RÉsumé La présente étude se penche sur l’acceptation du handicap chez les blessés médullaires. Cinq (5) hommes et cinq (5) femmes blessés à la moelle épinière depuis plus de cinq (5) années,








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CHAPITRE II

LA REVUE DE LA LITTÉRATURE

A) Les blessés médullaires dans la littérature romanesque

Si on y traite beaucoup de la folie, on parle peu des handicapés dans la littérature romanesque en général, sinon accessoirement pour en faire des personnages secondaires. Un des rares à avoir fait d’un handicapé le personnage central d’un roman fut Simenon dans « Les Anneaux de Bicêtre ». Il s’agit ici d’un homme de 54 ans qui, atteint d’hémiplégie, profite des deux mois qu’il passe à l’hôpital pour remettre en question toute sa vie. Si en cela Simenon sait voir juste, il glisse un peu trop rapidement sur l’aspect révolte, qui indiscutablement intervient toujours d’abord en pareilles circonstances. Somme toute, nous présente-t-il d’une écriture sobre un personnage assez volontaire pour, après une complète réévaluation de celle-ci, entreprendre une existence différente. Simenon met surtout l’accent sur le questionnement face à la vie qu’entraîne l’avènement d’un pareil handicap : après, le héros ne sera jamais plus comme il était avant, ce qui correspond à un aspect véritable du réel.

Dans les Évangiles, Jésus guérit. Il guérit notamment le paralytique et le serviteur d’un centenier, lui aussi paralysé. Quoique les versions varient considérablement d’un évangéliste à un autre (un homme à la main sèche chez Marc devient la femme courbée de St-Luc), Jésus avait pitié des paralytiques. Il les aimait et il les guérissait.

Pourtant, c’est le péché qui rend paralytique (Jean 5,1 et St-Luc 5,17). Jésus pardonnant les péchés, guérit. Mais toute une notion de culpabilité et de faute vient se coller, ici, à l’infirmité, et qui réfère à une vision où le paralysé est perçu comme responsable de sa propre condition, puisqu’il a lui-même commis des actes qui ont entraîné son état. Cette image renvoie elle-même à toute une littérature secondaire où les handicapés, qu’ils soient aveugles ou boiteux, sont associés à la dégénérescence. On pense à Guy Des Cars, chez qui le handicap, toujours mystérieux et louche, s’unit souvent à la déchéance, voire, comme dans nombre de films, à la méchanceté. Comme le dit Synnott : « Vilains, at least in fiction, are portrayed as ugly, and often as physically deformed or handicapped (Captan Hook, Long John Silver (…). » (Synnott, 1993 : 95). Somme toute, si la littérature ignore le handicapé d’une façon générale, elle le traitera tel que l’imagerie populaire le perçoit, c’est-à-dire comme un personnage menaçant. En ce qui concerne la blessure médullaire en tant que telle, elle sera assimilée à la paralysie ou au fauteuil roulant, et le public continuera de l’ignorer.

Perry Mason, lui, est un des très rares paralytiques à avoir été représenté par la télévision avec une image positive. Mason avocat est un héros, d’autant plus qu’il est handicapé. Il ne faut cependant pas oublier non plus qu’on a toujours caché aux médias le fauteuil roulant de Roosevelt et qu’une association de handicapés a récemment amassé les fonds nécessaires pour réhabiliter sa mémoire, en émettant le voeu de pouvoir lui ériger un monument où il sera représenté en fauteuil roulant.

Notons pourtant que l’on rencontre une certaine littérature écrite par les blessés de la moelle épinière eux-mêmes, et où le prototype littéraire constitue le livre écrit par la personne qui raconte l’histoire de son accident à travers l’ensemble de son existence, nous faisant habituellement part des solutions qui l’ont amenée à endosser une attitude positive face à sa vie et à la vie en général. Car, même si ce n’est pas toujours le cas, les personnes qui écriront ce genre d’ouvrage seront plus enclines à accepter leur handicap qu’à le refuser. C’est la même chose pour celles qui participent à des films sur le handicap. Qu’il s’agisse donc de Christopher Reeve, incarnation de Superman au cinéma, de Claude St-Jean (ataxie de Friedreich), de Brunet, longtemps président de l’Association des Malades du Québec, de l’auteur français Patrick Segal ou de Robert Murphy, ce professeur de l’Université Columbia qui décida d’étudier les blessés médullaires à la lumière de l’anthropologie, ces gens ont en commun leur désir inébranlable de continuer à lutter du côté de la vie et de l’exprimer par écrit. Jusqu’à un certain point aussi, décident-ils de se faire les porte-parole de leurs confrères en un combat d’acceptation/refus de la maladie. Et, c’est cette lutte elle-même et ce refus de se laisser vaincre par le handicap qui les maintiennent en vie. Ces autobiographies sont des relations d’expériences de vie. Elles sont des témoignages, la plupart du temps positifs. Ainsi Jacques White-Théberge, un handicapé, qui lui n’est pas un blessé médullaire, mais ne possède ni bras ni jambe, nous dit-il, dans un livre écrit dans le genre: « Si vous pouvez, après avoir refermé ce livre, être convaincu que rien ne saurait résister à un amour acharné de la vie, si je réussis à vous communiquer ne serait-ce qu’un peu de ma passion et de ma joie de vivre, cet ouvrage n’aura pas été écrit en vain. » (White-Théberge, 1991 : 12).

Forcément, ces personnes n’étant pas des écrivains, leurs relations sont écrites en faisant montre de plus ou moins de goût du point de vue littéraire. Il arrive à l’occasion cependant que de véritables talents pour la littérature se manifestent. C’est le cas, pensons-nous, de Monelle Arnaudas dans « L’Aventure Immobile » qui écrit avec la sûreté d’une Elsa Morante et qui démontre une disposition époustoufflante pour la chose littéraire!

Une autre partie importante de la littérature est constituée d’ouvrages écrits par des thérapeutes qui, tout en racontant leur expérience de soignants, présentent un échantillon de cas qui nous font voir de près les réactions des blessés médullaires en général et certains comportements en particulier. Même s’ils ont essentiellement pour fonction sociale d’encourager les malades dans leur cheminement, ce ne sont pas nécessairement des livres sans importance et une foule de renseignements utiles peuvent y être recueillis et étudiés. Il n’existe pas cependant beaucoup de littérature traitant du sujet de l’acceptation de la blessure médullaire comme telle.

B) La perception du corps chez les blessés médullaires

Lorsque Narcisse plongea son regard dans l’eau, il y vit un jeune homme d’une beauté très grande. Lorsque le blessé médullaire se regarde dans un miroir, il voit un corps rivé à un fauteuil roulant, des jambes que les spasmes peuvent agiter à tous moments, des mains souvent recroquevillées ou irrémédiablement immobiles. Certains d’entre eux sont attachés à leur chaise afin d’éviter que de grands tremblements ne les fassent tomber ou simplement pour garder leur équilibre. Dans une société où l’accent est mis sur la beauté et la santé du corps, les médullolésés ont un large déficit à combler. Et, ils le savent.

On commence à peine à traiter les blessures médullaires et l’image projetée par les handicapés dans la littérature est encore très négative. Comme l’effet qu’ils font sur les autres personnes dans la société ne contribue guère à améliorer les choses, tout cela ne les aide aucunement à accepter leur sort. Comme le souligne Shilling, « Stress levels tend to increase when someone perceives their performance in a situation as inconsistent with their general concept of self. » (Shilling, 1993 : 116). C’est que, « The patient has come from a society in which the disabled individual is stigmatized and devalued, and therefore may very well perceive himself in a similar fashion. » (Tunks et Bahry,1986 : 390). Face à ce corps nouvellement transformé, le handicapé, à cause à la fois de la perception qu’en a la société et de celle qu’il en a lui-même, perd son estime de soi (Murphy, 1987 : 90). Cela peut aller jusqu’à la peur de se montrer aux autres (Bon, 1992 : 107). En effet, la vue du handicapé souvent déprime les autres (Murphy, 1987 : 132). Il peut même arriver, à l’occasion, qu’elle les dégoûte même. Synnott va encore plus loin lorsqu’il dit : « The beauty mystique, in its simplest form, is the belief that the beautiful is good, and the ugly is evil; and conversely that the morally good is physically beautiful (or “good looking”) and the evil is ugly. Thus the physical and the metaphysical, body and soul, appearance and reality, inner and outer, are one. Each mirrors the other. » (Synnott, 1993 : 78). Il n’y a qu’un pas, à partir de là, pour concevoir le handicapé comme un malade mental, un mendiant ou un vilain : « By definition, of course, we believe the person with a stigma is not quite human.» (Goffman, 1963 : 5). De toutes façons, « social relations between the disabled and the able-bodied are tense, awkward, and problematic. » (Murphy, 1987 : 86).

On le sait, le handicap physique affecte les chances dans la vie (Synnott, 1993 : 2). Il réduit les chances d’obtenir de bons emplois, de gagner plus, d’obtenir de l’avancement et d’élever son statut. Seules donc les personnes handicapées déjà en position de pouvoir éprouveraient moins de difficultés à cet égard (Schilling, 1993 : 117), le statut protégeant leur estime de soi. De la même façon, les coureurs en fauteuil roulant atteindraient-ils à une image positive d’eux-mêmes (Patrick et Bignall, 1981 : 218).

C’est que « The stigmatized individual can also attempt to correct his condition indirectly by devoting much private effort to the mastery of areas of activity ordinarily felt to be closed on incidental and physical grounds to one with his shortcoming. » (Goffman, 1963 : 10). Si ces domaines sont, malgré tout, nombreux, il y aurait ici tout un chapitre à écrire sur les personnes qui surcompensent leur handicap en se lançant à corps perdu dans des activités physiques. Contentons-nous simplement de mentionner que tous les blessés médullaires qui pratiquent « professionnellement » les sports ne peuvent pas être classés dans cette catégorie, bon nombre d’entre eux étant de toujours des amoureux des sports, de vrais sportifs. Ainsi, Hansen écrit-il : « Le sport était toute ma vie. » (Hansen et Taylor, 1987 : 44).

Par ailleurs, d’après (Paradis et Lafond, 1990 : 269), le principal handicap des femmes blessées médullaires serait la difficulté qu’elles éprouveraient à se trouver un partenaire sexuel, étant donné cette mystique sociale de la beauté justement. Cela serait d’ailleurs beaucoup plus vrai pour les femmes que pour les hommes.

Comme Murphy en témoigne, « (…) the disabled, individually and as a group, contravene all the values of youth, virility, activity, and physical beauty that Americans cherish (…) others resent them for this reason : We are subverters of an American Dream. And to the extent that we depart from the ideal, we become ugly and repulsive to the able-bodied. » (Murphy,1987 : 116). Mais, les valeurs que la société américaine véhicule sont-elles les bonnes? Une société dont les valeurs ont pour conséquence d’ostraciser une partie de ses membres, préconise-t-elle un ensemble de comportements vraiment humains? Et, cette société est-elle véritablement organisée de telle manière que les gens puissent y vivre heureux?

Il est donc difficile, pour un handicapé, de vivre en société. De plus, comme nous l’avons déjà mentionné, « When physical handicap has been congenital or has had its onset in infancy or early childhood, it does not have the same threat of change as when it occurs later in life. It may have been deeply influential, however, in forming the personality of the individual. » (Towle, 1965 : 96-97). La personne qui naît avec un handicap grandit en apprenant à fonctionner naturellement avec celui-ci. Elle ne peut se percevoir autrement que comme elle l’a toujours été, c’est-à-dire comme une personne différente des autres. Cette particularité la renvoie donc à elle-même, à un moi auquel elle a toujours fait face. Le blessé médullaire, au contraire de cela, doit affronter le choc. Et, le deuil qui s’est fait progressivement chez le handicapé de naissance, il doit l’assumer rapidement, et, pour ainsi dire, tout d’un coup. C’est ce qui constitue sa principale difficulté et son principal drame: du jour au lendemain, tout est à reconsidérer en même temps. Si on a peu parlé dans la littérature du choc en soi qu’un tel événement produit, en réalité, beaucoup le ressentent pendant plusieurs années, et certains ne s’en remettent jamais. La soudaineté d’un tel événement pétrifie et cela demande une grande dose de courage pour tout recommencer à partir de zéro, alors que l’on s’attendait à ce que notre vie se déroule tout autrement. C’est à cause de cela que l’on peut parler, dans le cas précis de la blessure médullaire, de l’acceptation ou du refus du handicap. La blessure médullaire se présente soudainement et demande, de par sa nature même, qu’à un certain moment donné, la personne, reconsidérant son état, choisisse ou non de prendre le risque d’avancer, de continuer à vivre.

C) Les difficultés de vivre en société

a) Refus de la société et divorce

La première personne qui représente la société dans la vie du blessé médullaire est sans contredit son conjoint ou sa conjointe. Or, d’après la littérature sur le sujet, les relations matrimoniales deviennent beaucoup plus difficiles après l’accident qui entraîne la paralysie d’une des deux personnes du couple. En effet, il serait même plus facile de refaire sa vie avec une nouvelle personne qu’avec celle que l’on a déjà connue dans d’autres circonstances, et surtout avec un corps différent. S’il arrive que le médullolésé tente de briser son union afin que l’autre n’ait pas à supporter le fardeau de prendre soin de lui (surtout dans les premiers temps après l’accident), le plus souvent, c’est le conjoint intact qui brise la relation, n’étant pas capable d’endurer la nouvelle vie que le handicap impose de lui-même. Par contre, les femmes seraient plus enclines à demeurer avec leur conjoint victime d’une blessure médullaire que les hommes (Russell, 1989 : 287). Qu’il s’agisse donc du rythme de vie qui est différent ou du genre d’activités maintenant possibles, il est assez souvent difficile pour un conjoint de s’y adapter. « A marriage (…) is often unable to adapt quickly or at all to the additional stress of SCI. » (Woodbury et Reed, 1987 : 202), et cela, alors même que les conjoints s’aiment encore (Gonçalves, 1990 : 101). Une des raisons principales serait que les conjoints manquent désormais d’activités communes (Hammell, 1995 : 292), même s’il arrive parfois qu’un ménage déjà chambranlant se serait malgré tout désagrégé, même sans blessure médullaire. Il est souvent tout simplement impossible pour une personne de se faire à l’idée de vivre avec un conjoint handicapé, sans parler qu’une certaine confusion est aussi possible entre les rôles de soignant(e) et d’amoureux ou d’amoureuse. (Woodbury et Redd, 1987 : 211). Tunks souligne qu’il peut arriver que seuls des motifs d’héroïsme ou des causes névrotiques puissent inciter un mari ou une épouse à continuer la relation. (Thunks et Bahry, 1986 : 394). Tout cela est sans compter la nouvelle vie sexuelle qu’il est obligatoire d’entreprendre avec un blessé médullaire, qui souvent n'éprouve rien au niveau des sensations physiques, et ne peut lui-même vivre, par conséquent, qu’une vie sexuelle plus ou moins satisfaisante.

« Emotionally, family members struggle with issues similar to those of the patient. They are also experiencing massive change, struggling with an unknown situation, and attempting to cope with the prognosis. In addition, family members often want to help but are not sure how, and they may be unsure about how to talk to their loved one. » (Woodbury et Redd, 1987 : 195) Ceci s’applique d’ailleurs autant aux parents du médullolésé qu’à ses enfants, qui eux aussi tentent d’encaisser le coup. Il se produit toujours alors une nouvelle dynamique dans la vie familiale, où le jeu des rôles et des tâches se transforme. Certaines de celles-ci compensent pour d’autres que le blessé ne peut plus effectuer. Tout cela n’est pas simple, et jamais sans heurts.

Aussi arrive-t-il très souvent que le blessé laisse tomber ou soit quitté par d’anciens amis (Murphy, 1987 : 124). Là encore, cela se produirait surtout lorsque les activités autrefois communes ne le sont plus et que, par conséquent, les intérêts deviennent différents (Woodbury et Redd, 1987 : 212, et Viger, 1991 : 108). Lorsqu’ils entreprennent de se faire de nouveaux amis après leur accident, les blessés médullaires le feraient davantage avec des gens de classes sociales plus basses que la leur (Murphy, 1987 : 125). Par contre, « Les relations en général avec l’entourage ne sont plus les mêmes : elles vont plus loin dans le domaine des confidences et de l’affectif : la sélection est plus rigoureuse. » (Soulier, 1994 : 11).

b) La dépendance

À la base des problèmes des médullolésés est la dépendance que ceux-ci éprouvent, au début surtout, et pour toujours chez le quadriplégique qui devra utiliser les services de quelqu’un pour le lever, pour le coucher, voir à ses besoins et à sa toilette intime et, souvent, pour le faire manger. En fait, les blessés médullaires expérimentent du jour au lendemain un grand manque de contrôle (Woodbury et Redd, 1987 : 189) et deviennent complètement à la merci d’étrangers (Woodbury et Redd, 1987 : 189) pour un bon bout de temps. Ce problème de la dépendance, d’après la littérature, serait le problème le plus important et le plus difficile à affronter chez le blessé médullaire (Coroller, 1988 : 113). Il est très pénible, en effet, de devoir se fier constamment aux autres, alors que pendant toute une vie une personne a tenté de se débrouiller seule en toutes choses. Cela ne peut que jouer sur les fantasmes de retour au sein maternel, entre autres. Qui dit dépendance à l’égard des autres dit mettre sa confiance en quelqu'un d’autre et se voir parfois déçu. Qui dit dépendance, dit dépression.

C’est pourquoi tous les blessés médullaires ont pensé un jour ou l’autre à se suicider. La littérature est unanime à ce sujet. Et, effectivement, « Suicide is the eight leading cause of death in the general population -but it’s the third leading cause for individuals with SCI. » (Varger, 1998 : 36). Qui plus est, il y aurait huit fois plus de tentatives que de réussites (Varger, 1998: 36).

Pourtant, il y a extrêmement peu de littérature qui laisse entrevoir qu’un certain nombre de médullolésés le seraient devenus suite à une tentative de suicide. Hammell laisse entendre qu’il y aurait possibilité de tentative de suicide lorsqu’il dit: « Frequently the accident is a single vehicule rollover but may involve a head-on-collision. » (Hammell, 1995 : 57), tout comme Berghammer laisse simplement entrevoir qu’il y aurait peut-être des tentatives de suicide parmi les rangs des blessés médullaires (Berghammer et al., 1997 : 496). Mais, c’est tout. Ou l’on n’a pas vraiment réfléchi au problème jusqu’à maintenant, ou l’on préfère être discret sur le sujet.

c) Les femmes

C’est le problème de la dépendance qui, paradoxalement, ferait que la femme accepte plus facilement que l’homme la blessure médullaire. Comme l’explique Julie, une patiente interviewée dans « Images of Ourselves » (Campling, 1981 : 21) : « I sometimes think that women in general find it easier to accept a disability, since it is still a widely accepted norm that women are dependant on men economically. Where a man becomes disabled to such an extent that it prevents him from filling his role as breadwinner, he must find this much harder to accept. » La philosophie patriarcale de notre société, qui habitue jeune la femme à la dépendance, y serait donc pour beaucoup. D’autres pensent que : « There is much documentation that women manifest more illness behavior, assume the sick role more readily, and utilize health services more often than do men. » (Meleis, 1978 : 379). Ce serait, ici, plutôt le fait que la femme entretienne très jeune une relation importante avec son corps, à cause principalement de ses organes sexuels, du fait aussi qu’elle est habituée jeune à consulter les gynécologues, qu’elle accouche, en d’autres termes qu’elle est habituée au monde médical, qu’elle serait plus apte à accepter le rôle de malade, de patiente ou de handicapée.

Remarquons que ce n’est que tout récemment qu’on s’occupe de la femme blessée médullaire dans la littérature (Crisp, 1999 : 32) et que cela correspond à la période de sensibilisation déclenchée par le mouvement féministe. À la lumière de ces données, d’aucuns ont même prétendu que cette absence correspondait, pour elle, à un double handicap, celui d’être femme d’abord et celui d’être médullolésée (Hammel,1995 : 271). Bon nombre de femmes ont pourtant écrit des biographies afin de décrire leur aventure avec leur accident traumatique.

Il est remarquable qu’il soit très peu fait mention de la pitié envers les handicapés dans la littérature en général. Ce sentiment, qui prédominait pourtant autrefois, semble être complètement disparu des préoccupations des gens. Même l’image du mendiant au coin de la rue semble perdre du terrain. Pourtant, les handicapés ne sont pas pour autant acceptés par la société. À preuve, l’accessibilité des lieux aux fauteuils roulants est loin d’être satisfaisante encore aujourd’hui, malgré les lois passées sur le sujet, malgré les diverses tentatives de sensibilisation du public. Or, il s’agit ici d’un problème d’une importance primordiale pour eux. À chaque fois qu’il ne peut se rendre à un endroit, à chaque fois que le transport adapté se fait long, le handicapé sent ce refus de la société à son égard, refus qui ne peut qu’aggraver le sien envers sa condition.

d) Le travail

Il est peut-être un peu irréaliste de s’attendre à ce que la majorité des blessés médullaires soient compétitifs sur le marché du travail et qu’ils occupent un emploi, même si plusieurs réussissent à le faire (Tunks et Bahry, 1986 : 399). C’est pourtant l’idéal lorsque c’est possible, puisque, dans notre société, le travail procure argent, reconnaissance, satisfaction et estime de soi. Pourtant, le niveau de l’emploi demeure bas chez les médullolésés (Leduc et al., 1995 : 149), même si, au cours des dernières années, il semble qu’il ait augmenté, de même que la variété des emplois occupés ( Nessner, 1990 : 5).

Crisp donne comme facteurs reliés à la réussite dans l’employabilité « education, pre-injury vocational interests and attributes, severity of injury, medical problems associated with disability, age at onset of injury, duration of disability, financial situation and gender. » (Crisp, 1999 : 28). Si on pense, en effet, à la gravité de la blessure, à cause qu’ils sont le plus souvent en fauteuil électrique, et à cause de leurs plus grandes limitations physiques, les quadriplégiques éprouveront davantage de difficultés à se trouver un emploi que les paraplégiques. Ce sont eux d’ailleurs qui, de leur plein gré, retourneront le moins au travail après leur accident parmi les blessés médullaires. Cette sévérité de la blessure influencera aussi sur la sorte de travail effectué (Crisp, 1999 : 30), beaucoup de quadriplégiques ne pouvant, en pratique, que travailler sur ordinateur.

Quant à l’âge, « El Ghabit & Hanson (1978) reported that persons injured prior to age 30 years were more likely to have obtained employment than those persons injured when age 36 or older. » (Crisp, 1999 : 31).

Parfois quelques adaptations sont-elles nécessaires afin de rendre possible l’employabilité de certains blessés. Il faut dire que très souvent les employeurs ne voient pas d’un bon oeil ces transformations pourtant minimes, la plupart du temps. De même certains programmes gouvernementaux dont le but est de faciliter l’embauche de médullolésés ne réussissent-ils pas toujours à les décider. Les employeurs, habituellement conservateurs, n’aiment pas se donner la peine de changer leurs habitudes. Beaucoup craignent d’ailleurs que la présence de handicapés dans leur entreprise ne fasse fuir le client.

La littérature ne fait pas mystère du fait que le niveau d’éducation joue beaucoup sur les chances pour un blessé médullaire de se trouver un emploi. C’est pour cette raison d’ailleurs qu’une proportion importante de médullolésés retournent aux études après leur accident. Ils se recycleront dans un domaine davantage en conformité avec leurs nouvelles aptitudes physiques. Ainsi, souvent les employés manuels se recyclent-ils en employés de bureau ou dans le monde du commerce (Crisp, 1999 : 30), un univers où ils seront moins pénalisés par leur handicap, ou encore se perfectionnent-ils en informatique (Berghammer et al., 1997 : 497). Murphy souligne à juste titre que : « Many disabled people enter professions that offer social services to the handicapped. They become psychologists, social workers, « peer conselors », speech therapists, job consultants, and so forth. These are fields in which their frailty is a strenght, and they excel (…). » (Murphy, 1987 : 153). Ceci est d’autant plus vrai que, de nos jours, les différents regroupements et associations de handicapés ont tendance à prioriser l’emploi des travailleurs eux-mêmes handicapés.

Les blessés médullaires ne retournent jamais à leur travail immédiatement après l’accident. Selon Crisp, qui prend son information de Cogswell, une certaine période de temps leur est en effet nécessaire, période qu’ils consacrent à leur réintégration à la société et à leur resocialisation (Crisp, 1999 : 32). Cette période est très relative et varie selon chaque individu.

Plusieurs médullolésés choisissent de ne pas rechercher d’emploi à cause des prestations qu’ils reçoivent de leur assurance personnelle ou de la SAAQ. Nous touchons ici à un problème social des plus importants. Et, si la littérature rapporte très souvent celui-ci aux États-Unis, on le rencontre à de multiples exemplaires ici également. Certes, la Société de l’Assurance Automobile du Québec, par exemple, prend à ses charges les dépenses complètes engagées à la suite d’un accident d’automobile et paie à chaque mois un «  salaire » à chacun de ses prestataires. Et, si celui-ci, sans être exorbitant, lui permet de vivre confortablement sans travailler, il n’en demeure pas moins que plusieurs blessés se retrouvent suffisamment adaptés et en forme pour pouvoir occuper un emploi stable. Se pose alors à eux le dilemme suivant : ou ils passent leurs journées à la maison dans l’attente de la prochaine paie et s’ennuient, se sentent inutiles et dépriment progressivement ou ils s’engagent dans un emploi rémunérateur. Ils s’exposent alors, s’ils en viennent qu’à perdre cet emploi au bout d’un certain temps, à s’entendre dire qu’ils ne pourront réintégrer la SAAQ et ses bénéfices puisqu’ils peuvent désormais se débrouiller seuls, l’ayant déjà prouvé antérieurement! Qui prendrait, dans de telles circonstances, un tel risque et se chercherait un emploi, à un moment de l’histoire où justement les emplois se font si rares? Il en résulte, à cause de l’impossibilité des fonctionnaires de trouver une solution à ce dilemme, une perte considérable en matière de travail et d’argent pour la société. Un blessé médullaire qui pourrait rapporter beaucoup coûte présentement énormément cher à l’État.

Comme nous l’avons vu, même si on en fait très peu état dans la littérature, le fait que le blessé médullaire soit presque toujours victime d’un accident qui se produit du jour au lendemain rend beaucoup plus difficile l’acceptation. Ainsi, une personne handicapée à la naissance n’aura-t-elle pas véritablement à accepter ce qui constitue, en réalité, pour elle, un état de fait indiscutable. Comme le mentionne Dion en parlant de la cécité : « Évidemment, l’impact est plus intense s’il s’agit d’une déficience soudaine, sa gravité étant plus élevée. » (Dion, 1997 : 10 -11).

Pourtant, il n’y aurait pas de style particulier de personnalité associée au blessé médullaire selon (Trieschman, 1986 : 311) et aussi selon (Tunks, Bahry et Bausbaum, 1986 : 388).

On passe trop souvent sous silence le fait que les blessés médullaires, en plus de devoir affronter les problèmes propres à leur condition de médullolésés, doivent en même temps négocier avec ceux de monsieur tout-le-monde. On est porté à s’imaginer que les problèmes relatifs à leur blessure médullaire constituent leurs seuls vrais problèmes, alors que ceux-ci viennent, au contraire, s’ajouter aux autres. Ainsi un blessé qui éprouve des difficultés scolaires continuera-t-il à éprouver ce type de complications. Lorsqu’un médullolésé donc a connu une enfance heureuse, qu’il a eu de bons parents, son « background » est meilleur et l’aidera sûrement à accepter, à se transformer pour le mieux. Évidemment, lorsque tel n’est pas le cas, son passé lourd viendra s’ajouter aux nouveaux troubles que la blessure lui fera vivre.
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RÉsumé La présente étude se penche sur l’acceptation du handicap chez les blessés médullaires. Cinq (5) hommes et cinq (5) femmes blessés à la moelle épinière depuis plus de cinq (5) années, iconVignole, Reigle des cinq Ordres d'Architecture. Texte imprimé en...








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