RÉsumé La présente étude se penche sur l’acceptation du handicap chez les blessés médullaires. Cinq (5) hommes et cinq (5) femmes blessés à la moelle épinière depuis plus de cinq (5) années,








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b) Les femmes :

Lors du test de notre questionnaire des médullolésés, nous avions interviewé une blessée médullaire. Nous la désignerons sous le nom d’Yvonne. Il s’agit d’une femme de trente-six (36) ans, blessée depuis onze (11) ans, lors d’un accident d’auto qui la rendit quadriplégique. Détentrice d’un diplôme d’études collégiales, elle occupait un emploi administratif lors de son accident. De son aveu même, sa condition financière est maintenant plus qu’acceptable. Elle possède en effet un condominium, une mini-fourgonnette et jouit de tout le confort nécessaire. Prestataire de la Société de l’Assurance Automobile du Québec, elle consacre ses temps libres à faire du bénévolat auprès des blessés médullaires. C’est d’ailleurs une association de blessés médullaires qui nous la référa. Homosexuelle avant sa blessure, elle a une petite amie depuis plusieurs années. Nous l’avons rencontrée à la maison alors qu’elle y était seule. Elle s’avéra alors une personne très volubile et communicative, voire désireuse de nous aider le plus possible dans notre enquête.

Yvonne accepte bien sa blessure médullaire. Elle jouit même des avantages inhérents à sa condition. Comme il arrive pour certains, à l’occasion, elle semble même préférer la vie qu’elle mène maintenant à celle qui aurait été la sienne, les choses ussent-elles dû se passer autrement. Il n’est pas rare, d’après notre expérience auprès des blessés médullaires, de rencontrer ce type de comportement chez les personnes qui faisaient face, avant leur accident, à des problèmes de drogues, et c’est précisément le cas pour elle.

Elle fréquente indistinctement les handicapés comme les personnes debout et nous dit :

Je suis contente avec la personne que je suis aujourd’hui (…). Je ne changerais pas. Si quelqu’un pourrait dire je retourne dans dix secondes avant ton accident et que tu pourrais ralentir ton char, je ne le ferais pas, parce que je suis bien aujourd’hui. (…) Je suis très bien aujourd’hui.

-Intérieurement. En dedans de toi, tu veux dire?

-Oui. Ah oui! Je suis bien. Je suis bien dans ma peau là. Je n’échangerais pas de peau avec personne que je connais. 

C’est exactement comme si sa blessure médullaire l’avait sauvée d’une vie encore pire que celle qu’elle doit maintenant vivre avec un handicap. Elle se trouve d’ailleurs très heureuse des avantages financiers que lui procura sa condition de handicapée. Dans un certain sens, elle se considère mieux qu’avant à ce point de vue, ce qui peut nous paraître étrange à première vue. La variable économique est, en tout cas, d’une très grande importance pour elle et contribue pour une grande part à son acceptation.

De plus, d’une certaine manière, Yvonne confirme les théories de Maslow, en nous déclarant : « Je suis bien chez-moi. J’ai des bonnes amies. Et mes parents, ça va bien. J’ai un emploi que j’aime. Je fais du bénévolat, mais j’aime qu’est-ce que je fais. C’est bien. Je ne peux pas demander plus là. (…) J’vis pas pour, eh… J’vis pas pour, eh… Je suis pas quelqu’un comme Christopher Reeve, quelqu’un qui vit juste pour remarcher (…). Je ne pense même pas à ça. » Et, elle nous explique encore : « J’ai pas de problème de sous, j’ai pas de problème vraiment de santé. J’ai des bons amis, j’ai quelqu’un dans ma vie. J’ai tout ça. ». Comme on le voit, il s’agit presque ici d’un plaidoyer pour la théorie des besoins fondamentaux de Maslow : malgré son handicap, elle remplit les critères de Maslow, donc elle est bien et elle n’accepte que plus facilement sa condition de handicapée : « J’accepte, moi oui, j’accepte vraiment, moi oui. »

La première femme que nous avons interviewée (référée par un blessé médullaire), Rita, demeure seule dans un beau condominium adapté. À 32 ans, elle n’a pas d’ami de cœur. Un accident de travail alors qu’elle était ortopédagogue la contraignit à se faire opérer à la colonne vertébrale, opération chirurgicale catastrophique qui fit d’elle une paraplégique il y a huit (8) ans. Elle a maintenant cessé de travailler, reste le plus souvent à la maison et se consacre à la peinture, au bénévolat et à différentes activités artistiques.

Rita connut un divorce extrêmement pénible des suites directes de son handicap. Encore aujourd’hui, elle a du mal à s’en remettre. Comme il arrive à l’occasion de certains grands malheurs, son divorce semble, à parler avec elle, avoir été plus pénible encore que sa blessure médullaire elle-même. Son univers paraît, en effet, s’être effondré lorsque son mari est parti. Sans doute y a-t-il, ici, une question de se sentir ou non accepté(e) tel(le) que l’on est par autrui. L’argent, dont elle dispose suffisamment ne peut rien à ce point de vue.

En réalité, Rita est encore en train d’assimiler sa blessure médullaire. Il lui reste pourtant un bon bout de chemin à parcourir avant de l’accepter entièrement. Si son handicap lui a permis de se découvrir un talent de peintre et de sculpteur qu’elle ignorait qu’elle possédait, il est encore plus important de remarquer, au cours de son entrevue, que les amitiés qu’elle a développées après son accident lui semblent plus satisfaisantes en termes de profondeur que celles qu’elle connaissait auparavant. Il s’agit là d’un thème qui est discuté à l’occasion dans la littérature, mais pas suffisamment, pensons-nous. D’ailleurs, c’est un fait que les blessés médullaires abordent encore moins ce sujet dans leurs conversations. Les relations amicales seront donc désormais choisies selon des critères plus sélectifs, et les confidences en seront d’autant plus impliquantes. On conçoit alors aisément que, dans ce sens, la blessure médullaire puisse apporter des avantages secondaires intéressants. À cause des difficultés qu’entraîne le handicap, le nombre de personnes à qui l’on fait confiance est moindre, mais la relation y gagne d’autant plus en humanité; c’est un constat que l’on fait souvent chez les blessés médullaires, et, sans doute, chez les handicapés en général…

La deuxième répondante, que nous nommerons Reine pour les circonstances (référée par un blessé médullaire), a aujourd’hui 33 ans. Quadriplégique suite à un accident d’auto survenu il y a onze (11) ans, alors qu’elle était dans l’Armée canadienne, elle nous reçoit dans un appartement entièrement modifié en fonction de son handicap. Elle y demeure seule et n’a pas d’amoureux. Elle est une personne décidée, dévouée et qui consacre maintenant sa vie à aider bénévolement les blessés médullaires.

Elle se considère chanceuse malgré son handicap, puisqu’elle est entourée de parents et d’amis qui la supportent à tous points de vue. Elle jouit aussi d’une pension plus que suffisante pour voir à ses besoins, et qui lui permet même de voyager assez régulièrement. Le support de son entourage ainsi qu’une certaine aisance financière nous semblent deux variables qui contribuent beaucoup à son épanouissement, de même que son caractère volontaire qui la pousse constamment à aller de l’avant plutôt qu’à regarder en arrière.

En parlant du divorce et de la rupture qui intervient fréquemment d’avec le ou la conjointe lors d’un accident médullaire, Reine souligne le fait que le rythme différent du médullolésé peut entraîner ce bris dans l’entente. Ici aussi, on entend peu parler de ce problème qui est pourtant des plus importants : le blessé médullaire fonctionne à un rythme extrêmement lent par rapport à celui des personnes « debout ». En plus, très souvent, que le médullolésé se trouve plus ou moins en retrait de la vie active, le fauteuil roulant impose son propre rythme, et, si la plupart des activités peuvent malgré tout être effectuées, elles le sont toujours selon des modalités plus complexes et par conséquent plus lentes. Aller à la banque en auto pourra prendre plus d’une demi-heure à un handicapé, avec deux transferts à effectuer, alors qu’il s’agira d’une course de cinq à dix minutes pour une personne « debout ». À la longue, un conjoint peut finir par se lasser d’une telle lenteur s’il n’est pas armé de patience ou s’il n’organise pas sa vie en conséquence. Forcément, un blessé médullaire peut faire beaucoup moins de choses dans une journée qu’une personne normalement constituée.

D’après cette répondante, le terme acceptation serait le bon terme à employer. On peut d’ailleurs dire que celle-ci est la première à accepter son handicap. Comme elle le dit : « Maintenant, mes limites c’est mon handicap, mais il ne m’empêche pas de vivre, pis y m’empêche pas d’être, y m’empêche pas d’être moi pis de rester moi. » Elle ajoute même : « Du fait justement que moi je suis à l’aise avec ça, je me sens un peu responsable de, de montrer aux gens que aussi ça se fait, vivre avec un handicap, et…, et vivre normalement, puis vivre bien (…). » Et, de fait, elle milite activement dans le monde des handicapés. Elle nous assure également que les conditions telles que l’appui des parents, les aspects économiques, les amis, les amours, etc. sont d’une importance primordiale quant à l’acceptation. Elle est absolument catégorique à ce sujet et considère que son acceptation fut beaucoup aidée par ces conditions qu’elle trouve optimales chez elle.

La troisième personne à qui nous avons posé nos questions, Tania (référée par un blessé médullaire), a cinquante (50) ans. Elle est paraplégique depuis six (6) ans maintenant, alors qu’un accident de moto lui compressa la moelle épinière. Elle ne travaillait pas à cette époque et restait à la maison pour s’occuper de ses enfants, ce qu’elle continue à faire depuis sa blessure médullaire. Même à travers de multiples difficultés, sa relation avec son mari se poursuit jusqu’à ce jour. Tous les deux sont catholiques pratiquants.

Tania nous reçoit chez elle et nous raconte comment elle est victime de douleur chronique. Elle se divertit néanmoins par la lecture de poésies et de littérature en général. Elle est au courant des nouvelles théories de la reconstruction identitaire, qu’elle semble épouser en partie. Elle croit qu’il est possible cependant d’accepter avec le temps ainsi qu’avec l’aide de l’entourage, ce dont elle semble à l’entendre parler, avoir pourtant été beaucoup privée. Elle se plaint, en effet, du comportement des intervenants hospitaliers. « Comme je vous le dis, si on est bien entouré, si on a les personnes adéquates aux bons moments, oui, c’est possible que ce soit acceptable comme état et vivable. », prétend-elle néanmoins, à quoi elle ajoute : « Moi, je le prends (…) c’est fait, c’est passé. »

La répondante suivante --nommons-la Gilberte-- a soixante-cinq (65) ans. Elle nous a été référée par un blessé médullaire. Il y a plus de quarante-trois (43) ans, soit à l’âge de 22 ans, on lui découvrit une compression de la moelle épinière. Quelque temps après, elle dut prendre le fauteuil roulant définitivement et cesser l’emploi manuel qu’elle occupait. Elle demeure seule depuis qu’elle a dû divorcer d’avec son mari, divorce qui a fortement blessé son idéalisme.

Elle nous reçoit alors qu’elle est seule dans son appartement et commence d’entrée de jeu par confirmer notre théorie de « l’aspect inacceptable » du handicap, avec laquelle elle est spontanément d’accord. Elle donne ensuite une définition adéquate de ce que nous avons décrit comme « l’acceptation profonde » : « C’est-à-dire que j’ai passé par la révolte, j’ai passé par l’agressivité, j’ai passé par toutes les nuances, par toutes sortes d’émotions pour arrêter de me battre contre… une partie de moi-même. ». Avec éloquence elle dit aussi : « Y a la possibilité de vivre bien avec ce que l’on possède, et surtout, ce que l’on ne possède pas. », et encore : « J’ai surtout constaté que c’est pas une limite physique quelle qu’elle soit qui nous empêche de penser et d’être ce qu’on est. Et ce qu’on a à faire. Ça se passe entre les deux oreilles d’abord. » Elle termine finalement en spécifiant : « Il y a tellement de façons et de degrés dans le mot acceptation. »

Cette femme, douée d’une volonté féroce, est en confrontation avec le système qu’elle conteste et qu’elle dérange volontairement dans le but de faire avancer les choses. Ce qu’elle n’accepte pas, ce n’est pas son handicap, mais bien plutôt la société qui elle, refuse les handicapés.

La dernière personne interviewée (référée par un blessé médullaire), nommons-la Évangéline, a cinquante-six (56) ans. Il y a vingt-neuf (29) ans, elle prenait place à l’arrière de la moto d’un ami qui dérapa. Devenue paraplégique avec une lésion complète, elle continua néanmoins d’occuper son emploi au gouvernement provincial, lequel elle occupe toujours. Elle habite seule et n’a pas d’amoureux présentement, quoiqu’elle en ait déjà eu un. Très automome, elle se consacre également à des œuvres bénévoles. Nous l’avons rencontrée alors qu’elle était seule dans son appartement bien aménagé pour une personne en fauteuil roulant.

Évangéline constitue probablement le plus bel exemple d’acceptation pleine et entière que nous ayions rencontré. D’entrée de jeu, elle nous dit que le terme acceptation est le bon, qu’elle est sereine et qu’elle essaie de faire de son handicap quelque chose de productif, de créatif. Il n’y a chez elle aucun apitoiement sur son sort, aucun regret ou rancune; uniquement une tentative de se débrouiller pour continuer avec qui elle est devenue maintenant et vivre une vie remplie et généreuse. Lorsqu’elle parle de faire « de cette blessure » « une vie positive » et qu’elle nous confie que, pour elle, accepter signifie créer, c’est-à-dire se servir de son handicap pour apporter des choses aux autres, elle énonce peut-être, sans le savoir, un autre critère de l’acceptation qu’il nous serait utile de considérer dans une recherche à venir. Pour elle, « Si c’est vraiment accepté, vraiment accepté, là on va aller dans de la créativité. » De fait, c’est une personne qui semble en évolution constante et en recherche intérieure continue afin de s’améliorer, ce qui aussi pourrait peut-être servir de critère éventuel de l’acceptation.

Résultats :

On peut donc dire que toutes nos participantes font bon ménage avec leur handicap, qu’elles l’acceptent, en autant qu’il est possible de ce faire. La presque totalité des personnes, hommes comme femmes, que nous avons interviewées se range ainsi du bord de l’acceptation, après un certain nombre d’années à tout le moins. De la même manière, chez les femmes, comme chez les hommes, nos hypothèses se voient-elles confirmées presque à cent pour cent. Ici aussi pourtant, l’une de nos prévisions se trouve renversée : les femmes, non plus que les hommes, à l’exception de la seule quadriplégique que nous ayions interviewée, ne croit que la dépendance constitue la chose avec laquelle il soit le plus difficile de composer lorsque l’on est blessé médullaire. Une parle, en effet, de l’accessibilité, une autre de la douleur chronique, une de ses difficultés à effectuer ses transferts du fauteuil à l’auto, et enfin une dernière mentionne l’inhumanité du système envers les handicapés physiques. Il ressort donc de nos recherches qu’une distinction devrait être faite : ce sont sans doute les quadriplégiques qui considèrent, et pour cause, que la dépendance constitue la plus grave difficulté imposée aux médullolésés.

Les hypothèses déduites de Maslow, qui nous amènent à penser que plus les besoins sont satisfaits chez un médullolésé et plus il acceptera facilement son handicap, sont encore une fois confirmées, mais avec encore davantage de force ici. La comptabilité pour les besoins de Maslow nous donne en effet cinquante deux (52) points pour les femmes, alors qu’elle ne nous en donnait que quarante trois (43) pour les hommes. Si nous considérons le fait que toutes nos femmes acceptent fondamentalement leur handicap, cela correspond parfaitement à leur grand nombre de points accumulés. La première totalisa en fait douze (12) points sur une possibilité de treize (13), les deux suivantes onze (11) points, la quatrième sept (7) points et la dernière onze (11) points, ce qui met grandement en corrélation l’acceptation de leur handicap et la satisfaction de leurs besoins de base chez les femmes interviewées.

Il nous faut mentionner également que deux de nos répondantes sur cinq furent victimes d’accident de moto. Sans nullement prétendre que cette proportion soit représentative de la population des blessés médullaires à cet égard, il est cependant nécessaire d’attirer l’attention sur le fait que les accidents avec ce type de véhicule sont plus fréquents qu’on ne le croit généralement. De la même manière, il est étonnant de constater que souvent les personnes qui deviennent blessés médullaires suite à une tentative de suicide exécutent celle-ci en tentant de se jeter du haut d’un immeuble. C’est du moins ce que nous ont rapporté plusieurs des sujets que nous avons interviewés.

Quant aux revenus, nous croyons toujours, après notre enquête sur le sujet, que les blessés médullaires connaissent habituellement, suite à leur accident, une perte substantielle de leurs revenus annuels. Il nous faut pourtant souligner le fait qu’un certain nombre de ceux-ci voient leurs revenus augmenter lorsqu’ils bénéficient des prestations de la Société de l’Assurance Automobile du Québec et que ceux-ci n’étaient pas exhorbitants avant leur blessure, ce qui n’est pas si rare que l’on croit.

Nous devons ajouter que nous nous sommes rendu compte en utilisant le questionnaire que, malgré que nous l’ayions fait et refait à plusieurs reprises et qu’il fut testé par une participante, certaines questions auraient nécessité encore plus de précision. Évidemment, nous compensions en expliquant de vive voix aux répondants le sens de celles-ci, mais il aurait mieux valu qu’il n’en fut pas ainsi. D’autres questions, quoique peu nombreuses, nous apparurent bientôt inutiles à notre recherche. Et, comme nos hypothèses ne semblaient faire aucunement problème, et que tous ou presque tous les répondants les entérinaient spontanément, beaucoup de questions devenaient dès lors superflues. Mais, nous ne pouvions absolument pas prévoir cela à l’avance.

C- Les membres du personnel

Le premier intervenant que nous avons rencontré, et qui, en fait, est une travailleuse sociale, nous a parlé de « tristesse » pour définir ce que nous avions appelé « le côté toujours inacceptable » de la blessure médullaire. Elle pense, en effet, que si la plupart des médullolésés, les trois quarts, d’après elle, finissent par accepter leur handicap, il n’en demeure pas moins qu’ils garderont toute leur vie durant un certain fond de tristesse de ne pouvoir vivre la même vie que tout le monde. Nous avions mis entre parenthèses cet aspect du handicap pour ne considérer l’acceptation qu’une fois ce présupposé admis, et, nous avons été étonné de constater que celle-ci faisait exactement de même. Malgré qu’elle considère que la plupart acceptent, elle nous dit en effet textuellement, en parlant des blessés médullaires en général : « Je pense qu’ils peuvent toujours garder une tristesse, je dirais… » Dans le contexte de l’entrevue, il était clair qu’elle mettait, elle aussi, cette tristesse qu’elle considérait comme allant de soi, entre parenthèses, et qu’elle n’en tenait pas compte pour mesurer l’acceptation et le degré de l’acceptation.

Le second intervenant, une éducatrice spécialisée, met en relief le fait qu’il est plus difficile pour un médullolésé d’accepter son handicap, et pour le personnel de le soigner, du fait qu’il s’agisse d’un accident traumatique subi, que la personne n’y soit donc pas préparée. Elle explique, par contre, que la blessure médullaire présente comme avantage que le patient ne pourra désormais qu’aller en s’améliorant, ce qui n’est pas le cas de certains patients victimes de maladies dégénératives qui se verront nécessairement diminuer progressivement jusqu’à ce que la mort survienne. On l’aura deviné, celle-ci s’est occupé pendant longtemps de ce genre de clientèle qui ne présente jamais l’enthousiasme que certains blessés médullaires peuvent démontrer à l’occasion. On peut d’ailleurs prévoir le plus souvent, d’après elle, les progrès que feront les médullolésés.

Cette éducatrice qui travaille auprès de blessés médullaires depuis plus de 8 ans est beaucoup plus sceptique cependant sur l’acceptation par ceux-ci de leur handicap. Elle nous dit : « C’est rare qu’ils acceptent. Peut-être au bout de vingt ans, et encore, s’ils ont tout ce qu’il faut, un amoureux, etc. » Nous ne pouvons nous empêcher, ici, d’entrevoir une confirmation sommaire de la théorie de Maslow sur les besoins fondamentaux des personnes.

Fonder une famille devrait, selon cette éducatrice, constituer un critère d’acceptation du handicap. Elle dit connaître des hommes comme des femmes, parmi ceux qui acceptent le plus, qui ont fait des enfants après leur blessure à la moelle épinière, ce qui révélerait, en soi, une grande acceptation de leur condition de handicapés. Elle croit aussi que les personnes « manuelles » sont beaucoup plus défavorisées que les autres lorsqu’elles deviennent blessées médullaires, qu’elles sont les plus nombreuses pourtant, et que cela explique pourquoi elles retournent souvent aux études par la suite, question d’y acquérir des habiletés non manuelles.

Notons que ces deux intervenants ont connu des personnes qui sont devenues blessées médullaires suite à des tentatives de suicide. Les deux sont d’avis qu’il existe peu de ces cas, mais qu’il en existe quand même un certain nombre.

Nous avons observé, pour avoir conversé à quelques reprises d’une façon informelle avec certains intervenants, que ceux-ci ont tendance à exagérer le refus de leur handicap chez les blessés médullaires. Forcément, ceux qui travaillent auprès de ce genre de handicapés les rencontrent le plus souvent lorsque ceux-ci sont en difficulté, d’où sans doute sont-ils portés à amplifier le refus, la détresse et le désespoir de ceux-ci.

De nouvelles théories voient aussi le jour depuis un an, dans quelques institutions québécoises, sur l’acceptation de la blessure médullaire. On tente, en effet, d’oublier le terme « acceptation », tout comme on essaie de radier les mots « déni », « refus » et les autres, pour les englober plutôt à l’intérieur d’un concept général défini principalement sous le vocable de « reconstruction identitaire ». Il n’est plus question, par exemple, de déni momentané ou autre, mais bien plutôt d’un cheminement général vers une forme d’adaptation. On n’essaie plus de nommer les divers comportements et soubresauts de cette évolution, qui ne seront pas dorénavant retenus comme tels, mais qui feront tout simplement partie d’un processus évolutif déterminé. Nous n’endossons pas cette façon de voir qui correspond aux théories de l’adaptation ou de l’ « adjustment ». Nous croyons, au contraire, utile de pouvoir continuer à décomposer le concept en ses différentes parties afin d’être plus à l’aise d’en étudier les composantes spécifiques telle l’acceptation. Quant à l’ajustement, celui-ci se trouve souvent à l’opposé de l’acceptation véritable. Il faut dire que les partisans de cette théorie semblent penser que les blessés médullaires n’acceptent jamais leur sort.

Le troisième intervenant s’occupe de blessés médullaires depuis plus de dix ans. Il étudie en travail social et s’avère une personne très articulée et qui s’exprime bien. Il adhère justement aux nouvelles théories de la reconstruction identitaire. Même s’il admet que certaines personnes, après de nombreuses années, puissent finir par accepter, il pense lui aussi que celles-ci se font très rares. Lorsque nous lui parlons de la tendance des intervenants à exagérer le refus des blessés médullaires de leur handicap, il se défend, comme la seconde intervenante le fit, qu’il possède plusieurs amis médullolésés en dehors de l’institution et que ceux-ci n’acceptent pas davantage. Malgré l’adhésion à sa théorie, il ne va pas jusqu’à rayer complètement du vocabulaire le mot « acceptation ». Il parle beaucoup d’adaptation cependant, ce qui constitue l’essence même de la théorie qu’il défend. Il voit les blessés médullaires comme des personnes qui n’acceptent jamais, mais qui se débrouillent pour vivre avec leur handicap, c’est-à-dire qu’ils s’adaptent (adjustment). Il trouve facile de travailler auprès de médullolésés puisque ceux-ci expriment très clairement ce qu’ils désirent. Mais, il trouve difficile ce travail aussi, dans ce sens que ce sont des patients très lourds et qui exigent beaucoup au point de vue techniques de soins.

Cet homme, en plus de confirmer, pour nous, l’évidence que les intervenants exagèrent la non-acceptation des médullolésés, confirme également le fait que les différentes hypothèses que nous avons choisies pour notre étude sont des facteurs qui contribuent à rendre plus difficile l’acceptation du handicap. Il déclare, en effet : « Ils le disent eux-mêmes, les blessés médullaires : « Moi, mon gros problème, c’est pas d’être en chaise roulante, c’est tout ce qui vient avec. »  Il réfère ainsi aux divers problèmes de santé, d’accessibilité, à l’isolement créé autour des blessés médullaires par les nombreux divorces, par la perte d’emploi, par le mal de la société à accepter, par les difficultés à se trouver un travail, et ainsi de suite. Et, il précise : « C’est un ensemble qui est très complexe et qu’on ne soupçonne même pas. Y a pratiquement aucune facette de la vie d’une personne qui ne sera pas atteinte par une blessure médullaire. »

De plus, il croit qu’effectivement il y a un certain nombre de personnes qui sont devenues médullolésées suite à une tentative de suicide. En réalité, tous les gens que nous avons questionnés sur le sujet opinent en ce sens. Mais, comme lui en a connu personnellement cinq, son témoignage est déterminant sur le sujet. Il y a donc bel et bien des blessés médullaires qui le sont à la suite de tentatives de suicide. Et, étonnamment, d’après toute notre recherche, souvent le moyen utilisé est le saut du haut d’un immeuble, quoique certains tentent parfois de se tuer en se jetant sur un mur de ciment en automobile. Force nous est de reconnaître cependant que c’est un sujet peu discuté et même presque occulté.

D- Conclusions partielles.

Les résultats de notre étude nous semblent donc clairs. À la question de savoir s’il est possible d’accepter la blessure médullaire, la réponse est oui. Il est possible d’accepter un tel handicap au bout d’un moment. Un temps de réflexion, en effet, est toujours nécessaire avant que la personne ne revienne de son choc, fasse son deuil et commence à envisager une nouvelle existence avec des buts différents, des possibilités autres. Mais, la plupart, pensons-nous, finissent par accepter.

Il est difficile de comprendre cette réalité lorsque nous sommes en face de quelqu’un qui se trouve en pleine crise, qui refuse et qui jure qu’il n’acceptera jamais. Pourtant, la plupart du temps, la tempête se calme, et le médullolésé se met à envisager la vie différemment.

Le cheminement se fait habituellement petit à petit. Le blessé commence par reconsidérer de petites choses, puis, de fil en aiguille, son côté positif reprend le dessus pour le faire basculer bientôt dans une acceptation de plus en plus grande. Et, s’il y a des reculs suite à des avancées, la situation finit presque toujours par se stabiliser. Certains accepteront toujours plus ou moins, mais la plupart suffisamment pour atteindre à une véritable sérénité intérieure.

Le fait est qu’il est rare qu’une personne puisse vivre en refusant sa vie même, en manifestant une agressivité constante, en étant révoltée à chaque instant.

Quant aux besoins tels que définis par Abraham Maslow, s’il va de soi que plus ceux-ci sont satisfaits chez les personnes dites « normales », plus celles-ci seront heureuses, comment pourrait-il ne pas en être de même, et à plus forte raison, chez les handicapés? Kübler-Ross aussi avait raison : après de multiples péripéties, le traumatisé finit par atteindre une phase que l’on peut bel et bien qualifier d’acceptation.

Est-ce à dire que notre étude aura été vaine? Nous ne le croyons pas. Comme beaucoup d’intervenants auprès de blessés médullaires qui les voient trop souvent en crise, beaucoup de gens croient, pour avoir rencontré un handicapé encore en état de choc, ou parce qu’ils extrapolent à partir du comportement qu’ils pensent qu’ils auraient eux-mêmes en de telles circonstances, qu’on ne peut véritablement accepter un tel handicap. Il valait donc la peine de vérifier une telle croyance. D’autre part, il n’est jamais inutile, en sociologie, comme en toutes sciences, de tester des énoncés qui paraissent évidents, du moins pour certaines personnes. Alors donc, si une conclusion s’imposait à notre travail, peut-être celle-ci devrait-elle être que les gens tiennent à la vie beaucoup plus que ce à quoi on s’attendrait.

Il ne faudrait pas oublier de mentionner que les personnes qui ont accepté d’être interviewées, tout comme celles qui ont écrit des livres sur leur blessure médullaire ou encore ont participé à des films sur le sujet, sont habituellement les plus volontaires, donc, en partant, celles chez qui l’on s’attendra à rencontrer une plus grande acceptation de leur handicap. Nous l’avons vu, cela n’est cependant pas automatiquement le cas, certaines personnes réticentes acceptant, pour toutes sortes de raisons, de participer à des études. Nous devons pourtant tenir compte de cet inconvénient lorsqu’il s’agit d’évaluer la validité de nos résultats.
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RÉsumé La présente étude se penche sur l’acceptation du handicap chez les blessés médullaires. Cinq (5) hommes et cinq (5) femmes blessés à la moelle épinière depuis plus de cinq (5) années, iconVignole, Reigle des cinq Ordres d'Architecture. Texte imprimé en...








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