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PIERRE GAXOTTE /…/ Extraits (pages 31-40) LE SACRE. Louis a 12 ans. Ayant transporté sa résidence à Versailles en juin 1722 (il devait faire sa première communion au lieu de sa naissance), le Roi trouva tous les jeunes gens du lieu, vêtus comme pour un jour de fête, avec des touffes de rubans bleus et blancs, qui entourèrent son carrosse et ne le quittèrent qu’après qu’il eut mis pied à terre pour monter dans son appartement. Il fut confirmé le 9 août et communia le 15. Selon Saint-Simon, fatigué par le bruit, les acclamations, les défilés il essayait parfois de se cacher, mais Villeroy ne le laissait pas échapper. Le jour de la Fête-Dieu, le 4 juin, il lui fit même suivre à pied la procession de Saint-Germain-des-Prés. Il marchait entre les cardinaux de Rohan et de Polignac. Son sacre avait été fixé au mois de septembre. Mais les vignerons demandèrent qu’il fût remis, à cause de la vendange qui serait perdue par le nombre des troupes et des curieux qui devaient se rendre à Reims. Le Roi quitta Paris le 17 octobre et arriva à Reims le 22, ayant couché ou s’étant reposé à Dammartin, à Villers-Cotterêts, à Soissons et à Fismes. A Reims, il habita à l’archevêché. Le temps fut très doux et le Roi déclaré par tous les témoins aussi beau que l’Amour. Le duc de Rohan lui présenta les clefs de la ville et il fit son entrée, avec un immense cortège de troupes et de carrosses qui passèrent au son des cloches sous trois arcs de triomphe, célébrant l’amour, la paix et la prospérité. Louis se recueillit à la cathédrale et le lendemain alla prier dans plusieurs églises. La cathédrale avait reçu une ornementation magnifique les plus belles tapisseries de la couronne tendues jusqu’à la voûte, l’autel couvert d’une nappe de drap d’argent galonné d’or, au-dessus du prie-Dieu royal et du trône sur lequel devait s’asseoir le Roi après son sacre, deux dais de velours violet brodé de fleurs de lys. On prétend qu’il y avait 8 ooo aunes (à peu près dix kilomètres) de tapisseries tendues. Sur les autels des châsses d’or, garnies de diamants, contenant les reliques les plus précieuses comme le chef de Saint Louis. Six cardinaux, cinq archevêques et vingt évêques prirent place les premiers, tandis que s’asseyaient les maréchaux d’Estrées, de Tessé et d’Huxelles qui devaient porter dans la cérémonie la couronne, le sceptre et la main de justice. Les religieux de Saint-Denis avaient apporté les ornements royaux dont ils ont la garde. Comme la cérémonie devait être très longue — plus de six heures — les chanoines de Reims étaient là depuis six heures du matin; à sept heures arrivèrent les pairs laïcs en veste de drap d’or et manteau ducal portant tous une couronne de vermeil sur un bonnet de satin violet. L’évêque-duc de Laon et l’évêque-comte de Beauvais furent alors députés pour aller quérir le Roi. Ils passèrent par la galerie de bois construite depuis le portail de l’église jusqu’à la grande salle de l’archevêché, précédés des chanoines, d’une musique et du grand maître des cérémonies. Le sacre étant réglé jusque dans le plus minutieux détail, le chantre frappa à la porte de la chambre royale et l’évêque de Laon demanda Louis XV. Le prince de Turenne, grand chambellan, répondit « Le Roi dort. » Le chantre frappa une seconde fois. Même réponse. Le chantre ayant frappé une troisième fois et l’évêque de Laon ayant dit : « Nous demandons Louis XV que Dieu nous a donné pour Roi », les portes furent ouvertes. Le Roi couché sur un lit de parade était vêtu d’une chemise en toile de Hollande et d’une tunique de satin cramoisi, ouvertes toutes deux là où le Roi devait recevoir les onctions. Par-dessus la camisole, on lui mit une robe en toile d’argent et il se coiffa d’une toque de velours noir enrichie de diamants. Un nouveau cortège se forme. En tête les gardes de la prévôté de l’hôtel précédant le clergé, les Cent-Suisses de la garde, les hautbois, les tambours et les trompettes de la Chambre, les six hérauts d’armes en velours blanc, le grand maître des cérémonies, quatre chevaliers du Saint-Esprit, les huissiers de la Chambre, enfin le Roi entre les deux évêques suivi de son gouverneur, le duc de Charost, le grand écuyer, le capitaine des gardes, le garde des sceaux faisant fonction de chancelier, en toge fourrée de zibeline, mortier en tête, le grand maître de la maison du Roi, le grand chambellan, le premier gentilhomme de la Chambre, enfin les gardes du corps. Pendant ce temps, la Sainte-Ampoule était apportée en cérémonie de l’abbaye de Saint-Rémy, où elle est gardée. Après le Veni Creator, les évêques de Laon et de Beauvais ayant demandé le consentement du peuple et de l’assistance, l’archevêque de Reims reçut les quatre serments du Roi promesse de protéger l’Eglise et d’exterminer les hérétiques, pro- messe de gouverner le royaume, en empêchant les rapines et les iniquités, en faisant observer la justice et la miséricorde dans les jugements, promesse de maintenir l’ordre du Saint-Esprit et l’ordre de Saint-Louis institué par Louis XIV, promesse de faire respecter les édits contre les duels. A genoux devant l’archevêque de Remis, il reçoit alors les sept onctions un peu d’huile de la Sainte-Ampoule mélangé au Saint-Chrême sur une patine d’or. Les onctions se faisaient sur le sommet de la tête, sur la poitrine, entre les deux épaules, sur l’épaule droite, sur l’épaule gauche, à la jointure du bras droit, à celle du gauche. Les évêques referment alors les ouvertures de la camisole et de la chemise, le prince de Turenne donne au Roi la tunique, la dalmatique et le manteau royal. Il se remet à genoux. L’archevêque lui fait la huitième onction sur la paume de la main droite, la dernière sur la paume de la main gauche. Le garde des sceaux ayant appelé les pairs présents à la cérémonie, l’archevêque de Reims prend sur l’autel la couronne de Charlemagne apportée de Saint-Denis (en réalité une couronne de Saint Louis) et la met sur la tête du Roi, ou plutôt au-dessus, car elle est soutenue par des pairs, étant fort lourde et trop large pour la tête d’un enfant. On avait construit un jubé muni de deux escaliers du côté de l’Evangile et du côté de l’Épître, le trône étant placé au milieu bien en vue. Précédé, suivi de gardes et de seigneurs, Louis XV monte sur ce trône, ayant en mains le sceptre et la main de justice, le maréchal de Villars portant devant lui l’épée, le comte de Charolais la queue du manteau royal. On ouvre les portes de la cathédrale, le peuple entre en foule, les hérauts d’armes distribuent dans le chœur et la nef une grande quantité de médailles d’or et d’argent frappées à cette occasion, toutes les cloches de la ville sonnent en même temps, l’artillerie tonne, les régiments des gardes rangés sur le parvis font une triple salve, l’orgue et la musique du Roi accompagnent le Te Deum chanté par le clergé et les fidèles. La messe est alors dite et le Roi s’étant brièvement confessé communie sous les deux espèces. L’archevêque rapporte sur l’autel la couronne de Charlemagne et lui place sur la tête la couronne faite pour lui et conservée au Louvre (sans les pierres précieuses). Elle comporte en bas un bandeau d’or incrusté de diverses pierres. Le très gros diamant appelé aujourd’hui Le Régent parce que le Régent l’avait acheté pour le Roi est au milieu du front. Sur ce bandeau s’élèvent huit branches de diamants en forme de fleurs de lys. Elles se réunissent pour porter une grande fleur de lys en l’air et isolée. Le diamant appelé le Sanci qui était le plus beau du temps de Louis XIV fait le haut de la fleur de lys. Le Roi ayant été acclamé, retourne en cortège et en musique au palais archiépiscopal. Cinq tables étaient préparées. Au bout de la table royale est posée la nef d’or qui renferme les serviettes et les couverts du Roi. Les plats qui lui sont destinés sont apportés en fanfare, avec un cortège de hérauts d’armes, de maîtres d’hôtel, de maîtres des cérémonies, d’écuyers tranchants. Les vingt-quatre violons de la Chambre jouent pendant le repas. Le lendemain 26 octobre 1722, Louis XV se rend en cavalcade solennelle à l’abbaye de Saint-Rémy où il entend la messe. Le 27 il assiste à l’office chez les jésuites et l’après-midi il est à la cathédrale reçu novice chevalier, puis grand maître souverain de l’ordre du Saint-Esprit. Le 28, il entend la messe à l’abbaye des bénédictins de Saint-Etienne et après-midi se rend au camp occupé aux portes de la ville par les détachements de sa maison. Il remet la croix de Saint-Louis à quarante officiers. Le 29, il retourne à l’abbaye de Saint-Rémy, touche plus de deux mille malades atteints des écrouelles et gracie sept cents prisonniers, en faisant remettre à chacun d’eux un pécule pour leur voyage. Le 30, le Roi quitte Reims. Il s’arrête chez Philippe d’Orléans à Villers-Cotterêts, dont le château inhabité depuis longtemps a été remis en état par Oppenord et augmenté de constructions provisoires en bois pour loger la Cour, les officiers, les cent quarante acteurs, musiciens et danseurs engagés pour les fêtes. Un camp militaire accueille les troupes, copieusement nourries et abreuvées. Il y eut une chasse au sanglier dans les toiles et une chasse au cerf, mais le clou de la fête était une foire imaginée par le duc d’Orléans, avec comédie italienne, ballets, danseurs de corde, acrobates, loterie et toutes sortes de boutiques tenues par les demoiselles d’opéra où l’on trouvait de tout à volonté, pâtisseries, liqueurs, glaces, dragées, confitures, faïences, porcelaines etc. Extraits 3 (pages 361-387). Bilan économique à la fin du règne de Louis XV Chapitre XIII LE ROI DU PROGRĖS Combien la France avait-elle d’habitants comme Louis XV approchait de sa fin? Les administrateurs regrettaient de ne disposer que d’évaluations peu sûres. L’état civil, il est vrai, avait été organisé par l’ordonnance de 1579, dite ordonnance de Blois. Les curés qui en avaient la charge s’en acquittaient souvent avec négligence : feuillets arrachés, registres perdus, signatures omises, etc. Aussi en 1736 avait-il été ordonné qu’un double des registres serait déposé aux greffes des bailliages. Mais Comment utiliser les statistiques de naissances et de décès, dont un tableau récapitulatif était publié en janvier de chaque année pour les douze mois de l’année précédente? Mesance, dans ses Recherches sur la population (1766), multiplie le nombre des naissances par un coefficient fixe. Moheau, secrétaire de l’intendant Montyon, qui fut intendant de Provence, d’Auvergne et du pays d’Aunis, écrivit, sans doute guidé par lui, un des premiers traités de démographie en langue française, Recherches et considérations sur la population de la France (1778); il reconnaît que le manque de statistiques démographiques est une gêne constante pour la répartition des impôts, la levée de la milice, la rédaction des lois concernant l’économie. Mais, ajoute-t-il, un recensement général est une opération à peu près impossible, parce qu’elle doit être effectuée en même temps et en tous lieux et que la monarchie ne possède pas une administration capable de faire ce travail, Et puis, ajoute Moheau, il faut tenir compte de la « prévention du peuple » qui lui fait voir des impôts et des projets de finances dans les spéculations qui y sont le plus étrangères. Le dix-huitième siècle a eu le goût de l’exactitude, du chiffre précis, des données exactes. Il est curieux de lire dans la correspondance de Voltaire (1757) plusieurs lettres sur le choix du coefficient, par lequel est multiplié le chiffre des naissances. Son correspondant, La Michodière, alors intendant d’Auvergne, estime que le coefficient 34 est à retenir pour les villes où il y a des communautés religieuses, des séminaires et des collèges. Pour les bourgs et les petites villes, où il n’y a ni étrangers, ni Couvents, il ne faudrait multiplier que par 33 ou même par 32. « Si je juge de tout le royaume par l’Auvergne, finit-il par conclure, il y a augmentation de peuple, depuis le dénombrement de M. de Vauban. « Moheau arrive à une conclusion aussi favorable. En soixante-quatorze ans, depuis le milieu du règne de Louis XIV, en dépit des guerres et des grands hivers, la population française, selon lui, s’est accrue de plus de 11%. En 1773, Terray ordonne un dépouillement général des registres de mariages, de naissances, de décès depuis 1770. Ces recensements anciens sont à rapprocher de l’enquête de l’Institut national d’études démographiques publiée en 1975. Il repose sur le dépouillement des registres de catholicité dans 382 communes rurales, 15 petites villes, 8 villes moyennes et toutes les grandes sauf Paris. On aboutit à une population totale pour le royaume de 27 millions et demi en 1780, de 28 100 000 en 1790 contre 24 au début du siècle. Les historiens contemporains établissent que les variations ont été de sens divers : l’Alsace, la Franche-Comté, le midi toulousain enregistrent les progressions les plus fortes, dues à la réduction de la mortalité infantile (la vaccination contre la petite vérole se répand à partir de 1756), l’alimentation est meilleure, plus régulière, plus abondante, plus variée, fait disparaître les pratiques contraceptives, alors qu’au XVIIe siècle, toute disette entraîne de façon quasi automatique la réduction volontaire des naissances. Et jusqu’en 1788, il n’y a pas eu de troubles graves et durables. Quant aux guerres, à part une brève excursion en Provence et une autre en Alsace, elles se Sont toutes déroulées loin du territoire français. La tâche la plus pressée était de remettre en ordre les finances. L’unité monétaire de l’ancien régime était la livre qu’on appelait aussi le franc, mais ce n’était qu’une monnaie de compte. Les pièces qui circulaient réellement n’avaient pas une valeur constante. A l’envers du louis d’or et de l’écu d’argent on n’avait pas frappé d’indication de chiffres: « vingt livres » ou « six livres » par exemple. Un arrêt du Conseil déterminait de temps en temps à quel taux ces pièces seraient acceptées par le fisc ou par les particuliers. Or, bien que tous les papiers créés par Law eussent été anéantis, la vie demeurait plus chère qu’en 1717. La préoccupation principale du contrôleur général Dodun, conseillé par les Pâris, avait été de provoquer une baisse des prix par la raréfaction des moyens de paiement : c’est cette opération que les économistes appellent déflation. En 1724, le louis qui comptait pour vingt-quatre livres fut par étapes ramené à 14 à la fin de 1725, ce qui revient à dire que le montant de la monnaie en circulation avait presque diminué de moitié, sans que le nombre et le poids des pièces eussent changé pour cela. La déflation se heurta à une mauvaise volonté à peu près générale, car elle impliquait une baisse des salaires, une baisse de prix des stocks dans les fabriques et les magasins, une baisse générale des revenus, alors que les prix étaient rétifs. On eut recours à la rigueur, aux importations-choc : viandes achetées au-dehors par l’Etat et revendues à perte... Finalement Dodun dut annuler les diminutions et refaire en sens inverse le chemin parcouru. Fleury et le nouveau contrôleur général Le Pelletier des Forts eurent le mérite de comprendre que le meilleur moyen de rétablir les affaires était d’instaurer une monnaie stable, toujours égale à elle-même. Un arrêt du Conseil du 15 juin 1726 maintint pour six mois le louis à 24 livres et l’écu à 6. En décembre, prolongation pour six mois de l’arrêt de juin. Six mois plus tard, nouvelle prolongation. Et ainsi de suite. Enfin le 11 novembre 1738, il fut décidé que l’arrêt était renouvelé une fois pour toutes. Pour la première fois dans son histoire, la France dispose d’un véritable instrument d’échange. La Création du réseau routier accélère le rythme de la vie économique. Le transport des lettres et des marchandises devient plus facile et plus rapide. Mais pour que ce commerce intérieur se soutienne et se développe, il faut qu’il existe chez le paysan «une mentalité d’acheteur et de vendeur. » En effet, les paysans qui ont porté à la ville du blé, de la houille, du bois, ne reviennent plus leur guimbarde vide. Ils rapportent au village du linge, de la quincaillerie, des objets de ménage et ce frêt de retour diminue le prix des transports. Selon les statistiques établies par les commis du contrôle général, le commerce extérieur a quadruplé de 1715 à 1787. Il atteint à la veille de la Révolution le chiffre énorme de 1 153 millions qui ne se retrouvera pas avant 1825. Le rendement des impôts profite de la prospérité générale. Le bail de la Ferme, dit bail David, comporte une augmentation de recettes de 20 millions 152 contre 132. C’est en 1783 qu’est créée la première ligne régulière de paquebots entre Le Havre et New York. Des deux grands ports de l’Atlantique, Bordeaux et Nantes, grandes places internationales où se négocient et se distribuent les produits coloniaux, c’est Bordeaux qui l’emporte par l’importance du trafic, non seulement parce qu’il reste le port du vin, mais en raison de sa situation prépondérante avec Saint-Domingue, d’où provient la moitié du sucre consommé dans le monde. Michelet, dans une de ces antithèses qu’il affectionne, oppose Saint-Malo, la ville des corsaires, à Nantes, la ville des négriers. Michelet force la note, mais il est hors de conteste que Nantes est, sous Louis XV, le premier port négrier de France. Certaine année, ses armateurs transportèrent à Saint-Domingue trente mille noirs. Cependant ces « messieurs du commerce ne manquent jamais de rappeler que leurs vrais bénéfices proviennent de la vente en Afrique en paiement des esclaves, des étoffes, des couteaux, de la verrerie, de la faïence, des eaux-de-vie et, en France, des « retours » des îles, tabac, sucre, indigo. C’est le fameux commerce triangulaire. Un historien de Nantes a pu établir que la traite n’occupait que le cinquième ou le sixième de l’armement nantais du long cours. Notre commerce maritime souffrit moins des guerres anglaises, parce qu’il se fit en grande partie sur des vaisseaux étrangers et neutres. L’accroissement de la population a augmenté le nombre des clients; ce sont les commerçants qui poussent au développement de la production, au perfectionnement de l’outillage. Les marchands en gros ont été les agents de la révolution industrielle et cette révolution s’est faite contre les gens de métier, tout au moins malgré eux. Ce fut une grande victoire de la liberté que les deux arrêts du Conseil du 21 janvier et du 5 septembre 1759 autorisant l’entrée, le port, la libre fabrication de toiles peintes ou imprimées, prohibés depuis 1686. Par un phénomène imprévu, le capitalisme s’est servi de la campagne pour réduire les centres urbains. Les corporations n’avaient autorité que chacune dans sa ville. Il n’existait pas entre elles de confédérations provinciales ou nationales. Or les paysans occupaient les mois d’hiver et les soirées vides à des travaux de filature, de tissage, de coutellerie, de poterie, de menuiserie. Les grossistes s’emparèrent de cette main-d’œuvre par l’apport de gains plus élevés et ils la firent travailler pour l’exportation, lui fournissant modèles, outils, métiers perfectionnés. Le cultivateur continue à travailler chez lui, à sa guise, mais il n’est plus que le serviteur gagé d’un entrepreneur. Que tous soient réunis dans un seul bâtiment et l’industrie moderne sera née : manufactures de drap et de coton à Sedan, Amiens, Rouen, Reims, Louviers, Mulhouse. Le siècle est emporté par le vertige de la fortune. « Période d’expansion dans tous les domaines », écrit l’historien genevois Herbert Luthy et il ajoute « Cette prospérité qui a sans doute ses lacunes présente un équilibre et une harmonie remarquables. » Amorcée en 1732-33, la hausse des prix se prolongera jusqu’en 1817, c’est-à-dire pendant quatre- vingt-quatre ans. Ce mouvement, d’une durée et d’une amplitude exceptionnelles, n’est dû ni à des altérations de la monnaie, ni à une expansion désordonnée du crédit, ni à la rareté des produits (sauf pour le bois), mais à l’accroissement de la clientèle, à la diversification des besoins, aux bénéfices du commerce extérieur, dus surtout à la réexportation des denrées exotiques, au mouvement des échanges plus intense, entraînant une circulation plus rapide des moyens de paiement, au progrès de toutes les techniques qui met sur le marché une quantité de marchandises nouvelles, à la plus grande rapidité des communications qui crée un véritable marché national. Enfin se produit par l’intermédiaire de l’Espagne un nouvel afflux d’argent américain. Il est certain que la frappe durant les dernières années de l’ancien régime a varié entre 50 et 150 millions par an. Selon Necker à la veille de la Révolution, la France détenait près de la moitié du numéraire existant en Europe. Les prix ne montent pas d’une façon absolument régulière. C’est une montée coupée de paliers et de retours. Au mouvement général se superposent des mouvements de moindre amplitude, soit saisonniers, soit cycliques (de 10 ou 11 ans chacun). Les écarts sont d’autant plus sensibles qu’il s’agit de produits de moindre valeur. Pour s’en tenir à la céréale symbolique, on peut dire que le prix du blé a doublé entre 1733 et 1789. Pour les matières industrielles et pour les produits fabriqués, la hausse est moindre quoique considérable encore (30 % pour le fer, 57% pour la laine brute) mais elle est plus régulière; c’est l’indice d’une consommation uniformément croissante. D’Angleterre arrivent les machines et les techniques nouvelles, la navette volante, la machine à cylindre, les calendres, la machine à tisser, la jenny, enfin et surtout la fonte au coke et la machine à vapeur (système de Watt) sans laquelle la révolution industrielle n’aurait pu s’accomplir. Les taux de croissance des différentes branches de l’industrie sont surprenants. Ils vont de 72 % dans la métallurgie à 738 % pour les indiennes de Mulhouse. Il existe dans toutes les classes de la société un engouement pour les sciences et les arts industriels. L’Encyclopédie, avec ses milliers de planches consacrées aux métiers, en est le témoignage éclatant. Louis XV fait exécuter par les membres de l’Académie des Sciences de grands travaux de géodésie, mesure du méridien, mesure de la transversale Brest-Strasbourg, carte générale de la France, à l’échelle d’une ligne par cent toises, soit à peu près au cent millième. On s’écrase aux cours publics de physique expérimentale, notamment à ceux de l’abbé Nollet au collège de Navarre. En 1747, les expériences de décharge électrique obtenue par le moyen de la bouteille de Leyde font courir Paris, En 1750, l’Académie de Bordeaux couronne un mémoire où est démontrée l’analogie de la foudre et de l’électricité, analogie que Franklin redécouvrira. La chimie va naître. Les premiers articles de Lavoisier contre le phlogistique et les vieilles erreurs paraissent en 1773 et en 1774 dans le Journal de Physique. Moins d’un an après la mort de Louis XV, il lit à l’Académie le mémoire où se trouve décrite l’expérience cruciale, celle de l’analyse de l’air. Les capitaux abondent, les affaires Sont faciles. Toutes les formes d’association en usage aujourd’hui sont couramment pratiquées. Ducs, princes, hommes d’affaires, banquiers mêlent leurs capitaux pour exploiter des charbonnages, commanditer des usines de produits chimiques (eau de Javel, soude). Il importe toutefois de ne pas anticiper sur les années. Ce n’est que peu à peu que s’accomplira la concentration urbaine autour de la machine à vapeur, que sera créé le prolétariat urbain et renversée la distribution des classes. En 1774, il n’existe encore en France que huit villes qui aient plus de cinquante mille habitants : Paris (500 OU 600 000), Lyon, Marseille, Bordeaux qui doivent approcher de 100 000 à la fin du règne, Rouen, Lille, Nancy et Toulouse. On compte sur les doigts les entreprises qui occupent cinq cents salariés : Le Creusot, la fabrique de drap des Van Robais à Abbeville, la fabrique de mousselines du Puy, une fabrique d’étoffes de soie et coton près de Limoges, les forges de Dietrich à Niederbronn, la manufacture Alcock à Roanne (coutellerie, quincaillerie). L’artisanat et la petite entreprise dominaient et c’est à juste raison qu’un historien a pu parler « de la création d’une masse immense de richesses par les moyens anciens ». Sous Louis XIV, il n’existait qu’une seule bourse en France, à Lyon. Celle de Paris née avec le Système fut réorganisée en 1724. Elle se tenait rue Vivienne dans l’ancien hôtel Mazarin qui abritait aussi la Compagnie des Indes et l’administration de la Loterie. Les agents de change négocient les valeurs d’Etat, les monnaies étrangères, les parts de la Ferme générale, les actions des grandes compagnies, compagnie des Indes, Assurances maritimes, Assurance générale... La compagnie des Eaux sera fondée par les Frères Perier en 1777 et les travaux commencèrent l’année Suivante. L’eau est puisée dans la Seine, les pompes feu et les bassins de filtrage Sont installés près de notre place de l’Alma et à l’ouest du Champ-de-Mars. La première canalisation suivait la rue du Faubourg-Saint-Honoré et les boulevards. L’établissement de cette canalisation est la preuve des besoins en eau de la capitale. Les puits et les fontaines ne suffisent plus. La population augmentant, le gouvernement royal est contraint à de nombreux travaux. Son mérite fut d’implanter aux lisières de la ville les vastes établissements qu’il eût été téméraire de greffer au Centre. Si l’Hôtel- Dieu demeura dans la Cité, à l’ombre de Notre-Dame, l’hôpital Saint-Louis et l’hospice de la Salpêtrière furent bâtis à la périphérie. Dans l’aménagement des villes, qu’il s’agisse de Paris ou de la province, les églises ont depuis longtemps déjà perdu leur rôle de monument principal. Servandoni construit Saint-Sulpice et Soufflot le Panthéon, mais place Louis XV et au Champ-de-Mars à Paris, place de la Bourse à Bordeaux, place Stanislas à Nancy, au Peyrou à Montpellier, Gabriel, Louis, Héré, Giral n’élèvent que des bâtiments civils, des palais, le Garde-Meuble, l’École militaire, un aqueduc, des promenades avec de l’eau, des fleurs, des arbres et des terrasses. Nombre de villes, à l’imitation de Paris, décidèrent la création de places royales, merveilleux chefs-d’œuvre qui commandèrent parfois l’extension future de ces cités. Naquirent entre autres les places monumentales de Dijon, de Lyon (démolie par la Révolution, reconstruite par Napoléon), de Montpellier, de Rennes, de Bordeaux, de Nancy, de Reims. Certes, il ne fut pas possible d’édifier toutes ces places de parade sur des terrains vierges on dut raser quelques petites ruelles. Quand en 1769, il fut question de créer une nouvelle place royale à Paris pour servir de cadre à la statue de Louis XV, une cinquantaine de projets furent élaborés par les architectes les plus brillants. Quelques-uns d’entre eux songèrent à détruire la place Dauphine, à réunir l’île Saint-Louis à celle de la Cité, puis à dessiner au centre de celle-ci une gigantesque place circulaire. Louis XV s’y opposa il ne voulait pas, déclara-t-il, que « des quartiers marchands fussent dévastés » et que « la commodité et les intérêts d’un grand nombre de ses sujets fussent sacrifiés ». Grâce à quoi, celle que nous appelons la place de la Concorde fut opportunément aménagée en dehors de la ville ancienne, en un site anonyme qui appartenait au Roi et qui fut à jamais magnifié. Beaucoup des personnes qui ont perdu de l’argent par la faute du Système cherchent, commanditent, des « placements dans la pierre ». Mercier dans son Tableau de Paris affirme que le tiers des maisons debout à la Révolution ont été bâties sous Louis XV. C’est Louis XV lui-même qui désigna l’architecte de la Monnaie, Antoine, alors inconnu. On commence à établir un véritable réseau d’égouts en utilisant d’abord les ruisseaux qui descendent des collines et la dépression marécageuse qui occupe l’ancien lit de la Seine au pied de ces mêmes collines. Le grand égout, refait en 1737, embrasse la partie nord de la ville et recueille les égouts particuliers, depuis celui de la rue Vieille- du-Temple jusqu’à la rivière, près de la Savonnerie, à Chaillot. En juillet 1740, rapporte Luynes, Louis XV alla lui-même visiter le nouvel égout du Pont-aux-choux (Sous la rue de Turenne actuelle). En 1765, il est décidé que tous les cimetières de la ville seraient supprimés et remplacés par huit cimetières suburbains. Le clergé fit une opposition acharnée à l’exécution de l’arrêt. Il fallut qu’une cave fissurée de la rue de la Lingerie fût infectée par les exhalaisons d’une fosse du cimetière des Innocents pour qu’on se décidât à fermer celui-ci. Les ossements furent déposés dans les carrières du midi qu’on baptisa catacombes l’entrée se faisait par une maison du chemin des cavées (rue Dareau). Depuis 1667, Paris était éclairé par des lanternes formées de petits carreaux enchâssés dans du plomb. En leur nouveauté, ces huit mille lanternes parurent la merveille des merveilles. C’était une merveille modeste et vacillante. Le lieutenant de police Sartine demande à l’Académie des Sciences d’instituer un concours pour trouver un meilleur mode d’éclairage public. En 1766, on adopta les lanternes à huile et à réflecteur, munies d’un ou plusieurs becs et manœuvrées au moyen d’une poulie. La Poste se trouve à la même place que le bureau central aujourd’hui. L’entrée est rue Platrière (rue J.-J. Rousseau). Le 1er juin 1760 commence à fonctionner la petite poste pour la distribution de la correspondance à Paris (deux sols) et dans tous les villages autour de Paris (trois sols). Il y a neuf distributions par jour. Un nouvel Opéra est bâti. C’est la Porte Saint-Martin d’aujourd’hui, et un nouveau Théâtre français (terminé en 1782) c’est notre Odéon. Le 22 septembre 1772, Louis XV inaugure le pont de pierre de Neuilly, construit par Perronet, ouvrage très hardi et très neuf en raison de la minceur des piles, de la portée et du surbaissement des voûtes. Paris qui a porté nombre d’industries de luxe n’est pas, à proprement parler, une cité industrielle comparable à celles d’aujourd’hui. La France reste un grand pays agricole. En 1763, Bertin accorda la liberté de circulation des grains et farines à l’intérieur du royaume. En 1764, Laverdy établit la liberté d’exportation par vingt-sept ports. Trois médiocres récoltes en 1766, 1767 et 1768 contraignirent Terray à revenir en arrière. Le 16 juillet 1770 l’interdiction de sortie fut prononcée et bientôt le prix du pain baissa. En 1774, on revint à la liberté. Pendant quatre ans, la France avait vendu à l’étranger 4 308 000 quintaux de blé et de seigle, sans que cet immense commerce ait provoqué des troubles. Cependant assez peu de terres ont été gagnées à la culture et il n’y a pas eu un très gros accroissement des rendements céréaliers. Le grand effort du siècle va être d’abolir ce que François de Neufchâteau appelait l’opprobre des jachères. Au lieu de laisser la terre en friche entre deux récoltes de céréales, les agronomes vont lui faire porter d’autres végétaux capables de fouiller l’humus à des profondeurs différentes et ne demandant pas au sol la même proportion d’éléments chimiques. Avant tout, des légumineuses comme le trèfle, le sainfoin, la luzerne, puis des navets et des betteraves. La seconde amélioration consiste dans l’adoption de cultures nouvelles. Le maïs se répand dans le Sud-Ouest, la pomme de terre devient la grande ressource des pays où le blé rend peu, soit à cause du sol, soit à cause du climat, Auvergne, Pyrénées, Bretagne, Vosges. En même temps, le développement et les progrès de l’élevage Créent une abondance de produits laitiers. Comme les économistes poussent à la production à outrance deux questions se posent, très graves l’une et l’autre. D’abord le partage des communaux. Comment s’accomplirait-il? En donnant à chacun une parcelle de superficie égale? En proportionnant l’importance des lots au montant des impositions? Ensuite la liberté de clore les héritages si la clôture est autorisée, le propriétaire sera incité à apporter des améliorations à sa terre, mais la vaine pâture sera empêchée. Aussi le Conseil se garde-t-il d’autoriser la clôture par mesure uniforme. A partir de 1767 des arrêtés furent pris un à un pour la Lorraine, les Trois Evêchés, le Barrois, le Hainaut, la Flandre, la Champagne, la Bourgogne, la Franche-Comté, le Roussillon, le Béarn et la Corse. Hors les trois dernières, les provinces visées appartiennent toutes au Nord et au Nord-Est. De plus, dans la pratique l’exécution des édits fut bien des fois retardée ou suspendue par les circonstances locales. Si les clôtures de prés furent nombreuses, elles ne prirent jamais en pays de labours une bien grande étendue. Le Hainaut et le Bourbonnais herbagers sont devenus des pays de haies, mais les « champagnes » de l’Est, quelques îlots mis à part, demeurèrent à la fois des terres à blé et des terres ouvertes. Si l’on compare le sort de la classe paysanne française à celui des populations d’Europe centrale ou d’Angleterre, on est obligé de conclure que les paysans étaient en France plus heureux, plus riches et plus libres que partout ailleurs. Louis XV qui parlait avec tant de respect des « biens de la terre », dit une fois que les laboureurs représentaient la portion la plus utile de la société. Ce souverain, si frivole, qui mit si longtemps à affirmer sa volonté et à se révéler au pays avait peut-être les goûts et le tempérament d’un cultivateur. |
![]() | «Louis»; ou encore une lettre du roi pour la convocation des États de Bourgogne datée du 30 mars 1671, donnée à Saint-Germain-en-Laye,... | ![]() | ... |
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