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drogue, dont William Burroughs (1914-1997) chanta les vertus dans Le Festin nu (1959), et dont Thimoty Leary (1920-1996) élabora la théorie dans The Psychedelics Experience en 1964, puis The Politics of Ecstasy en 1968: remplacer le lien social par le joint social, en quelque sorte. De même, en 1970 Charles Reich défendit l’idée d’une "nouvelle Révolution culturelle" fondée sur "l’état de conscience trois" qu'aujourd'hui encore même les accros de rave parties n’atteignent pas à tous les coups. Un autre inspirateur, en revanche, résista toujours à la tentation de fournir au peuple quelque opium que ce fût: Marx inspira de nombreux mouvements — oui, l’intellectualitude yankee se divisait bien, à l’époque, entre aspirateurs et inspirateurs. Dès 1954, le journal Dissent tenta de susciter une "Nouvelle Gauche", tandisu que les rédacteurs de The Port Huron Statement puisaient à la source d'un Marx débarrassé des scories du "socialisme réel", et que C. Wright Mills, dans The Power Elite (1956), élaborait une critique marxiste de la publicité, dictature du patronat. La féministe Shulamist Firestone publia en 1970 The Dialectics of Sex: the Case for a Feminist Revolution, dont le titre se passe de commentaires. Un débat entre révolutionnaires et progressistes opposa Betty Friedan (née en 1961) à Keith Millett, auteur de Sexual Politics (1970): ce débat montre que même si le mouvement féministe n’était pas entièrement politisé, ses cadres l'étaient pas mal. L’Amérique intellectuelle, peut-être même l'Amérique consciente, réclamait une nouvelle ère politique, ou peut-être une ère politique tout court: une ère où l’idéologie reviendrait mettre en doute une société dont la culture s’était par trop accoutumée au vide des débats. Mais un débat comme celui qui opposait Seymour Martin Lipset, auteur de Political Man: the Social Bases of Politics (1960) à Thomas Kuhn et son The Structure of Scientific Revolution (1962), s’axait toujours plus ou moins sur la question du rapport de l’homme à la culture, comme aussi, en 1964, L’homme unidimensionnel d’Herbert Marcuse (1898-1979) où ce qui était dénoncé de la société était bel et bien l’ingérence sur l’imaginaire, lequel se trouvait ainsi promu au rang d'élément fondamental de la conscience citoyenne. Toutefois cette réflexion sur les médias, la culture et la politique ne fut pas l’apanage des seuls contestataires de gauche. Il y eut en effet moultes protestations de sociétés chrétiennes et puritaines à l’égard de l’immoralité des comics, de leur violence et de leur influence perverse sur la jeunesse (Batman et Robin, est-ce vraiment innocent?1 Superman qui défie les lois de la gravité en arrêtant un avion en vol, est-ce que cela n’a pas une influence sur la qualité des devoirs de physique?). Se distingua dans ce marasme progressiste le psychiatre — tiens tiens — Wertham, qui avait inspiré les codes de décence contraignants qui avaient été imposées aux bandes dessinées dès 1949. Parallèlement, ce débat sur les médias, et notamment sur la pauvreté culturelle de certains d’entre eux, fut à l’origine de la création, sous la présidence de Johnson, de deux médias publics, le Public Broadcast Service et la National Public Radio, qui reçoivent plus de cent millions de dollars de subventions annuelles. C'est à P.B.S., à la suite d'une étude de la fondation Carnegie sur l’éducation des enfants des ghettos par la télévision, que l'on doit la fameuse émission Sesame Street dont la première diffusion date de 1968. La résurgence de ces idéologies allait-elle bouleverser la culture en place; accoucher de nouvelles expressions qui allaient fonder la culture non aliénée des États-Unis ? Il est évident que les années 1960 marquent une date dans l’Histoire culturelle de l'Amérique. Le mouvement littéraire de la Beat Generation, représenté notamment par le Québécois d'origine Jack Kerouac (1922-1969; On the Road date de 1957) et Allan Ginsberg (1926-2002; Hawl date de 1956), influença profondément les étudiants de Harvard qui furent à l'origine du mouvement de contestation des années 1960. De même, la radio K.F.R.E., créée à San Francisco en 1967 (elle fonctionnait en modulation de fréquence, et son succès s'explique en partie par la meilleure qualité de la stéréo en F.M. et par les moindres contraintes de durée sur ces réseaux peu ou pas exploités), révolutionna la musique à la radio en passant notamment la chanson de dix-huit minutes d’Arlo Guthrie: Alice’s Restaurant (1966), ce qui devait contribuer à modifier peu à peu le format des chansons sur disque et permettre aux groupes d’enregistrer des chansons plus longues, comme le firent plus tard Led Zeppelin ou encore les Doors1. De même le rock’n’roll, en déclin depuis que le King, de plus en plus ventripotent, s'était mis aux chants de Noël en costume blanc boutonné d'or, laissa la place à des artistes plus exigeants sur leurs textes et au discours plus construit et plus contestataire. Les initiateurs de cette révolution furent cependant des chanteurs de folk: Joan Baez (née en 1941, son premier album date de 1960) et surtout Bob Dylan, (Robert Allen Zimmrman, également né en 1941, son premier album date de 1962) inventeur d'une synthèse de la country et du rock, retour aux sources et formules des années 1950, lorsqu’en 1965, au festival de Newport, il utilisa une guitare électrique pour accompagner une chanson folk. 1965 fut aussi l’année-clef où se distinguèrent Neil Young, les Birds, Jefferson Airplaine ou encore Grateful Dead et The Mamas and the Papas. Plus encore qu’un étendard pour leur pensée, les jeunes contestataires y trouvèrent un son et un rythme, signes de reconnaissance aussi essentiels et caractéristiques que leur tenue vestimentaire. Cette effervescence musicale connut son apogée au festival de Woodstock, en août 1969. D'autres encore vinrent reprendre le tronçon du glaive de la contestation sexuelle ou sociale, comme au théâtre Edward Albee avec Who is Afraid of Virginia Woolf (1962, porté au cinéma en 1966); le cinéma se ressouvit du succès de l’Équipée sauvage de Laszlo Benedek (1953), où Marlon Brando (né en 1924) sexualisait la révolte motorisée des loubards américains, ou de La fureur de vivre (1955) de Nicholas Ray (1911-1979) avec James Dean (1931-1955): ainsi la contestation trouva ses images dans Le Lauréat (1967) de Mike Nichols (né en 1931) ou encore dans Easy Rider (1969) de Dennis Hopper (né en 1936). Toutes ces formules réactualisées, comme le folk, ou récupérées comme le cinéma "de génération", n’étaient pas à proprement parler nouvelles, même si elles ont alors connu d'importantes inflexions stylistiques. Surtout, le lien de la société aux médias n’en était pas modifié: la cible changeait, mais la consommation demeurait. Cependant la période marqua sinon une transformation, du moins une extension importante du domaine de la culture américaine. Ainsi la littérature, qui s’était déjà enrichie de tentatives de reproduction du langage communautaire dans Manhattan Transfer (1925) de John Dos Passos (1896-1970), connut à partir des années 1960 une vague très intéressante d’écrivains issus des ethnies dont l’Amérique se découvrit alors le patchwork. On peut citer les Juifs new-yorkais Saül Bellow, (né en 1915, prix Nobel 1976; Herzog est paru en 1964), Isaac Bashevis Singer (1904-1991, prix Nobel 1978; Jimple the Fool date de1957) et Bernad Malamud (1914-1986; Idiot First date de 1963): ils posèrent les bases d’une littérature polyphonique et haute en couleur, dont Jérôme Charyn (né en 1937) est aujourd’hui l’un des héritiers directs. On assista à une récupération des formules traditionnelles par ceux qui protestaient contre l'oppression des ethnies, du western (Little Big Man d'Arthur Penn, né en 1922, date de 1973), et du show télévisé (ainsi le show noir The Cosby Show, à partir de 1984), à la presse spécialisée: ainsi, pour les Noirs, Essence, revue féminine, ou Ebony, journal "de société", ou encore, plus spécialisé, le Muhammad Speaks, organe officiel des Black Muslims (toutes ces publications datent de la fin des années 1960). Mais pour ces minorités, la période marque surtout un tournant dans l’utilisation des médias "dominants" (voyez au chapitre 4). Bref, les années 1960, à défaut de substituer à la diversité initiale de la culture américaine un programme, une esthétique, une idéologie, ouvrirent le champ de la culture à ceux qui n’avaient pas voix au chapitre, commencèrent à donner l’image d’une Amérique moins blanche et moins protestante. Elles marquent l’extension des formules à la quasi-totalité du prisme social. La culture américaine fit aussi l’expérience du doute et perdit de la naïveté, à travers la crise du Vietnam: on a pu dire que les magazines Times et Life ont été responsables du désaveu, par la jeunesse américaine, de la croisade asiatique de l’oncle Sam. La contestation récupéra les armes de la saturation et du grossissement de perspective, issues de la publicité, pour dénoncer la guerre sur les affiches où le support n’était plus un discours dénonciateur mais l’image pure de la réalité de la guerre. L'Amérique était toujours une société de l’image, même si elle ne connaissait plus le consensus de la seconde guerre mondiale. Par ailleurs, à partir de l’affaire New York Times vs. Sullivan (1961) les procès en diffamation intentés à des journalistes devinrent quasiment impossibles à gagner vu qu’il fallait désormais apporter la preuve de la "préméditation" de la diffamation1,. Ainsi une nouvelle génération de journalistes apparut dans la presse écrite, qui fit beaucoup pour la prise de conscience qu’il y avait quelque chose de pourri dans le rêve américain2. Ainsi Hunter S. Thompson publia Fear and Loathing in Las Vegas (1971), dénonciation des menées des casinos dans la Mecque du Nevada: en 1962, Ken Kesey (né en 1935) dénonça les pratiques des hôpitaux psychiatriques dans l’archi-célèbre One Flew over the Cuckoo’s Nest, pièce de théâtre tirée d’un article qu’il avait publié précédemment3, tout comme l'écrivain Norman Mailer (né en 1923) dénonça l’horreur du Vietnam dans The Armies of the Night (1968), tandis qu'en 1969 Tom Wolfe (né en 1930) publiait The Right Stuff, sur le même sujet. Ces romans-reportages étaient le fait de journalistes qui écrivaient dans Esquire ou Rolling Stones, ou dans la presse underground, contrebalançant ainsi de réflexions la nudité du reportage, informant un public avide de renseignements flétrissant le consensus, et contribuant à faire entrer durablement dans la culture américaine "l’esprit des années 1960", à savoir, si l’on ose cette alliance de mots, l’esprit moralistico-libertaire. Dans cette culture underground, on ne peut passer sous silence les comics qui, de Mad de Kurtzman à Help, ou encore dans les revues des universités, utilisaient la puissance propre à la caricature pour stigmatiser la société américaine ou encore pratiquer l’autodérision. Le représentant le plus notable en bandes dessinées de cette "révolution culturelle américaine" des années 1960 fut Robert Crumb (né en 1943), dont les bandes, publiées dans des revues underground, véhiculent un amusant mélange d'idéologie de la libération sexuelle, d'écologisme radical et de velléités philosophiques orientalisantes. Même les journaux de large diffusion publiaient les strips de Charlie Schultz (1922-2000), l'inénarrable Peanuts (publié sans interruption de 1950 à 1999!) dont le personnage principal est le beagle Snoopy depuis les années 1960. Cette activité culturelle fut assez dynamique pour imprimer au public de nouvelles habitudes, de nouveaux goûts, de nouvelles préoccupations. Contrairement au pari élaboré par les sectateurs d’une contre-culture destinée à remplacer l’ancienne, cette nouvelle culture devait moins entrer dans l’Histoire des États-Unis par l’hypostase révolutionnaire que par le succès, le raz-de-marée des nouvelles modes et la rénovation profonde et féconde d’un modèle culturel de plus en plus séduisant à l’étranger comme à l’intérieur. Une star, c’est l’individuation métonymique d’un monde de rêve. Ava Gardner (1922-1990) a représenté la femme fatale aux yeux de toute une société; Marilyn Monroe (1926-1962), une certaine image de la sexualité aux seins de la société américaine. Les années 1960 n'ont pas fait exception à cette règle: des figures comme celle de Jim Morrisson (1943-1971) prouvent l’entrée de la contre-culture dans la norme: son groupe, les Doors, spécialisé dans l'apologie de la drogue et les attitudes sexuelement provocantes en scène, est surtout remarquable pour les bénéfices colossaux qu'il engrangea. La contre-culture des années 1960 devint une culture américaine au sens aussi où elle se consommait et s’inscrivait dans un système qui a remarquablement appris à changer les stars dérangeantes en arguments de vente. Les mêmes formules qui avaient fait la popularité de Cary Grant (1904-1986) firent celle de Dunstin Hoffmann (né en 1937), tandis que la culture de spectacle profondément attachée au rock’n’roll: danse, provocation, effet visuel, ne subit pas d'éclipse fondamentale, mais bien au contraire un renforcement quand aux cuirs à clous-clous du King succédèrent les robes hyposexy de Joan Baez, puis le trouble Alice Cooper (né en 1948). Ce retournement n’est que médiocrement paradoxal, attendu que c’est par la télévision et les shows que ces provocateurs purent provoquer, par l’industrie du disque qu’ils purent toucher leur public, par les structures de la culture de masse qu’ils purent transformer un allumé portant peau de mouton en portefaix d’une nouvelle symbolique vestimentaire. La contre-culture des sixties fut l'exact symétrique de la culture des années 1950: il s’agissait de s’habiller à l’inverse des habitudes vestimentaires — il était déjà impossible de ne pas s’habiller par opposition et par réponse, de ne pas quitter le système de consommation où la mode prenait sens. La formule a gagné, elle est ressortie plus vivante, ayant mis dans l’escarcelle des vendeurs de disques les juteux bénéfices qu’amenèrent la division du rayon Rock’n roll en rayons folk, pop, etc. La série télévisée Roots, le meilleur score d’audience de l’année 1977, fit entrer la contre-culture noire au sein même de la culture américaine. De même, dans Hair, en 1964, la vieille formule de la comédie musicale accueillit musique nouvelle et comportements nouveaux pour permettre ensuite au modèle hippie de s’étendre à l’Europe afin de populariser durablement le "type" de l’adolescent pacifiste et "libéré sexuellement": elle a marqué l’accession d’un public populaire aux formes nouvelles d’art et d’expression. La contre-culture a réussi à s’intégrer dans les mythologies américaines; elle a réussi à se faire entendre. Certains le déplorèrent, notamment Michael Lindon, dans Rock for Sale, Sidde-Saddle on the Golden Calf (1972); mais l'évolution était inévitable — une contestation qui gagne, c’est une contestation qui réussit à se faire entendre, pas une contestation qui ne reste que contestataire. De plus, l’utopie consistant à vouloir créer des espèces de phalanstères en révolte, à l’égard des règles et des dérives de la cité, outre qu’elle n’était pas si éloignée d’une vieille tradition bien américaine — comme l’atteste Thoreau à Walden, cet espèce de nid de l'anti-civilisation et du retour à la nature — ne pouvait de toutes les façons que se faire récupérer par une société qui ne voulait pas changer, mais simplement refuser. Le bilan qu’on peut tirer de ces années 1960, c’est que tout en contestant en profondeur ce qui avait fini par constituer à la fin des années 1950, malgré la diversité des formules, une norme culturelle, une véritable identité américaine, W.A.S.P., doucement conservatrice et gentiment consommatrice, elles ont rendu à la vie culturelle une diversité digne de la diversité culturelle de l'Amérique. L'Amérique y a gagné de dire ce qui était tu, d’avoir enrichi ses formules par leur critique. |
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