillons piétons d’autres vies comme ajoncs sur la lande. Les fringues, la bouffe, les remèdes se fabriquent tout seuls, ils ne valent plus rien, les hyper en regorgent, squattons les HLM qui se vident, fabriquons des occases à trois sous, les cassettes se repiquent à la pelle, les avenirs et les attraits aussi. On bosse et se cabosse sans objet ni plaisir à foutre en l’air la planète, à fondre les banquises, à péter les météos, à affamer le Sud. Un balai vaut un aspirateur, une brosse une machine à laver, une bande magnétique un CD laser, un jean un costard trois pièces. Economisons les patrons, les chefs, les avocats, les maires, les notaires, les voyous, les bureaucrates, les gourous, les technocrates, les flics, les militaires, les instructeurs, les publicitaires, les banquiers, les promoteurs, la clique des polytechnichiens, les politichiens et leurs capos, les jolis p’tits chiens et leur bardot, les politologues, les pétroleurs, les savonneurs, les avionneurs, les armateurs, les arnaqueurs, les marchands d’art mort, le cochon pollueur d’Armor... Cessons de gueuler absurdement pour créer des emplois, l’urgence est d’en supprimer le plus possible, de redistribuer du temps de vie, de diminuer celui de l’esclavage ! Allons cul nu, canuts, tissons nos chemises, prenons nos lyres, vidons hanaps, immisçons nos mains aux corsages et petits bateaux, roulons patins, émettons de nos télés voisines, dormons à la belle étoile, buvons à la belle Estelle, mignotons nos gisquettes, bouturons nos braguettes, bandons nos menus vits aux vénus callipyges, suspendons nos guirlandes, brûlons nos lampions et des arpions les pavetons des boulevards, puis « nous irons prendre un baiser à Nini, sous les ponts de Paris ». Troquons un solo de guitare contre un quignon, une soudure contre de l’orthographe, une lessive pour un bécot, l’escarpin pour les charentaises, des salamis contre une salsa. Déclinons des poèmes et pinçons les luths. Le moteur de l’économie est désormais le droit à la paresse !»
Derrière lui, le périphérique se fige lentement. « Y s’passe kék chose, faut s’arrêter pour voir. Paraît qu’y a un fou ». Devant lui ça se vide. De part et d’autre de sa file bloquée les impatients tentent de se dégager, bloquant les autres files à grandes clameurs klaxonnées. Au loin les trompes des flics et des pompiers entament un oratorio tragique. Le Périph se comble, prend en masse, apoplectique. De chacune des portes, des fibrilles lancent leurs tentacules tôlées au sein de la capitale, y figeant de proche en proche toute vie. Ils vont prendre conscience. Ils vont refuser. Dix enragés à Nanterre ont déclenché un printemps aux incalculables conséquences. An zéro, tout s’arrête. Devant lui une poche se creuse, remplie vingt mètres plus loin à coups de volant rageurs par les conducteurs extraits des files parallèles. Les yeux au rétroviseur, ils ne voient rien, s’arrêtent pour comprendre, aggravant le marasme. Derrière, la guimauve cristallise, de proche en proche enserre Paris, bientôt le serpent se mord la queue au droit de Sébastien Perturbateur. Les plus avisés déplient la table de pique-nique et saucissonnent à tout hasard.
Un premier klaxon lui couvre la voix, un second perce les tympans, dix puis cent trompes reprennent la symphonie des promus du paraître, des déchus de l’être, des forcenés de l’obligation, des zélés aliénés, la clameur monte, les poings en cadence frappent les gongs métallifères. Sébastien ne sait plus s’arrêter, tente de couvrir la clameur, gueule plus fort :

«- A quoi sert cet esclavage de la tôle à la taule ? La vie est brève ! Reprenez en cœur avec moi. La vie est brève ! La vie est brève ! Notre passage ici-bas se gaspille à faire la queue aux guichets, écrire à la Sécu, à l’EDF, au téléphone, assurance et marchand d’eau, aux impôts et caisses de retraite, à la banque, au proprio ! On ingurgite la publicité mafieuse qui nous fait acheter n’importe quoi, pour engraisser les cyniques. Marre de régler les factures si pas de sous, à se ronger les ongles, payer les impôts les contredanses sans jamais peser sur leur emploi, bosser, circuler tout seul dans une quatre places qui perd en deux ans les trois quarts de son prix et dont la seule efficience est le gazage sournois des marmots candides, la fusion des banquises et l’immersion prochaine des villes côtières. Le temps nous est compté. Si tu fais pas tes huit heures t’es mort. L’habitude, la peur du changement paralysent. Et si l’horrible machine cessait de tourner ? Souvenez-vous des heures exquise, des semaines à pied en 1968 et, Gaulois ! le ciel ne s’est effondré, aucun cataclysme ! La ville de ce siècle est horrible mais la nature a de beaux restes. Ses saisons passent sans nous voir. Nous sommes enclos derrière le fer des barreaux, le verre des bureaux, l’écran des ordinateurs, des téléviseurs et des annonceurs, veillant sur la transparence de nos transpirations, la véhémence de nos fornications. L’obédience nous étrangle, l’abondance nous obèse, la jouissance nous obscène. Plus on produit moins on vit, plus on vaque moins on jouit. »

Trois Taras Boulba en débardeur ballant sur des bides gonflés de Kronenburg, shorts bariolés, lourdes bacchantes et crâne ras, ont quitté leur charrette, roulant leurs biceps tatoués à l’orientale, ils font tanguer en rythme Sébastien dans sa nacelle, tentent de lui saisir les poignets, de lui filer des baffes, de l’extraire par la portière, tapent sur la toiture, éructent des blasphèmes :

« - Dis, tu vas la fermer ta gueule, Gogol, le périph c’est pour rouler. Il est chtarbé le blaireau, dégage ou on te pète ta chiotte, t’es bon pour l’asile, danger public ! ».

Ils sont bientôt douze à secouer au rythme des klaxons parmi lesquels un maître nageur en string qui minaude sur ses claquettes en bois, un maire le menteur, redingote noire ceinte de tricolore qui se noie dans ses trilles, un agent bleu les joues gonflées comme Dizzi lui renvoie les chorus éperdus de ses roulades free sur une sifflette argentée, un académicien momifié sous bicorne sniffe gaillardement sa sécotine, un huissier surgeonné saute à la corde sur sa chaîne à vélo dorée, un rocker famélique en pantalon clouté épluche sa banane, un secrétaire particulièrement repu, coupe au rasoir, veston croisé, cravate à pois fait tournoyer son baise en ville par la bandoulière, une assistante sociale en Chanel, indiscipline ses mèches et dresse procès verbal de non-assistance à foule en danger sur un formulaire au double carboné, un employé à la voirie luisant de vert laitue et de jaune canari, agite son pic à crottes martien sous un gyrophare abricot, une grande folle en robe de mariée de taffetas immaculé se tord les pompes à pointes tout en s’épilant les aisselles au son des marimbas, une charcutière échevelée rondouillarde, ceinturée de chipolatas suintantes, grimpée sur le capot, compisse le pare-brise, illuminant d’éclats mordorés le soleil luisant, perd ses santiags dans le Gudrun, meugle le solo de Brunehilde et, ses deux tresses en hélices, disparaît bientôt dans le Crépuscule des Cieux.

Sébastien est mal barré.
Mais une jolie nymphe soudain s’en mêle, jean moulant et tee shirt Jersey, claquettes à talons, fine chaîne dorée aux chevilles, elle s’extrait d’une Mercedes en vitupérant le chauffeur d’une voie de violoncelle, sa longue perruque boticelle, secouée de colère, elle s’empare du soleil qui aussitôt la nimbe, devant l’auréole les quidams s’effarent de tant de beauté séraphique, crient au miracle, reculent sous la grâce véhémente des longs bras ondulant des morts du cygne :

« - Vous ne voyez pas qu’il est malade ? Laissez, je m’en charge, je suis médecin, poussez-vous, je le calme, il va repartir ».

Elle ouvre tranquillement la portière, s’installe d’autorité à côté de Seb :

« - Démarrez avant qu’ils vous massacrent, ces beaufs vont vous mettre en charpie. Les battements d’aile des papillons malgaches réussissent une fois sur un milliard à déchaîner l’ouragan des mâsses. Elles sont plutôt inertes ces temps-ci, les mâsses. Démarrez, jouez pas au con d’héros. Vous avez essayé, c’est bien mais c’est loupé, ce coup-ci faut se tirer ! ».

Jetant son gros sac tricoté main sur la banquette arrière, elle tend sa main et se marre :

« - Je m’appelle Cécilia et vous ? J’ai adoré ça, quel culot ! Vous êtes complètement dingue. Je suis d’accord à cent pour cent mais ça suffa comme ci, ne restons pas ici, dégagez fissa, ils vont vous tailler un short et la tête au carré, vous éviscérer, vous écarquiller tout plat, rien que pour passer à la télé. Faîtes moi confiance, je suis infirmière diplômée des hôpitaux psychiatriques et monastères annexes. Ou le bon génie du Périphérique, comme vous voulez. Je faisais du stop, le VRP qui m’a prise à Clignancourt cherchait ses vitesses sur mon genou dès Pantin. Si vous allez vers le sud, vous m’avancerez, ça vous va ? » Seb aquiesce.

La charcutière, le secrétaire, la folle, le flic, l’académicien, le vicinal et les trois costauds médusés font la chaîne et rétablissent la circulation. La vie reprend, domestiquée, cosmétiquée. Sur le périph vaguement décoincé, la clameur des trompes s’éteint, la rougeur des teints s’estompe, des visages éberlués dardent au passage leurs pétillants quinquets, du curieux au furieux. La chenille reprend sa reptation molle.
Ils font connaissance. Ça tombe à pic. Bénissant l’issue, Sébastien épuisé récupère et contemple. Une vingtaine adorable, saine, dentée de clair, flot florentin de blondeur bouclée. Le rétro réorienté aidant, il savoure d’un œil biais. Taches de son, né ciselé. Des yeux considérables, mauve saxon. La lèvre supérieure arquée, tranchante du fil telle un cimeterre est reliée à la paupière supérieure par un filin secret qui la meut dès qu’elle s’exprime. Dents légères et lourdes prunelles se découvrent de concert et à demi, révélant un clair d’âme sous le voile améthyste. Les narines finement ourlées jouent le yin et le yang avec les doubles fossettes. Dieux que mère nature est parfois généreuse. Le tee shirt découpe les volumes animés de jolis seins libres, gentiment secoués, ils amplifient les virevoltes à contre point des hanches. La manie nomade un instant s’égaie et si la belle ? Vertige fugace, vite étouffé par l’entreprise d’avoir à penser la donne subite.

«-  Qu’est-ce qui vous a pris ? Vous me rappelez mon père, aussi soupe au lait ».

Sourire carnassier. Son père. Message reçu. Remis aux rails, Sébastien sourit vaguement, s’enferme dans un long mutisme, strié de talus, de hangars, de lignes de haute tension, campagne uniformisée par des autoroutiers, vert feldgrau, ponctuée de panneaux racoleurs vociférant jusqu’au dernier moment l’avidité à soutirer les écus ou bien crobards débiles et redondants, Beauce : blé et perdrix, Fontainebleau : escalade. S’instruire en roulant.
Lui reviennent maintenant les images diffuses du cocon qu’il vient de fuir. L’écoute tendue de Françoise, sa tendresse cendrée, le demi-mot des accointances. Alain et Prune, les allégresses enfantines soudain ombrées d'une brume de gravité adolescente. Le canapé, canote d’un équipage blotti au chaud, voguant sur la moquette toutes voiles dehors, la télé dilue les acuités dans le sirop des séries édifiantes, Thierry la Fronde et Oliver Twist, Averty et Santelli, Saint-Just et les petites canailles, l’engrais des bons sentiments pour les récoltes de mai. Les disques et les bouquins, cairns précieux de l'itinéraire sensible, la gravité de l’homme au mouton de Picasso, le savant épandage des pommes de Cézanne repris de Snijders, la sécurité duvetée, tellement familière qu'on en distinguait à peine les contours, pourquoi risquer un nouveau saccage ? Pour mesurer par la privation, le prix de la tiédeur ouatée qui l'empêchait de sombrer, la caresse instinctive qui soulageait l’échine courbatue ? Cote de mailles des souvenirs anodins dont il engageait le démaillage brutal, malgré le cruel échec d’il y a dix ans. Son intime Océanie, roses et verts Gauguin entre le collier aoûtien de piments rouge et la fenêtre veillant de son macramé le lent défilé de mode multicolore des hautes dames maliennes sur le trottoir de Belleville, leurs têtards noués au dos, le cabas sur la tête comme pour la corvée d’eau. Après des années d’exposition au soleil, la photographie punaisée sur la bibliothèque jadis menuisée par le beau-frère avait tellement jauni qu'elle n'offrait plus qu'une sépia de palimpseste où des enfants dieux jaillissaient encore des vagues égéennes dans une gloire de couchant, gonflés de naïfs espoirs de destins imprenables. La vie n'est qu'une longue défense contre l'ennui. Contre l'endormissement feutré, la distillation quotidienne de la mort. Les floraisons les plus solidement enracinées sur la confiance portent un néant symétrique qu’approfondit doucement le mirage des réalisations épiques, pour enfin faner comme aux champs d'été les pavots. L’intimité prend le visage des villes fantômes où le vent du désert fait battre les portes des saloons et roule sans fin les buissons épineux dans la rue désolée, où accortes tenancières et rutilants cow-boys ne sont plus que les pantins nostalgiques de films muets à la pellicule jaunie et saccadée.

La vie ne s'est pas toute enfuie, la mort est encore à terme, les renaissances à portée de lèvres mais tout nouvel enfantement devra payer son poids de cruauté nécessaire, le malheur de l'autre dont seule une hypocrisie bien menée pourrait atténuer le remord, pour qui en aurait le courage. Ainsi va son petit monde inhumain. Il redirait, Tartuffe, à Françoise qu'elle devrait prendre un amant, qu'on ne peut en une vie n'avoir connu qu'un seul amour. Et quand elle lui révèlerait doucement qu’elle y a déjà songé et que cela l’a rendue heureuse dans son corps comme jamais, il ressentirait une morsure que toutes ses admonestations raisonnables seraient impuissantes à n’apaiser jamais. Il ne pourrait même pas atténuer son désarroi en faisant une part à son amertume puisque Françoise avait depuis toujours exclu le mensonge de sa panoplie morale.

A hauteur d’Orly, la saccade des bouchons abandonne l'allegretto pour l’andante. Aux fenêtres, l’air moins étouffant rompt l’obsédante opacité. En bout de piste, au-dessus de lui le ventre blanc d’un Boeing soulève sans coup férir ses cent tonnes et glisse, oblique et énigmatique, majestueux cachalot, miracle d’apesanteur tirant les songes de Seb vers le soleil du dépaysement, le ramenant à quelque gratitude pour la civilisation.

Comme une bouffée d’alcool débondant de futailles closes, furieusement, sa quête de Caroline lui revient, la taille de Caroline, la longue bouche de Caroline, le grand écart du sourire, ses yeux immenses allongés jusqu’aux tempes, soulignés très hauts d’épais sourcils, sa vie dansée, sa merveilleuse insolence, sa folle tignasse de gitane, sa musculature de gymnaste, les amples plis de sa jupe moulant ses hautes hanches pour s’épanouir aux chevilles, dégager les jambes quand tourbillonne la valse feinte, guettant fragile et sûre d’elle le bravo qui décuple l’enthousiasme à vivre intensément. De saisissantes eaux-fortes s’inscrivent à la mémoire, choquent la poitrine et bloquent la respiration avec une douleur précise d’angine de poitrine. Oui, emparé d’elle, il ne vivait que de cela, pour celle-là. Après l’étrange entrevue de Poissel, il y a trois semaines, où il n’avait pas reconnu son amante fendue par le mitan, exactement déchirée entre ses deux amours. Le visage défait, le regard perdu des internés d’asile n’avaient su confirmer l’incertain rendez-vous de l’été, il n’avait pu obtenir le message sauveur : l’attendrait-elle au fin fond des Alpes, à Saint Véran ? S’il y allait y serait-elle ? Y partait-elle seule ? Il n’en saurait rien. Il devait se jeter au voyage initiatique, mériter le Graal. La traquant partout, il n’avait pu la joindre et se faire confirmer le rendez-vous. Sans la force de refermer le livre, d’extraire de son corps sa tétanie amoureuse, de retrouver son être dévalisé, il ne pouvait laisser l’aimée à sa maladie aporétique. Leurs brèves étreintes printanières gardaient une fragrance alcoolisée d’Indes à découvrir, d’éternité entrevue. Il ne pouvait laisser échapper cela, le roman, l’incroyable certitude, le credo, le fanatisme inédit, peuplés de l’angoisse du déni de l’autre, de l’agonie précoce de la graminée duale. Comment certifier la solidité de l’investissement, trancher entre organicité ou virtualité ? Comme chez elle, le téléphone « d’Ampère Filles », son école, demeurait désespérément muet. Il imaginait, incapable de reposer le combiné, les sonneries impérieuses peuplant longuement la salle de séjour déserte et ensoleillée, lieu sacré de leurs étreintes, caressant les fleurs fanées, le poster de l’arlequin de Picasso, la céramique de Giens, seuls luxes du HLM nu.
Interrogée, la mère de Caroline, solide ménagère de la cité des Familles, avait éludé toute réponse. C’est peu dire qu’elle n’encourageait pas cette nouvelle et impossible aventure de sa fille excessive qui, malgré ses deux enfants, jetait sa vie pardessus tête.

«- Elle sacrifie à la romance, abandonne son mari si gentil, un artiste qui lui faisait des tableaux, avec une situation à la mairie et un père influent, pour aller s’embourber, après une première histoire avortée, dans une deuxième intrigue aussi funeste, cette fois encore un homme marié qui promet les mêmes désillusions. Le premier ne lui en a pas fait assez voir ? Mise en ménage décidée, maison louée, mari averti et effondré, nouvelles télé, cuisinière à gaz et frigo rachetés, filles sous le bras et, le week-end convenu, emménagement : personne au rendez-vous ! L’amant dégonflé n’a pas eu le courage d’affronter la tristesse de ses gamins ni les pleurs de sa femme ! Quel bide ! Ce n’est pas encore assez. La v'la repartie. Le feu au train. Mariée trop jeune. D’où tient-elle ça ? Faut pas trop demander à la vie. Moi qui ai tenu en mains quarante ans mon cheminot d’Albert, ses aigreurs, ses rhumatismes et son goût pour le pochetron, ça leur avait valu des scènes, puis il s’était muré dans le silence de son atelier l’hiver, de son jardin l’été mais en fin de parcours, la fille était casée, et l’essentiel, Estelle et Christelle, les deux mignonnes, à qui il fallait penser en premier pour que ça continue. Quoi ? Bein ça, la vie, la famille. »
La A6 accélère enfin son débit. A Grigny, il aperçoit de biais le visage adolescent de Rimbaud contemplant la modernité autoroutière, céramique posée sur la face aveugle d’une barre HLM par l’architecte Aillaud et sur laquelle un journaliste d’extrême gauche avait incité les jeunes du quartier à balancer des mottes de terre pour les besoins d’une émission de télé dénonçant la culture octroyée dans les ZUP misérables, provocation pour les zupéens qu’on y parquait. S’il s’agit d’une cité dortoir dotée comme ses consœurs de la même sinistre répétition d’une cellule de logement standardisée, dans des barres, certes courbes et de faible hauteur, au moins Aillaud, au contraire de ses confrères, rognait à l’entreprise quelques sous pour mettre un peu de poésie sur ses façades en céramique aux tons pastel, que, quelques années plus tard, élus et technocrates allaient faire à grand frais recouvrir par Bouygues d’une couche de fausses briques villageoises, au prétexte de boucher des fuites qu’un vernis incolore pouvait économiquement traiter. Ainsi s’édifient les grandes fortunes et la longévité politique des sauriens.
« -  Mais, Cécilia, en dehors de votre service de bon génie du périphérique, je peux vous demander ce que vous faîtes dans la vie?

« -Mais ça justement, je passe l’essentiel de mon temps entre les Portes, la nuit, le jour, en dehors de mes cours de médecine et de mes gardes

« - Ca fait pas beaucoup de temps ?

« - C’est celui qui pèse le plus lourd. Nous sommes un réseau d’aide psychologique aux naufragés du Périphérique. Nous avons compris qu’il était, dans l’accumulation de souffrance moderne qu’il accueille et l’horreur urbaine qui l’accompagne, le lieu prédéterminé, proche des terres minées, d’où pouvait partir la contestation générale de l’aliénation du monde capitaliste, où le papillon malgache pouvait le mieux exprimer son battement d’aile déflagrant et libérateur. Nous avons des agents dans les stations services qui recueillent les informations, détectent les maniaques précieux, vous ne pouvez savoir combien il existe de banlieusards hallucinés, drogués de la grande boucle qui y passent des heures à tourner, la nuit à 180 pour braver la flicaille, des motards dingues qui veulent éduquer les automobilistes à reconnaître leur supériorité pour leur laisser en toute occasion l’espace où risquer leur vie, des dragueurs de paumées en crevaison, des arnaqueurs à la panne ou au dépannage, des hagards hantant les bistrots proches que fréquentent les routiers, des stoppeurs déjantés de tous pays, unis dans la fuite aventureuse, des prostituées spécialisées, mâles et femelles qui vous font ça vite fait entre deux portes ou longuement sur les capots, au rythme des amortisseurs, il paraît que c’est divin, je tiens ça de la copine qui tient la Porte Champerret. Il y a les joueurs de l’étreinte à 150, il s’agit de se caresser le plus longtemps possible, d’une voiture à l’autre ou d’une moto à une autre, les gagnants sont ceux qui atteignent l’orgasme au troisième tour sans s’emplafonner. De certains avertisseurs téléphoniques on peut se relier en direct sur des réseaux échangistes, grâce à des agents du téléphone qui ont bricolé des branchements complices où écouter des rendez-vous salaces. Ca se passe ensuite en voiture ou sur les échangeurs justement, voire dans des hôtels limitrophes, comme à Romainville, sur la A3, avec son bizarre signal, faucille et marteau constructivistes, érigé par un ancien constructeur de fusée russe déstabilisé par la CIA et reconverti dans les hôtels de passe kit et la baise kolkhozienne. L’orgasme décuple au risque, au bruit, aux vapeurs d’essence qui dopent comme du benzène. Il y a les ravagés des banquettes plantées qui cueillent à minuit les fleurs pour leur contenu si riche en composé carbonés qui, fumées ou en injection, leur font découvrir des univers parallèles, et le clan des nudistes qui vont se bronzer à la lune et se doper au bruit, à l’octane sur les terre-pleins enfumés. Il y a les mordus du pot catalytique qui prennent chaque nuit leur inhalation jusqu’à frôler l’asphyxie, paraît que ça fait bander.
« - C’est dans ces manifestations méphitiques que nous trouverons les germes d’errances, de situations, de déflagrations inattendues et prometteuses d’où peut jaillir la fin des dominations, par réincarnation des produits dérivés du pétrole. On se réunit dans les gares abandonnées de la petite ceinture à Charonne ou à Vanves, on décortique, on choisit des candidats membres qu’on teste, on échafaude des stratégies, des lignes de développement du produit insurrectionnel. Les veilleurs des ponts, ces silhouettes solitaires qu’on voit souvent perdues dans leur pensée, ne sont pas tous des candidats au suicide, la plupart d'entre eux sont employés au réseau, ils rédigent des fiches expresses sur ce qu’ils voient, ils préviennent par talkie walkie des situations, des proies, des intrus, des tourbillons en formation. La nuit, les initiés ont leur morse, les coups de phares ne préviennent pas seulement de la présence des flics. Tout comme les tags abscons, pas pour tout le monde, c’est un langage qui peut tout annoncer, les bons charrois comme les fins du monde, pour le piger, il faut posséder sa pierre de Rosette et c’est pas donné. Comme les collectionneurs de boîtes de coca mille fois écrasées, ramassées au péril de leur vie et dont ils font des œuvres contemporaines, mi-happening, mi-compressions, hors de prix, surtout quand l’artiste ramasseur y a perdu une main, une jambe ou sa peau, certifiée par les urgences du Val de Grâce, exposées au Mumo, payées très cher par les magnats, entre deux prestations sadomaso, suspente aux crocs de boucher ou zizi clouté sur billot.

« -Souvent on doit se séparer des recrues. Elles doivent mériter l’initiation qui n’est pas donnée à tout le monde, trop de charlots ne sont attirés que par la fesse, comme ce VRP en Mercedes qui m’a repérée dans une station service amie où j’étais en partance. On s’intéresse en particulier à la mystérieuse capacité du Périph à faire disparaître des personnes des deux sexes.

«  - Comment ça ?

« -Le comptage informatique des gens qui entrent et qui sortent par les portes intra et extra muros par le service spécial des autoroutes, la Sarcofuage, maquillée en cimetière d’éléphants du Corps des Ponts, n’est jamais équilibré mais exhibe un déficit limité mais inexplicable, une évasion incompréhensible de clientèle, une très légère sublimation des guindes, nul ne sait sous quelle forme, c’est devenu un secret d’Etat dont on a eu quelque odeur et, bien qu’on les traque, les meilleurs limiers et légumiers sont dessus, on ne retrouve presque aucun cadavre. Il y a bien quelques contrats périphériques et leurs macchabées mais en nombre insuffisant. Le déficit demeure un pur mystère. Il faut dire qu’après une heure de pleine circulation, il ne reste rien d’un macchabée dilué sous les milliers de roues, les gens qui sentent une légère bosse sous le train avant ne s’arrêtent jamais, le voudraient-ils qu’ils ne le pourraient, emportés par le fleuve et c’est d’ailleurs pour cela que le tapis superficiel du périph est si rarement en réfection, le sang crée avec les acides gras du bitume un composé inusable, d’une résistance à la traction comparables aux épicotes. Dans le sous-sol secret du labo des Ponts du boulevard Lefebvre où depuis un demi-siècle des centaines d’ingénieurs cadenassés cherchent sans jamais rien trouver et qui communique avec les catacombes et par elles au Périph, une équipe dirigée par un major de l’X, fou de mathématiques et dont l’assistant est un de mes amis, danseur apache la nuit au Petit Balcon de la rue de Lape, prépare un brevet mais il est bloqué par ses confrères pour cause d’éthique et d’image de marque du Port des Cons.

« - Conseil d’amie : je vous engage à vous méfier toujours, à ne traîner jamais trop sur la boucle, surtout entre deux et quatre le matin, de vous garer des motos lancées à plus de deux cents dont le casque intégral protège surtout l’incognito. Sur les ponts, moins de caméras filment les excès de vitesse que de scanners lisent dans les cervelles des autoroutiers pour déceler fêlure biographique, situation de famille et d’humeur :ainsi sont choisis les candidats à l’annihilation. Les flics sont souvent de mèche sinon rebelles mais ils sont surtout prudents, avez-vous vu déjà un flic sur le périph, ils s’y risquent peu. » 

«  - Si on arrive à maîtriser le phénomène, on pourrait ainsi faire disparaître les chefs politiques corrompus, les PDG et les hauts hiérarques en dérivant leurs cortèges officiels et en les subtilisant sans douleur, formidable non ? Ca nous intéresse. Suffit de serrer la programmation sur les Mercedes, les Porsche, les BMW. Pchitt! passez muscade ! Trois petits tours de périph et plus d’Etat, dissous dans le bitume ! Trop beau ! Certains, un peu mystiques, avancent que le Périph est le Styx qui mènerait droit en enfer, mais il ne sait que tourner sur soi-même en créant un gigantesque champ magnétique vers les profondeurs, il est l’invitation à l’enfer, au bruit, à l’odeur, ça paraît évident, la tronche de ses beaufs motorisés peut convaincre les plus incrédules. Les investigations progressent mais sans certitude, le plus probable c’est que les disparus y sont toujours mais que l’éperdue rotation les a transfiguré : ils deviennent de moins en moins repérables, spectrifiés à force d’aliénation cataleptique et catalytique, antimatière de
  1   2   3   4   5   6   7   8   9   ...   34

similaire:

Toute ressemblance des héros de ce roman avec des situations réelles, avec des personnages vivants ou ayant vécu, ne peut être que pure coïncidence… iconCréation et recréation d’images symboliques de femmes fortes dans...
«mérite» ont dans notre langue une connotation morale qui peut gauchir la notion grecque d’arété. Le monde des cités grecques peut...

Toute ressemblance des héros de ce roman avec des situations réelles, avec des personnages vivants ou ayant vécu, ne peut être que pure coïncidence… iconNote : Cette expérience fait double emploi, avec des cours et des...

Toute ressemblance des héros de ce roman avec des situations réelles, avec des personnages vivants ou ayant vécu, ne peut être que pure coïncidence… icon«Le secteur de la biotechnologie en Israël»
«l’application de la science et de la technologie aux organismes vivants à d’autres matériaux vivants ou non vivants, pour la production...

Toute ressemblance des héros de ce roman avec des situations réelles, avec des personnages vivants ou ayant vécu, ne peut être que pure coïncidence… iconExamen neurologique general
«minimum» éventuellement adapté à la plupart des situations et qui peut être complété selon

Toute ressemblance des héros de ce roman avec des situations réelles, avec des personnages vivants ou ayant vécu, ne peut être que pure coïncidence… iconAdressez-le à tous vos amis !
«l’expérience extracorporelle» (eec) ou «le plan astral» ont perdu complètement leur auréole mystique, puisque leurs bases réelles...

Toute ressemblance des héros de ce roman avec des situations réelles, avec des personnages vivants ou ayant vécu, ne peut être que pure coïncidence… iconIn-Terre-Activité
«histoire dont vous êtes le héros» à réaliser oralement en classe avec les élèves. Lire l’histoire à voix haute et solliciter l’avis...

Toute ressemblance des héros de ce roman avec des situations réelles, avec des personnages vivants ou ayant vécu, ne peut être que pure coïncidence… iconRapport de recherche
«personne ayant des limitations fonctionnelles». Nous avons fait ce choix afin que notre recherche soit en accord avec la littérature...

Toute ressemblance des héros de ce roman avec des situations réelles, avec des personnages vivants ou ayant vécu, ne peut être que pure coïncidence… iconUne approche scientifique contestée au sein de la communauté des chercheurs…
«troubles comportementaux des conduites» chez l’enfant, censés annoncer un chemin vers la délinquance. Avec à la clé un «carnet du...

Toute ressemblance des héros de ce roman avec des situations réelles, avec des personnages vivants ou ayant vécu, ne peut être que pure coïncidence… iconThèse tpe s l’explication du sujet
«Ethique et responsabilite» et «sante et bien etre». Notre sujet «Les astéroïdes miniers» devait être mis en rapport avec les mathématiques...

Toute ressemblance des héros de ce roman avec des situations réelles, avec des personnages vivants ou ayant vécu, ne peut être que pure coïncidence… iconLe recrutement des salariés : Le processus général
«Toute personne dite victime de discrimination à l’embauche peut saisir la halde pour se prévaloir d’un préjudice.» Si elle reconnait...








Tous droits réservés. Copyright © 2016
contacts
p.21-bal.com