Introduction
[Présentation] Entre le 16 novembre 2012 et le 24 février 2013, une sculpture de Maurizio Cattelan intitulée Him (réalisée en 2001), qui représente Adolf Hitler (1889-1945) à genou en train de prier, a été exposée dans la rue Prozna, en plein cœur de l'ancien ghetto juif de Varsovie, dans le cadre de l'exposition personnelle de l'artiste, Amen. [Choix de document + rappel du sujet en lien avec le document] À partir de cette pièce artistique et de sa mise en contexte, nous réfléchirons à la manière dont l’œuvre provocatrice de Cattelan dialogue avec son lieu d'exposition, un espace public hautement symbolique, puisqu'il s'agit des restes de l'ancien ghetto juif, témoignant directement de l'existence des camps de la mort. [Amorce de la problématique] Nous nous demanderons aussi si le lieu d'exposition modifie la nature de l’œuvre : le fait, pour la sculpture de Maurizio Cattelan, d'être installée dans un espace urbain qui, s’il ne peut être considéré comme un monument historique, est néanmoins en voie de "monumentalisation" (selon Sylvia Ostrowetsky), conduit-il à faire de cette œuvre elle-même un monument ? [Descriptions succinctes de l’œuvre] La représentation hyperréaliste d'Hitler crée une symbiose avec l’ancien ghetto de Varsovie où elle est installée, comme pour raviver l'histoire, et réincarner le témoignage matériel de l’architecture du passé qui tend à s'éroder avec le temps. [Problématique] Cette réflexion nous amènera à traiter le problème de manière plus générale : le cas de l’œuvre de Maurizio Cattelan nous conduit à demander en quoi l'art contemporain renouvelle l'esthétique du monument, en tant qu’ouvrage artistique (installée) en espace public permettant au collectif de se souvenir de l'histoire ? [Annonce du plan] En premier lieu, nous examinerons la proposition de considérer la sculpture de Maurizio Cattelan comme un monument, au sens de mémorial. [Questions abordées dans la première partie] Cette première partie nous permettra de revenir sur l’aspect matériel, technique et sensible de l’œuvre, puis de faire l’inventaire des similitudes et des différences avec la tradition artistique du monument public. Au delà d’une étude comparative entre l’art contemporain, pris dans son contexte d’exposition, l’espace public, et la fonction artistique et culturelle des monuments historiques traditionnels, nous interrogerons la possibilité de considérer certaines œuvres (comme Him) comme une nouvelle esthétique du monument. [Questions abordées dans la seconde partie] Cette deuxième partie sera l’occasion pour nous de questionner la représentation du dictateur allemand et son rapport au lieu d’exposition, l’endroit même où a été accompli le massacre juif qu’il avait commandité. Nous nous demanderons quelle signification vient donner l’œuvre au lieu, et le lieu à l’œuvre. Nous nous intéresserons aussi à la publicité de l’œuvre de Maurizio Cattelan du point de vue de sa médiatisation : [Si vous le pouvez, utiliser des outils théoriques pour vous appuyer] nous nous interrogerons sur la réception de l’œuvre en Pologne et sur l’impact de l’attention internationale des médias dans le processus de « monumentalisation » du ghetto de Varsovie. En second lieu, nous nous efforcerons d'y répondre en analysant comment l'exposition artistique de la sculpture Him dans la rue Prozna participe à la monumentalisation du ghetto de Varsovie.
I) L’installation de Him dans l’ancien ghetto de Varsovie fait-elle monument ?
[Chaque paragraphe représente une sous-partie : chaque sous-partie doit permettre de traiter le sujet de votre grande partie et/ou répondre à sa problématique] [Sous-partie 1 : les matériaux de l’œuvre/analyse comparative avec les matériaux traditionnels du monument] Nous allons d’abord étudier la proposition de considérer Him comme un monument historique d’un point de vue matériel. Him est une sculpture hyperréaliste d’Hitler réalisée par Maurizio Cattelan en 2001. Ses dimensions sont légèrement inférieures à celle d’un être humain de taille moyenne. Cette œuvre a été conçue à partir de divers matériaux : de la résine de polyester, de la cire, des pigments, des vrais cheveux humains et des vêtements. Il s’agit de matériaux contemporains qui rompent avec le traditionnel marbre, granit ou bronze dans lesquels sont généralement sculptées les statues considérées comme monument historique. Les matériaux de l’œuvre de Maurizio Cattelan ne résistent pas tous à la variation des phénomènes atmosphériques et à la température climatique, il serait donc difficile de conserver et d’entretenir la sculpture dans un espace public en extérieur. Le choix de ces matériaux démontre à lui seul que la sculpture n’a pas été pensée par l’artiste comme un monument à installer de manière définitive dans un lieu donné, et encore moins dans un espace public situé en extérieur. D’autant que l’œuvre n’est pas installée dans son lieu d’exposition de façon permanente. À ce titre, il paraît d’autant plus raisonnable d’examiner l’hypothèse de considérer l’œuvre de Maurizio Cattelan comme un monument. En effet, pour les raisons matérielles et fonctionnelles que nous avons évoqué, cette sculpture ne peut pas être considérée comme un monument traditionnel. Le dictionnaire Larousse définit le monument comme un « ouvrage d'architecture, de sculpture, ou inscription destinés à perpétuer la mémoire d'un homme ou d'un événement remarquable », ne donnant pas de précisions sur ses caractéristiques matérielles. Cependant, l’idée de monument se définit de deux manières : elle désigne un patrimoine historique, ainsi que la création artistique d’un objet d’art qui immortalise le nom, l’apparence, l’action d’une personne importante ou d’un événement historique. Cela induit la durabilité et la solidité du matériau dans lequel le mémorial est créé et la permanence de son exposition dans un lieu donné. Le rapport esthétique entre la sculpture Him et le monument historique est donc affaibli lorsque l’on traite la question du point de vue strictement matériel et fonctionnel. Cependant, l’esthétique d’une œuvre ne s’arrête pas à la question des matériaux et à la durée de son exposition, elle implique également le rapport sensible qu’entretiennent l’œuvre et le public : dans le cas du monument historique, la réception esthétique est étroitement liée aux émotions mnésiques que suscitent la représentation artistique d’un personnage ou d’un événement historique chez le spectateur. C’est dans cet aspect sensible que l’œuvre de Maurizio Cattelan entretient une relation esthétique avec le monument historique.
[Sous-partie 2 : la question de la représentation] Entre le 16 novembre 2012 et le 24 février 2013, la sculpture de Maurizio Cattelan est installée dans l’ancien ghetto juif, dans la rue Prozna, à Varsovie. Pour apercevoir l’œuvre de l’artiste italien, le spectateur doit regarder par l’ouverture d’une porte fermée qui fait à peu près la dimension d’une tête humaine et regarder en direction d’une silhouette agenouillée. Autrement dit, le dispositif d’installation ne permet pas au public de s’approcher pour examiner la facture de l’œuvre dans ses détails, il n’en reste pas moins qu’à la date de l’exposition à Varsovie, l’œuvre de Maurizio Cattelan est déjà internationalement connue, elle a été réalisé plus de dix ans auparavant. Donc même si la distance physique entre le public et la sculpture à Varsovie nuit considérablement à l’expérience visuelle de l’observateur, cela ne nous autorise en aucun cas à faire l’économie d’une analyse plastique de l’œuvre dans ses détails. D’autant que les spectateurs pouvaient apercevoir la sculpture de face et en gros plan sur l’affiche de l’exposition. La sculpture de Maurizio Cattelan intitulée Him (réalisée en 2001) représente Adolf Hitler en train de prier à genou. Hitler est un personnage historique, il a présidé l’Allemagne nazie de 1933 à 1945. C’est l’un des dictateurs les plus célèbres au monde. Il a organisé le massacre de millions de juifs dans les camps de concentrations. Hitler a beaucoup été représenté dans les arts (Charlie Chaplin, Erwin Blumenfeld, John Heartfield) et les médias d’informations (reportage, reconstitution historique, docu-drama, etc.). On le représente fréquemment sous les traits d’un homme sévère et rigide, qui hurle des discours propagandistes (Raoul Cabrol). Il s’agit malheureusement d’un personnage très populaire dans le monde, très peu de personnes ignorent qui était Hitler. Le dictateur concerne d’autant plus la discipline artistique qu’il a lui-même été peintre et a plus tard inventé le concept d’« art dégénéré » pour dénigrer les productions plastiques d’une centaine d’artistes modernes. Maurizio Cattelan crée ainsi l’étonnement en représentant Hitler sous les traits d’un enfant à la prière, les petites dimensions de la sculpture (1m42 redressée) ainsi que sa posture de soumission (à genou au sol) ne manquent pas de marquer une opposition avec le comportement de cet homme agressif, dominateur et conquérant sous lequel nous sommes habitués à voir le dictateur. L’iconographie de la sévérité, voire de la monstruosité, qui caractérise habituellement les représentations picturales du fasciste cèdent la place, chez Cattelan, à l’attitude, la posture et la taille d’un enfant sage, pieu, culturellement représenté comme l’incarnation angélique de l’innocence. De prime abord, cette image enfantine, allégorie de l’innocence, peut poser problème pour la compréhension du spectateur, car elle est en contradiction avec le portrait historique d’Hitler, n’oublions pas qu’il s’agit là d’un homme coupable d’un génocide. Cette représentation contradictoire nous invite alors à quelques réflexions : l’œuvre nous incite à garder à l’esprit qu’Hitler a un jour été un enfant. Autrement dit, il n’est pas né dictateur, il l’est devenu. L’œuvre agit donc comme une mise en garde du public autour de la possibilité d’un devenir ignoble de l’Homme, elle l’invite aussi à se méfier de l’apparence du Mal. Cattelan prend le spectateur à partie et l’avertit qu’un monstre peut se cacher derrière une apparence de fragilité. Rappelons-nous bien qu’Hitler avait réussi à séduire et convaincre le peuple allemand sur lequel il a pris appui pour se hisser au pouvoir. Ainsi, Him propose une représentation iconoclaste d’Hitler qui interpelle le spectateur afin de lui permettre d’expérimenter l’histoire du nazisme autrement que par le recueillement face aux ruines de l’ancien ghetto ; l’oeuvre bouscule l’imaginaire traditionnel du public autour de la figure du dictateur afin d’inviter le spectateur à rester vigilant.
[Sous-partie 3 : le dispositif de l’œuvre] Le dispositif de l’installation qui met en scène la sculpture de Maurizio Cattelan en l’exposant dans une pièce fermée de la rue Prozna, renforce l’implication du spectateur dans la problématique initiale de l’œuvre. À Varsovie, le spectateur ne voyait que le dos de la statue hyperréaliste d’Adolf Hitler, il l’observait par le petit trou d’une porte fermée, la sculpture était au fond de la pièce et il ne pouvait pas s’en approcher. La scénographie de l’exposition implique donc une mise à distance entre l’œuvre et le spectateur, faisant de cette représentation d’Hitler une figure d’abjection avec laquelle il faut prendre ses distances. Signalons que le titre même de l’œuvre « Him » indique immédiatement le caractère innommable du personnage représenté, de même que sa culpabilité est déjà suggérée par le geste dénonciateur qui accompagne parfois l’énonciation de ce pronom personnel : « c’est lui ! ». Le traitement scénographique de l’œuvre vient ainsi contredire le style bienveillant de la sculpture, puisque l’œuvre est isolée, à la manière des criminels jetés au cachot pour les couper du reste de la société. D’ailleurs, à Varsovie, le public pouvait constater la présence d’une grille face à la sculpture d’Hitler, évoquant fortement l’univers carcéral et la mise en cage. Maurizio Cattelan donne alors au spectateur le rôle peu enviable du geôlier qui vient observer son prisonnier. L’esthétique scénographique produit donc une inversion provocatrice, c’est Hitler qui est enfermé, de la même manière qu’ont pu l’être certains déportés, et c’est le spectateur qui tient le rôle du geôlier alors qu’il se trouve dans l’ancien ghetto juif de Varsovie. Le geste subversif ne réside donc pas seulement dans cette représentation sculpturale atypique, mais aussi dans le dispositif d’exposition de l’œuvre qui implique symboliquement le public afin de questionner son positionnement politique : son éventuelle hostilité à l’égard de la libre expression de l’art contemporain. La scénographie de l’œuvre contemporaine à laquelle participe le spectateur transforme l’expérience sensible des ruines de l’ancien ghetto de Varsovie ; elle actualise la portée historique de cette rue devenue lieu d’exposition afin de convoquer la mémoire du public par d’autres procédés que le recueillement, à travers le choc esthétique. II) Him à Varsovie, la mémoire par le choc esthétique : quand l’art contemporain contribue à la monumentalisation de l’ancien ghetto et réciproquement. [Sous-partie 4 : lieu et contexte de l’œuvre] Si l’on tient compte de la portée symbolique du lieu chargé d’histoire dans lequel Maurizio Cattelan a choisi d’exposer cette sculpture, il n’en demeure pas moins que se pose un ensemble de questions autour de la fonction commémorative d’une telle présentation de l’art contemporain. Au-delà de la publicité de cette sculpture contemporaine, prise dans le sens commercial du terme (qui incite le passant, le touriste, l’habitant et le collectionneur à visiter l’exposition personnelle de l’artiste), nous pouvons ainsi nous demander quelles relations d’ordres esthétiques l’œuvre entretient avec l’architecture historique du ghetto de Varsovie. Commençons par évoquer la valeur artistique de ce lieu d’exposition particulier dans lequel se trouve installée l’œuvre sculpturale Him. Selon Sylvia Ostrowetsky, nous assistons actuellement à une « monumentalisation du ghetto de Varsovie », et parmi les différents mémoriaux qu’elle étudie, l’auteure cite la rue Prozna où elle observe une « attitude esthétique et mémorielle plus contemporaine ». La sociologue de l’espace et de l’urbanité fait alors un parallèle entre « cette attention portée à une ruine » et le ready-made de Marcel Duchamp ; utilisant les mots de Michel Melot1, elle considère ce morceau de rue comme « objet utilitaire dont on détourne l’usage pour en faire un objet emblématique »2. Ostrowetsky suggère donc que les usages contemporains des restes du ghetto de Varsovie, en particulier de la rue Prozna, nous conduisent aujourd’hui à lire ce lieu comme un monument. En somme, l’exposition de la sculpture de Maurizio Cattelan dans la rue Prozna implique la confrontation de deux esthétiques : celle de l’art contemporain et celle d’un monument historique. Cette relation esthétique produit un effet de contraste puisqu’il mélange l’art contemporain, et son goût prononcé pour le transgressif, avec un mémorial dont l’esthétique invite au calme du recueillement. De ce fait, la bruyante provocation de Maurizio Cattelan apparaît comme une intrusion, un corps étranger, dans l’esthétique commémorative de ce lieu d’histoire. De plus, et c’est précisément ce qui interpelle, la sculpture exposée de l’artiste italien reproduit, presqu’à l’identique, l’apparence physique d’Hitler, c’est-à-dire de l’homme qui est directement lié à l’apparition du ghetto juif à Varsovie. De prime abord, Him apparaît donc comme une énième provocation de l’art contemporain qui cherche à repousser les limites du politiquement incorrect : Hitler est représenté comme un enfant innocent, plein de compassion, dans le lieu même où l’on vient du monde entier pour se remémorer les victimes du massacre juif que le dictateur allemand a ordonné. Nous pouvons alors nous demander si l’œuvre de Maurizio Cattelan vient dénaturer, voire profaner, l’esthétique mémorielle de la rue Prozna, ou au contraire, si elle y contribue, à sa manière.
[Sous-partie 5a : la réception de l’œuvre en Pologne] À ce sujet nous pouvons avoir deux points de vue totalement différents. D’un côté les critiques comme celle du grand Rabbin de Pologne, Michael Schudrich, sont légitimes, et nous pouvons le suivre lorsqu’il dit que : « Quand il s’agit de montrer le personnage d'Hitler, nous avons la responsabilité extraordinaire d’être sensibles à ceux qui ont souffert, à cause de ce que Hitler a provoqué, aux survivants de l’Holocauste et aux survivants non-juifs », ajoutant que « Le placer précisément ici, dans la rue Prozna, qui faisait partie de l’ancien ghetto, témoigne d’un manque de sensibilité ». D’un autre côté, la réponse de Fabio Cavallucci, directeur du centre d’art contemporain à l’origine de la manifestation, est tout aussi acceptable lorsqu’il déclare : « Il n’y a aucune intention de la part de l’artiste ou du centre d’insulter la mémoire des Juifs. C’est une œuvre qui essaye d'évoquer le mal qui s’insinue partout. » (Source : AFP) L’intention artistique de Maurizio Cattelan n’était pas de heurter l’opinion polonaise et la mémoire des victimes de la déportation, mais de montrer, par l’installation de ce portrait sculptural dans ce lieu historique, de quelle apocalypse un seul homme est capable : l’œuvre, ainsi mise en situation, met en évidence, incarne et matérialise les liens de cause à effet qui existent entre Hitler et l’horreur du ghetto de Varsovie. Le bourreau et son carnage sont ainsi mis face à face. Cependant, en choisissant cette représentation aliénée d’Hitler, l’artiste pointe le fait que l’idéologie criminelle du nazisme n’est pas incarnée par une seule personne, elle flotte et peut rallier des foules entières : Hitler est bien mort, mais il existe sans doute ailleurs et aujourd’hui d’autres individus qui lui ressemblent et portent le visage du nazisme (les mouvements néo-nazis par exemple). La sculpture d’Hitler se présente donc comme un portrait allégorique du fascisme menaçant, un visage politique, une tête pensante, qui se répand et s’insinue dans d’autres corps. Peut-être celui du public. Him de Maurizio Cattelan se présente ainsi comme le spectre d’une inquiétude de l’artiste face à la montée en puissance actuelle des extrémismes de tout bord.
[Sous-partie 5b : la réception de l’œuvre dans les médias] Nous pourrions toutefois évoquer une autre dimension publique de la sculpture de Maurizio Cattelan qui est celle de la médiatisation de l’œuvre dans la presse internationale qui ne fût jamais aussi intense que pendant son exposition dans le ghetto de Varsovie. Les critiques les plus cyniques pourront penser que cette médiatisation de l’œuvre a été recherché par l’artiste contemporain afin de nourrir sa côte sur le marché de l’art, ce qui revient à l’accuser d’instrumentaliser la mémoire des déportés à des fins commerciales. Nous ne souhaitons pas contribuer à cette dénonciation, mais plutôt réfléchir aux effets esthétiques de cette popularité médiatique de l’oeuvre installée dans le ghetto de Varsovie. La question que nous souhaitons poser cherche à établir si le débat public qui a fait suite à cette exposition publique de Him a contribué ou non à la monumentalisation de la rue Prozna dont parlait Ostrowetsky. Et inversement, l’installation de l’œuvre de Cattelan dans une des dernières ruelles de l’ancien ghetto participe-t-elle à sa monumentalisation ? Le travail artistique de Maurizio Cattelan n’a pas concrètement participé à la monumentalisation de l’ancien ghetto : l’installation de la sculpture à Varsovie n’a pas été définitive, l’argent de l’exposition et des ventes d’œuvres n’a pas servi à financer une partie de la reconstruction de la rue Prozna, il n’y avait pas non plus d’intention chez l’artiste contemporain de donner plus de visibilité à l’histoire des juifs et des autres déportés en Pologne… Cependant, indirectement, la polémique autour de l’installation de la sculpture d’Hitler dans la rue Prozna a intensifié les souvenirs du passé nazi de la ville, auprès du public local et international. Le temps de son installation, la sculpture de Maurizio Cattelan a agi en tant que mémorial, non pas en se présentant comme un objet d’art commémoratif, mais en provoquant chez le public un jugement de goût influencé par son rapport personnel à l’histoire et à la mémoire collective. Faire surgir la représentation hyperréaliste d’un être coupable d’atrocités, dans le lieu même où se sont produits ses crimes contre l’humanité, n’est pas qu’un geste provocateur, cette expérience esthétique par le choc permet d’inventer une nouvelle manière de faire mémoire, à travers les discours que suscite l’œuvre, au nom des victimes et des survivants de l’Holocauste. À ce titre, nous posons la question de savoir si, du fait de cette réception polémique, en Pologne et dans les médias internationaux, garantissant l’effort de mémoire collectif, la sculpture n’est pas devenue un monument le temps de son exposition à Varsovie. Cela signifierait que le lieu de l’exposition a également transformé la fonction esthétique de la sculpture de Maurizio Cattelan, qu’il a contribué à faire d’elle un monument, mais qu’en dehors de la rue Prozna, la réception et les usages artistiques de l’œuvre ne sont plus les mêmes. Him n’est pas une installation, encore moins une œuvre in situ, c’est une sculpture datant de 2001, réalisée bien avant d’être exposée à Varsovie, cependant ce travail artistique n’avait jamais autant fait réagir avant cette présentation artistique dans la rue Prozna, ce qui tend à confirmer que le lieu d’exposition modifie l’esthétique de l’œuvre. Ainsi, le fait d’être installée au sein d’un lieu considéré comme un monument par les sociologues de l’espace et de l’urbanité, nous conduit à considérer que, par effet de contamination, et du fait de son interaction avec le contexte historique de l’espace d’exposition, la sculpture était temporairement devenu un monument historique. Conclusion [Répondre à la problématique en nuançant votre réponse – signe de votre prudence] Nous avons vu que l'oeuvre de Maurizio Cattelan intitulée Him n'était pas un monument au sens traditionnel du terme, il ne s'agit pas d'une pièce historique à conserver et à entretenir, ni d'une sculpture réalisée pour être installée définitivement dans un espace public donné afin de perpétuer la mémoire d'une personne et d'un évènement. En revanche, l'analyse de l'œuvre dans le contexte de son exposition dans l'ancien ghetto de Varsovie produit un rapport sensible avec l'histoire qui se trouve intensifié chez le spectateur ; l'oeuvre ravive le souvenir des évènements passés qui ont eu lieu pendant la seconde guerre mondiale dans la rue Prozna. En ce sens, à l’instar d’un monument, l'installation de l'oeuvre dans l'ancien ghetto de Varsovie permet de se remémorer l'histoire de Varsovie. Cependant, nous avons également précisé que cette esthétique mémorielle qu'implique l'oeuvre contemporaine chez le public n'était ni commémorative, ni un appel au recueillement, mais qu'il s'agit plutôt de stimuler le souvenir par le choc esthétique. Dans le cas de Him, il s'agissait de faire apparaître une représentation hyperréaliste d'Hitler sur le lieu de son carnage. [Argumenter votre réponse et expliquer votre démarche intellectuelle] Ainsi, nous nous sommes demandé si ce choc esthétique dont la finalité consiste à stimuler la mémoire du spectateur ne constitue pas une nouvelle esthétique du monument. Nous avons établi que cette proposition de lire l'oeuvre de Cattelan comme un monument d'un nouveau genre, n'était possible que dans le cadre de son interaction esthétique avec un monument historique traditionnel ; dans ce cas précis, il s'agissait d'une rue considérée comme le seul reste de l'ancien ghetto de Varsovie. Nous avons également dit que la plasticité de la sculpture Him, d'un point de vue strictement matériel, ne se confondait pas avec les monuments classiques réalisés en bronze, en granit, en marbre ou dans un tout autre matériau noble et durable. Par contre, du fait d’une action sensible de l'oeuvre sur l'histoire de son lieu d'exposition, qui est intensément ressentie et vécue par le spectateur, nous avons discuté d'une possibilité de considérer cette sculpture comme une nouvelle esthétique du monument ; celle-ci est intrinsèquement liée à l'expression contemporaine de l'art contemporain qui crée souvent la polémique, l'oeuvre appelle la mémoire du public en le bousculant et en le poussant à une réflexion sur lui-même et son époque actuelle. [Expliquez votre interprétation de l’œuvre en la justifiant de manière intelligible] L'artiste nous demande si l'histoire n'appartient qu'au passé, ou si, malheureusement, elle ne peut pas se répéter dans l'époque présente. La sculpture agit donc comme une mise en garde : Hitler est plus une idéologie qu'un personnage historique, son idéologie folle peut se répéter, et n'importe qui peut être responsable dans cette répétition de l'histoire, même l'être apparemment le plus innocent. L’histoire est convoquée dans l'art contemporain d'une manière différente du monument traditionnel, il ravive le souvenir de l'histoire dans toute sa violence, non seulement pour que l’époque passée soit commémorée ou regrettée, mais aussi pour exprimer les inquiétudes du monde contemporain sur son présent. Cependant, la résonnance esthétique entre la sculpture de Maurizio Cattelan et les restes de l’ancien ghetto de Varsovie nous a permis de considérer que cette mise en contexte de l’œuvre dans un lieu historique participe à sa monumentalisation. Et vice versa, l’esthétisation de la rue Prozna par une œuvre d’art contemporain contribue à la monumentalisation de l’ancien ghetto de Varsovie
INFORMATIONS ET CONSEILS SUPPLÉMENTAIRES : 1) Attention : Ce document est pensé comme une fiche méthodologique pour vous aider à aborder et traiter un sujet de dissertation. Il ne s’agit en aucun cas d’une réponse idéale au sujet. 2) Dans votre composition, faites des analyses comparatives avec les autres documents du sujet (par exemple : nous aurions pu comparer le fait que contrairement à Him, Headbutt et Man on a Horse sont réalisés dans un matériau plus traditionnel qui est le bronze) et avec des documents extérieurs (le candidat peut par exemple rappeler que Maurizio Cattelan avait déjà réalisé une œuvre en espace public : L.O.V.E. face à la bourse de Milan en 2010) 3) Dans votre composition, réservez un espace pour discuter la citation joint aux documents en relation avec l’œuvre que vous avez choisi de traiter (Dans le cas de Him, il est par exemple intéressant de relever que le monument traditionnel n’est pas considéré comme une pollution, bien au contraire, la sculpture de Maurizio Cattelan s’appuie sur l’aura de son lieu d’exposition pour garantir son efficacité esthétique).
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