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Chapitre 5: L'évolution de l'économie, de la société et de la culture américaines de 1945 à 1980 N.B. Je ne saurais trop vous rappeler que les évolutions décrites dans ce chapitre portent sur les années 1945-1980, et que certaines tendances de fond se sont complètement renversées au cours des présidences Reagan et Bush père (1981-1993)… Ne soyez donc pas trop surpris de trouver ici le tableau d'une Amérique bien différente de celle d'aujourd'hui: c'est celle d'avant la révolution néo-libérale. I-L'économie. Au total, le P.N.B. américain, après avoir doublé entre 1940 et 1945, a sextuplé entre 1945 et 1973 — au milieu des années 1980, les Américains, c'est-à-dire 5% de la population mondiale, produisaient 25% du P.N.B. de la planète. Il y a eu seulement six années de récession au sens strict (c'est-à-dire de diminution du P.N.B.): 1945, 1949, 1954, 1958 et 1970 — il n'y en eut aucune pendant les années 1970, ce qui amène à souligner à la fois le caractère extrêmement heurté de la croissance économique américaine, même en période d'expansion, et le fait que la crise des années 1970 n'a rien eu à voir en violence avec celle des années 1930. A) La puissance mondiale de l'Amérique. Le poids des entreprises américaines au niveau mondial a décru peu à peu, du fait du redressement de l'Europe et du Japon: c'était une évolution normale (c'était la situation de 1945 qui était exceptionnelle, pas celle de 1980). Mais à la fin des années 1970 ce poids demeurait colossal: les groupes américains représentaient 53,3% du chiffre d'affaires des cnq cent premiers groupes mondiaux. Dans les années 1970, on pouvait avoir l'impression que le déclin économique de l'Amérique était irrémédiable et allait s'accélérer; les années 1980 et 1990 ont amené à revoir ces conceptions. Les entreprises américaines se sont fortement internationalisées. Les investissements américains à l'étranger sont passés de douze milliards de dollars en 1950 à deux cent vingt-deux en 1980 (dont un et soixante-dix-huit en Europe); ils sont plus rentables que ceux effectués à l'intérieur des frontières des États-Unis. Le phénomène, déjà sensible avant 1945 pour les groupes automobiles, s'est amplifié au point qu'à la fin des années 1980 20% du P.N.B. des États-Unis provenait de multinationales américaines installées à l'étranger. Le phénomène a touché surtout le secteur pétrolier et l'industrie, mais aussi le tertiaire: l'hôtellerie (Sheraton, Holiday Inn) et la restauration (McDonald's1). Les régions où les entreprises américaines étaient les mieux implantées étaient le Canada, puis l'Amérique latine; l'Europe ne venait qu'après, et pourtant en 1985, quinze des cent premières entreprises de la C.E.E., future U.E., étaient des filiales de firmes américaines (la plus importante était Esso, filiale d'Exxon), et 10,6% des exportations de la France provenaient de filiales d'entreprises américaines. Ces délocalisations massives, justifiées par le coût excessif de la main-d'œuvre américaine, la fiscalité et le désir de gagner de nouveaux marchés, n'ont pas eu que des effets positifs sur l'économie des États-Unis: la création d'emplois s'en est trouvée ralentie, et l'équilibre de la balance commerciale en a souffert; de plus, les transferts de technologie n'ont pas toujours été bien contrôlés. En revanche, jusqu'au début des années 1980 les entreprises étrangères étaient peu implantées aux États-Unis, malgré la taille du marché: c'était qu'on pouvait y exporter sans trop de problèmes. Le principal investisseur était le Royaume-Uni; le Japon était encore loin derrière. L'Amérique cependant continuait à dominer le commerce international, grâce à sa position géographique privilégiée entre l'Europe et l'Asie pacifique — dont le poids dans les échanges extérieurs des États-Unis n'a cessé de s'accroître. En ce domaine aussi cependant la baisse était sensible: l'Amérique assurait 17% des exportations mondiales en 1950, 15,9% seulement en 1970, 11% en 1984 — en première position mondiale toujours. Surtout, la balance commerciale est devenue négative en 1971, pour la première fois depuis 1890, et n'a cessé de se dégrader dans la décennie suivante: j'ai évoqué ce problème lancinant au chapitre 4. Le problème des bénéfices que les États-Unis ont tiré de leur domination économique et politique du monde libre est un peu plus complexe qu'on le présente habituellement en France. Il est évident que les entreprises américaines en ont profité, mobilisant à l'occasion des appuis politiques parfois douteux et agissant de manière fort trouble à l'occasion pour préserver leurs intérêts — ainsi le constructuer de matériel électrique I.T.T. a été accusé d'avoir joué un rôle dans la dégradation des relations sociales au Chili sous le mandat du président socialiste Allende (1970-1973), voie d'avoir joué un rôle dans le coup d'État du général Pinochet, qui mit un terme sanglant audit mandat. Le poids du dollar dans le système monétaire international sert également les entreprises américaines, et les États-Unis en général car il leur permet de s'endetter à peu près comme ils le veulent (comme ils s'endettent dans la monnaie qu'il émettent, ils n'ont guère à craindre de difficultés de remboursement). Faut-il aller jusqu'à affirmer que les États-Unis ont pofité de leur leadership économique pour exploiter les pays passés dans leur orbite, notamment en sous-payant les matières premières en provenance du tiers-monde et les travailleurs des multinationales, en imposant, par le biais du G.A.T.T. (future O.M.C.), un libre-échange favorable à leurs intérêts et néfaste à ceux des pays moins développés? Voire que les États-Unis n'ont pris le leadership du monde libre que pour protéger leurs intérêts impérialistes? Ce genre de thèses était fort en vogue dans une partie du tiers-monde dans les années 1950 et 1960 (il est en bonne partie à l'origine du choix des modèles introvertis de développement); il l'est toujours en France, par exemple dans Le Monde dinosaurique, pardon, diplomatique. L'ensemble de ce cours s'inscrit dans une autre perspective, selon laquelle les facteurs politiques et idéologiques priment sur les facteurs économiques, et sur une intime conviction quant aux fins dernières du libéralisme économique et politique, que vous être libres de ne pas partager, mais avec lequel je ne puis qu'être cohérent. Pour moi l'Amérique est un pays ni plus, ni moins égoïste qu'un autre (d'ailleurs les pays d'Europe et même ceux du tiers-monde font tout aussi peu de cadeaux à leurs fournisseurs en matières premières!); c'est simplement un pays qui au XXe siècle est devenu le plus puissant, et dont l'égoïsme, de ce fait, a des conséquences bien plus graves que celui des autres nations. Cette puissance est en bonne partie, me semble-t-il, la conséquence d'un succès, incomplet certes mais combien supérieur à celui des modèles de développement concurrents! D'autre part, il me semble que l'Amérique au total a bien plus aidé que gêné, bien plus bâti que détruit depuis 1945: les pays qui ont accepté son aide et son appui, même intéressés, et le modèle économique qu'elle proposait, ont eu dans l'ensemble à s'en louer, de l'Europe occidentale à l'Asie pacifique et à la région des maquiladoras au Mexique: qu'on compare les "dragons" asiatiques à l'Algérie ou au Brésil, et même, si j'ose, qu'on compare le Chili d'après Pinochet à Cuba au bout de quarante ans de révolution… Bien entendu vous êtes libres de trouver inacceptables ces considérations qui reposent sur la notion de "bilan positif", de douteuse mémoire lorsqu'on l'appliqua naguère à d'autres comptes1, et qui, de par leur caractère rétrospectif, peuvent sembler passer par pertes et profits de terribles violences, des humiliations, des offenses que je n'ai nullement l'intention de nier; vous êtes libres enfin de douter que la puissance soit à tout coup le reflet de la réussite — le cours sur l'U.R.S.S. en fournit un beau contre-exemple. En revanche je voudrais souligner, car cela me semble en revanche indiscutable, que si l'Amérique a bénficié du leadership qu'elle a exercé elle en a aussi pas mal souffert. Le poids de la guerre froide, qu'elle a largement financée, a lourdement grevé ses finances publiques et joué un rôle notable dans l'affaiblissement des années 1970, comme il est vrai dans la prospérité des années 1950 et des années 1980 — il a joué un rôle aussi sans doute dans le retard de la protection sociale, et corrélativement le très haut niveau des inégalités sociales en comparaison à l'Europe et au Japon2. En termes politiques et culturels l'Amérique a payé ce leadership, et "quelques bavures" qu'un peu moins d'arrogance et de paranoïa eût permis d'éviter, d'un mépris et d'une haine qui confinent parfois au racisme, aussi bien sur le continent américain que dans Le Monde jurassique, je veux dire diplomatique, et certains milieux de gauche et gaullistes français. Le Yankee, le Gringo est la figure renouvelée de l'ennemi universel, le complot universel de Wall Street (ou de la C.I.A.), le mythe du vampire américain suceur du sang du monde (tel qu'il est présenté par exemple dans Les veines ouvertes de l'Amérique latine, d'Eduardo Galeano, ouvrage paru à Buenos Aires en 1971; pour une évocation romanesque et très critique de ce genre de conceptions, voyez le très beau Lituma dans les Andes de Mario Vargas Llosa, paru à Lima en 1993) représentent des versions à peine repeintes des Protocoles des sages de Sion, et la théorie du bouc émissaire se porte bien: tout ce qui ne va pas vient des États-Unis, c'est-à-dire d'ailleurs, ce qui évite de se poser des questions sur ce qui ne va pas chez nous, puisque de toute façon les choses ne changeront que le jour où l'Amérique punie s'abîmera dans l'océan — en attendant, on envoie ses enfants dans des collèges américains et on va faire son shopping à Miami (je pense ici aux Latino-Américains). On ne me fera pas croire qu'il s'agit d'une réussite pour l'Amérique. Peut-être cette haine est-elle à la hauteur de ce qu'on est en droit d'attendre du pays le plus puissant et le plus riche du monde: on est plus exigeant envers les puissants, et c'est normal; les puissants sont rarement parfaits, c'est une déception cruelle et récurrente, insupportable même lorsque leur arrogance confond réussite et supériorité et qu'ils prétendent s'ériger en modèle universel d'efficacité et de vertu. B) L'évolution du capitalisme américain. La concentration des entreprises américaines s'est poursuivie à un rythme soutenu depuis la seconde guerre mondiale, du fait des besoins accrus en capital et aussi de l'intervention de l'État: il préfère effectuer ses commandes auprès des grandes entreprises, ce qui les avantage, et durant la guerre froide ces commandes ont été nombreuses. Dès la fin des années 1950, les cinquante firmes les plus importantes produisaient 25% du P.N.B.; en 1982, 1% des entreprises regroupaient le tiers des salariés. Cependant la concentration est très inégale selon les secteurs. La sidérurgie est dominée par trois grands groupes (U.S.X., Bethlehem Steel, L.T.V.), l'automobile aussi (G.M., Ford, Chrysler — cette dernière était en très grande difficulté à la fin des années 1970), la chimie par quatre grands groupes (Du Pont de Nemours, Dow Chemical, Monsanto, Union Carbide); en revanche le textile, l'agro-alimentaire et surtout le tertiaire sont nettement moins concentrés. Dans les années 1960, la tendance était à la diversification des activités des grandes entreprises américaines: ainsi I.T.T., à l'origine une entreprise de construction de matériel électrique, s'est diversifiée à partir de 1965 dans l'hôtellerie (en rachetant Sheraton), la construction de maisons individuelles, puis les pompes, les aliments surgelés, l'enseignement (le cours Pigier), les produits de beauté… Cette diversification était censée être un gage de sécurité (toutes les branches ne pouvaient pas être en difficulté en même temps) et permettait d'échapper à la législation antitrusts (voyez plus bas); mais avec le temps elle a conduit à des problèmes de gestion qui ont amené ces conglomérats, dans les années 1980, à se recentrer sur leurs métiers de base. Il y a aussi de nombreux cas d'expansions spectaculaires sans aucune diversification, comme celui de Rank Xerox, fabricant de matériels de bureau et surtout de photocopieurs. Rares sont les entreprises américaines d'une certaine taille qui sont restées aux mains de la famille du fondateur après 1945. Les descendants d'Henry Ford ont perdu le contrôle du capital de Ford en 1947 (ils en possédaient quand même encore 40% en 1965, et Henry Ford II est demeuré à la tête de l'entreprise jusq'aux années 1970); en 1965 la famille Mellon ne possédait plus que 15% du capital du trust de l'aluminium, Alcoa. La tendance générale est à la dilution du capital au sein de sociétés par actions (huit milions d'Américains étaient actionnaires en 1956, vingt millions en 1965, trente-cinq millions en 1985, contre à l'époque moins de deux millions en France), et la direction des entreprises est passée pour l'essentiel à des managers issus de business schools. Ce fut la revanche des "talents" sur les "héritiers", mais cela non plus n'alla pas sans poser des problèmes: la direction de certaines grandes entreprises s'est excessivement bureaucratisée, les salaires peuvent être délirants et le contrôle des actionnaires est parfois déficient. Les sièges sociaux sont toujours concentrés dans les grandes villes du nord-ouest, New York occupant une place écrasante, tandis que la production s'est délocalisée dans le pays et à l'étranger (voyez plus haut et plus bas). Vers 1980, le Texas et la Californie rattrapaient lentement leur retard. C) Le rôle de l'État. L'État américain intervient bien moins dans l'économie que les États européens; c'est "un État qu'on ne sent point", selon une expression de René Rémond en 1962; mais il n'est pas pour autant absent. Depuis le XIXe siècle, il a orchestré l'équipement du pays en réseaux de transports; dans les années 1930, les interventions conjoncturelles se sont multipliées. La part des dépenses de l'État fédéral dans le P.N.B. est passée de 3% en 1900 à 10% en 1940, 15% en 1950, 23% en 1983. Si l'on y ajoute les dépenses des autres collectiviés publiques, on arrive au chiffre de 34% en 1979. L'État s'est doté d'un certain nombre d'organes économiques. À l'Office du Management et du Budget, fondé en 1921, s'est ajouté en 1946 le Conseil des Experts économiques. Il existe une dizaine de départements (ministères) économiques; certaines des agences (espèces de secrétariats d'État, essentiellement économiques) créées dans les années 1930 ont subsisté, comme la T.V.A. — en 1984 il en existait cinquante-cinq, dont la Federal Reserve Board, qui date de 1913, et la National Aeronautics and Space Administration (N.A.S.A.), qui date de 1958. L'État intervient dans l'économie par le biais du budget. Depuis 1945, il a souvent recouru au déficit, soit pour assurer le financement des dépenses militaires (à l'époque des guerres de Corée et du Viernam) et sociales (à partir des années 1960), soit, dans une logique keynésienne, pour relancer l'économie en période de récession. Vers 1965, le déficit budgétaire atteignit de premiers sommets (vingt-cinq milliards de dollars); Nixon parvint à revenir à l'équilibre en 1968, mais à partir des années suivantes le déficit recommença à se creuser, et avec la crise il explosa: il était d'environ quatre-vingt milliards de dollars en 1980. La fiscalité a évolué aussi. L'impôt sur les bénéfices des entreprises a diminué en proportion: il est passé de 23% des ressources fédérales en 1960 à 6% en 1983 — ceci pour soulager les entreprises en temps de crise: c'est à partir de la présidence de Ford que les allègements fiscaux pour les entreprises ont commencé à se multiplier. En revanche l'impôt sur le revenu est passé de 40% des ressources fédérales en 1950 à 46% en 1987, un chiffre très supérieur à celui de la France (où il représente 25% environ des recettes de l'État); aux États-Unis les taux marginaux maximum sont pourtant très inférieurs (28% en 1986), mais l'assiette est bien plus large (cela veut dire qu'en proportion du total, beaucoup plus de foyers américains sont imposés). Au total, la fiscalité fédérale américaine est demeurée l'une des plus faibles du monde développé. La |
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