PREFACE Comme l’écrivait le philosophe Emmanuel Kant pour qui la devise du siècle des Lumières pouvait se résumer dans la formule forte «oser penser par soi-même», aujourd’hui encore, sous le soleil ardent de l’Afrique, mais aussi sous le poids de la précarité qui frappe l’essentiel du continent africain, d’un Etat à l’autre, et à l’intérieur des Etats, d’une couche sociale à une autre, l’appel qui nous est ici lancé sonne et résonne comme l’expression d’une urgence et d’un défi historique à relever sans plus tarder, mais avec méthode, détermination patriotique, volontarisme lucide, et sens de l’avenir dont nous devons, aujourd’hui plus qu’hier, aujourd’hui plus que jamais, être les inventeurs, les acteurs conscients et responsables.
Ce défi historique qui s’exprime radicalement comme une nécessité de ne plus continuer à vivre par procuration, en éternels mineurs, ignorants de nos capacités et de nos ressources, inconscients jusqu’à l’irresponsabilité des opportunités historiques qui s’offrent à nous, assistés soit malgré nous, soit avec notre complicité, par des puissances extérieures au continent dont les empressements humanitaires sont à la limite suspects, au pire, dangereux pour notre dignité à retrouver. Le défi qui s’impose à nous doit être assumé individuellement et collectivement à un moment crucial de crise consommée qui plonge les uns dans un afro-pessimisme suicidaire et les autres dans la bonne conscience du narcissisme collectif qui invite les Africains à se satisfaire d’eux-mêmes à l’heure même où ils devraient se départir de toute autosatisfaction narcissique, de toute euphorie collective, de tout délire paranoïaque, pour engager leur pensée et leur action dans une dynamique de changement social, politique et culturel véritable. Car, c’est à une renaissance africaine effective que nous sommes invités, par-delà tous les simulacres qui jusqu’à présent ont fait de la plupart d’entre nous, des gens qui se contentent de patauger dans une médiocrité sans nom, avec pourtant l’illusion que, chez nous, mieux qu’ailleurs, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.
Pourquoi et comment constituer les Etats-Unis d’Afrique ? A cette double question que se pose et nous pose Monsieur AGON Valentin, chacun des fils et fille d’Afrique, où qu’il se trouve aujourd’hui, sans plus tarder, sans artifices et facéties, doit avoir l’audace, malgré les tergiversations politiciennes ou justement à cause de toutes ces frilosités diplomatiques qui nous ont été servies pendant les sommets onéreux par certaines de nos élites embourgeoisées, de répondre clairement aussi bien avec sa tête qu’avec son corps, et accepter ainsi d’entrer dans la dynamique de la responsabilité historique et de la solidarité humaine. C’est par là que nous nous engagerons effectivement à défaire les nœuds de nos servitudes (in)volontaires, à refaire à nouveaux frais la tâche de penser notre passé, d’agir notre présent et surtout notre devenir, à nous surpasser et à dépasser les conditions précaires dans lesquelles nous vivotons ou presque … pour inscrire sous le signe de l’exigence la recherche et de l’excellence dans le quotidien d’un continent qui n’a déjà que trop attendu …trop attendu qu’on le respecte alors qu’il ne faisait pas grand-chose pour se faire respecter, trop attendu que ses enfants aient suffisamment confiance en eux-mêmes pour aller sur les routes de la science, de la politique, de la culture, avec curiosité et témérité, intelligence et sagesse, au lieu de sombrer dans la nuit de la médiocrité, au lieu de s’emprisonner dans les geôles de l’obscurantisme, du conformisme ou du mimétisme stérile de l’autre … inscrire dans le quotidien d’un continent qui mérite certainement mieux que le sort qui lui a été jusqu’à présent fait par ses adversaires ou même par ses fils et ses filles, quand ils se retrouvent pris au piège d’une maladie encore pire que les siècles d’esclavage, les années de colonisation et de néo-colonisation, la tentation suicidaire du néant. Contre cette pente glissante qui de nos jours a tendance à s’imposer comme un passage obligé, c’est la créativité collective qu’il nous faut libérer des habitudes individualistes, ethniques, nationalistes, régionalistes, pour qu’elle devienne la terre mère et nourricière d’une Afrique d’avenir, digne et fière de prendre sa place et toute la place qui lui revient, dans un monde en pleine mutation.
Plus que jamais, la formule selon laquelle « qui ne risque rien n’a rien » doit être reprise chez nous en « qui ne risque rien n’est rien / ne sera rien » ; c’est de nous-mêmes qu’il s’agit, ici et maintenant, et nul autre que nous ne pourra vivre notre vie pour nous, sans nous … Il est temps de nous donner par et pour nous-mêmes un avenir, non seulement pour mériter le passé glorieux de nos ancêtres, mais surtout, pour donner des chances aux jeunes générations africaines de porter mieux que leurs grands-parents et aînés, enfants de la servitude d’hier, prisonniers de la violence économique actuelle, victimes prostrées de la peur de soi et de l’autre, la flamme revigorante de la dignité et de la liberté, dans un monde qui accepte et intègre les différences des fils et filles de la terre. C’est l’aube … il fait bon dormir certes, mais il est l’heure de se réveiller et de vivre le jour, le temps, la vie qui se donnent à nous … c’est maintenant ou jamais … aucune minute perdue ne pourra jamais se rattraper … ne perdons pas de temps à nous perdre, prenons le temps d’être, de penser, d’agir, de devenir meilleurs.
Professeur Jacques NANEMA
Maître de Conférences en Philosophie, coordonnateur de la Chaire Senghor de la Francophonie
Chercheur/Consultant en éducation et développement, Université de Ouagadougou Burkina Faso
Email : jacquesnanema@yahoo.fr
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