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artefact en histoire des sciences18, une généralisation abusive et récurrente de la révolution épistémologique moderne, nous examinerons plus précisément le manifeste méthodologique de Schumpeter ; nous le confronterons aussi à celui de Hume qui, lui, pense dans la différance des Anciens et des Modernes, ce pourquoi, selon nous, il échappe dans une large mesure au double écueil de l’analyse empirique et de son sublimé métaphysique. Il y est en tout cas suffisamment parvenu – bien qu’il n’ait pas complètement libéré la science de la subjectivité et que le positivisme logique n’ait pas sans raison invoqué son nom – pour que nous ayons à nous retremper à la source de sa pensée. Hume, dont la formation scientifique à l’université d’Edimbourg fut surtout newtonienne se signale par le souci constant de pourchasser les hypothèses chimériques de la métaphysique et de les bouter hors de la sphère des constats de faits.19 Sur ce motif sceptique s’ouvrent aussi bien le Treatise que les Enquiries ou les Political Discourses de 1752 (cf. Of commerce). Sans doute Locke avait-il lui aussi entrepris ce combat ; mais l’ennemi, c’est ici la philosophie des idées innées, que Locke ne réduit pas entièrement comme Hume le relève régulièrement.20 Pour ce dernier, affirmer le primat de l’expérience, c’est affirmer le primat de l’analyse sur la synthèse, c’est résoudre la raison à et dans la vie, devenue source de toute interrogation et solution de tout problème. D’où, selon Hume, l’absence de différence essentielle, en un sens résolument naturaliste, entre la raison des hommes et la raison des animaux, l’attente instinctive, l’instinct de conservation ou l’habitude, étant le grand principe de la vie et de l’intelligence humaine, véritable métis dont le rôle n’est plus que de délier les nœuds de désir, les nœuds d’angoisse aussi, qu’il peut faire avec son imaginaire et qui lui obscurcissent la vue. Sans doute encore, ce renversement du rapport de la raison au désir de vivre est-il bien connu, au moins depuis le conatus spinoziste ; mais ce qui l’est moins, et que Hume nous aide à comprendre, est le lien qu’il entretient avec l’avènement révolutionnaire de l’économie comme "science par excellence des Temps Modernes".21 Nous avons vu que, selon Schumpeter, la science était une "connaissance outillée". Le Chapitre II de la Première partie de l’Histoire présente le contenu de la "boîte à outils"("box of tools") de l’économie scientifique, lequel comprend trois techniques fondamentales : l’histoire, la statistique et la théorie, auquel vient s’ajouter la sociologie économique, l’ensemble de ces techniques formant l’analyse économique. Nous nous en tiendrons ici à l’histoire, à la théorie et à la critique de l’idéologie, pièce maîtresse de la sociologie économique, à laquelle Schumpeter consacrera le dernier et le plus volumineux chapitre de la Première partie de l’History. II. L’HISTOIRE Schumpeter reconnaît en l’auteur de l’Histoire de l’Angleterre l’un des premiers historiens scientifiques qui, avec William Robertson et Gibbon, a arraché l’histoire à l’épopée et aux prédications pour l’élever au rang d’un "exposé (relativement) neutre qui traduit les données documentaires".22 Mais, pour nous, l’essentiel n’est pas là, il est dans le fait que l’œuvre de Hume ne fut pas seulement historique (historisch) mais aussi historiale (Geschichtlich). Les Discours politiques, qui mêlent histoire, économie et philosophie, ne traitent pas seulement de données économiques ou institutionnelles, de data, ils révèlent, au sein d’un dialogue fondamental avec les Anciens, l’historicité du monde moderne, sa donation ; à cet égard ils sont comparables au Dialogue concernant les deux plus grands systèmes du monde, le système ptolémaïque et le système copernicien publié par Galilée en 1632. Et, faut-il ajouter, l’œuvre de Hume n’est authentiquement historique que dans la mesure où elle est d’abord historiale. C’est parce que tel n’est pas le cas du travail historiographique de Schumpeter qu’il est à bien des égards contestable. Schumpeter — Les raisons invoquées par Schumpeter pour inclure l’histoire dans la boîte à outils de l’économie reposent principalement sur sa conception historiciste de la science et sur sa compréhension progressiste de la temporalité. La matière de l’économie résidant, selon lui, dans un processus unique à travers le temps historique, personne ne peut espérer comprendre les phénomènes économiques passés ou actuels sans une expérience historique touchant non seulement les faits purement économiques mais aussi les faits institutionnels auxquels les premiers sont liés.23 Mais Schumpeter relève "deux très graves conséquences" de son exposé sur l’histoire, dont l’une au moins doit retenir notre attention. Elle vient de ce que, l’histoire fournissant une large part des matériaux de l’économiste et celui-ci étant fils de son temps et de toutes les époques précédentes, l’analyse économique et ses résultats sont "certainement tributaires de la relativité historique". L’on comprend la gravité de cette conséquence qui menace de dissoudre l’objet dans l’instrument, l’analyse économique dans l’historiographie Mais Schumpeter s’empresse de préciser que la relativité historique n’a rien à voir avec le relativisme philosophique, qu’elle tient seulement, d’une part, à l’évolution de la connaissance des matériaux, et, d’autre part, à la sélectivité de la conscience des économistes intéressés par les problèmes de leur époque ; il affirme avec véhémence que la réflexion philosophique est tout à fait impuissante à apporter une solution à la difficulté de savoir jusqu’où peut bien s’étendre cette relativité, mais il s’engage à placer au premier rang de ses préoccupations l’élaboration d’une telle solution. Laquelle ? Une esquisse du Zeitgeist et, en particulier, de l’atmosphère politique de chaque période de l’histoire de l’analyse économique. Cependant si ces précautions critiques de Schumpeter sont louables, elles demeurent de pures précautions oratoires, faute précisément d’une réflexion philosophique sur ce que l’on pourrait appeler ici le cercle de l’origine, dont la méconnaissance se paie toujours d’un cercle vicieux. L’effort critique de l’histoire économique ne vise, en effet, qu’à dépouiller la vision de l’économiste de tout ce qui ne relève pas proprement du regard analytique moderne, tenu pour transhistorique et ouvert sur une réalité elle-même tenue pour transhistorique, sous réserve toutefois de leur dévoilement progressif sans lequel l’histoire perdrait tout sens. Ainsi Schumpeter pourra-t-il affirmer qu’il n’est en rien surprenant qu’Aristote n’ait pas étendu son analyse économique à d’autres catégories que celle de l’artisanat, car : "C’est par de lents progrès que les faits physiques et sociaux de l’univers empirique entrèrent dans le champ de l’analyse, comme sous la lumière d’un projecteur. Aux origines de l’analyse scientifique, la grande masse des phénomènes reste ignorée, dans le fourre-tout du sens commun, et seuls de menus fragments de cette masse suscitèrent une curiosité scientifique et devinrent par là des ‘problèmes’." 24 Sans doute Schumpeter se range-t-il parfois à la méthode de Marx, dont il reçut l’influence par les Viennois, et multiplie-t-il les mises en garde contre toute fausse interprétation qui viserait à réduire le progrès de l’analyse à la découverte progressive d’une réalité objective ou à un progrès logique allant du simple au complexe.25 Pourtant "le progrès" de Schumpeter est bien tout cela à la fois, et s’il est "embrouillé", c’est à la façon de la conscience progressiste d’un historien positiviste. Rien ne le révèle mieux que l’artefact qu’il produit en établissant une continuité illégitime entre l’économie des Anciens et celle des Modernes, au nom de laquelle il peut ensuite tranquillement considérer les Grecs comme des "primitifs", dénoncer chez Platon l’absence d’une véritable "intention analytique" et juger que si une telle intention "anima en premier lieu Aristote",26 elle resta chez lui comme engluée dans "l’esprit du sens commun pré-scientifique".27 Mais, en vérité, le schème de cette prétendue continuité n’est rien d’autre que "l’empreinte sur le domaine de l’histoire de la forme propre que revêt la conscience d’objet en général, qui est d’abord durée interne, continue et monotone", comme l’écrit Maurice Caveing au sujet de l’interprétation de la Physique d’Aristote par Drabkin en termes d’équations de la dynamique.28 Sans doute encore, Schumpeter ne nie-t-il pas les différences historiques : "le contenu de l’économie est-lui-même un processus historique unique [...], si bien que, dans une large mesure, l’économie d’époques différentes traite de séries différentes de faits et de problèmes".29 Mais si la conscience d’objet en général est si pauvre qu’elle est à même de recevoir du domaine de l’histoire une puissance de différenciation, celle-ci n’a toutefois pour cette conscience d’autre signification que la succession temporelle des événements suivant une série linéaire – fût-elle "embrouillée" – téléologiquement réglée sur la conscience et la connaissance du présent, soit en l’occurrence, sur la conscience du progrès et la connaissance économique moderne, laquelle, nous l’avons déjà noté, s’absout dans une logique générale. Chez Schumpeter, comme chez Hegel, donc, le chêne est déjà dans le gland, quoique sous une forme encore complexe, comme "la seigneurie médiévale est, sur le plan conceptuel, un phénomène plus complexe que l’U.S. Steel Corporation" 30 ; toutefois nous devons noter au passage, pour le sens général de notre propos, que, pour Schumpeter, tant le terminus a quo que le terminus ad quem de l’histoire sont imparfaits ou indéfinis ; tandis que Hegel savait la beauté du monde grec et tenait le monde germanique pour le dernier mot essentiel de l’histoire, la conciliation de l’Esprit avec son négatif, Schumpeter, considérant pourtant l’économie d’Aristote comme une "économie ‘pure’ embryonnaire",31 n’y trouve rien de consistant tout comme il n’aperçoit pas le terme de l’évolution contemporaine de l’analyse, ce qui, à côté du flottement essentiel de sa définition de l’économie scientifique, constitue à nos yeux un second signe important de la dissolution de l’analyse économique moderne dans le relativisme, sous la forme, nous essaierons de le montrer, de la liquidation de l’économie pure dans l’économie la plus servilement appliquée. Deux exemples nous serviront à illustrer la méthode de Schumpeter et à faire ressortir par contraste celle de Hume ; nous les emprunterons tous deux chez Schumpeter à la boucle proprement historique de l’entrelacement analytique entre histoire et théorie, remettant à la discussion de la Théorie de l’Evolution Economique, l’illustration de sa boucle proprement théorique (voir infra LA THEORIE). Le premier de ces exemples est la question de la division du travail chez Platon. A son sujet Schumpeter écrit : "S’il y a là quelque chose d’intéressant, c’est que Platon (et, à sa suite, Aristote) met l’accent non pas sur l’accroissement de la productivité qui résulte de la division du travail en soi, mais sur l’accroissement de la productivité qui résulte de la faculté laissée à chacun de se spécialiser dans ce pourquoi il est le mieux fait ; cette reconnaissance de différences innées dans les aptitudes mérite d’être relevée parce qu’elle se perdit complètement après lui".32 Pour ne rien dire du fait qu’il n’a jamais été question pour l’auteur de La République de laisser à chacun la faculté de se spécialiser selon ses aptitudes naturelles, mais bien plutôt de l’y contraindre, il est évident qu’ici Schumpeter ne lit pas le texte mais s’y intéresse et l’interprète spéculativement, hors-contexte et à partir d’un modèle moderne récurrent ; selon Platon, en effet, la division du travail n’a pas pour but d’élever le rapport de la quantité du produit au temps de production, ou aux autres facteurs de production, car le temps n’est pas encore une dimension linéaire ni la production l’activité mathématisable qu’elle deviendra avec la forme sérielle de la division manufacturière du travail ; elle a bien plutôt pour fin l’autosuffisance (autarkeia) et pour fonction de répondre aux besoins limités d’une communauté politique restreinte, le mieux et non avant tout le plus possible, en permettant à chacun, certes, d’exécuter la tâche la plus conforme à ses aptitudes naturelles, mais aussi de le faire de la plus belle manière et au moment opportun, et, ajouterons-nous, surtout au moment opportun33 ; chez Platon, en effet, nous ne sommes pas dans "l’univers de la précision" et de la quantité, pour reprendre les mots célèbres d’Alexandre Koyré, nous sommes dans le "monde de l’à-peu-près" et de la qualité, monde clos où les choses se meuvent de façon aléatoire dans des limites assurées. Notre second exemple a trait au difficile problème de la valeur d’échange chez Aristote, posé au Livre V de l’Ethique à Nicomaque. L’on doit à deux grands lecteurs d’Aristote, Moses Finley et Arnaud Berthoud, d’avoir montré que ce problème ne pouvait recevoir un commencement de solution si l’on n’acceptait d’abord que chez Aristote la réciprocité soit immanente à l’acte d’échange lui-même : "La réciprocité qui fait l’échange en jetant chacun vers l’autre dans un moment de reconnaissance, écrit A. Berthoud, précède et domine le calcul d’intérêt qui s’apprend dans l’échange".34 Ici, le prix juste ne saurait reposer sur le coût du travail, comme ce sera le cas du juste prix chez les Scolastiques, et moins encore résulter automatiquement d’un mécanisme économique, comme ce sera le cas du prix de marché chez Adam Smith. Chez Aristote, nous sommes dans un monde qui n’a pas totalement rompu avec la civilisation homérique du potlatch, où, pour reprendre une formule de Merleau-Ponty commentant la découverte de Mauss, "l’échange" est "la société même en acte".35 En témoigne le passage de l’Ethique où, après avoir déclaré que "c’est... l’échange qui fait la cohésion des citoyens", Aristote ajoute : "Voilà aussi pourquoi on élève un temple des Grâces (Charites) en un lieu où il soit bien en vue : c’est pour apprendre à rendre les bienfaits reçus. C’est cela le propre de la grâce : il faut non seulement payer de retour celui qui a fait preuve de gracieuseté, mais encore prendre soi-même l’initiative d’un geste gracieux".36 Cependant, Schumpeter, sur cette question encore, effectue une lecture récurrente du texte de l’Ethique, sans attention aucune pour son contexte et sa trame propres, rien moins que purement analytico-économiques ; et comme il n’y trouve pas le modèle scolastique qu’il y cherche, il en vient naturellement à s’expliquer sa lacune par l’incapacité d’Aristote à le formuler clairement : "Plusieurs passages, écrit-il, montrent, en fait, qu’Aristote tenta cette analyse < c’est-à-dire l’analyse scolastique de la formation du prix > et y échoua".37 Hume — La méthode de Hume, avons-nous dit, est tout autre. Mais l’on manquerait son originalité à s’en tenir, d’une part, à l’idée exprimée avec force et à plusieurs reprises, selon laquelle le premier usage de l’histoire n’est que de découvrir les principes constants et universels de la nature humaine38, et, d’autre part, à la métaphore de l’enfant par laquelle Hume illustre volontiers l’évolution de l’humanité.39 Ce dernier paraîtra bien alors partager l’uniformisme et le progressisme de Schumpeter. Mais ce serait oublier quel est pour lui le fondement de l’uniformité que présuppose l’exercice de toute science et quelles sont, en conséquence, les limites de tout progrès. L’investigation humienne du passé vise à cerner des totalités historiques, de façon structurale et comparative, et à analyser méticuleusement leurs circonstances particulières et contingentes (Whatever |
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