Les deux styles de la critique








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Le style

Les deux styles de la critique
Il s’agit de dissocier le style en deux concepts autonomes, un concept rhétorique et un concept littéraire. Pour comprendre le style, il faut faire le distinguo entre un concept rhétorique et un concept herméneutique.
Pour une conception herméneutique du style


  • Rêves de style

On peut penser à la diction et à l’univers. Partout se retrouve le même style de pensée du style, l’assimilant conjointement à une musique et à un monde, par-delà la lettre du texte. Rêve du style, « impression de rêve », pour reprendre une autre formule de Proust, toute une psychologie de l’évasion et de la traversée trouve son emploi.


  • L’au-delà du texte : style ou univers de diction

S’opposant aux études textualiste qui font du texte une réalité autotélique, Pavel souligne l’incomplétude fondamentale du texte et le mode d’existence non textualiste, en « transcendance », des univers imaginaires engendrés par le lecteur au fur et à mesure de sa lecture. Cette façon de concevoir le statut du texte dans la lecture relève ainsi plus généralement de ce que la critique contemporaine nomme la sémantique des mondes possibles. Il s’agit donc d’une théorisation du texte qui refuse le dogme de la clôture et de l’ « intransitivité ». La notion même de diction postule que le style est lié à l’oralité et que l’écriture est expression.


  • Pensée du style et protocole exégétique

Lanson formalise à l’aube du XXe siècle, sur le modèle de l’exégèse religieuse, l’exercice de lecture littéraire que l’institution a nommé explication de texte.

La technique d’interprétation des quatre sens remonte à Origène. Soit, comme l’expose Hugues Saint-Cher, la formule du psaume CXIII : In exitu Israel a Aegypto, « Israël dans sa sortir d’Égypte ». À partir de là, l’exégète peut construire quatre sens.

  1. Le sens littéral : l’événement à un moment historique précis

  2. Le sens allégorique : le peuple chrétien sortant des ténèbres de l’infidélité (allegoria in verbis) ou le triomphe ultime du Christ contre la mort (allegoria in factis)

  3. Le sens moral ou tropologique : la sortie d’Égypte l’homme l’effectue à chaque fois qu’il tourne le dos aux péchés.

  4. Le sens anagogique, selon lequel l’énoncé biblique signifie les mystères du dogme : en l’occurrence, la sortie d’Égypte renvoie aux mystères de la mort, quand l’âme sainte sort du corps et des ténèbres pour accéder à la vision de Dieu.

Lanson reprend le dédoublement entre sens littéral et sens spirituel. Pour le travail du sens littéral, il s’agit d’un travail philologique d’établissement du texte, un travail grammatical et rhétorique d’établissement des significations, un travail historique d’explications des contextes. À la place du spirituel (ou du mystique), et dans un souci de laïcisation par ailleurs politiquement motivé, le terme retenu est celui de « sens littéraire ». Entre dans ce sens littéraire tout ce qui relève de la figuration de l’auteur (sens figuriste, la figure de l’auteur renvoyant à celle du Christ) ; tout ce qui participe d’une interprétation métaphysique ou esthétique de l’écriture (idéologies assimilables aux mystères de la religion), et même — coup de force sensible — tout ce qui concerne l’actualité sociale du texte (équivalent de l’application morale). Le sens littéraire est donc obtenu selon des procédures d’interprétation essentiellement figuristes et métaphysiques. Dans la définition substantielle du « sens littéraire », on retrouve très précisément la nébuleuse d’imaginations, de valeurs et de sentiments qui, pour Lanson, qui constitue le style. Autrement dit, avec Lanson, le style devient un sens, une idée métaphysique et figuriste, il est ce supplément d’âme (auctoriale) et d’idéologie que l’herméneutique permet de décrire comme ajout d’un sens spirituel. La lecture littéraire est décrite comme processus herméneutique, au sein duquel un premier niveau d’exégèse travaille à l’établissement du texte et un second à celui du style. Le style, ici, c’est du sens fait avec du texte ; ou, autre façon de dire la même chose, en littérature la religion des textes se parachève en une mystique du style.


  • Renouveau herméneutique et études de style

Spitzer, lui, va ignorer la relation exégétique traditionnelle conçue sur le mode de l’échelle (d’un degré à l’autre des sens) et s’inspirer d’un autre modèle herméneutique, celui du cercle, tel qu’il a été mis en place dans la philosophie allemande. La construction critique du sens littéral et l’interprétation du sens littéraire, autrement dit la production du texte et celle du style, sont modélisées selon un processus de va-et-vient entre unités de détail et unité globale, entre la « partie » et le « tout ».
Les styles, un concept rhétorique


  • Style et scripturalité

La pensée du style en rhétorique est ipso facto une pensée de l’écrit, des ouvrages de l’esprit comme œuvre d’écrivain. La constellation lexicale mise en place autour du style dès l’Antiquité gréco latine a en effet systématiquement tenté de prendre en charge une spécificité du scriptural par rapport au modèle dominant du langage comme phénomène discursif, autrement dit la conceptualisation du style a été le lieu où la pensée philosophique a ménagé un espace pour autoriser une pensée de l’écriture, son identité graphique : style vient de stylus, l’instrument et le geste de la calligraphie, tandis que la figure et le trope (circuit, au sens étymologique) désignent des parcours du dessin, de la trace, sur le support calligraphique, au même titre que le vers et la prose qualifient originellement de sillons dans la terre glaise, et que le mètre ou la période sont des instruments de mesure pour quadriller l’espace du champ labouré et y introduire des repères. Le style a partie liée avec une valorisation de l’écrit ; c’est, à n’en pas douter, l’apport originel et fondamental — devenu transparent — de la rhétorique à la notion de style.


  • Un concept de qualification philosophique

Platon s’appuie sur une dichotomie simple entre logos (énoncés) et lexis (opération de production des énoncés, énonciation si l’on veut, dans ce sens très extensif d’engendrement du logos), pour proposer des critères permettant d’apprécier la moralité des œuvres en général, et des poèmes (homériques) en particulier. La lexis musicale, c’est-à-dire, dans l’optique hellénistique, l’art du rythme, du mode musical, puisse elle aussi relever d’une qualification morale, qu’il existe des modes et des rythmes immoraux et d’autres profondément moraux, voilà le pas décisif quant à l’émergence du style. Chez Cicéron, le médiocre est le plus explicitement qualifié en rapport à une argumentation philosophique : sont en effet mis en avant les acteurs du médiocre (les sophistes et, plus généralement, les maîtres de philosophie dans les écoles). À partir de là, le grand se distinguera comme était le fait du politique (celui qui fascine les peuples rassemblés et influe sur leur gouvernement) et le simple comme étant le fait du citoyen athénien, homme d’expérience et de vertu. Les trois registres ne sont pas ainsi trois degrés sur une même échelle technique, mais trois voies originales d’accès à la sagesse, par l’expérience, par le savoir et par l’ascèse spirituelle. Les styles sont ainsi des qualités philosophiques qui prennent en charge des types idéaux de travail langagier, non des étiquettes servant à dénommer les genres de l’écrit.


  • Des styles et des genres : vers une sophistique des registres

On peut dire que de son apogée antique à ses renaissances françaises, aux XVIe et XVIIe siècles, le concept rhétorique de style enregistre une déperdition toujours plus grande de ses motivations philosophiques, au profit d’une précision vertigineuse de ses composantes. C’est une conception sophistique. La rhétorique médiévale s’est efforcée de « littérariser » le fonctionnement de cette tripartition. En effet, les registres vont être redéfinis par référence aux trois œuvres de Virgile, l’Énéide, les Géorgiques et les Bucoliques. Il arrivera alors que la rhétorique tardive (XVIIe-XIXe siècles) tourne à la nomenclature formelle, réduisant les styles à des corpus particuliers de tournures et même seulement de langue, de lexique. Rompant avec la motivation philosophique antique de la notion, la rhétorique en vient à produire de simples listes de termes, spécifiques de la langue burlesque ou de la grande éloquence.
D’un style à l’autre : de quelques crises du concept


  • Rhétorique de la stylisation : le style est « l’homme même »

La rhétorique, avec les catégories qui sont les siennes, invente la possibilité du style comme qualité unique et spécifiante, comme figuration d’un ethos singulier et incarnation sensible d’une vérité. Le style, c’est d’abord de Pascal à Buffon, le mouvement d’une argumentation, le style d’une pensée vive, l’homme même comme intelligence actualisée dans une dynamique verbale. Le style, c’est l’idée faite corps, ce sont la passion, l’émotion, le sentiment de l’idée, cet élan et ce supplément d’âme que La Bruyère et Boileau appellent le sublime. C’est une troisième conception que l’on pourrait appeler « rhétorico-subjective »/


  • Linguistique et faits de style : le tournant analytique

La linguistique du XXe siècle, quand elle se donne pour objet d’étude les faits d’expressivité verbales, retrouve les méthodes d’analyse et de description des rhétoriques, et n’a rien à voir avec un quelconque projet de compréhension du style d’auteur. La stylistique est l’étude linguistique des traits formels rapportés à leur expressivité ». Avec la stylistique, nous sommes plus près de la pensée rhétorique des styles comme registres de procédures formelles, que d’une idéologie esthétique, métaphysique ou idéaliste du style comme interprétation d’un système de sens. Jakobson a en effet décrit les fonctions du langage en recourant à une opposition métaphorique, celle de la transparence et de l’intransivité : aux fonctions centrées sur la communication et postulant la transparence du message, s’oppose la fonction poétique centrée sur la persistance du message par-delà son contenu, sur son intransivité. La théorie analytique du style est un processus de fonctionnement symbolique qui a pour objectif d’établir une équivalence entre propriété symbolique et propriété linguistique.


  • Styles et modèles de signification : pour un dialogue avec l’histoire de l’art et des sciences

Pour aller vite, on pourrait dire que l’histoire de l’art met en place, dans la seconde moitié du XXe siècle, une conception originale du style, intermédiaire entre la conceptualisation rhétorique et la conceptualisation herméneutique. En concevant la pluralité des styles comme pluralité de modèles de signification, elle n’est pas non plus dans lien avec la théorisation sémiotique du style comme fonctionnement symbolique qui a prévalu dans la démarche analytique. Dans l’histoire et les genres de la science on peut, avec Crombie, relever six styles de raisonnement. La recherche scientifique occidentale a ainsi construit ses objets selon la méthode de postulation, soit selon une argumentation expérimentale, soit par la construction de modèles analogiques, soit en mettant en ordre la diversité par la taxinomie, soit enfin selon une analyse statistique.



  1. L’IMPOSSIBLE TRAITÉ DU STYLE


LAMY : Rien de plus nécessaire

La Rhétorique ou l’art de parler (1688)

Oratorien, le père Lamy élabore une des premières philosophies générales et raisonnées de la parole qui prend place dans l’histoire de notre modernité. Le style étant posé comme la pierre de touche d’une réussite d’écriture.

« Ce n’est pas sans raison, car il est certain que les sciences sont plus faciles à comprendre lorsque ceux qui les traitent savent écrire. »

« Il n’y a donc rien de plus nécessaire qu’un art de parler bien fait ; et l’on peut même accuser les maîtres de rhétorique comme coupables, de ce que nous n’avons pas un plus grand nombre de bons écrivains. »

« Lorsque je parle de ce qui plaît dans le discours, je ne pas que c’est un je ne sais quoi, qui n’a point de nom ; je le nomme, et conduisant jusques à la source de ce plaisir, je fais apercevoir le principe des règles que suivent ceux qui sont agréables. »
HERISSANT : En attendant un livre élémentaire sur le style

Principes de style, ou Observations sur l’art d’écrire, recueillies des meilleurs auteurs (1779)

« Il serait à souhaiter que M. de Voltaire eût pris la peine de nous donner un Traité du style, accommodé au génie de notre langue. »

« Il faut qu’on enseigne au commun des lecteurs à lire avec fruit ; et c’est ce besoin de règles simples et pratiques qui m’a toujours fait désirer qu’un écrivain supérieur, ou une société telle que l’Académie française, daignât s’occuper du Livre Élémentaire dont je parle. »
MARTIN : Un concept vague

« Préliminaire » dans Qu’est-ce que le style ? (1994)

Le style n’est peut-être pas linguistiquement conceptualisable ; concept non seulement ouvert mais mou (Wittgenstein : concepts ouverts versus clos, concepts « durs » versus « vagues »), il est à peine un concept. Ruwet parle de « notion pré-théorique ».

« La notion de style, que ce soit au sens large ou dans le sens plus restreint de style littéraire (plus précisément visé dans ce colloque) correspond incontestablement à une intuition. Mais dès lors que l’on cherche à cerner cette intuition, elle fuit, parfois jusqu’à l’évanescence. »


  1. LES CATGÉORIES DU STYLE : UN CONCEPT RHÉTORIQUE


PLATON : Pour une philosophie du fait de style

La République (chap. III)

Si le processus de mimèsis renvoie à une opération e simulation, présente au cœur de tout projet artistique, Platon instaure pour étudier son domaine d’application le couple logos/lexis : le logos, c’est l’énoncé — autrement dit l’actualisation d’une langue dans du verbal —, qu’il soit énoncé élémentaire (propositionnel) ou complexe (jusqu’à la forme d’un discours, d’un tissu d’énoncés). La lexis, c’est alors l’opération même de production du logos, la production d’énoncés, ce que nous appellerons l’énonciation — de sa réalité sémantique à son actualité la plus physique. L’immoral prend avec les énoncés la forme du mensonge impie : présenter les dieux dans des situations contrevenant à leur divinité. Mais il existe une immoralité de la lexis, ce qui revient à dore que l’énonciation n’est pas moralement neutre et que la lexis relève de la philosophie morale au même titre que l’ensemble des mœurs. 

« [L’homme mesuré] imitera moins souvent et moins bien son modèle quand celui-ci aura failli, sous l’effet de la maladie, de l’amour, de l’ivresse ou d’un autre accident. Et lorsqu’il aura à parler d’un homme indigne de lui, il ne consentira pas à l’imiter sinon en passant. »

« Si donc un homme en apparence capable, par son habileté, de prendre toutes les formes et de tout imiter, venait dans notre ville pour s'y produire, lui et ses poèmes, nous le saluerions bien bas comme un être sacré, étonnant, agréable ; mais nous lui dirions qu'il n'y a point d'homme comme lui dans notre cité et qu'il ne peut y en avoir ; puis nous l'enverrions dans une autre ville, après avoir versé de la myrrhe sur sa tête et l'avoir couronné de bandelettes. Pour notre compte, visant à l'utilité, nous aurons recours au poète et au conteur plus austère et moins agréable qui imitera pour nous le ton de l'honnête homme et se conformera, dans son langage, aux règles que nous avons établies dès le début, lorsque nous entreprenions l'éducation de nos guerriers. »

« Ces deux harmonies, la violente et la volontaire, qui imiteront avec le plus de beauté les accents des malheureux, des heureux, des sages et des braves, celles-là laisse-les […].

Après les harmonies il nous reste à examiner les rythmes ; nous ne devons pas les rechercher variés, ni formant des mesures de toute sorte, mais discerner ceux qui expriment une vie réglée et courageuse […].

Ainsi le bon discours, la bonne harmonie, la grâce et l'eurythmie dépendent de la simplicité du caractère, non point de cette sottise que nous appelons gentiment simplicité, mais de la simplicité véritable d'un esprit qui allie la bonté à la beauté. »
ARISTOTE : Les genres de la lexis (I), la politique

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