Les entreprises américaines se sont fortement internationalisées








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Le XXe siècle a précisément été le temps où l'Amérique accéda à sa culture et à sa figuration du monde, et c’est ce qui en explique l’incroyable foisonnement, comme ce fut le cas, en des circonstances analogues, pour la Grèce du Ve siècle avant Jésus-Christ, l’Espagne et l’Angleterre du XVIe siècle, la France du XVIIe siècle ou encore l'Allemagne, et peut-être même l’Europe entière, de ce XIXe siècle où se mirent en figures les remous des Révolutions universelles et des renaissances nationales. Bien sûr, si la culture consiste en une accumulation d’expressions figées, institutionalisées, passées de l'âge de la diffusion à celui de la conservation, alors les États-Unis sont, en cette matière, encore bien en retard sur notre vieille Europe. Mais une culture vivante est-elle inférieure à une qui tire sa respectabilité du caractère sacré de la tradition?

Les tendances s'étaient déjà partiellement inversées dans l'entre-deux-guerres, mais le tournant décisif date de la seconde guerre mondiale. L'objet de cette partie est de tenter de proposer une chronologie de cette entrée de l'Amérique dans une centralité culturelle au niveau mondial, et en même temps d'essayer de dégager de grandes étapes dans l'Histoire culturelle de l'Amérique — nonobstant l'artificialité forcée de ce genre de découpage: il faut bien faire des plans aux concours!
A) Le tournant de la seconde guerre mondiale.
L'entrée en guerre se traduisit, bien sûr, par des tentatives pour mettre la culture sous contrôle dans un but de propagande: dès décembre 1941 il apparut un Office de Censure, dirigé par Byron Price (1891-1981). Mais plus que d'un contrôle étatique à proprement parler, il s'agissait d’un groupe de professionnels orchestrant une autocensure: rien à voir avec les pratiques en la matière du régime de Vichy ou de la quasi-totalité de l’Europe d'alors. Ce fut à l’occasion de l’attaque de Pearl Harbour que les radios, dont les grilles étaient essentiellement occupées par les feuilletons et shows des annonceurs, commencèrent à diffuser des bulletins d’informations réguliers1. De même, les premières commissions d’enquête et auditions auprès du Sénat de producteurs et scénaristes de Hollywood eurent lieu dans les années 1940-1941; elles concernèrent des films "bellicistes" comme L’aigle des mers de Michael Curtiz (1886-1962)2, qui date de 1940, ou Sergent York de Howard Hawks (189§-1977) sur le même thème, auxquels on reprochait de vouloir pousser l’Amérique dans un conflit qui ne la concernait pas… L'ensemble tourna à la confusion des accusateurs à la nouvelle de Pearl-Harbour. On avait donc commencé à percevoir le pouvoir du cinéma, comme, à travers l'information, celui de la radio; mais même en temps de guerre les tentatives pour les limiter ou pour les contester avortèrent.

Bien entendu les gens de culture et de médias firent preuve d'un très grand loyalisme; les chanteurs acceptèrent de faire des tournées pour les G.I., les héros de bandes dessinées s'engagèrent lorsque leur âge et leur sexe le rendait plausible, etc. De 1941 à 1944, l’Office of War Information finança la série des Why we fight, supervisés par Frank Capra (1897-1991). La guerre fut une croisade, et cette croisade joua un rôle essentiel dans la constitution définitive de mythes communs, d'une identité nationale commune. Ce rôle des médias dans l'émergence d'une conscience nationale moderne de l'Amérique s'inscrivait dans des continuités plus anciennes: si l’Amérique s'unit derrière son cinéma et ses médias, ce ne fut pas seulement parce qu'ils étaient la bannière de la croisade, mais aussi tout simplement parce qu'ils étaient ce qui réunissait un peuple dans la peur pour les proches ou pour la liberté. Le poste de radio comme la séance de cinéma, qui permettaient à cette guerre lointaine de se faire présente, avaient de toute façon travaillé en profondeur l’intimité des Américains depuis les années 1920. Depuis deux décennies la quasi-totalité des Américains avaient accueilli la radio comme un membre de la famille: le président Roosevelt avec ses causeries, et même les Martiens dans l’adaptation de La guerre des mondes d’H.G. Wells (1866-1946) en octobre 1938 par le Mercury Theater of the Air d'Orson Welles (1915-1985), étaient déjà entrés dans le salon.

Ce manque de recul ne laissa pas d'amener, après coup, repentirs acerbes et introspections gênées, notamment de la part du reporter Charles Lynch, qui, ayant couvert la guerre pour l’agence Reuter, s’accusa d’avoir été un instrument de propagande. De plus, le silence de la presse américaine à l’égard des camps de concentration, dû tant à la persistance de l'antisémitisme parmi le public qu’à la crainte de renouer avec les excès de la première guerre mondiale (recherche du sensationnel, excès dans la diabolisation de l'ennemi et informations insuffisamment vérifiées), provoque encore aujourd'hui pas mal de malaise1.

Les séances de cinéma des années 1940 ne comportaient pas un mais trois films, plus des attractions de music-hall, des dessins animés et des bulletins d'informations: cela permettait de jouer sur toute une gamme de genres et d'émotions. Des films factuels et même assez peu triomphalistes comme Destination Tokyo de Delmer Daves (1904-1977), sorti en 1943, alternaient avec les hymnes à l’héroïsme comme L’Odyssée du Docteur Wassel de Cecil B. De Mille (1881-1959), sorti en 1944. On vit même les genres les plus classiques s'adapter au temps: la romance, avec Casablanca de Curtiz (1943), le film noir avec Chasse à l’homme de Fritz Lang (1890-1976) ou Le port de l’angoisse de Hawks, et même la comédie musicale avec La Parade de la gloire (1942). Le rôle du cinéma fut donc à la fois d'encourager, de soutenir, de divertir. Ainsi naquirent des œuvres comme To be or not to be de Lubitsch (1892-1947), sorti en 1942, Le Dictateur de Charlie Chaplin (1889-1977), sorti en 1940, ou cette série de dessins animés de Tex Avery (1908-1980) où le loup figurait Hitler, notamment Blitz Wolf. Il s'agissait de reprendre des formes éternelles — ainsi le personnage du loup depuis le Roman de Renart —, ou tout au moins épouvées, pour contribuer au combat idéologique sans pour autant oublier de distraire. La réussite est éclatante: ces œuvres sont encore regardables aujourd'hui et, pour certaines, populaires.

Structurellement, ce qui explique le caractère finalement fort peu propagandiste de la production culturelle de cette époque, c’est qu' aux États-Unis la cohésion entre la culture et la société ne se fait pas par l'idéologie mais par la consommation. La culture ne cherche pas à s'attacher aux idées du public, mais à ses désirs; encore moins à faire la leçon, à modifier les idées des gens. Si la guerre passionne, la guerre sera filmée, parce qu'elle fera recette; cependant, qu'une œuvre sur la guerre fasse recette n’est pas conçu comme l'indice qu'elle est vile et méprisable, mais au contraire comme l’indice que ce qui a été dit est véritablement parvenu à ses destinataires. Ainsi se construisent de concert une culture et son impact, tout le contraire d'un ensemble de formes peu à peu répercutées par l'école ou l'Université en tant que bagage nécessaire à l'humaniste policé; tout le contraire aussi des cultures "engagées", politisées comme les régimes autoritaires de l'époque tentaient de les promouvoir — et dont l'échec, à quelques exceptions près, est évident. Les G.I. eux-mêmes consommaient l’Amérique dans leur paquetage (chewing-gums, etc.) et répercutèrent dans les pays qu'ils occupaient ou libéraient des éléments de consommation qu’ils percevaient comme des éléments de culture, définissant leur identité — un peu de leur sweet home en somme… La victoire de l'Amérique fut une victoire dans la culture, avec la culture, de la culture: fondamentalement une culture de consommation, c'est-à-dire une culture de choix et non une culture de propagande. Ce qui précède explique largement, je crois, pourquoi la culture américaine est devenue mondiale — cette évolution, entamée avant 1940, était inscrite dans la nature de la société américaine, la guerre n'a fait que l'accélérer.
Une rupture majeure est intervenue durant la guerre, dont les conséquences à l'échelle du siècle ont été incalculables: l'exode massif des intellectuels et des scientifiques européens aux États-Unis. Il avait commencé dès les années 1930 (avec Albert Einstein — 1897-1955 —, Enrico Fermi — 1901-1954 —, etc. — qui jouèrent un rôle essentiel dans le projet Manhattan), essentiellement en provenance des pays en proie aux dictatures nationalistes; il se prolongea après 1945, à cause de la ruine de l'Europe entière et de la prise de pouvoir par les communistes dans une dizaine de pays. Ce fut alors que Paris perdit sa place indiscutée de capitale culturelle de l'Occident (mise en danger dans les années 1920, en partie regagnée dans les années 1930 pour cause de nazisme à Berlin). Alors que la Ville-Lumière avait attiré toute une "génération perdue" d'artistes et d'écrivains américains (Ernest Hemingway, Henry Miller, etc.), désormais c'étaient les hommes de culture européens qui s'installaient aux États-Unis pour quelques années fécondes, comme André Breton (de 1941 à 1946), et après-guerre Jacques Derrida, Michel Foucault, Jacques Deleuze, Alain Robbe-Grillet, Julia Kristéva, etc.; ou définitivement comme Annah Arendt (1906-1975). À vrai dire, dans le domaine de la peinture les peintres ne firent guère que rejoindre leur marché: depuis 1920 les artistes d'avant-garde habitaient toujours Montparnasse mais leurs galeristes et leurs acheteurs étaient américains; dès 1927, le jeune Néerlandais Willem de Kooning (1904-1997) s'était directement installé à New York. Ce fut durant la guerre que s'établirent les structures d'accueil des artistes contemporaines: le mécène Salomon Guggenheim fonda le musée qui porte son nom en 1939 (le bâtiment de Frank Lloyd Wright date de 1943-1956), tandis que sa nièce Peggy Guggenheim (1898-1979), immense collectionneuse qui, paraît-il, achetait un tableau par jour durant les premières années de la guerre, ouvrit en 1942 sa galerie Art of this Century. Ce prestige des galeries new-yorkaises ne devait pas se démentir: citons les galeries de Betty Parsons (1946), Sidney Janis (1948), Martha Jackson (1953)…

Dans le domaine des sciences, une German Scientific School s'était établie à New York dès le milieu des années trente pour accueillir les universitaires chassés ou menacés par Hitler; son homologue française, l'École française de New York, apparut en 1943. Elles ne survécurent pas à la guerre, mais par leur biais les États-Unis enrichirent considérablement leur système universitaire au contact de grandes figures intellectuelles de la vieille Europe1. Dans les années quarante l'université de Princeton, principale hôtesse des savants européens, dont Einstein, Fermi, Emilio Serge, Edward Teller, Leo Szillard, était surnommée "la nasse à Nobel"… Ces évolutions n'ont fait que s'accentuer depuis 19452. En médecine, on estime que cet afflux a fait gagner aux États-Unis, de 1940 à 1980, huit prix Nobel supplémentaires. En linguistique Noam Chomsky (né en 1928) est un Américain de naissance, mais Roman Jakobson (1896-1982) est un Russe arrivé (de Tchécoslovaquie) en 1939. L'anthropologie et la sociologie, sciences reines, pour le meilleur et pour le pire, des humanités américaines, apprirent beaucoup des leçons de Claude Levi-Strauss (né en 1908) à l'École française de New York, puis dans les universités américaines jusqu'à son retour en France en 1950.

En architecture: l'enseignement de l'Allemand Walter Gropius (1883-1969) qui dirigea l'école d’architecture de Harvard de 1938 à 1953, devait influencer l'école rationaliste américaine, tandis que Ludwig Mies van der Rohe (1886-1969, un autre Allemand malgré son nom) marquait de son empreinte le paysage architectural américain par sa première commande, émanant de l’Illinois Institute of Technology de Chicago, en 1939, et que le Hongrois Mohogy-Nagy fondait un nouveau Bauhaus, à Chicago également: ils contribuèrent à relancer le dynamisme de l'architecture américaine. En 1952, toujours à New York,Wallace K. Harrison construisit,, sur des plans du Suisse Le Corbusier, le bâtiment du Secrétariat de l’O.N.U., un parallélépipède de verre vert haut de trente-neuf étages — bref, tous les grands architectes de cette génération finirent par travailler aux États-Unis, dont les villes neuves leur fournissaient bien plus d'occasions d'exprimer leur génie que les vieilles cités-musés d'Europe, qui tendaient à les condamner aux périphéries et à la construction de H.L.M. En musique, le Russe Igor Stravinski (1882-1971), invité à participer à une conférence à Harvard en 1939, demeura aux États-Unis à cause de la guerre, fut naturalisé américain en 1945, et composa sa Symphonie des Psaumes pour le Boston Symphony Orchestra. L'Allemand Arnold Schoenberg (1874-1951) eut à peu près le même parcours; même le Hongrois Béla Bartok, exilé de son pays en 1940, alla mourir en Amérique, en 1945. Parmi les grands chefs d'orchestre, il faut citer surtout l'Italien Arturo Toscanini (1867-1957), qui prit le pupitre du N.B.C. Orchestra pour réaliser pour le network américain un concert radiodiffusé tous les dimanches durant dix ans; ces concerts, à en croire Yehudi Menuhin ou Isaac Stern, furent à l’origine d’un grand nombre de vocations d'instrumentistes et ne firent pas peu pour populariser la musique classique. Dans le domaine cinématographique l'Amérique profita de l'exil de Fritz Lang, qui fut un des créateurs du film "noir"; d'Otto Preminger (1905-1996), etc…

Tout cela fait de l'Amérique de la seconde moitié du XXe siècle un pays qui s'est nourri de l'énergie intellectuelle du monde entier — ce phénomène, que l'on appelle brain drain lorsqu'il concerne des scientifiques ou des cadres, est aujourd'hui plus que jamais l'un des casse-têtes majeurs des gouvernements du tiers-monde, mais il touche aussi, et peut-être de plus en plus, l'Europe. En France, un certain discours antiaméricain en fait l'indice d'un déclin de l'Amérique, qui serait de plus en plus incapable de créer par elle-même. C'est absurde: d'une part parce que l'apport de ces immigrés est largement relayé sur place; ensuite, parce qu'une telle attactivité, à une telle échelle et sur un temps aussi long, ne peut être qu'un indice de santé — d'autant qu'elle ne recourt pas à la force, et ne repose même pas essentiellement sur des incitations financières: ce qui attire d'abord, ce sont bien les conditions de travail et l'ambiance culturelle et intellectuelle qui règne en Amérique. Du point de vue culturel et scientifique, le monde s'est unifié à grande vitesse depuis 1945; il n'a plus qu'un centre où tout converge — et l'Amérique est ce centre du monde, tout simplement. Ce qui se fait ailleurs, de plus en plus, c'est ce qui n'a pas de portée universelle — ce qui ne veut pas dire que ce soit méprisable; mais à court et moyen terme, les rêves d'un autre universalisme concurrent sont vains (et malsains lorsqu'ils cachent des durcissements nationalistes ou réactionnaires).
B) Les années d'après-guerre: "le retour du G.I."
En 1945, les centre-villes américains étaient déjà bien sûr ces « ville[s] debout » dont parle Céline : gratte-ciels et longues rues linéaires, numérotées et non nommées, qui se croisent à angles droits et se transforment en canyons dans le centre de New York. Mais les gratte-ciels de l'entre-deux-guerres étaient encore volontiers passablement baroques dans leur ornementation, notamment à leur sommet. Après-guerre, les architectes de l'
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