Principe racial et amputation du racé: Employons la même méthode pour la 38ème Réflexion du Carnet noir XII. Dans la première version omettons seulement une phrase, à savoir celle où „les Juifs“ sont évoqués. La seconde version comprend votre citation de la 38ème Réflexion. La version originale sans coupure de cette réflexion de Heidegger sera présentée dans la 3ème version. Version 1 (NdT: die Machenschaft. Ce mot s’entend couramment en allemand au sens de notre “machination”. Mais Heidegger, loin de pencher vers cette acception péjorative, l’entend dans son sens littéral, comme “Machen-schaft”, c’est-à-dire comme : l’ensemble de tout ce qui a trait à cette faculté qu’a l’être humain de “machen”, de “faire”, mais au sens de “façonner”, “maçonner”, “pétrir”, “donner forme”. Traduire Machenschaft par “la fabrication”, c’est rester tout près de l’acception somme toute restreinte qu’indique Machen, et laisser à notre verbe “faire” son ampleur propre, qu’il nous est loisible d’entrevoir si nous pensons à ses cousins, les verbes allemand : tun, anglais : to do, grec : tithemi, lesquels disent la modalité fondamentale de “placer”, soit de “faire se tenir debout”. (Note de François Fédier) Cf. Martin Heidegger, Introduction à la métaphysique, trad. G.Kahn, Gallimard p.165 (GA 40, 168) : “… Machenschaft (τό μαχανόεν). Nous ne prenons pas le mot « Machenschaft » au sens péjoratif. Nous pensons par là quelque chose d’essentiel, qui s’annonce à nous dans le mot grec technè.“ Suivant l’interprétation de Karl Payer nous rendons Entrassung par „amputation du racé” et non par „déracialisation“ comme les traducteurs de Peter Trawny (qui suivent l’interprétation de ce dernier.) : Le fait qu’à l’ère de la fabrication1 la race soit érigée en véritable „principe“, effectivement mis en place, de l’histoire historiale (ou seulement de l’historiographie) n’est pas l’invention arbitraire de „doctrinaires“ mais une conséquence de la puissance de la fabrication qui doit contraindre l’étant dans toutes ses régions à entrer dans le calcul planificateur. (…) La mise en place de l’élevage racial ne provient pas de la „vie” elle-même, mais du fait, au moyen de la fabrication, d’élever la vie à la puissance supérieure. L’objectif que la fabrication poursuit en élaborant de tels plans, c’est de dépouiller les peuples de tout ce qui peut leur conférer de la race2, en les soumettant au joug de l’organisation où tout étant se voit identiquement structuré et sommé d’arborer une coupe uniforme. Perdant tout ce qui peut faire qu’ils aient de la race, les peuples connaissent du même coup une aliénation d’eux-mêmes – ils perdent leur histoire historiale – c’est-à-dire la zone de décision quant à l’estre. Et ainsi sont renversées les seules possibilités pour les peuples doués d’une faculté historiale particulière de se porter vers l’unité : par exemple le concept savant et la passion de la méditation avec l’intimité et l’amplitude de l’étrange – esprit allemand et esprit russe – lequel n’a rien à voir avec le „bolchevisme“ qui n’est rien d’„asiatique“ mais est seulement l’ultime élaboration de la pensée moderne occidentale à la fin – la première et décisive préfiguration du pouvoir sans restriction de la fabrication.
Tout aussi délirant – au sens d’une inversion des relations d’essence – est de vouloir combattre le bolchevisme par le principe racial (comme si tous deux n’avaient pas dans leur disparité de traits la même racine métaphysique) et de chercher à sauver l’esprit russe par le fascisme (comme si l’abîme qui les sépare excluait toute unité d’essence). Mais le fait que tout cela soit entrepris et géré de manière historique et technique montre déjà la victoire définitive de la fabrication sur l’histoire historiale, la défaite de toutes les politiques devant la métaphysique, en quoi s’annonce du même coup à quel point nous ne sommes plus que cloués à un premier-plan historique et méconnaissons de plus en plus les chemins sur lesquels peut être sue la raison historiale de ce qui se passe.
(Martin Heidegger: Gesamtausgabe, IV. Abteilung: Hinweise und Aufzeichnungen, Band 96: Überlegungen XII-XV (Schwarze Hefte 1939-1941). Vittorio Klostermann, Frankfurt am Main 2014, S. 56-57. NdT: réflexion rédigée vers 1939.) Mon explication : Il faut distinguer deux aspects de cette réflexion. Il y est question premièrement du délire des Nazis qui ont érigé le principe racial en véritable „principe“, effectivement mis en place. Et deuxièmement de leur volonté de combattre le bolchevisme par le principe racial. Heidegger lui-même rejette le principe racial comme principe spirituel. Mais il est contraint de le reconnaître comme quelque chose de donné, d’une part parce que le principe racial, au dire de scientifiques se prétendant compétents, est un principe de la biologie, et d’autre part parce que, comme théorie en un „amalgame d’esprit et de biologie“, il n’est pas seulement un composant explicite et central de la vision du monde national-socialiste, mais qu’il est mis en pratique sans aucune forme de restriction par les Nazis dans l’esprit pragmatique du calcul planificateur. Le principe racial est un fait dont on ne peut nier la réalité. Mais qu’arrive-t-il lorsqu’il est déclenché et appliqué sans bornes par une race de „seigneurs“ autoproclamée, et que celle-ci essaie d’éradiquer les autres races ? Plutôt que les peuples ne se fécondent mutuellement et apprennent les uns des autres ! (Remarque : la véritable appropriation de ce qui nous est propre advient en apprenant de ce qui est étranger. En passant par l’étranger il nous est d’une part possible de nous l’approprier. D’autre part ce n’est qu’en faisant la connaissance de l’autre que nous pouvons véritablement faire celle de notre propre essence et ainsi seulement nous l’approprier – comme l’enseigne Heidegger dans son explication du poème de Hölderlin „Andenken“.) Mais qu’arrive-t-il si toutes les races sauf une ont été exterminées, si seule la race autoproclamée des „seigneurs“ a survécu ? Qu’arrivera-t-il en même temps ? Il se sera produit une complète amputation de la race. Il n’y aura plus aucune différence raciale, tous seront pareils. Le concept de race est ainsi devenu sans contenu ; il n’est plus pertinent que pour les époques antérieures. Heidegger attribue à l’esprit allemand les caractéristiques suivantes : concevoir en toute conscience et méditer avec passion ; dans la terminologie actuelle nous dirions : le fait de concevoir consciencieusement et la passion de méditer appartiennent fortement à la culture allemande. Á l’esprit russe, il attribue l’ardeur de la cordialité et l’ample sens de l’étrange. Les Allemand pourraient aller vers les Russes et apprendre d’eux et les Russes pourraient apprendre des Allemands. Au lieu de cela les Nazis essaient d’éradiquer le bolchevisme avec des procédés racistes. Selon Heidegger le bolchevisme est la première préfiguration de la puissance sans restriction de la fabrication. Or là où il y a un premier, il doit y avoir au moins un second. Le second doit s’être produit après. A qui pense donc Heidegger en second ? Qui exerce une puissance illimitée ? Version 2 : Les Juifs „vivent” avec leur don prononcé pour le calcul depuis longtemps déjà en suivant le principe racial – raison pour laquelle ils s’opposent aussi avec la dernière véhémence à ce que ce principe soit appliqué sans restriction. La mise en place de l’élevage racial ne provient pas de la „vie” elle-même, mais du fait, au moyen de la fabrication, d’élever la vie à la puissance supérieure. L’objectif que la fabrication poursuit en élaborant de tels plans, c’est de dépouiller les peuples de tout ce qui peut leur conférer de la race, en les soumettant au joug de l’organisation où tout étant se voit identiquement structuré et sommé d’arborer une coupe uniforme. Perdant tout ce qui peut faire qu’ils aient de la race, les peuples connaissent du même coup une aliénation d’eux-mêmes – ils perdent leur histoire vraie – c’est-à-dire la zone de décision quant à l’estre.
(Martin Heidegger: Gesamtausgabe, IV. Abteilung: Hinweise und Aufzeichnungen, Band 96: Überlegungen XII-XV (Schwarze Hefte 1939-1941). Vittorio Klostermann, Frankfurt am Main 2014, S. 56.) Votre explication : Le philosophe d’un côté fait de la „pensée raciale“ une „conséquence de la machination“. (…) L’„application illimitée“ du „principe racial“ serait alors une simple mesure de protection dans un conflit.
(Peter Trawny: Heidegger und der Mythos der jüdischen Weltverschwörung. 1. Auflage. Vittorio Klostermann, Frankfurt am Main 2014, S. 40-42.) A présent voici la 38ème Réflexion dans son intégralité : Le fait qu’à l’ère de la fabrication la race soit érigée en véritable „principe“, effectivement mis en place, de l’histoire historiale (ou seulement de l’historiographie) n’est pas l’invention arbitraire de „doctrinaires“ mais une conséquence de la puissance de la fabrication qui doit contraindre l’étant dans toutes ses régions à entrer dans le calcul planificateur. Les Juifs „vivent” avec leur don prononcé pour le calcul depuis longtemps déjà en suivant le principe racial – raison pour laquelle ils s’opposent aussi avec la dernière véhémence à ce que ce principe soit appliqué sans restriction. La mise en place de l’élevage racial ne provient pas de la „vie” elle-même, mais du fait, au moyen de la fabrication, d’élever la vie à la puissance supérieure. L’objectif que la fabrication poursuit en élaborant de tels plans, c’est de dépouiller les peuples de tout ce qui peut leur conférer de la race, en les soumettant au joug de l’organisation où tout étant se voit identiquement structuré et sommé d’arborer une coupe uniforme. Perdant tout ce qui peut faire qu’ils aient de la race, les peuples connaissent du même coup une aliénation d’eux-mêmes – ils perdent leur histoire vraie – c’est-à-dire la zone de décision quant à l’estre. La mise en place de l’élevage racial ne provient pas de la „vie” elle-même, mais du fait, au moyen de la fabrication, d’élever la vie à la puissance supérieure. L’objectif que la fabrication poursuit en élaborant de tels plans, c’est de dépouiller les peuples de tout ce qui peut leur conférer de la race, en les soumettant au joug de l’organisation où tout étant se voit identiquement structuré et sommé d’arborer une coupe uniforme. Perdant tout ce qui peut faire qu’ils aient de la race, les peuples connaissent du même coup une aliénation d’eux-mêmes – ils perdent leur histoire historiale – c’est-à-dire la zone de décision quant à l’estre. Et ainsi sont renversées les seules possibilités pour les peuples doués d’une faculté historiale particulière de se porter vers l’unité : par exemple le concept savant et la passion de la méditation avec l’intimité et l’amplitude de l’étrange – esprit allemand et esprit russe – lequel n’a rien à voir avec le „bolchevisme“, lequel n’est rien d’„asiatique“ mais est seulement l’ultime élaboration de la pensée moderne occidentale à la fin – la première et décisive préfiguration du pouvoir sans restriction de la fabrication.
Tout aussi délirant – au sens d’une inversion des relations d’essence – est de vouloir combattre le bolchevisme par le principe racial (comme si tous deux n’avaient pas dans leur disparité de traits la même racine métaphysique) et de chercher à sauver l’esprit russe par le fascisme (comme si l’abîme qui les sépare excluait toute unité d’essence). Mais le fait que tout cela soit entrepris et géré de manière historique et technique montre déjà la victoire définitive de la fabrication sur l’histoire historiale, la défaite de toutes les politiques devant la métaphysique, en quoi s’annonce du même coup à quel point nous ne sommes plus que cloués à un premier-plan historique et méconnaissons de plus en plus les chemins sur lesquels peut être sue la raison historiale de ce qui se passe.
(Martin Heidegger: Gesamtausgabe, IV. Abteilung: Hinweise und Aufzeichnungen, Band 96: Überlegungen XII-XV (Schwarze Hefte 1939-1941). Vittorio Klostermann, Frankfurt am Main 2014, S. 56-57.) Principe racial et racisme Le concept du „racial“ ne signifie pas une parenté spirituelle, une ascendance par le sang, donc une lignée biologique (nous dirions aujourd’hui : génétique). Biologiquement (génétiquement), un Blanc ne peut devenir Noir ni inversement. Celui qui vit selon le principe racial aura la conviction que son fils ou sa fille biologique est de sa race, même lorsque celui-ci ou celle-ci ne s’en revendique plus depuis longtemps. Selon la Halacha, l’ensemble des prescription religieuses des Juifs, une personne est considérée comme juive non seulement lorsqu’elle est de confession juive mais aussi lorsqu’elle a une mère juive, indépendamment de savoir si et à quel point elle suit les prescriptions de la religion. Dans le premier cas „juif“ s’entend au sens de l’appartenance religieuse, dans le deuxième cas on est juif au sens du principe racial. Beaucoup de peuples vivaient ou vivent encore selon le principe racial. Les Roms en sont un exemple. Et ce principe est implicitement reconnu lorsque ce qu’on appelle le „politiquement correct“ appelle à ne pas discriminer les Roms. Le principe racial n’est en lui-même ni bon ni mauvais. Ce qui est moralement répréhensible, c’est le racisme, c’est-à-dire la pensée et le comportement racistes. Laissez-moi restituer d’abord votre interprétation d’un passage où Heidegger parle du concept de race et ensuite seulement citer celui-ci dans sa formulation d’origine, pour enfin vous soumettre ma réflexion : Dans son cours de l’été 1934 sur „La logique comme question en quête de la pleine essence du langage“, Heidegger en vient à parler de la „race“. (…) La formulation déjà évoquée dans les „Réflexions III“ est de même: „Une condition“ serait „élevée au rang d’inconditionné“.3 Heidegger expose dans ce passage la polysémie du concept de peuple. Il est amené bon gré mal gré à parler aussi – très brièvement hélas – du concept de race : Nous utilisons souvent aussi le mot „peuple“ au sens de „race“ (comme par exemple dans l’expression „mouvement völkisch“). Ce que nous appelons „race“ a un rapport avec l’ordre des relations de chair et de sang des membres du peuple, à leur génération. Le mot et le concept de „race“ n’est pas moins ambigu que celui de „peuple“. Ce n’est pas un hasard puisqu’ils sont liés. “Race” ne signifie pas seulement le racial en tant que ce qui a trait au sang, au sens de l’hérédité, des liens du sang et des forces de la vie ; cela vise aussi souvent ce qui est racé. Or le racé ne se limite pas à des caractéristiques purement corporelles et physiques ; il nous arrive en effet de parler d’une automobile en disant qu’elle a de la race (ce sont plutôt les adolescents qui parlent ainsi). Par “racé” on insiste sur quelque chose qui a à voir avec le niveau, qui exprime le rang, qui édicte un certain ordre de légitimité – cela ne vise pas en premier lieu ce qu’il y a d’héréditaire dans une famille, ou dans la suite des générations. Le racial proprement dit n’a nul besoin d’être racé ; il peut même être très peu racé.4 Heidegger distingue ici avec raison, selon moi, „racial“ et „racé“.5 Tous deux renvoient au concept de „race“. Par „racial“ on entend le contexte physique de l’hérédité au sens de la transmission des gènes – „racial“ est donc un terme de la biologie. „Racé“ par contre est un terme spirituel : réalisation d’un certain rang, d’une certaine norme. Heidegger – selon moi – n’a fait qu’envisager cette distinction sans la conceptualiser et n’en a ainsi pas clairement perçu la signification essentielle pour le problème du racisme. Pour lui „racial“ reste le concept générique. „Racé“ a une connotation positive dans notre langue courante. Si nous pensons ensemble le concept du „racé“ et son contraire, „non-racé“, et posons sur le même plan les concepts de „racial“ et de „racé“ (ces deux concepts qui sont en fait opposés), aussitôt devient clair de quoi il retourne avec le problème du racisme. Le racisme amalgame les contenus respectifs des concepts de „racial“ et „racé/non-racé“, et tire sa justification de ce méli-mélo. C’est bien cela que pressent manifestement Heidegger dans ce passage, c’est pourquoi il veut tenir éloignés „racial“ et „racé“ l’un de l’autre et ne pas les voir amalgamés. |