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Envoyé par Natacha. Dans l’Avis au lecteur de Manon Lescaut, l’abbé Prévost présente ainsi son ouvrage : « Outre le plaisir d’une lecture agréable, on y trouvera peu d’événements qui ne puissent servir à l’instruction des mœurs ; et c’est rendre, à mon avis, un service considérable au public, que de l’instruire en l’amusant. […] Chaque fait qu’on y rapporte est un degré de lumière, une instruction qui supplée à l’expérience ; chaque aventure est un modèle d’après lequel on peut se former ; il n’y manque que d’être ajusté aux circonstances où l’on se trouve. L’ouvrage entier est un traité de morale, réduit agréablement en exercice. » Que pensez-vous de cette conception du roman ? Paratexte : auteur et ouvrage connu, on doit avoir en tête la spécificité du roman au XVIIème siècle. Citation Formulation redondante. Deux réseaux lexicaux : DOCERE / PLACERE. Fonction didactique du roman : « instruction, instruire, degré de lumière, traité de morale ». Valeur instructive du roman. Idée de modèle qui renvoie à l’idée d’identification et par là même à l’idée aristotélicienne de la catharsis. Le roman est une fiction qui doit se mettre au service d’un projet édifiant, selon l’abbé Prévost. En effet, pour lui le roman revêt une fonction didactique et morale à travers une fiction attrayante, donc il ne s’agit que d’instruire et d’édifier le lecteur. On peut dans ce cadre penser aux romans réalistes du XIXème (Balzac), aux romans didactiques du XVIIème (Fénelon)… Les romanciers du XVIIIème ont besoin de donner de la véracité, du crédit à leurs œuvres (époque où le roman est en plein discrédit). PROBLEMES :
I°/ Instruire en amusant. II°/ Les véritables intentions du romancier. III°/ Une réception problématique. I. Instruire en amusant. A/ La revendication d’un projet. L’exemplum préside à la constitution des genres narratifs au Moyen-Age. On pense aux romans de Chrétien de Troyes qui exaltent l’amour chevaleresque, qui donnent une leçon de courage… Le roman se propose à travers des aventures multiples de délivrer un message moral. C’est aussi ce que se propose Rabelais dans ses romans pour rire qui font triompher le comique, la féerie mais qui ont un projet plus grave, il n’est qu’à relire le prologue de Gargantua pour s’en convaincre. Rabelais invite le lecteur à une double lecture, une lecture qui passe outre la fiction, outre le rire pour dégager le sens fondamental. A travers le rire Rabelais dicte un protocole de lecture à son lecteur. La préface apparaît comme un lieu où s’énonce une morale à travers un tour léger. Cette préface est caractéristique des romanciers du XVIIIème siècle, soucieux de relever la valeur exemplaire de l’histoire qu’ils relatent. Lesage dans l’Apologue de Gil Blas : « Si tu lis mes aventures sans prendre garde aux inscriptions morales qu’elles renferment tu ne tireras aucun fruit de cet ouvrage ; mais si tu le lis avec attention, tu y trouveras […] l’utile mêlé à l’agréable. » (Crébillon = même idée). La préface se charge d’affirmer les visées utilitaires de l’auteur. Il incombe au discours préfaciel de formuler la visée didactique et édifiante du romancier. B/ L’application du projet. Elle se fait par une histoire édifiante, c’est-à-dire une histoire exemplaire qui fait triompher en dépit des obstacles et des tentations, la vertu. La princesse de Clèves se pose en modèle de vertu, elle pourrait donner libre cours à son amour pour le duc de Nemours après la mort de son mari, mais elle s’y refuse. Dans La Nouvelle Héloïse la vertu triomphe de l’amour mais non sans tiraillements, le combat est montré dans toute son horreur pour mieux célébrer le courage et la vertu des personnages. Histoires édifiantes aussi celles qui réservent au triomphe de la passion une issue tragique comme Les Mémoires d’un homme de qualité de Prévost où nous est raconté la souffrance et l’issue fatale de ceux qui choisissent la passion au détriment de la morale. De même Balzac dans son recueil de nouvelles La femme de 30 ans, et plus particulièrement dans la nouvelle “les deux rencontres”, l’héroïne est punie de son escapade adultérine par la mort de ses trois enfants. Exemple pour l’époque moderne Camus, La Peste. Le choix de la fiction sert à édifier en proposant un modèle de vertu ou un contre modèle à ne pas suivre. Direction morale = apporter un message moral : démarche qui consiste à insérer des commentaires moraux destinés à influencer la lecture. Procédé fréquent chez Balzac, interruptions pour insérer des assertions, des aphorismes… qui soutiennent la fiction. On peut se demander si le romancier est toujours animé d’un souci moral ou didactique, veut-il toujours délivrer un message ? II. Les véritables intentions du romancier. A/ L’immoralisme / l’amoralisme du romancier. Le discours préfaciel sert d’alibi aux romanciers comme l’abbé Prévost, Sade, Laclos, pour justifier certains écarts moraux présents dans leurs romans. C’est aussi un moyen de donner plus de crédit à un genre décrié en le subordonnant à la morale, en lui donnant la charge d’instruire. L’intention morale est sincère même si elle participe d’une stratégie. En revanche certains romanciers refusent de souscrire à une morale ou considèrent le roman comme véhicule d’un immoralisme : Sade, Gide. Dans Voyage au bout de la nuit Bardamu va à l’encontre de la morale convenue. Mais sans aller si loin un romancier comme Diderot exclut toute dimension morale dans ses romans, il se définit comme un romancier amoraliste. Dans Le Neveu de Rameau il met en scène un personnage misérable, figure du raté qui affiche ouvertement son cynisme et son manque de morale, et Diderot se garde bien de le juger. Crébillon dont les fictions démentent le préface des Egarements du cœur et de l’esprit comme Le Sopha, La Nuit et le moment, affichent l’anti-conformisme de l’auteur qui sape toutes les valeurs, dénonce la fausse vertu, la morale de l’amour, personnages cyniques et sceptiques. Mais attention il condamne aussi le libertinage. Si elle apparaît au XVIIème siècle c’est surtout au XIXème que les romanciers renoncent à la portée didactique du roman. Le roman n’est pas un traité, il n’est plus qu’un exercice formel et gratuit qui se suffit à lui-même. B/ Le choix esthétique. Contester le rôle purement utilitaire que l’abbé Prévost assigne au roman. Certains romanciers optent pour l’abdication totale du message didactique au profit du divertissement : PLACERE vs DOCERE. D’autres optent pour le choix esthétique, le roman ayant ses propres codes et sa propre finalité. Cf. Barthes, la conception du Nouveau Roman, Virginia Woolf pour qui le roman est un laboratoire du récit, le lieu d’une expérience formelle, l’aventure d’une écriture. Le XXème siècle est le siècle des innovations en matière romanesque au détriment du contenu didactique. La visée du romancier s’est inversée. Il trouve parfois un malin plaisir à dérouter volontairement son lecteur. C/ Le brouillage du sens. Le romancier organise volontairement des espaces d’indétermination pour perdre le lecteur ou au contraire pour l’inviter à coopérer au sens. Dostoïevski dans Le Double ne cesse de trouer son récit, de mêler rêve et réalité, il force le lecteur à recréer l’histoire, à trouver une interprétation personnelle à ce qui en apparence n’a plus de sens. Pour Butor le roman est « une fiction rusée », l’auteur le rend volontairement énigmatique, laisse en blanc des données essentielles… Le romancier n’est plus le dépositaire d’un secret, d’une vérité, il existe une multiplicité de vérités, correspondant aux multiples lecteurs. Jacques le fataliste est le roman de la déconstruction du sens, de la déconstruction de l’énonciation romanesque. Il débute par une série de questions qui restent sans réponse : complication de la situation d’énonciation. Par le dialogisme, la théâtralisation de la narration, la fiction est déroutée. Dialogisme qui dénonce l’illusion romanesque. La mise en scène énonciative du début du roman est une mise en condamnation du roman. Le récit des amours est une scène traditionnellement attendue dans un roman. [texte 1] Façon de déjouer le roman qui apparaît aussi dans la suite du texte : pauses dans le récit pour multiplier les possibles, les grilles de lecture, pour ajouter à la confusion narrative. Le narrateur accuse le lecteur alors que c’est lui-même qui retarde la narration. [texte 2] De même un peu plus loin on a les procédés traditionnels de l’annonce d’une péripétie. Puis « vous allez croire » : déchirure. Perte du pacte de lecture selon lequel on adhère à ce qui est dit, mais ce qui est encore plus troublant c’est « Jacques le crut ». « etc, etc » renvoie au pouvoir du narrateur, seul habilité à faire le tri dans les propos. Que croire ? Mise en doute de l’instance narrative, ère du soupçon avant la lettre. « Celui qui prendrait ce que j’écris pour la vérité, serait peut-être moins dans l’erreur que celui qui le prendrait pour une fable. » : doute, mise en cause mais avec restriction. Rien n’est jamais clair. [texte 3] Loin de donner un sens moral Jacques le fataliste déconstruit toute possibilité de sens unilatéral. C’est la règle des sens possibles qui nous conduit à une lecture créatrice. III. Une réception problématique. A/ Le romancier déjoué par son lecteur. Cette citation de Prévost laisse à croire que le romancier contrôle le sens de son œuvre, or il arrive que ce sens soit déjoué. René de Chateaubriand était destiné à montrer les dangers d’une jeunesse oisive en proie à l’ennui, à susciter un regain d’énergie chez ces jeunes. René est à l’origine un contre modèle, or dans la réalité il est devenu un modèle : recrudescence des suicides des jeunes à l’époque de la parution de l’ouvrage. Balzac, dans l’avant-propos de La Comédie humaine, déclare écrire « à la lueur de deux vérités éternelles : la religion et la monarchie » or, son œuvre fait plutôt comprendre l’insuffisance du catholicisme et du légitimisme à l’égard de la société de l’Empire. Toujours dans la même idée, le lecteur de Manon Lescaut a plutôt envie de sauver Manon que de la condamner, et de vivre une passion… Là encore le contre modèle se transforme en modèle. L’œuvre déjoue son créateur, elle échappe au sens qu’il veut lui imprimer, polysémie de sens que le lecteur active. B/ La lecture créatrice. Le lecteur n’est pas un enfant sage, il est libre de mettre en œuvre l’une des multiples grilles de lecture comme l’a montré Umberto Eco dans Lector in fabula : « la lecture vient infléchir la nécessité première du texte : lire c’est constituer et non pas reconstituer un sens », la lecture est donc une production du sens. C’est bien ce qu’exhibe Diderot dans Jacques le fataliste, il fait l’apprentissage d’une lecture créatrice : aucune réponse univoque n’est donnée au lecteur qui apprend à ne pas se laisser livrer un sens tout fait. A la suite de Gracq on peut dire que toute lecture est apprentissage de liberté « quelque soit la précision explicite du texte […] c’est le lecteur qui décidera du jeu des personnages et de leur apparence physique » (En lisant, en écrivant). |
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![]() | ![]() | «nous avions passé tranquillement» (p. 206) à «le peu de connaissances et de sentiments qui me restaient». ( p. 209) | |
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