Du même auteur, publiés aux Éditions T. G








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Ce soir, j'espère que Julian ne me flushera pas comme d'habitude, ce serait sa troisième tentative, dont la deuxième a fonctionné. S'il a le malheur de me flusher ce soir, moi je ne lui garantis plus rien et je trouverai quelqu'un d'autre ce week-end. La grosse salope entre autres, Jonas. Mon Dieu, que faire, il n'est que 3h25. Je ne puis plus attendre de voir Julian, non plus que d'aller à ma première entrevue. Je devrais aller me balader dehors, assommer une passante pour voir ce qui adviendrait. Jusqu'où cela pourrait-il m'emmener ? En prison, j'en suis sûr. C'est drôle que l'on puisse vendre de la drogue, consommer, mourir intoxiqué, se prostituer, payer des politiciens, acheter des policiers, contourner la loi pour extorquer le plus d'argent des gouvernements, fausser nos rapports d'impôts, faire tout cela sans problème. Mais assommer une passante, ma vie serait foutue. Police, quelques heures ou quelques jours de prison, casier judiciaire criminel, vie hypothéquée. Me verriez-vous en entrevue affirmer pourquoi j'ai un dossier judiciaire ? J'ai assommé une passante pour le plaisir de voir où cela m'emmènerait. Mais c'est toujours mieux que de dire : j'ai un casier judiciaire criminel car je me trouvais dans un bar de danseurs nus homosexuels lors d'une descente de police. C'est arrivé au Remington la semaine passée. Heureusement que Gaby, l'ami de Sébastien, ne m'avait pas emmené là le fameux soir. Encore heureux qu'au Bijoux, lors de mon deux minutes sur place, les Squads ne sont pas débarqués en vrac par les égouts.

Certainement le pire de mes mois de mars des cinq dernières années. C'est terrible, à chaque année je m'enfonce davantage que l'année d'avant. Pourtant chaque année je vis des choses encore bien plus passionnantes, je me retrouve partout où je n'aurais même pas osé espérer me retrouver. Mais le mois de mars est une étape nécessaire. Je suppose que plus il est insupportable, plus fort je vivrai l'année qui commence durant le mois d'avril ou un peu après. J'écoute Portishead, la femme qui chante semble tellement malheureuse. Elle va m'entraîner avec elle dans son gouffre. Je n'en peux plus d'espérer retourner avec Sébastien alors que je comprends que ça n'arrivera jamais. En plus, voyez ce que je peux vivre de passion et d'affection avec une nouvelle personne, alors qu'avec Sébastien je n'ai droit qu'à un lot de lamentations, de reproches et de repoussements. Maintenant, si je repars pour Montréal, qu'il regrette ou non mon départ, cela ne me concerne plus. Peut-être me fallait-il ce vain dernier espoir avec cet emploi que je n'aurai pas et que j'aurais tant voulu pour m'ouvrir les yeux. J'avais beau dire qu'il serait mieux ne pas retourner avec Sébastien, je ne l'acceptais pas dans ma tête. Maintenant ça commence à s'éclaircir. Et puis j'en ai assez de vivre au dollar près. Depuis que je suis ici je mange des arachides au BBQ et je prends l'eau du robinet. Je n'ai plus l'argent pour mes cafés. Mes derniers dix dollars me serviront à acheter cinq jetons de métro cet après-midi. C'est terrible, je ne pourrai même plus me déplacer dans la ville. À qui demander de l'argent ? Mon père, c'est impossible, je ne peux lui en demander plus. Sébastien non plus, d'autant plus que je lui dois déjà dix dollars. Si je demande de l'argent à Charlotte, elle m'obligera à déménager chez elle. Quant à Raymond, je ne peux pas abuser de lui non plus, il me paie déjà tellement de restaurant. Mais il me faudra faire quelque chose à un moment donné, si j'ai une entrevue demain, j'espère que c'est dans le centre-ville et que je peux marcher. On dirait qu'il me faut comprendre le message. Je ne devrais pas renouveler pour une semaine. J'ai l'argent pour payer, mais pas pour survivre. Je suis désespéré. Je dois pourtant demeurer ici jusqu'à lundi, où on m'annoncera si j'aurai l'emploi. C'est tellement stupide l'orgueil humain, le patron, Hernie (c'est pas le nom d'une maladie ça ?), sait très bien qu'il ne me prendra pas. Pourquoi ne pas me le dire immédiatement ? Son orgueil me coûtera cher en temps, en argent, en gargouillements d'estomac, en lutte pour ne pas ronfler lors de mes entrevues faute de café. J'ignore pourquoi l'eau nous vient par tuyaux dans chaque maison alors que le café nous vient dans des machines qu'il faut préparer. Bon Dieu ! Ne savent-ils pas que le café c'est universel, que tout le monde est intoxiqué et qu'il nous en faut quelques tasses chaque jour ? Pourquoi on n'a pas encore installé les cafés courants, qui te viennent directement par tuyaux jusque dans ta chambre ? Ça devrait être gratuit, ou on devrait augmenter les taxes pour ça. C'est juste de l'eau de toute manière, avec quelques grains moulus.

Ô God ! Help me ! Je m'enfonce, je m'enlise, je me noie, blup, bloup, blp... solution, je veux des solutions à mes problèmes ! La vie est un jeu, mais je le prends trop au sérieux. Mais comment faire autrement dans le contexte. Je suis mauvais joueur de me laisser ainsi abattre. Ma misère n'en a jamais été une, car je m'y complais. En fait, je fais tout pour me mettre dans ces situations. Sans quoi je ne serais jamais sorti de chez moi. J'aurais pu faire comme beaucoup, étudier à Chicoutimi ou Montréal. Ç'aurait été une vie simple, depuis le temps j'aurais un emploi stable, sinon l'aide sociale. Mais moi je suis perdu partout sauf où je devrais être. Je suis à la limite d'avoir le droit à quoi que ce soit. J'ai terriblement mal à une cheville dans le moment, ça dure depuis deux semaines et je peux sentir que quelque chose comme un tendon est décollé. Je n'ose pas aller à l'hôpital, ma carte d'assurance-maladie ne doit pas être transférable. Si oui, il faudra que je paye sur-le-champ et le Québec me repaiera peut-être la moitié l'an prochain, si jamais je fais une déclaration de revenu, je suppose. Ou du moins, je n'y connais rien et je n'ai pas la possibilité de ne prendre aucun risque.

Merde, je vais marcher pour aller à ma seconde entrevue, c'est au moins à trois kilomètres d'ici, peut-être quatre. M'en fous si je sens la transpiration à cent mille. Que vais-je faire ? Il y aura encore des tests à passer, une heure à téter sur un programme qui va vérifier si je suis capable de faire fonctionner Word Perfect 6.0 ou MS WORD 6.0. Alors que, bien entendu, je ne connais pas toutes les fonctions, et je n'ai droit qu'à une seule chance. Si je clique au mauvais endroit la première fois, c'est foutu. En plus, ils veulent savoir si je connais les raccourcis. Mes raccourcis sont différents des leurs pour le même programme et la même version (du français à l'anglais). Encore heureux que je ne sois pas en Europe, même leur clavier les lettres sont à des places différentes. Et puis il y aura sans doute un test de frappe, pour voir à combien de mots par minutes je peux leur crier mes déboires. Ces genres de tests me bloquent tout à fait. Je tape très vite, mais sans méthode. Il me faut regarder le clavier. Alors retranscrire un texte en anglais, ce n'est pas évident. En plus, j'ai avec moi les disques pour WP 6.0 et MSWORD 6.0. Je n'ai malheureusement pas suffisamment de mémoire sur mon ordinateur pour les installer et me familiariser avec. Est-ce que tout le monde qui se cherche un emploi à l'heure actuelle passe à travers les mêmes étapes et découragement que moi ? Maintenant, pour une simple secrétaire, ils exigent la connaissance informatique de programmes tels que Excel, Corel Draw, Lotus 1, 2, 3, Quad Pro, Unix, et quoi encore. Qu'est-ce que ça mange en hiver ces affaires-là ? Y a-t-il vraiment tout plein de monde sur le marché du travail qui connaissent tous ces programmes ? Combien d'années ont-ils sacrifié à ce savoir insipide qui leur offrira un salaire de misère ? Il faut vouloir en maudit, je vous jure. Eh bien, il faut que j'aille à ma seconde entrevue. Il y a encore de l'espoir, j'ai tout de même deux autres entrevues.

Où suis-je ? À Toronto. Plus pour longtemps peut-être. Ce n'est plus le cœur qui parle, c'est la tête. C'est aussi davantage plus lourd à porter. Comme notre vie est remplie de hasards qui n'en sont pas, pour ceux qui cherchent la vérité ou la simple poursuite de leur destinée. Supposé rencontrer Julian ce soir, incapable de le joindre à l'heure prévue, l'instant d'une minute je regarde par la fenêtre. Qui vois-je défiler ? Raymond, mon demi-oncle que je considère comme mon oncle, de toute manière je n'ai jamais été aussi près d'un de mes vrais oncles que lui. La preuve, lui il m'a très bien compris. Aujourd'hui, après ma journée d'enfer à Toronto où j'ai dû porter sur ma conscience le café et le muffin aux bleuets que je m'étais payé, j'ai constaté presque 900 dollars dans mon compte de banque. Retour d'impôts d'Inland Revenue, cadeau de l'Angleterre. Le pire, je ne pouvais autant penser à Londres qu'aujourd'hui, car malgré la pluie venteuse de cet après-midi et la tempête de neige ce soir, ce matin c'était la première vraie journée de printemps. Il a fait 12 degrés Celsius et ça m'a transporté dans mes souvenirs d'Europe. Ce soir, oubliant Julian, qui de toute manière a annulé notre rencontre, je me suis retrouvé avec Raymond qui m'a dit, au-delà de tous mes désirs secrets : « Pars, vas-y ! Ta vie n'est pas ici, tu es venu constater que Sébastien ne t'aimait plus, tu seras malheureux à Toronto. Tu as déjà perdu ton inspiration, l'Europe c'est tellement riche. Tu peux y rester plus qu'un an, Dieu seul sait tout ce qui peut arriver pendant ce temps ! » Et c'est tellement vrai. Il va même me payer ma dernière semaine d'hôtel, il me conseille d'appeler Londres demain matin pour confirmer si j'ai mon emploi à l'aéroport d'Heathrow. C'est là que je vais atterrir en plus, ça ferait changement de Charles-de-Gaulle. Mais comment peut-il vois aussi creux en moi, ce Raymond ? Il me lance comme ça que ce serait maintenant mon Londres à moi, et non celui où j'étais avec Sébastien et où je m'empêchais de vivre en plus de souffrir. C'est tellement vrai. Sans compter qu'à demeurer à Toronto, sans cesse en contact avec Sébastien, au risque de le rencontrer dans les bars chaque semaine, peut-on imaginer pire torture ? J'aimerais pouvoir apprécier pleinement l'idée de partir pour Londres. Mais je suis tellement à bout de tout, tellement fatigué mort, que ce soir je vais aller me coucher. La nuit porte conseil. C'est le cœur qui dirige, mais c'est la tête qui transige. Et la tête, elle est brûlée complètement. N'est-ce pas ironique que je prendrai ma décision de partir le jour où l'on m'offrira un emploi ? Mais ce ne sont que des pacotilles. Rien ne me retient ici, pas même le beau Julian. J'ai déjà fait pire, allons, courage. Un coup installé à Londres, la vie sera différente. Les grandes décisions, je sais bien que je finis toujours par les prendre. D'habitude c'est difficile, car tous sont contre moi. Soudainement j'ai un allié inespéré, qui se charge d'expliquer ma folie à mes parents. Mais hélas, il est aussi fou que moi, et ils le savent trop bien. Je sais que je prendrai la décision de partir. C'était la seule logique possible à toute ma vie, mais j'osais à peine me l'avouer, tentant de trouver une certaine logique dans ma vie à Toronto, mais constatant jour après jour que cela ne faisait pas de sens pour moi, en plus, ma logique chaque jour changeait, rien ne fonctionne ici. J'attendais quelque chose, j'ignorais quoi, je faisais passer le temps. Maintenant je sais, j'attendais mon retour d'impôts du Royaume-Uni pour m'envoler sur les ailes de British Airways. Mais il faut que j'aie tout de même l'impression d'être libre de prendre mes décisions, même si dans le fond je n'ai pas le choix. Je prendrais quelques jours pour réfléchir, me casser la tête, paniquer, me ronger les ongles et enfin partir. Peu importe ce que je vivrai là-bas, ce ne sera pas plus pire que ce que j'ai vécu ici. Rencontrer l'équivalent ou mieux que Julian, c'est bien certain que c'est possible. La question qui demeure est la suivante : est-ce qu'il me faut retourner à Londres pour apprendre davantage, ou alors est-ce qu'il me faut retourner à Londres pour apprendre ce que je n'ai pas su apprendre alors que j'y étais la première fois ? Alors, comment faire pour apprendre cette fois ? Tout me tombera du ciel, bien entendu. La première fois le contexte, ma vie partagée avec Sébastien, ne me permettait pas l'aventure, je n'ai pas connu la vie des Londoniens, nous n'avions que Martin. Maintenant je vais m'enfoncer pour vrai, je ne manquerai plus la soirée d'anniversaire de ma jeune Japonaise. Je pars cependant sans mes numéros de téléphone. Alors ce sera un renouveau absolu. Je parle comme si ma décision était déjà prise. Réfléchissons... regretterais-je de ne pas être parti ? D'autant plus si je récolte un emploi minable et misérable ? Mets-en ! Alors la question est répondue. Mais il me faut tout de même l'impression d'être libre, la nuit portera conseil.

C'est fascinant comment quelqu'un qui n'a plus un dollar pendant des semaines, arrive à trouver une autre 2000 $ pour partir (je vais vendre mon imprimante). Mais j'ai bien réfléchi. C'est drôle, j'étais dans la rue et soudainement j'avais vraiment l'impression que je pouvais partir. Ça m'a fait voir Toronto d'une façon différente. Tout à coup je me suis mis à aimer Toronto non pas comme une ville où je me retrouve par obligation, à défaut d'avoir mieux, mais plutôt la grande ville canadienne par excellence. Je suis canadien et fier de l'être. Alors pourquoi n'être à l'aise qu'à l'extérieur du pays ? Puis pourquoi aller se perdre loin de notre famille, dans le fond de l'Europe ? Ah mais ça n'est pas un argument, car Toronto est encore plus loin que Londres, question temps (avion contre train et autobus). Enfin, j'ai tout de même téléphoné Anita, la femme du personnel à l'aéroport d'Heathrow, en plus elle m'annonce qu'ils ont fait une série de mises à pied. Mais elle va parler avec M. Hervey pour voir s'il me reveut. Je dois la rappeler dans quatre jours. Bon Dieu, encore une décision qui se prendra trois jours avant le départ. À moins que je décide de partir même si on ne me garantit pas de travail à Londres ? Quel enfer m'attendrait ? Car ça m'a pris bien du temps avant de trouver cet emploi à Londres l'an passé, et regardez à Toronto, trois semaines de recherches intensives dans le feu. Peut-être bien que j'ai mangé trop de misère, peut-être bien que j'ai des choses à vivre à Toronto, même si j'hypothèque toute chance de retourner à Londres un jour. Peut-être que je voudrais une certaine stabilité pour une fois. Définitivement, si on ne m'offre aucun emploi d'ici mercredi prochain, je pars, mais autrement, mon Dieu que le choix sera difficile. En attendant, il ne me reste plus qu'à vivre au quotidien. Je vois Julian cet après-midi. Ce qui me rend heureux. Si j'obtiens l'emploi à 22,000 $ par année, je le prends. Mais s'il faut que je compare avec une vie londonienne, avec des amis londoniens, ma vie sera bien plus passionnante. Pourquoi, mais alors franchement, pourquoi faut-il que ma vie soit toujours aussi compliquée ?

Toute l'avant-midi j'ai sommeillé sur mon lit, à regarder le plafond de ma chambre d'hôtel. C'est devenu mon sport favori. Ce matin, mon mal s'est amplifié, mon terrible sentiment de culpabilité me prend au cœur, m'empêche de respirer, me tue. Londres me ramène en quelque sorte l'enfer que j'y ai vécu, ces journées où je me tordais du mal d'avoir abandonné mes études. C'est stupide, on a implanté en moi cette nécessité de réussir ma vie, de poursuivre de grandes études, et j'ai tout raté, tout abandonné. Il ne me reste que ce terrible sentiment de culpabilité, de médiocrité incurable. Tout est probablement la faute de mon père, son influence si grande sur ma personne alors que tout agit dans l'inconscient. Je divague entre Toronto, Montréal, Londres, je rêve d'habiter Paris et New York, puis tout s'effondre. Il n'y a plus rien pour me motiver, ni même Londres où j'ai peur d'y retrouver ce mal étrange qui m'accable. Heureusement que je suis encore jeune, ce sentiment me tuerais, crise cardiaque assurée, c'est trop fort. Ils sont tous morts du cœur dans ma famille du côté des Côté. Quel est le but de vivre dans ces conditions ? Tout le monde vit sa vie, est malheureux à vivre sa vie. On m'apprécie peut-être, pas suffisamment pour regretter mon absence. De toute manière je n'en ai plus rien à foutre. La mort ça ne veut plus rien dire. Tout le monde meurt, c'est la simple logique de toute vie. La vie n'est qu'une mort lente ou rapide. J'habite la rue Isabella à Toronto. C'est sur cette rue qu'habitent Raymond, Richard et Sébastien. Sur cette même rue, il y a une petite maison où les sidéens en phase terminale viennent finir leurs jours. Chaque jour il en meurt au moins un. Raymond a plusieurs amis qui y sont morts. Il m'a raconté cette impossible histoire hier. Son ami Jean, le seul amour de sa vie qu'il a connu à Québec, il en est demeuré séparé toute sa vie. Il a longuement regretté cette absence, mais voilà deux ans il a appris que Jean était mort du sida. Tu vois, la vie continue, elle doit continuer. L'absence n'est-elle pas une mort ? Une mort qui ne nous laisse pas tranquille car le mort refait surface toujours au mauvais moment ? Demandant une aide que l'on ne peut offrir. Il n'y a pas de fossé nulle part. Tout le monde est pareil, identique. Peu importe leurs tracas, c'est le même chemin qu'ils suivent. Peu importe leurs petites différences, c'est la même chose qu'ils apprennent en bout de ligne. Un travestie, une prostituée, un médecin riche, une simple mère de famille, tout ce monde vit la même la même chose. Ma vision du monde va bien au-delà des lois qui régissent tout. Au-delà des ces différences que l'on a soigneusement notées sur papier pour s'assurer que les fossés ne s'élargissent pas. Mais où voyez-vous tant de différences qu'il faudrait sans tarder éliminer une catégorie de cette société ? Qu'attendez-vous au juste de cette vie collective ? Les gens travaillent à classer des papiers dans des édifices, à boire des cafés au coin de la rue. La vie peut être aussi simple, aussi vide, aussi vaine. Elle peut paraître complexe lorsque l'on lit un journal, que l'on s'intéresse aux finances ou à la politique, mais à s'isoler un peu de la ville, à perdre contact avec ce genre de vie, on comprend que tout cela n'a aucun sens. Que personne ne peut exiger quoi que ce soit de qui que ce soit au nom d'un certain idéal de société que l'on cherche à construire. Il n'y a pas de fossé entre la femme et l'homme, ils sont différents à certains niveaux, mais ce sont des détails. Regardez-les, ils sont pareils. Il n'y a pas de différence si marquante entre les Français, les Anglais, les Canadiens ou les Américains. Les différences culturelles ou de mentalités sont si peu grandes, vous ne distingueriez pas au premier coup d'œil la nationalité de la personne en face de vous. Russe, portugaise, italienne, allemande, rien n'est évident. Les fossés que l'on se plaît à construire, sous mille et un prétextes, servent des intérêts que j'ai une certaine difficulté à identifier, mais qui s'identifierait certainement si l'on se donnait la peine de creuser un peu. Je ne suis pas certain qu'il faille tant que cela se protéger contre tout et chacun. Se protéger contre l'immigration, le commerce international, les différentes langues, les gais, les femmes, tout. À la limite, il faudrait s'enfermer dans une bulle de verre et se dire qu'il faut se protéger contre autrui par tous les moyens. La mort est peut-être un bon substitut à ce genre d'enfermement dans son chez soi. Je suis pour l'ouverture de l'esprit sur la différence d'autrui, pour constater que cette différence ne l'est pas si grande que l'on voudrait nous la faire croire. Nous sommes tous des humains, nous venons tous au monde, nous respirons puis nous repartons. Il n'y a rien de bien extravagant entre notre arrivée et notre départ, rien qui mériterait que l'on tue pour améliorer un quelconque sort. Qu'en est-il du fossé entre les générations ? Quelques idées différentes au niveau de la religion, quelques avantages sociaux dont certains ont bénéficié. Mais ensuite, où est-il ce fossé ? Y a-t-il une si grande différence entre moi et cette vieille femme qui marche dans la rue ce matin ? Je n'y crois plus à la différence de tout et chacun. Peu importe sous quel régime où il ou elle vit. Un régime politique en vaut bien un autre, peu importe les conséquences positives ou négatives. Certains sont mieux, d'autres pires, et encore, tout dépend à quel niveau on se situe, si on retire certains intérêts d'une telle situation de fait. Si on s'enrichit aux dépends du communisme, comment ne pas aimer le communisme ? Le fossé entre les générations n'existe pas. Nos vies sont trop similaires à tous les points de vue, que ce soit dans la misère ou la richesse. Nous apprenons tous la même chose. Ce qui me reste de tous mes voyages, c'est que tout et chacun vivent à peu près les mêmes situations entre tout et chacun et que peu importe où tu es, tu apprendras des choses absolument similaires. Peut-on autant entendre des éditorialistes et des écrivains construire de si grands fossés, nommer ces fossés par des expressions qui deviennent populaires, que tous les journalistes du monde reprendront ensuite, juste pour le plaisir de construire des fossés ? Mind the Gap, mais, Mind the Gap the Mind. Ayez à l'esprit le fossé, faites bien attention, que l'on peut lire et entendre partout. Mais moi je dis qu'il faut surtout faire attention à ne pas se faire attraper l'esprit par autrui. Une certaine façon de penser et de voir l'Univers limite la vie, limite l'évolution. Détruit autrui et indirectement soi-même. Tout ce qui existe de négatif dans ce monde, ne peut pas ne pas nous revenir d'une façon ou d'une autre. Inventer des fossés, se protéger contre ces fossés, détruire ce que l'on croit si différent, entraîne le mal, la dépression, la frustration, la guerre. Ces énergies négatives nous reviennent, il ne peut en être autrement. Si tous souffrent d'une pauvreté trop grande autour de soi, il sera impossible de soi-même habiter sa grande maison dans la richesse. À un certain point, le tout éclatera. Les pauvres en auront assez, ne verront pas le bien des lois, détruiront tout ce qu'ils verront, prendront d'assaut la maison du riche pour manger une tranche de pain. Hier, dans l'agence d'emploi, un immigrant est entré. Noir, peu importe d'où il venait, on voyait qu'il était désespéré et qu'il cherchait de l'emploi. Peut-être est-il aussi pauvre que moi (sans dette peut-être, ce qui le rendrait plus riche que moi), j'avais pourtant un cote d'habit sur le dos, une cravate empruntée, un Curriculum Vitae imprimé sur papier. Lui était mal habillé, pas rasé, son frère devait probablement le soutenir au Canada en attendant qu'il se trouve un emploi. La réceptionniste le méprisait ouvertement. Définitivement elle ne voulait pas de lui. La seule chose qu'elle lui a dite : apportez-nous votre CV et on vous contactera. Elle avait trouvé la réponse juste. Premièrement il n'avait pas de Curriculum Vitae, je suppose que là d'où il venait, il n'en avait jamais eu besoin. Or, se procurer ces trois feuilles avec le résumé de ta vie dessus, ce n'est pas de la petite bière lorsque tu te retrouves dans un pays étranger, que tu n'as pas d'expérience et que ta langue n'est pas l'anglais. Ce simple bout de papier lui était déjà le plus infernal des obstacles à franchir. Comment se le procurer ? Cette société blanche avancée nécessiterait-elle un vain bout de papier pour que je puisse y entrer ? Non mon garçon. Quand bien même tu apporteras un bout de papier avec ton nom dactylographié dessus, la femme a dit qu'elle te rappellerait. Ne comprends-tu pas que cela signifie qu'elle ne te rappellera jamais ? Il a demandé s'il pouvait emmener un CV écrit à la main. Je me demande comment la femme à pu se retenir d'éclater de rire, il n'y a plus un professeur de collège ou d'université qui accepte un papier écrit à la main. Ils sont juste pour ne pas exiger que notre écriture lors des examens soit exactement comme celle des machines. La réceptionniste lui a dit oui, pas de problème pour un CV écrit à la main. Bon Dieu qu'elle est bitch, elle sait très bien qu'ils ne vont rien faire pour lui. De toute manière, pas un seul de leur client ne voudrait de lui, c'est clair. Même moi, malgré mes études, mon bout de papier, mon côte d'habit hypothéqué, tout cela est inutile parce que mon anglais n'est pas suffisamment bon pour qu'un seul de leur client me veuille. Cet homme était désemparé, perdu. Elle lui demandait un simple bout de papier, il demeurait immobile et silencieux. Il voulait sans doute de l'aide, quelqu'un qui lui dise vient, on va t'aider à faire ton CV, on va te le sortir, il y a huit ordinateurs dans ce bureau, quatre imprimantes lasers, une dizaine d'employés qui ont justement rien à foutre dans cette période creuse. Viens, tu es un immigrant, mais il y a des immigrants en ville qui ont des business, on va voir si on peut te trouver quelque chose. C'est sans doute ce qu'il aurait voulu entendre. Ainsi le gigantesque fossé qui existe entre lui et un anglophone blanc aurait pu être oublié. Au contraire, on l'a agrandit, on a eu peur, on a tenté de s'en débarrasser par tous les moyens : emmène-nous ton bout de papier. On entend parfois des histoires comme ça où la personne à qui on demande de l'aide va faire tout en son pouvoir pour aider le malheureux. Fort souvent ça vient d'une personne religieuse qui est bonne et considère que tout venant qui demande de l'aide mérite d'être aidé. Ce n'est pas le cas de tous les gens impliqués dans les organisations religieuses, mais je dois reconnaître que si la religion peut produire de tels résultats sur certaines personnes, elle a au moins cela de bon que l'on ne peut lui enlever. Je n'oublie pas jusqu'à quel point en religion on arrive aisément à cracher sur son prochain, surtout s'il est le moindrement différent ou si sa religion à lui diffère de la nôtre, mais il existe encore certaines personnes de bien en ce monde. Je n'en vois cependant jamais sur ma route. Moi-même je ne me considère pas comme une personne de bien. Je ne m'interposerais pas d'emblée pour aider mon prochain. On dirait que ça ne se fait tout simplement pas dans notre société, aider son prochain. C'est chacun pour soi, bonne chance. Tellement que j'en arrive à croire que c'est normal, c'est à moi de me débrouiller par tous les moyens, je n'ai rien à attendre d'autrui. Mais tout pourrait être si différent, et encore, ce ne serait pas si différent.
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