RÉsumé La présente étude se penche sur l’acceptation du handicap chez les blessés médullaires. Cinq (5) hommes et cinq (5) femmes blessés à la moelle épinière depuis plus de cinq (5) années,








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CHAPITRE V

L’ANALYSE D’UNE SÉLECTION DE FACTEURS

Nos hypothèses

Si nous reprenons les hypothèses que nous avons émises à la lumière de la revue de la littérature, des statistiques que nous avons trouvées ainsi que des entrevues que nous avons effectuées, si nous les examinons aussi en regard des conversations que nous avons eues dans le milieu quand même assez restreint des blessés médullaires, nous nous rendons facilement compte que toutes sont entérinées haut la main.

C’est un fait, par exemple, que moins la blessure est importante, et plus il est facile pour une personne de l’accepter. Ainsi les paraplégiques auront-ils moins tendance à rechercher des solutions miracles à leurs maux et, au contraire, à tenter de se refaire une vie que les quadriplégiques qui souffrent considérablement, eux, de la dépendance envers les personnes qui s’occupent d’elles. Les paraplégiques étant beaucoup moins limités dans leurs mouvements se retrouvent plus souvent sur le marché du travail. Il est possible aussi à la plupart de conduire un véhicule, ce qui change considérablement leur style de vie par rapport à des personnes qui dépendent du transport adapté par ailleurs très souvent inefficace. Les paraplégiques pratiquent des sports et, d’une façon générale, il leur est plus facile d’élever une famille et de voir à leurs affaires.

Les quadriplégiques sont beaucoup plus « médicalisés », si l’on peut dire, que les paraplégiques. Souvent il n’est possible à ceux-ci que de bouger la tête, et toujours ils nécessitent l’aide d’intervenants pour effectuer leurs transferts, pour se laver et voir à leurs besoins intimes. Il est réaliste alors de dire qu’un quadriplégique ne peut à peu près rien faire sans l’aide des autres, alors que le plus grand nombre des paraplégiques devient autonome après un certain temps et que ces derniers peuvent faire presque tout par eux-mêmes, quoique différemment des autres personnes. Aussi, d’une façon générale, une section complète de la moelle épinière entraîne-t-elle des conséquences plus importantes qu’une blessure incomplète.

Il est plutôt rare qu’un blessé médullaire reprenne ses occupations comme avant son accident. D’habitude, il ne peut, pour différentes raisons comme l’accessibilité, le caractère manuel des tâches à effectuer, réintégrer l’emploi qu’il occupait auparavant. Même lorsqu’il se trouvait aux études, s’il y retourne, ce sera très souvent dans un autre domaine, ses possibilités et ses perspectives de vie ayant de beaucoup été altérées par sa blessure.

Si, exceptionnellement à cause de la nature de leur blessure, certains mettent très peu de temps à retourner aux études ou sur le marché du travail, la plupart ont besoin au contraire d’une période de rééducation, de réflexion, voire d’acceptation, laquelle se mesure en nombre d’années. Et, ce temps nécessaire à réévaluer leur vie et à régler leurs différents problèmes médicaux et psychologiques se situerait aux alentours de trois années, pensons-nous, parfois beaucoup plus pour certaines personnes.

Plusieurs, lors de cette démarche, choisissent de retourner aux études afin d’acquérir de nouvelles connaissances et habiletés propres à leur servir dans une vie réorganisée. Il est en effet remarquable de constater que presque la moitié des médullolésés augmentent leur niveau de scolarité après leur traumatisme. Cela semble incroyable! Cela ne veut évidemment pas dire que tous utiliseront ces nouvelles connaissances dans un emploi fait sur mesure pour eux. Bon nombre, en réalité, n’utiliseront jamais ces diplômes acquis dans l’enthousiasme du réaménagement de leur vie. C’est un fait cependant que plusieurs se dirigeront par la suite dans des domaines qui correspondent davantage à leur nouvelle personnalité. Le monde de l’informatique, à cet égard, offre des possibilités presque illimitées à des paraplégiques et des quadriplégiques désireux d’investir dans une carrière où ils ne sont pas véritablement désavantagés à cause de leur handicap.

Nous touchons ici un problème important. Il est en effet beaucoup plus difficile de devenir blessé médullaire lorsqu’on est le genre de personne ayant davantage d’aptitudes pour les travaux manuels que pour les activités intellectuelles. Puisqu’il n’y a à peu près aucun blessé médullaire qui puisse occuper un emploi utilisant la dextérité physique, c’est sans doute une des raisons pour lesquelles un grand nombre parmi ceux-ci retournent aux études afin de se dénicher un emploi de bureau. Et, comme nous retrouvons les médullolésés presque exclusivement dans de type de travail ou dans des carrières professionnelles, il va sans dire que ceux qui occupaient déjà de tels emplois avant leur accident sont de beaucoup favorisés par rapport aux autres à ce point de vue. Il est toujours plus facile aussi de poursuivre une carrière intellectuelle en fauteuil roulant… Quelqu’un qui travaillait déjà à l’ordinateur, par exemple, se verra extrêmement avantagé. Les gens ne perdent pas pour autant leur véritable nature lorsqu’ils se recyclent; ainsi n’est-il pas étonnant de constater que les champions de courses en fauteuil roulant sont le plus souvent ces types de personnes manuelles justement.

Toute la psychologie de ces dernières années nous apprend que l’affection des membres de son entourage joue pour beaucoup dans la réussite de la vie de quelqu’un. De la même manière avons-nous constaté que le support des proches rend plus facile l’acceptation du handicap, de sorte que les blessés médullaires les plus enthousiastes et les plus dévoués envers leurs semblables sont souvent ceux qui bénéficient le plus de cet encouragement des leurs. Il n’en demeure pas moins que tous les médullolésés ne proviennent pas de familles unies et chaleureuses. C’est une infortune qui les suit alors jusque dans leur accident médullaire. Par ailleurs, il n’est pas évident que tous les parents ou les proches des médullolésés savent leur exprimer leur affection d’une façon adéquate. Dans des circonstances aussi tragiques que celles d’un accident médullaire, la tendresse se mêle parfois à des sentiments de peur, de honte, de doute, voire de dénégation complète, pour s’exprimer sous une forme inattendue et parfois déroutante. Le médullolésé ne comprend pas toujours cela, lui qui le premier est complètement bouleversé par les tragiques événements.

Pourtant, la secousse émotionnelle est telle que très peu de ménages résistent aux circonstances douloureuses qu’entraîne une blessure médullaire. En réalité, la grande majorité divorce. Si le premier réflexe de l’accidenté est souvent de vouloir rendre à l’autre sa liberté afin que celui-ci n’ait pas à sacrifier son existence à s’occuper d’une personne fortement handicapée, la difficulté du conjoint épargné à s’adapter à la nouvelle condition imposée au couple constitue la cause habituelle de la rupture. Le conjoint debout arrive rarement à s’enlever de la tête la vie que tous deux menaient auparavant. L’effort que nécessiterait de repenser une relation de couple en entier semble, la plupart du temps, trop lourd. Ce sont davantage les hommes qui mettent un terme à la relation que les femmes, dont l’existence est toujours plus ou moins consacrée aux soins des autres. Et, plusieurs, il nous faut le dire, éprouvent encore plus de difficultés à accepter un divorce dans de telles circonstances que la blessure médullaire comme telle. Par ailleurs, les chances de durer d’un ménage formé après la blessure médullaire semblent les mêmes que celles d’un couple sain, ce que l’on explique par le fait que la personne debout ayant connu son conjoint alors qu’il était déjà médullolésé, n’a pu faire autrement que de l’accepter intégralement comme il était.

Il va de soi, et c’est l’avis de tout le monde que nous avons interviewé, qu’il est beaucoup plus facile d’accepter un handicap comme la blessure médullaire lorsque l’on est plus à l’aise financièrement, lorsque notre avenir est assuré et que l’argent ne nous cause pas trop de soucis. Plusieurs personnes dans beaucoup d’autres circonstances semblables éprouvent sans doute le même sentiment. Pourtant, comme le blessé médullaire est rendu anxieux à cause de la perte de l’usage de deux ou de quatre membres, le problème de l’avenir financier est, sans aucun doute possible, plus crucial chez lui. Le nombre de soins que nécessite un tel handicap, les restrictions à l’emploi qu’il entraîne nécessairement, les aides qu’il faut engager, souvent dans plusieurs domaines, toutes ces conditions ne peuvent que jouer fortement sur la sécurité, déjà terriblement ébranlée, des médullolésés.

Or, dans notre système, plusieurs blessés médullaires, particulièrement ceux qui furent blessés à la maison ou au travail et qui ne détenaient pas d’assurance personnelle, tombent sous les soins de l’assistance sociale, ce qui ne leur fait pas une vie très attrayante. Aussi est-il beaucoup plus difficile de s’accepter en tant que blessé médullaire lorsque l’on se sait dépendre des prestations de l’Aide sociale pour le reste de ses jours. C’est un fait, de toute manière, que la plupart des médullolésés voient leurs revenus diminuer après leur accident, ce qui n’est pas très encourageant lorsque l’on considère que leurs besoins augmentent alors de beaucoup. Nous devons voir là l’état d’indifférence ou même de mépris que manifeste la société envers ses handicapés.

On a beau dire que la mentalité des gens a beaucoup évolué, notre société, de toutes sortes de façons, n’accepte pas vraiment le handicap. Et, si instituer de nouvelles lois s’avère utile à certaines fins, la mentalité des gens, elle, n’évolue pas vraiment rapidement et ses réflexes d’exclusion demeurent fondamentalement les mêmes. Ainsi, continue-t-on à associer handicap à laideur, voire à débilité mentale. Et, la réaction spontanée de traiter les gens en fauteuil roulant comme des personnes à part les meurtrit profondément. Ceux-ci doivent constamment revendiquer leurs droits afin simplement de vivre avec une certaine dignité. Le handicapé n’a pas encore vraiment droit de cité dans une société par trop préoccupée à niveler les comportements de ses adhérents. Comment une telle iniquité n’accentuerait-elle pas la difficulté, déjà si grande, du médullolésé à s’accepter lui-même?

Malgré cela, les femmes acceptent davantage leur condition de handicapée que les hommes. Probablement parce qu’elles sont plus proches de leur corps que ces derniers. Sans doute aussi parce qu’ayant l’habitude d’être reléguées à l’arrière plan d’une société axée sur des valeurs masculines, elles se formalisent moins du mauvais sort qu’on leur y fait en tant que handicapées. De plus, on a toujours associé la femme au rôle de soignante, ce qui n’est sans doute pas sans rapport avec le regard compréhensif qu’elle peut, en tant que blessé médullaire, porter sur elle-même.

Quant aux médullolésés qui se retrouvent dans cet état des suites d’une tentative de suicide, nous devons moins nous demander si ceux-ci existent bel et bien, ce qui ne fait aucun doute dans notre esprit, que pourquoi on n’en parle jamais nulle part. Lorsque l’on sait le discrédit que la société porte sur les personnes qui ont tenté de mettre fin à leurs jours, et qu’on y ajoute celui qu’elle affiche envers les handicapés, point n’est besoin de se poser de multiples questions cependant. Peut-être le fait que la société ait à payer durant de longues années à cause des conséquences d’un tel comportement y est-il aussi pour quelque chose dans le refus social de reconnaître jusqu’à l’existence même de ces personnes. Somme toute, il est possible que ces blessés médullaires « volontaires » symbolisent à un double point de vue l’échec de la société à assurer certaines valeurs humaines, échec qu’elle n’est pas prête à regarder en face; échec de la société, en effet, à l’égard du malaise qui amène certaines personnes à une solution aussi désespérée, et échec aussi à pouvoir remettre ceux-ci sur pied véritablement.
CHAPITRE VI

DERNIÈRES REMARQUES

Nous nous pencherons d’abord, dans ce chapitre, sur un cas type de blessé médullaire, pour ensuite formuler quelques propositions pouvant servir à de futures recherches.

A) Le prototype du médullolésé

Gilles est un jeune homme de 22 ans. Il étudie à la Faculté de Droit de l’Université de Montréal. Il a l’intention de se spécialiser en droit commercial et de travailler par la suite à l’étude de son père, qui est lui-même avocat. C’est d’ailleurs lui qui éventuellement prendra la relève lorsque papa sera à la retraite. Gilles fréquente une jeune fille depuis plus de deux ans maintenant et ils en sont à faire des projets de mariage.

Il s’entend très bien avec son père, mais ses relations avec sa mère ont toujours été plus tendues. Celle-ci prend difficilement, entre autres, le fait qu’il projette d’épouser Élise. Elle est d’ailleurs souvent triste depuis la mort, l’année dernière, de son fils cadet, Paul, décédé des suites d’un cancer généralisé. Il lui reste bien Gilles et ses deux filles, mais sa vie ne sera jamais plus la même.

Un lundi matin, en revenant du chalet familial afin de se préparer pour ses cours, Gilles essaie d’introduire une cassette dans le lecteur de cassettes de l’auto, mais celle-ci glisse. Il fait un faux mouvement en tentant de l’attraper. La chaussée est humide car il a plu il y a quelques heures, et l’auto de Gilles se dirige vers le fossé. En tentant de la redresser, il fait une collision frontale avec un camion qui s’en vient en sens inverse. Sous le choc, lui qui n’avait pas attaché sa ceinture de sécurité est projeté à quelques mètres de l’autoroute. Les ambulanciers appelés sur les lieux constatent qu’il ne peut plus bouger ses jambes et le transportent à toute vitesse à l’hôpital le plus proche. De là, on le dirige vers un hôpital de Montréal, car son cas nécessite des soins qu’on ne peut lui administrer adéquatement dans un petit hôpital.

Le temps qui s’est écoulé depuis l’accident jusqu’au moment du début des soins d’urgence fait que déjà son état s’est beaucoup détérioré : plusieurs neurones de la moelle épinière sont morts. Après les soins appropriés, le diagnostic tombe finalement : Gilles est quadriplégique et ne pourra sans doute jamais plus remarcher. Toutes sortes de médecins et de membres du personnel paramédical graviteront autour de lui durant les semaines qui suivront. On doit l’aider à déféquer, à uriner. On doit le faire manger, car il a véritablement perdu l’usage de ses quatre membres. On le manipule sur un lit vertical. Gilles est branché à de multiples appareils, on va et vient autour de lui constamment pour lui venir en aide.

Si au début Gilles ne se rend pas trop compte de ce qui lui arrive, progressivement il devra se faire à l’idée qu’une tout autre vie s’ouvre maintenant devant lui. Aussitôt que son état se stabilisera le moindrement, on le transférera dans une centre de réadaptation comme Lucie-Bruneau ou l’Institut de Réadaptation de Montréal, où alors qu’il tentera de récupérer, on lui enseignera les rudiments physiques nécessaires afin qu’il puisse faire fonctionner son fauteuil roulant. Il aura cependant toujours besoin de quelqu’un pour le lever, pour le laver et pour voir à ses besoins intimes.

Au début, Gilles n’accepte pas du tout sa condition. Il jure à tout le monde que son état est temporaire, qu’il remarchera bientôt. Son père aussi pense qu’il remarchera un jour grâce aux progrès de la médecine. Mais sa mère, elle, est si découragée qu’elle vient à peine lui rendre visite : autant ne pas le voir que de le voir dans un tel état! Gilles a cependant bien d’autres chats à fouetter pour l’instant. Il peut à peine penser à la réaction de son entourage; il a bien trop à faire. Il lui faut réapprendre à manger, s’habituer à se laisser prendre en charge pour ses besoins premiers. Cela lui prend toute son énergie pour se laisser laver et asseoir dans son fauteuil électrique. Et tous ces examens qu’il doit passer, et tous ces médecins constamment autour de lui…

En parlant avec d’autres personnes en fauteuil, il commence progressivement à comprendre qu’il ne remarchera jamais plus. Jamais plus de toute sa vie! Il se met alors à être horrifié, à se fâcher contre tout et contre rien, à en vouloir à tout le monde! Pourquoi lui, se dit-il? Pourquoi moi, et pas les autres qui jouissent eux d’une étonnante santé? Puis, il se remet à rêver qu’il va marcher à nouveau et chasse ces mauvaises pensées qui l’installent pour le reste de ses jours dans un fauteuil roulant. D’ailleurs, juste le mot « handicapé » lui fait horreur, de même que le fauteuil roulant! Lui, un handicapé? Jamais! Il remarchera!

Mais, dans les jours suivants, ses dernières idées moroses lui reviennent. Il lui faut bien se rendre à l’évidence qu’il ne remarchera plus! Gilles a toujours été un grand croyant, et pour une fois que Dieu pourrait lui être utile, il n’hésite pas : il lui promet de faire construire un hôpital pour handicapés une fois sorti lui-même de cette épreuve! Après tout, il sera avocat, et un bon avocat, il en aura les moyens!

Le lendemain, en conversant avec l’autre blessé médullaire qui partage sa chambre, il revient pourtant à sa certitude fataliste de départ pour la nier immédiatement après : pourquoi se laissait-il donc aller? Lui ne pas marcher, nous allons voir! C’est impensable! Pourtant, l’après-midi même, alors qu’un infirmier change le pansement sur une de ses jambes abîmées lors de l’accident, il s’effondre : il sait bien au fond qu’il ne remarchera plus et il sent alors monter en lui une immense déprime qui le met complètement à plat. Cette dépression durera pendant plusieurs semaines. Puis, Gilles se fâchera encore, priera un peu et rêvera même une nuit qu’il marche à nouveau!

Sa mère vient souvent le voir en pleurs, et voici qu’il se met à la consoler! « Certes, lui dit-il, je ne remarcherai pas, mais cela n’est pas la fin du monde! Je pourrai me refaire une vie différente! » Il se surprend à consoler sa mère avec des phrases qu’il ne pensait pas éprouver lui-même! D’où sortent-elles?

Lorsque sa petite amie Élise le quittera, il retombera pourtant dans des passes d’agressivité, puis dans une grande dépression de nouveau. C’est son père cette fois qui tentera de l’encourager en essayant de se consoler lui-même. Puis, progressivement Gilles prendra du mieux. Il aura moins de difficulté à faire ses journées, à négocier avec sa douleur. Il commencera finalement à accepter son mal et à faire des plans pour quand il sortira du centre de réadaptation : il continuera ses études, et on verra bien ce qu’il en adviendra par la suite.

Évidemment, Gilles aura encore beaucoup d’autres problèmes à affronter durant les années qui vont suivre. Il devra repenser sa vie sentimentale, sa vie professionnelle; il aura à s’habituer à la perte de son intégrité corporelle, à vivre avec des soins constants, à de nouveaux modes de transport, etc. En fait, c’est sa vie entière qu’il devra repenser et réaménager avec de nouvelles habitudes, de nouvelles activités, etc. Mais à la longue il en viendra petit à petit à accepter la condition qu’implique le fait d’être blessé médullaire. Quelques années plus tard, nous le retrouverons à nouveau heureux, confiant et complètement impliqué dans une nouvelle vie. Il n’aura pas oublié le tragique événement qui est venu bouleverser son existence, mais celui-ci sera loin derrière lui, et il l’aura fondamentalement accepté d’autant plus qu’il travaillera désormais au bureau de son père (quoique relativement moins que ses collègues), qu’il aura une nouvelle petite amie qui l’acceptera comme il est puisqu’elle ne l’aura connu que handicapé et qu’il gagnera malgré tout assez bien sa vie.
Gilles est évidemment un personnage fictif que nous avons inventé afin de rendre compte de ce que peut représenter un certain aspect de la réalité pour une personne nouvellement atteinte de quadriplégie. Il s’agit du prototype du blessé médullaire : un jeune homme dans la fleur de l’âge, un accident d’auto, une rupture amoureuse (divorce) suivie d’une réinsertion sociale après une période de réadaptation. Il faudrait ajouter à l’archétype les difficultés d’acceptation de la société à l’égard du médullolésé de même que les différents problèmes rencontrés avant que le blessé médullaire ne parvienne à une participation sociale raisonnable.

Notre prototype est un modèle d’acceptation par stages : la personne passe par différentes étapes clairement identifiées, même si elle avance et recule pendant un certain temps avant de finir par accepter son sort, ce qui constitue la phase ultime d’un certain cheminement continu. Sans doute pourrait-il y avoir d’autres théories qui expliqueraient le processus de l’acceptation et son déroulement. Nous croyons cependant, qu’à ce jour, cette évolution par étapes successives constitue la façon la plus proche de la réalité d’envisager notre problème.

Élisabeth Kübler-Ross a défini le modèle par stages le plus utilisé dans différents champs des sciences humaines et celui dont on se sert habituellement afin de rendre compte du processus d’acceptation du handicap chez les blessés médullaires. Avec ses stades successifs du déni, de l’agressivité, du marchandage, de la dépression et de l’acceptation, et malgré que diverses nuances et distinctions doivent constamment y être apportées, cette théorie constitue jusqu’à maintenant, croyons-nous, le schéma qui rend compte le plus adéquatement possible de la réalité.

On doit cependant l’utiliser dans le bon sens, c’est-à-dire que cette énumération ne doit servir que comme indication des stades que les personnes franchissent le plus souvent. Comme certains auteurs l’ont fait remarquer, il existe toujours le danger, une fois une étape nettement repérée chez un individu, d’en rester là et d’identifier dans la pratique la personne elle-même à celle-ci. Si cette éventualité ou cette tentation procure une sensation rassurante pour le soignant, elle permet toutefois de ne pas aller au fond des choses, de négliger les difficultés particulières du blessé lui-même, de ne pas considérer son caractère unique et profondément humain. La grille de Kübler-Ross, comme toute classification semblable, doit donc être utilisée avec la plus grande circonspection.
B) Suggestions d’ordre général

Si nous avons pris Gilles comme exemple, c’est évidemment que la blessure médullaire se rencontre davantage chez les jeunes hommes actifs. Aussi y aurait-il beaucoup d’études à entreprendre sur une certaine culture qui contribue à faire des jeunes hommes les personnes les plus à risque d’accidents graves dans notre société. Il y aurait encore plus, croyons-nous, à changer une certaine philosophie sociale de la turbulence, une philosophie de vie qui encourage le risque pour le risque, la vitesse pour la vitesse, comme il y aurait beaucoup à parler d’une société malade qui développe des habitudes d’alcool ou d’usage de drogues. Agir sur de telles variables équivaut à agir sur le nombre des blessures médullaires.

Et, il y aurait beaucoup à améliorer aussi, on le voit dans notre exemple, au niveau des soins d’urgence, lorsque l’on sait que certaines techniques voient le jour présentement et qui peuvent, quand le cas est pris à temps, diminuer la progression de la paralysie. Beaucoup à faire donc pour accélérer la procédure des soins d’urgence, comme beaucoup à investir dans la recherche de nouveaux procédés pour stopper la dégénérescence des neurones.

Une plus grande sensibilisation du public auprès des gens, dès leur enfance, à la blessure médullaire, aurait sans doute contribué à ce qu’Élise reste avec son amoureux et que le couple puisse vivre une vie raisonnablement heureuse. De même les parents auraient-ils pu de la sorte voir ce qui arrivait à leur fils d’une façon moins destructrice. Une éducation du public beaucoup plus poussée contribuerait aussi à favoriser l’accessibilité des handicapés et à les intégrer davantage, d’une manière générale, à notre société.

Ainsi, les études que nous avons effectuées nous ont amené à côtoyer différents blessés médullaires et intervenants de toutes sortes. Nous avons pu observer et constater, au cours de maintes conversations et interventions, des phénomènes dont il est à peine fait mention dans la littérature. Nous avons, entre autres, réalisé combien pouvait être sujet à diverses interprétations le terme même d’acceptation. Plus encore, il est, malgré nos diverses tentatives, plutôt difficile de le circonscrire avec une très grande précision. C’est pourquoi il faudrait mettre au point une véritable grille d’évaluation propre à déterminer, beaucoup plus scientifiquement que l’on puisse le faire présentement, à l’aide de différents facteurs ayant été choisis pour leur pertinence à tester l’acceptation du handicap, le degré de l’acceptation chez les personnes dont la moelle épinière a été sectionnée. Cette grille se devrait d’être précise, d’être graduée et de permettre d’évaluer avec la plus grande exactitude possible ce degré d’acceptation. Il s’agirait ici d’abord de choisir les variables déterminantes de l’acceptation chez la personne (d’établir leurs importances proportionnelles : scale), puis, en calculant le degré total d’acceptation, de mesurer précisément où celle-ci en est rendue avec elle-même. Cela nous permettrait, dans un premier temps, de pouvoir agir efficacement sur chacune des variables, pour être finalement à même de développer chez la personne un plus grand bien-être en sachant précisément où elle en est avec l’acceptation d’une façon générale. Cela pourrait s’avérer d’une grande utilité tant au niveau théorique qu’au niveau pratique, car les interventions des psychologues, des travailleurs sociaux et des autres intervenants auprès du blessé médullaire à tous les paliers et à tous les instants, si elles ont indirectement pour but de faire accepter leur problème au médullolésé, beaucoup d’améliorations pourraient encore être faites à leur sujet.

Comme nous nous sommes rendu compte, à mesure que notre étude progressait, qu’une des caractéristiques qui se développait au fur et à mesure que le médullolésé évoluait à l’intérieur de son processus d’acceptation était qu’il devenait plus réaliste quant à ses aspirations, qu’en quelque sorte, il devenait plus objectif par rapport à lui-même, cette objectivité devrait probablement servir de critère de l’acceptation lors de la mise sur pied d’une telle grille d’évaluation, et ce, malgré les difficultés évidentes d’opérationnaliser un tel indice. En effet, en devenant plus objectif quant à ses possibilités et à ses besoins, le blessé médullaire quitte progressivement l’univers du rêve irréaliste et irréalisable que son refus contribuait à faire germer en lui. Il accepte désormais la réalité de sa nouvelle condition. L’agressivité aussi, mais comme critère négatif, devrait être examinée en détail. Enfin, des variables comme l’oubli du passé, « l’aspect toujours inacceptable du handicap » devraient être incluses dans notre grille d’analyse et une valeur proportionnelle à leurs influences respectives, comme nous l’avons dit, pourrait leur être accordée.

Tout ce qui concourt directement ou indirectement au bien-être des blessés médullaires contribue à leur faciliter l’acceptation de leur condition, qu’il s’agisse de la facilité d’accès à certains lieux, comme de l’amélioration de leurs moyens de transport. C’est pourquoi l’éducation populaire est-elle si importante en tant que facteur de médiation entre les blessés médullaires et leur environnement. D’ailleurs, les travailleurs sociaux et les psychologues qui s’occupent d’eux devraient, dès les premiers jours de leur blessure, commencer à leur parler d’acceptation, et ce, en employant ce terme même. Il ne faut pas se cacher que celle-ci est pénible et qu’elle fait partie d’un processus qui s’opère lentement. Aussi est-il mieux de l’aborder franchement et ouvertement dès les premiers jours, ce qui est loin de se faire encore aujourd’hui.

On ne peut pas dire qu’il existe véritablement d’étude sérieuse qui ait été réalisée jusqu’à ce jour sur le thème de l’acceptation. C’est pourtant un sujet d’une extrême importance si l’on considère simplement l’influence que le mental peut avoir sur le physique. Il faut donc à tout prix que des études soient entreprises en la matière, qu’un chapitre complet de la recherche s’ouvre sur l’acceptation. D’ailleurs, ces études pourraient servir autant aux personnes atteintes de cancer en phase terminale qu’aux amputés ou aux gens touchés par la paralysie cérébrale.

À une époque caractérisée par le refus, refus de la souffrance qu’on anesthésie au moyen de sédatifs, refus du handicap que l’on dissimule encore de toutes sortes de manières, refus de la réalité qu’on occulte grâce à différentes drogues, parler d’acceptation peut paraître déplacé. Or, il faut d’autant plus en parler que celle-ci constitue un passage nécessaire vers une saine continuation de la vie pour toute personne atteinte profondément dans son corps. Il ne faut surtout pas céder aux théories qui, faisant fi des sentiments reliés à l’acceptation, préconisent une forme de réadaptation assez proche du conditionnement behavioriste pur et simple.
C) Suggestions pour des recherches futures

Nous avons effectué la présente recherche dans le but de savoir s’il était possible ou non pour un blessé médullaire d’accepter son handicap. Et nous avons trouvé qu’il était en effet possible de le faire au bout d’un certain temps. Cela prend d’habitude trois ans. Au bout de trois années, parfois cinq, la plupart des médullolésés finissent par accepter leur condition de handicapé. Évidemment, plusieurs facteurs viennent favoriser cette acceptation, comme le sexe, l’âge, le degré d’aide de l’entourage, le temps qui s’est écoulé depuis l’accident, le type de blessure, le genre de travail, etc.

Les méthodes que nous avons utilisées pour parvenir à ce résultat tiennent à la fois de procédés objectifs comme l’entrevue à l’aide d’un questionnaire objectif et de moyens plus subjectifs comme l’entrevue semi-directive et l’observation. D’autant plus que notre échantillon n’est pas véritablement représentatif de la population des blessés médullaires à cause notamment du petit nombre de personnes interviewées, nous ne pouvons donc prétendre à autre chose qu’à une approximation concernant notre conclusion, approximation tenant de la méthode inductive elle-même.

Babbie mentionne dans son manuel de sociologie : « Quite often, social scientists begin constructing a theory through the inductive method by observing aspects of social life, and then seeking to discover patterns that may point to relatively universal principle. Barney Glaser and Anselm Strauss (1967) coined the term grounded theory in reference to this method. » Et « In sharp contest to the deductive approach, which begins with a general theory and derives hypothesis for empirical testing, grounded theory begins with observations and then proposes patterns, themes, or common categories (Babbie, 1998 : 283). » Malheureusement, la présente étude ne nous a pas permis de dégager certains « patterns » généraux ou de trouver des catégories communes aux phénomènes que nous avons observés, comme nous aurions aimé le faire. Il nous est donc impossible de produire ici un modèle théorique.

C’est pourquoi nous croyons d’autant plus fortement qu’il serait profitable que des recherches futures puissent, à l’aide d’un large échantillon de répondants, tester les résultats de notre recherche d’une façon objective. Un échantillon au hasard pourrait ainsi être pris sur un nombre également important de sujets, malgré les difficultés d’une telle entreprise dans la réalité et auxquelles nous avons déjà fait face, difficultés sans doute pas totalement insurmontables cependant. Cela serait un immense progrès sur la méthodologie que nous avons employée pour notre étude et assurerait des résultats définitifs à la conclusion de notre recherche.

Il serait également intéressant que de futures recherches se penchent sur l’appui ou l’encouragement accordé aux médullolésés. Nous avons en effet pu constater au cours de nos travaux qu’il existait une corrélation positive significative entre l’encouragement apporté aux blessés médullaires et l’acceptation de leur handicap. Qu’il s’agisse de parents, d’amis, du conjoint ou même du personnel hospitalier, il nous est apparu évident que le support déterminait pour une large part le degré d’acceptation de la blessure médullaire. Aussi serait-il bon de vérifier jusqu’à quel point un tel phénomène se manifeste-t-il et s’il est vérifiable sur une grande population. Il serait facile d’opérationnaliser une telle question : il suffirait de comptabiliser un large échantillon de personnes ayant reçu un support important et de comparer ces résultats avec ceux des blessés médullaires qui ont dû affronter leur handicap seuls. Ainsi la question le blessé médullaire peut-il accepter sans l’aide de personne sa condition? demanderait un examen attentif. Quelle est la part qui revient à la personne elle-même et celle qui dépend de l’entourage dans l’acceptation? serait un autre sujet très valable d’investigations. Celles-ci viendraient mettre en lumière certaines modalités de l’acceptation.

Nous posons également comme hypothèse pour une recherche ultérieure qu’un handicapé peut remplacer le travail qu’il effectuait auparavant par du bénévolat, et que celui-ci dans la mesure où il représente une tâche productive pour la société le valorise de la même manière qu’un travail rémunéré, quoique selon des modalités différentes, et l’aide à accepter son handicap. Nous savons en effet que plusieurs médullolésés qui tirent leurs revenus de la SAAQ consacrent leurs moments libres à des tâches bénévoles.

Des études devraient aussi être entreprises afin de vérifier dans quelle mesure l’acceptation du conjoint se trouve en corrélation avec les connaissances qu’il possède sur la blessure médullaire. À supposer que cette hypothèse en viendrait qu’à se voir confirmée, qu’elle prévaudrait sur une explication basée sur les préjugés, diverses mesures pourraient alors être initiées afin de diffuser de l’information pertinente au moment opportun sur la blessure médullaire. Cela pourrait avoir pour conséquence de réduire le taux de divorce, taux qui est vraiment excessif chez les médullolésés.
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RÉsumé La présente étude se penche sur l’acceptation du handicap chez les blessés médullaires. Cinq (5) hommes et cinq (5) femmes blessés à la moelle épinière depuis plus de cinq (5) années, iconElle portera entièrement sur le Recensement de la population de 2016
«recensement» vient du terme latin «recensere» qui signifie «passer en revue». Le recensement canadien est un sondage d’envergure...

RÉsumé La présente étude se penche sur l’acceptation du handicap chez les blessés médullaires. Cinq (5) hommes et cinq (5) femmes blessés à la moelle épinière depuis plus de cinq (5) années, iconDescription de la manifestation de chacun des Cinq Eléments chez les animaux

RÉsumé La présente étude se penche sur l’acceptation du handicap chez les blessés médullaires. Cinq (5) hommes et cinq (5) femmes blessés à la moelle épinière depuis plus de cinq (5) années, iconElle arrivera bientôt dans une boîte à lettres ou une porte de devant...
«recensement» vient du terme latin «recensere» qui signifie «passer en revue». Le recensement canadien est un sondage d’envergure...

RÉsumé La présente étude se penche sur l’acceptation du handicap chez les blessés médullaires. Cinq (5) hommes et cinq (5) femmes blessés à la moelle épinière depuis plus de cinq (5) années, iconCinq tableaux récapitulent les trois principales phases d’entraînement

RÉsumé La présente étude se penche sur l’acceptation du handicap chez les blessés médullaires. Cinq (5) hommes et cinq (5) femmes blessés à la moelle épinière depuis plus de cinq (5) années, iconLeçon 5 20 Janvier
«quatre, cinq et six». Je me suis contenté du 4 et je m’en réjouis, car le «4, 5, 6»

RÉsumé La présente étude se penche sur l’acceptation du handicap chez les blessés médullaires. Cinq (5) hommes et cinq (5) femmes blessés à la moelle épinière depuis plus de cinq (5) années, iconRomain Grosjean a signé son sixième podium cette saison, le quatrième...

RÉsumé La présente étude se penche sur l’acceptation du handicap chez les blessés médullaires. Cinq (5) hommes et cinq (5) femmes blessés à la moelle épinière depuis plus de cinq (5) années, iconLes cinq constituants du ton
«Respirer, parler, chanter La voix, ses mystères, ses pouvoirs», Le Hameau Editeur, Paris 1981

RÉsumé La présente étude se penche sur l’acceptation du handicap chez les blessés médullaires. Cinq (5) hommes et cinq (5) femmes blessés à la moelle épinière depuis plus de cinq (5) années, iconElle parlait (savait parler/ était capable de parler) cinq langues...

RÉsumé La présente étude se penche sur l’acceptation du handicap chez les blessés médullaires. Cinq (5) hommes et cinq (5) femmes blessés à la moelle épinière depuis plus de cinq (5) années, iconDans ce but, Foulds a proposé les éléments distinctifs suivants
«d’un comportement dramatisé, hyperréactif et intensément exprimé» et de perturbations caractéristiques des relations interpersonnelles,...

RÉsumé La présente étude se penche sur l’acceptation du handicap chez les blessés médullaires. Cinq (5) hommes et cinq (5) femmes blessés à la moelle épinière depuis plus de cinq (5) années, iconVignole, Reigle des cinq Ordres d'Architecture. Texte imprimé en...








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