Deuxième partie - mieux gouverner la France
Après avoir discuté du rôle des pouvoirs publics dans un monde en profonde évolution, il nous faut maintenant tenter de cerner des changements concrets de gouvernance, d’abord en France, ensuite en Europe.
Résumé C’est une évidence qu’il faut bien rappeler : il n’y a pas de gouvernement efficace et d’économie performante sans Etat de droit. Or la sécurité des personnes et des biens n’est plus aujourd’hui suffisamment assurée en France et constitue une des inégalités les plus insupportables.
La justice doit être rendue rapidement et la présomption d'innocence doit être renforcée. Nous faisons le pari que certains secteurs de la réglementation (notamment le droit du travail) vont décroitre au profit d’une augmentation de la jurisprudence. L’enjeu de l’efficacité de la justice est donc important. Son budget doit retrouver le niveau de ceux de nos principaux partenaires européens, pour renforcer l’outil dissuasif, améliorer l’outil préventif, faire de la justice un outil de compétitivité économique et lutter contre les financements illicites.
Tout cela suppose une capacité du législateur à réagir de façon rapide, tout en prenant en compte la complexité des situations, tant du fait de leur ancrage dans un contexte international qu’en raison des circonstances sociales et du droit existant, sans pour autant submerger le justiciable sous une inflation normative coûteuse. Pour certains sujets techniques et complexes, il faut déléguer aux autorités administratives indépendantes compétentes (ACPR, AMF, etc.) le pouvoir d’élaborer des normes d’application sur la base de textes de compromis politiques, sur le modèle du Processus Lamfalussy suivi dans l’Union européenne. Sur les questions plus urgentes, on doit pouvoir légiférer par voie d’ordonnances sur la base d’un rapport remis par un organisme de « contrôle de qualité » des normes, ce qui conduira à réévaluer les moyens d’action du Secrétariat général du gouvernement. La prescription constitutionnelle de réalisation d’études d’impact des lois doit être généralisée et plus effective, et les administrations devront être mieux formées à l’analyse coûts-avantages des politiques publiques.
Nous sonnons l’alerte sur le fonctionnement des institutions : avec la concomitance de fait des mandats présidentiel et législatif lors du passage au quinquennat, le Le Premier ministre n’a plus de légitimité politique forte, l’article 20 de la constitution devient lettre morte et le gouvernement est dirigé de fait par le Président. La censure du gouvernement n’a donc plus vraiment de sens, sauf à remettre en question la séparation des pouvoirs. Si le droit de censure disparaît, en contrepartie, le droit de dissolution doit cesser d’exister, ainsi que l’article 49.3. La logique d’un vrai régime présidentiel s’impose donc, sauf à précisément déconnecter les élections présidentielles et législatives en différenciant la durée des mandats.
La démocratie participative reste aujourd’hui une chimère. Elle ne consiste pas à l’ouverture de « cahiers de doléances » permanents, comme l’a fait l’administration Obama, mais à faire bénéficier le travail du gouvernement de l’aide d’un plus grand nombre d'experts indépendants et non des lobbys, donc à créer une véritable participation interdisciplinaire du peuple, en facilitant l'ouverture des données publiques et le « crowdsourcing » : tout cela reste à créer.
La gouvernance doit s’adapter « aux temps et aux lieux » comme le disait Tocqueville. En pratique, de véritables sessions de coaching devront être conduites avec avec toutes les branches des pouvoirs publics, comme le font les PDG de grandes entreprises et leur comité exécutif, pour éviter le contrôle de toute chose au sommet de la hiérarchie, pratique condamnée à l’échec en raison de la complexité du monde moderne. Le dirigeant politique ne peut plus prétendre à l’omniscience, le leader « héroïque » contrôlant et micro-manageant en temps réel de multiples départements dans tous les rouages de la société doit laisser la place à un humble « jardinier » à l’écoute des équilibres changeants de l’organisme vivant que représente toute organisation humaine. Son rôle est donc un rôle d’influence par l’exemplarité, cultivant son organisation, améliorant ses structures, ses règlements et sa culture pour permettre aux structures subordonnées de fonctionner dans une « autonomie intelligente », et par un partage efficace de l’information.
En particulier, un meilleur équilibre doit être atteint entre pouvoir politique et expertise des administrations de façon à préserver les projets de long terme. Cela suppose de revoir un certain nombre de règles de gouvernance au sein de l’administration (limiter l’influence sur les possibilités de carrière des participations aux cabinets ministériels et le recrutement des apparatchiks des partis politiques, ne pas céder aux mirages de nomination politiques externes d’agents mal formés qui ne contribuent pas à élever le niveau d’action de l’administration). Le système de formation efficace des fonctionnaires et hauts fonctionnaires, qui fait partie de la tradition française, ne doit pas être abandonné. Il ne s’agit donc pas de limiter l’influence de l’ENA : il s’agit de la soustraire aux influences du politique. Pour renforcer l’ENA, et lui donner plus de légitimité, il faudrait la transformer en une grande université de l’action publique, qui regrouperait une majorité des 80 écoles de service public ministériel qui prolifèrent en France et qui aboutissent à une balkanisation des prés carrés ministériels ou même infra ministériels. Disposer d’une administration moins nombreuse, avec davantage de pouvoir dans des domaines plus limités, et bien mieux formée : c’est un défi que les autorités publiques modernes doivent relever sans démagogie.
Devant l’explosion de la dette et la difficulté récurrente d’équilibrer les budgets, un pilotage plus rigoureux des finances publiques est plus que jamais nécessaire et cela passe par la création d’outils nouveaux : des marges de sécurité dans l’exécution des budgets, des hausses automatiques d’impôts directs ou de TVA en cas de dérapage budgétaire, un engagement à lisser les efforts budgétaires dans le temps et donc à créer des surplus en période de plus grande croissance (surplus que l’on se refusera d’ailleurs d’appeler « cagnotte »), l’augmentation considérable des moyens du Haut conseil des finances, et enfin le développement de « stress tests » des finances publiques.
Nous montrerons, chiffres à l’appui, que l’intégration des immigrés n’est pas plus mauvaise en France qu’aux Etats-Unis. L’appartenance à la communauté nationale est forte (par exemple, les mariages mixtes sont courants à la deuxième génération) et contrairement à une idée reçue, les revendications des immigrés ne répondent pas une logique communautaire particulière mais à une logique de catégorie socio-professionnelle, comme dans l’ensemble de la société. On ne peut cependant pas faire l’économie du fait religieux : l’intégration de la communauté musulmane peut être rendue plus délicate du fait de la présence en son sein d’une minorité à l’attitude ambiguë vis à vis des valeurs de la République, notamment l’égalité homme-femme et la laïcité.
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