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Les risques industrialo-environnementaux perçus par les établissements et impacts sur les décisions en matière de gestion. Etude exploratoire sur les bassins industriels de Gardanne, de l’Huveaune et de Fos-Berre. Julie OLIVERO, doctorante en sciences de gestion, IAE Aix-en-Provence, CERGAM, Aix-Marseille Université, France. Email : julie.olivero@iae-aix.com Pierre BATTEAU, professeur des universités, IAE Aix-en-Provence, Aix-Marseille Université, France Résumé Si les entreprises intègrent depuis longtemps les risques financiers ou sociaux, elles expriment des difficultés à évaluer les risques environnementaux1 générés par leurs activités, appelés risques « industrialo-environnementaux », (RIE par commodité). Pourtant, depuis quelques années, la conscience collective des enjeux environnementaux s’est largement développée, que ce soit dans les milieux politiques ou au niveau de la société civile. Pour répondre à ces exigences, l’entreprise doit s’interroger de façon permanente sur ses impacts locaux, directs et indirects sous peine de subir des conséquences néfastes et irréversibles pour la pérennité de ses activités (boycott des produits, impacts financiers, déficit d’image, perte de marchés…). Les questions environnementales représentent désormais un enjeu stratégique pour les entreprises. De nombreux travaux empiriques, aussi bien en sociologie, psychologie qu’en anthropologie, ont été menés sur la perception du risque et le comportement de l’individu face au risque. Les résultats mettent en évidence des divergences entre les évaluations objectives des experts et les appréciations subjectives du public. Experts et population sont interrogés sur divers types de risques (OGM, nucléaire, nanotechnologies, téléphonie mobile…) dont ils ne sont pas la source. Mais comment l‘industriel perçoit-il les risques qu’il fait subir à son environnement? Et quelles sont les variables influençant ses décisions en matière de RIE? Basé sur approche pluridisciplinaire du risque et sur une étude territorialisée du bassin industriel des Bouches-du-Rhône, cet article vise à identifier les variables susceptibles d’influencer la façon dont les responsables d’entreprises apprécient les risques qu’ils génèrent à leur milieu et les intègrent dans leur politique de gestion. Sans négliger les déterminants économiques, la réglementation et, dans une moindre mesure, la culture de l’entreprise et les valeurs du dirigeant ont un rôle significatif dans la prise en compte des RIE. Toutefois, dans un contexte marqué par la récession économique et un durcissement de la réglementation, on observe un tarissement des démarches de gestion des RIE. En se positionnant comme « entropologue »2, on tentera de mieux comprendre l’entreprise et son interaction avec l’environnement à travers ceux qui la servent (leur parole et leur perception) via une analyse de contenu thématique. Mots clés : Perception du risque, gestion du risque, risque industrialo-environnemental, décisions, analyse de contenu thématique. Les risques industrialo-environnementaux perçus par les établissements et impacts sur les décisions en matière de gestion. Etude exploratoire sur les bassins industriels de Gardanne, de l’Huveaune et de Fos-Berre. INTRODUCTION Les accidents écologiques nous rappellent combien l’environnement est vulnérable face aux activités anthropiques. Les marées noires, comme celles provoquées par le naufrage de l’Erika ou plus récemment l’accident d’Ajka en Hongrie, marquent encore les esprits. Les illustrations sont nombreuses. Parallèlement, il existe des atteintes à l’environnement moins « visibles » mais non moins conséquentes. Les activités industrielles peuvent être aussi à l’origine de pollutions graduelles et diffuses (impacts sur l’air, l’eau, le sol/sous sol et la biodiversité) susceptibles de causer à la fois des risques environnementaux sur le long terme (risques sanitaires, destruction d’écosystèmes, etc.) mais aussi des risques pour l’entreprise en termes d’image, de réputation, et de coûts. On parle ici de « risques industrialo-environnementaux (RIE). La question des rapports entretenus entre les industries et leur environnement se pose en France où près de 500 000 établissements dits « à risques » relèvent de la législation des installations classées pour la protection de l’environnement3, appelées ICPE4. Les ICPE soumises à autorisation sont concentrées majoritairement dans de grandes agglomérations industrielles littorales, notamment sur le département des Bouches-du-Rhône. Ces politiques environnementales, impulsées par des acteurs publics, influencent l’action et les stratégies des entreprises de manière significative. Elles délimitent un périmètre d’action et d’influence entre les entreprises et leurs différentes parties prenantes sur le territoire. Ces dernières, par leur présence et leur activisme, incitent les firmes à gérer de manière responsable leurs activités tant en termes de risques que d’impacts relatifs aux externalités générées. Ainsi, l’entreprise, ou plus exactement l’établissement5, se développe et interagit au sein d’un environnement de proximité qui participe au façonnement de ses décisions stratégiques. Notre contribution s’inscrit ainsi dans le courant « Business and Society » (Carroll, 1979 ; Jones, 1980) qui s’intéresse à la nature des interactions entre l’entreprise et la société, en mobilisant la théorie des parties prenantes (Freeman, 1984) dans laquelle l’entreprise, qui agit dans un environnement socio-politico-culturel, doit assumer un ensemble de responsabilités autres que ses obligations légales et économiques. De nombreuses études en sociologie, psychologie et en anthropologie, montrent des phénomènes de divergence entre les évaluations des experts en matière de risque et les appréciations du public (Slovic et al., 1980, 2000 ; Kahneman et Tversky, 1974, 1979 ; Douglas et Wildavsky, 1982 ). Dans ces travaux, experts et population sont interrogés sur divers types de risques dont ils ne sont pas la source (OGM, nucléaire, nanotechnologies, téléphonie mobile, etc.). Il s’agit de risques exogènes : ils se positionnent en tant que « juges » de risques subis. Si, au contraire, on s'intéresse aux politiques des établissements face aux risques qu'ils peuvent eux-mêmes générer à l’environnement, la situation est différente car le risque n'est plus complètement exogène. Son étendue dépend aussi de la représentation que l'établissement s'en est faite et de la façon dont ces risques sont perçus. Une partie du risque devient alors endogène. Comment l‘industriel apprécie-t-il les RIE dans un contexte croissant de responsabilisation environnementale des industries (loi Nouvelles Régulations Economiques de 2001, loi Grenelle 1 de 2009, loi Grenelle 2 de 2010, etc.)? Quelles sont les variables influençant sa perception et sa gestion des RIE? Dans un premier temps, nous exposerons brièvement le cadre théorique pluridisciplinaire dans lequel se situe cette recherche et ayant permis la construction d’un premier modèle conceptuel, puis nous spécifierons la méthodologie employée pour enfin nous intéresser aux résultats. 1. UN CADRE THEORIQUE PLURIDISCIPLINAIRE POUR L’ETUDE DE LA DECISION FACE AUX RISQUES INDUSTRIALO-ENVIRONNEMENTAUX AU SEIN DES ETABLISSEMENTS INDUSTRIELS Si les champs théoriques relatifs à l’attitude individuelle face au risque, d’une part, et au management environnemental dans les entreprises, d’autre part, font état de travaux empiriques conséquents, le lien entre ces deux champs procède d’une exploration théorique (Thiétart et al., 2003). Cet article vise à comprendre comment l’établissement, à travers la perception du gestionnaire des RIE, évalue et gère ces risques. En effet, l’étude de la perception ou de l’évaluation subjective du risque est pertinente pour rendre compte des intentions comportementales6 (O’Connor, Bord et Fisher, 1999). Elle influence les attitudes et les comportements des individus (Siegrist, et al., 2005), et constitue le point de départ pour la compréhension des actions humaines, résultats de prises de décisions en milieu d’incertitude (Charbonnier, 2007). Dans les années 1970, trois approches se sont développées en remettant en cause la théorie de l’utilité espérée selon laquelle le risque est parfaitement connu: la psychologie expérimentale, et les approches psychométrique et culturelle (cf tableau 1 ci-après). Ces approches mettent en évidence des biais cognitifs et socioculturels venant conditionner la manière dont un individu isolé évalue un risque, expliquant ainsi les divergences entre experts et non experts. Il ne s’agit pas d’une simple perception issue d’un processus physiologique à travers lequel un individu reçoit, traite et mesure l’information de son environnement physique et communicatif via les cinq sens (Jungermann et Slovic, 1993). Il s’agit d’une interprétation individuelle du risque, empreinte de subjectivité, et déclenchant des processus à la fois affectifs et cognitifs.
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