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2. Néo-confucianisme ou les enseignements de Chu Hsi en Corée2.1. Adoption et expansion du néo-confucianisme en Corée68Il est difficile d'établir la date exacte de l'entrée du confucianisme en Corée. Certains auteurs, dans les articles que j'ai lus, n'évoquent pas cette date et préfèrent axer leur étude sur l'expansion du confucianisme en Corée, ainsi que de son interprétation et adaptation locale. Cependant, certains tels Kim Young-Soo considèrent qu'elle a eu lieu très tôt, coïncidant avec l'introduction de livres classiques chinois, et donc du système d'écriture chinois, lors des quatre commanderies ou de l'établissement des Trois Etats Han (Les Trois Royaumes) entre 200 avant J.C. et 200 après J.C.. Lorsque qu'il parle de classiques chinois, Kim entend cinq livres sur le confucianisme (le Livre des Odes, le Livre des Documents, le Livre des Mutations, les Chroniques de la province de Lu, le Traité des Rites), des livres sur l'histoire chinoise ainsi que les chroniques de royaumes de Chine. A la suite de cette introduction vraisemblable du mode de pensée confucéen, dans le royaume de Koguryò, sous le règne du roi Sosurim, en 372 après J.C., la première Académie nationale confucéenne est créée. La création de cette Académie nationale confucéenne, « chargée d'enseigner les valeurs traditionnelles du confucianisme et ainsi, par l'étude du respect de l'importante relation entre le souverain et son peuple, de renforcer l'idée d'unité dans le royaume encore fragile »69, marque le début de l'expansion, certes lente, de l'influence du confucianisme sur la société coréenne. Notons d'ailleurs que cette philosophie de vie s'adapte assez bien à la société rurale coréenne car elle est elle-même issue d'une société agricole et clanique ; bien que dans le cas du royaume de Koguryò, entrée du confucianisme n'a pas rimé avec sinisation politique et sociale comme dans le cas des royaumes de Silla et Paekche. Au départ, cette philosophie de vie ne concerne que l'élite des lettrés et leurs familles ainsi que la classe dirigeante, autrement dit les aristocrates (Yangban). Elle n'étendra son influence que bien plus tard sur toute la société coréenne. Mais il ne faut pas oublier que le confucianisme n'est pas la seule philosophie-religion présente en Corée, il y a aussi d'antiques croyances animistes, ainsi que le chamanisme, le bouddhisme et le taoïsme déjà présents à cette époque. On considère traditionnellement que c'est au moment la transition entre la dynastie Koryò et celle de Chosòn (1392-1910) que s'est réellement introduit le confucianisme dans la vie quotidienne des Coréens – d'abord de l'élite, puis du peuple dans son ensemble. En effet, à la suite d'une lutte idéologique entre Bouddhistes convaincus et Confucéens réformistes, le Confucianisme est devenu religion d'Etat dans le royaume de Chosòn alors que dans celui de Koryò, c'était le bouddhisme. Pour expliquer cette transition qui s'est faite non sans heurts, deux théories principales s'affrontent selon John Duncan :
Les défenseurs de la première théorie considèrent qu'il y aurait eu émergence d'une nouvelle classe de propriétaires terriens vivant dans leur domaine plutôt qu'à la capitale (plus ou moins équivalente à notre classe bourgeoise). Celle-ci aurait renversé celle des gros propriétaires terriens bouddhistes rassemblés à la capitale, et en aurait profité pour imposer sa nouvelle idéologie : le confucianisme. Selon Duncan, le problème de cette théorie c'est qu'une telle classe à part n'a pas existé : « The attempt to explain the spread of Neo-Confucianism as the ideology of a new class of scholar-officials rising to power in the late fourteenth century fails to satisfy because there was no such class. »71 De plus, certains aristocrates, dont des proches du roi, se sont avérés être de fervents défenseurs de la pensée de Confucius. En outre, ce n'est en aucune façon le système de classe qui a été attaqué mais la richesse excessive des temples bouddhistes ainsi que le discours sur la transmigration des âmes de Bouddha. En effet, dans le premier cas, l'Etat ayant besoin d'argent pour son armée, ne peut tolérer les dépenses somptuaires faites pour les rituels bouddhistes ainsi que pour l'entretien de ces temples et monastères dignes des abbayes françaises du Moyen-Age72 ; et dans le second, les lettrés s'étant penchés sur ce problème purement théorique estiment que Bouddha a négligé le fait que l'âme a besoin d'un temps de pause avant d'intégrer un nouveau corps. Dans la deuxième théorie, suivie par un certain nombre de chercheurs, il est avancé qu'une certaine catégorie de l'élite lettrée dirigeante, lassée par la corruption et la décadence de la dynastie régnant sur le royaume de Koryò aurait profité de sa chute pour imposer le modèle de l'idéologie confucéenne qu'elle aurait considéré comme plus pur. Martina Deuchler, tête de proue de ces chercheurs, pense que la transformation de la société coréenne en société confucéenne se serait faite en trois étapes :
Tout d'abord, Duncan note que Martina Deuchler se contredit elle-même. En effet, à la base, elle parle d'une confucianisation de la société coréenne, mais en fait, dans le développement en trois point de sa théorie, elle aboutit à une coréanisation du confucianisme. Ceci signifie alors que "son" élite idéaliste réformiste a échoué dans sa réforme radicale de la société suivant le modèle chinois. Duncan explique cet échec de la théorie au fait que pour Martina Deuchler, la société de Koryò était une société bouddhiste figée jusqu'au moment de sa chute, alors qu'en fait, vraisemblablement, la transition entre bouddhisme et confucianisme s'est faite progressivement. Ainsi, il écrit « This type of evidence not only raises serious questions about the notion that pre-Chosòn dynasty Korea was an unchanging society based solely or event primarily, on Buddhist principles, it also suggests that the relationship between Confucianism and society in Korea was a long and complex history that predates the founding of the Chosòn dynasty by hundreds years. »73 Confrontant la réalité à ces théories, et mettant en évidence certaines incohérences intrinsèques, Duncan remet alors en question la pertinence de ces deux théories. Pour lui, comme le montre la phrase que nous venons de citer, la transition entre société à dominante bouddhiste et société à dominante confucéenne ne s'est pas faite brutalement, mais s'est étalée dans le temps. Il remarque d'ailleurs que les chercheurs modernes acceptent enfin cet état de faits. Petit à petit, les Coréens, en commençant par l'élite aristocratique et royale, ont adopté, assimilé et adapté à leur façon certains traits du modèle confucéen qui correspondaient pour certains à certaines caractéristiques sociales nationales. Dans le cas de l'adoption de traits plus différents de la tradition coréenne, le changement a été plus difficile mais la classe dirigeante se considérant comme devant montrer l'exemple au peuple a suivi à sa façon les textes confucéens classiques commentés par Chu Hsi (son enseignement correspond en fait à ce que l'on nomme néo-confucianisme74). En fait, les Coréens se sont montrés très sélectifs dans ce qu'ils ont importé et intégré à leur propre mode de vie. En observant la confucianisation de la Corée, on constate qu'elle a d'abord concerné la sphère politique via l'installation d'une bureaucratie centralisée. En effet, dans le royaume de Koguryò, un code de droit administratif a été édicté en 373 en vue d'officialiser ce nouveau système de gouvernement et d'administration. Paekche a suivi cet exemple peu après, mais ce n'est qu'au VIIe siècle, en vue d'une conquête de la péninsule, que Silla a adopté ce système confucéen. Ainsi, ce sont les règles confucéennes pratiques de bon gouvernement qui ont été suivies dans un premier temps, bien avant la création du royaume de Chosòn. Ensuite, une fois l'unification sous Silla, l'influence du confucianisme s'étend quelque peu, mais reste limitée à la sphère publique. On constate que certains codes de conduite suivent trois des Cinq Relations sociales prescrite par la doctrine confucéenne (la loyauté envers le gouvernant, la piété filiale envers son père et la confiance entre amis), ceux-ci permettant d'assurer une bonne cohésion sociale. En 78875, dans le royaume de Silla unifié, le système des examens pour devenir fonctionnaire est mis en place, l'examen, destiné aux fils d'aristocrates, portant essentiellement sur la connaissance des grands classiques confucéens. Ce sont donc toujours les aristocrates qui sont concerné par la morale confucéenne, le peuple étant tourné vers le bouddhisme qui, selon Juliette Morillot, est porteur d'espoir car il « offre un même avenir à chacun, indifféremment de sa position sociale. » Pas à pas l'influence confucéenne sur la sphère publique s'étend, le savoir littéraire est valorisé et les avoirs techniques et militaires sont dévalorisés. Dans le royaume de Koryò, qui succède à Silla, le mandat du ciel est adopté par le premier roi, afin de justifier sa place sur le trône. Son gouvernement, ainsi que l'élite dirigeante, sont installés à la capitale Kaesòng. Le lien entre élite dirigeante et éducation (confucéenne) se renforce, mais la morale confucéenne reste toujours limitée aux sphères politiques et publiques. Pour cette élite confucéenne, la morale confucéenne est d'ailleurs la morale que se doit de suivre toute nation civilisée, les autres étant barbares. Cependant, c'est ironiquement seulement lorsque Koryò est sous la domination mongole, les Mongoles étant considérés comme barbares, que le Confucianisme prend réellement racine dans le pays. En effet, l'accès à la Chine est favorisé par cette occupation, ce qui fait que de nombreux coréens se sont rendus à la capitale des Yuan. De plus, le concours mongol pour devenir fonctionnaire était exclusivement basé sur la connaissance des Cinq classiques et des Quatre livres commentés par Chu Hsi. Naturellement, il a été importé tel quel dans le royaume de Koryò. Une fois le royaume de Chosòn instauré, le confucianisme est adopté comme philosophie (religion) d'Etat, à la place du bouddhisme, ce qui lui permet de gagner progressivement, et non sans résistance, la sphère domestique et privée. Les rites confucéens, comme par exemple les funérailles, sont imposés à la population, d'abord en douceur (le roi donnant l'exemple en suivant scrupuleusement les consignes du livre des rituels familiaux), puis, une fois que la pratique est très répandue dans la classe dirigeante, de façon plus brutale. Une loi est édictée, punissant sévèrement ceux qui oseraient pratiquer la crémation du corps d'un défunt. Le peuple reste accroché à ses croyances ancestrales telles que le chamanisme, l'animisme, le bouddhisme, mais finit par intégrer à cet ensemble hétéroclite les croyances confucéennes. Le confucianisme s'insinue aussi progressivement dans la famille coréenne, et en change fondamentalement la forme. Le statut du mari comme chef de famille est imposé, de même que le patrilignage et la règle de patrilocalité, le statut des femmes quant à lui diminue et celles-ci perdent entre autres le droit à la propriété, elles sont placées, non sans résistance, sous tutelle masculine. Tout ceci concerne principalement la classe dirigeante, mais une fois celle-ci complètement confucianisée, elle a publié des livres de morale confucéenne écrit en alphabet coréen (hangul) et légiféré (en plus de montré l'exemple) afin que le peuple suive la morale confucéenne. Ainsi, durant le dernier siècle de Chosòn, on peut dire que la société coréenne est entièrement confucianisée, sans négliger le fait qu'il s'agit d'une adaptation qui lui est propre. Cette adoption sélective du confucianisme en Corée a induit (ou confirmé selon les cas) des changements notables dans la société coréenne que ce soit au niveau politique, social ou familial. Voyons à présent comment le confucianisme a évolué avec l'ouverture de ce pays ermite qu'était la Corée, et comment il est considéré au XXe siècle. 2.2. Le Néo-Confucianisme au XXe siècleComme l'écrit Juliette Morillot : « La doctrine confucéenne ne présente pas une éthique détachée du monde humain mais au contraire s'implique directement dans la société et ses mécanismes par de solides liens d'interdépendance avec les milieux politique, économique et culturel. » (1998, p. 242) Pour parler du néo-confucianisme au XXe siècle en Corée, nous allons nous intéresser plus particulièrement à ses aspects sociaux et politiques, ainsi qu'aux critiques qui ont été émises par des Coréens, aussi bien des nationalistes en quête de changement que par des penseurs influencés par les philosophies et religions occidentales. Dans son acceptation politique, le confucianisme envisage l'Etat comme un royaume harmonieux articulé autour d'une bureaucratie civile gouvernant la société. Ainsi, le peuple doit respect et loyauté au souverain (qui lui même se doit d'être un "père" bienveillant et juste), mais aussi s'intégrer dans une hiérarchie sociale stricte. Et en ce qui concerne ses valeurs sociales, elles sont intimement liées à la recherche de l'harmonie par un gouvernement juste. Leur base est constituée par les Cinq relations humaines primaires (père-fils, souverain-ministre, époux-épouse, frère aîné-frère cadet, ami-ami) dont trois sont directement liées à la famille. Notons que, comme nous le verrons plus en détail par la suite, la famille tient une place centrale dans le confucianisme (coréen) et dans la société coréenne en général. Elle est l'unité de base, la pierre angulaire de la société ; les relations sociales sont plus ou moins basées sur les relations familiales. Donc, si la famille est stable et harmonieuse alors, par conséquent, la société entière est elle aussi en harmonie, ce qui est un des buts recherchés par le confucianisme. A la fin de la dynastie Yi, entre la fin du XIXe et le début du XXe, la Corée a connu de profonds bouleversements, autant politiques que sociaux. En effet, le pays qui était replié sur lui-même a dû s'ouvrir, plus ou moins de force, au "monde extérieur" ainsi qu'aux intrusions des croyances, et des pouvoirs commerciaux et militaires occidentaux. Le pays avait alors des structures politiques et sociales stables, peu enclines à accepter le changement. Ainsi, lorsque des missionnaires catholiques et protestants sont entrés dans le pays et ont commencé à répandre la "Bonne Parole" qui rentrait en conflit avec certaines valeurs confucéennes (tel que l'égalité entre tous les hommes), les persécutions ne se sont pas faites attendre. En effet, dans un premier temps, face à ses intrusions étrangères, la Corée s'est refermée sur elle-même, pensant que si le pays n'allait pas bien, c'était parce qu'il s'était écarté de la Voie confucéenne. Mais cet essai de retour à la pureté confucéenne a été sans résultat, et la Corée a dû accepter le fait que le monde changeait autour d'elle, et qu'il fallait s'ouvrir à ce monde. Le nationalisme a grandi durant cette période, et certains progressistes ont critiqué la tradition confucéenne, en rejetant son universalisme tout en cherchant un moyen de développer les pouvoirs politiques et économiques de l'Etat. Leur critique principale était dirigée sur l'origine chinoise de la pensée confucéenne, reprochant à la dynastie Yi d'avoir vénéré pendant des siècles un système culturel étranger, donc par conséquent mauvais. La relation pluri-centenaire liant la Corée à la Chine appelée sadae, (servir le Grand) est considérée par le "Club pour l'Indépendance"76 (1896-1898) comme un affront fait à l'indépendance et à la souveraineté nationale coréenne. Le but recherché par de telles critiques était de séparer une Corée moderne de la Corée des Yi. Robinson ajoute qu'un intellectuel influent, journaliste et historien, Sin Ch'ae-ho, suivant la même ligne d'attaque, considère que la tradition politique confucéenne a eu une influence particulièrement négative sur l'identité nationale coréenne du fait du lien trop fort de l'orthodoxie politique de l'Etat coréen avec la Chine. Ainsi, les progressistes lancent contre le confucianisme, morale importée de l'étranger, qui aurait inhibé le développement de l'identité nationale des Coréens, et été un frein à la modernisation du pays ainsi qu'au développement d'une société composée d'individus libres et dynamiques. Ces critiques véhémentes ont pour conséquence l'abolition de l'examen d'Etat pour devenir fonctionnaire en 1895, ce qui induit une refonte des programmes et l'enseignement de nouvelles matières dans les écoles comme les langues occidentales, les sciences, la philosophie et les mathématiques. Malgré la suppression de l'enseignement des Classiques confucéens au XXe, on constate que l'aspect anti-science et anti-technique confucéen est certes critiqué mais persiste, de plus, l'élite intellectuelle reste celle qui maîtrise les connaissances plus abstraites, théoriques (philosophie, littérature, histoire, politique ou droit). Enfin, de sévères critiques sont aussi lancée à propos du statut des femmes qui s'est sérieusement détérioré à la suite de l'adoption du confucianisme. Des lois supportant la supériorité de l'homme, l'aspect patriarcal de la société ainsi que la subordination de la femme ont été édictées. Notons cependant que ce point de vue, partagé par les progressistes, les féministes ou encore les personnes influencées par les religions occidentales, est un peu simpliste. Mais le plus simple pour expliquer la décadence du royaume de Chosòn à la fin du XIXe et au début du XXe est de s'attaquer à ce qui est le plus évident, visible, grâce entre autre à l'ouverture du pays ainsi qu'à l'entrée de nouvelles religions et philosophies. L'Histoire continue son chemin, la dynastie Yi disparaît et le Japon annexe la péninsule en 1910. Pour asseoir son autorité sur le peuple coréen, le gouvernement japonais prend le parti de s'appuyer sur la morale confucéenne visiblement bien ancrée dans les mœurs coréennes. En effet, il joue sur les valeurs de loyauté et de soumission face à la légitimité naturelle (mandat du ciel) de l'Etat, et utilise l'éducation comme moyen de cultiver ces valeurs, intimement liées à la piété filiale. Pour preuve, voici un extrait des Règles des enseignants publié en 1916 cité par Robinson : « The fostering of loyalty and filial piety shall be made the radical principle of education and the cultivation of moral sentiments shall be given special attention. It is only what may be expected of a loyal and dutiful man, who knows what is demanded of a subject and a son—that he should be faithful to his duties. » C'est ainsi que les Japonais ont utilisé la sensibilité culturelle des Coréens pour légitimer leur présence et leurs règles. Cependant, l'empire japonais était un état centralisé à l'extrême s'appuyant sur une bureaucratie puissante et des forces militaires et policières, il était donc loin de l'Etat bienveillant confucéen. Cet Etat autoritaire, tout en s'appuyant aussi sur la hiérarchie sociale confucianisée en place, a renforcé la centralisation de la bureaucratie coréenne à son propre avantage. Pour avoir une meilleure base et du soutien de la part de l'élite coréenne, les dirigeants japonais décident de "prendre en charge" la nouvelle Intelligentsia en place à grand renfort de bourses, de financements ainsi que de concessions. Comme nous l'avons déjà vu, la famille tient une place particulièrement importante dans la société coréenne. Conscients de cet état de fait, les Japonais glorifient la famille de l'empire. Après 1931, et leur expansion sur le territoire asiatique, ils expliquent aux Coréens qu'ils font partie d'une grande famille dont le père est l'empereur, les grands frères sont bien évidemment les Japonais, et les frères cadets ceux qui ont rejoint l'empire après eux. D'ailleurs, à partir de ce moment, tout le langage de l'assimilation utilise des termes familiaux. Cependant, seuls les collaborateurs yangban on choisit de croire au bien-fondé de ces arguments, en particulier les capitalistes qui ont profité de l'installation des Japonais en Mandchourie après 1937. Ces leaders économiques ont choisi de renforcer leur rôle de frères cadet face aux Japonais, afin d'être acceptés au sein du système japonais. Le peuple pour sa part n'était pas dupe, le sentiment d'identité nationale a été renforcé par l'occupation et de nombreuses manifestations indépendantistes ont été violemment écrasées. Au sein des familles coréennes lambda, on continue de parler coréen et de préserver les traditions nationales, malgré la tentative d'assimilation par l'annihilation de la culture et de la langue coréenne durant les dernières années de présence japonaise dans la péninsule. Durant l'occupation japonaise, les critiques des nationalistes et des "révolutionnaires"77, continuent. Ils prennent le confucianisme comme bête noir, celui-ci devenant alors le bouc émissaire considéré comme responsable de la déroute politique et sociale de la dynastie des Yi. Il faut retenir un ouvrage phare dans l'attaque du confucianisme, et le lien qui est fait entre celui-ci et la fortune politique du pays : Histoire du confucianisme coréen de HyÒn Sang-yun (publié en 1949). En fait, avec son ouvrage, l'auteur a cherché à établir les bons et les mauvais aspects du confucianisme dans le but de conserver ce qui est bon, et de rejeter ce qui est mauvais. Cependant, malgré sa volonté de rigueur, il s'est lui aussi plus ou moins contenté d'avoir une vision simpliste des évènements. Il attaque lui aussi l'idée de sadae, mais, comme l'écrit Robinson, le confucianisme est une culture universelle qui s'est répandu sur une bonne partie de l'Est asiatique, mais ne nécessitait pas l'obéissance politique à la Chine. Ce qui a entraîné sadae n'est pas le confucianisme mais une proximité politique et géographique entre les deux pays, ainsi qu'une longue tradition d'emprunts culturels. (p. 212-213). Pour HyÒn, le confucianisme a aussi soutenu un système de classe féodal inégalitaire et aussi pénalisé le pays au niveau de ses défenses militaires en développant un pacifisme excessif, en encourageant le savoir littéraire ainsi qu'en dénigrant les savoirs techniques et les arts militaires. Mais d'une certaine façon, il se contredit car il met aussi en avant comme "bon côté" l'humanisme confucéen. Les critiques, positives et négatives, de HyÒn font des émules bien après la publication de son livre. Le fait est qu'il y expose une opinion partagée par de nombreux intellectuels de la fin de la colonisation. Des arguments tout à fait semblables sont d'ailleurs avancés par des intellectuels de l'après-guerre. D'un côté, le confucianisme est pointé comme responsable des mauvaises fortunes du pays, mais d'un autre côté, un certain nombre de valeurs confucéennes sont utilisées lors de la construction d'un état moderne. Comme nous parlons ici de l'après-guerre, nous n'entendrons plus par Corée la totalité de la péninsule mais seulement sa moitié sud. Bien que certaines valeurs confucéenne telles la piété filiale et la loyauté sont déconsidérées par les intellectuels du fait de leur utilisation détournée par les Japonais, le peuple continue de les suivre dans sa vie privée. Suite à la chute d'un empire, à une colonisation, à une guerre, l'utilisation politique et économique du confucianisme peut difficilement continuée comme auparavant, d'autant plus qu'il est toujours pointé du doigt comme obstacle à la modernisation du pays. Pourtant, dans les grandes entreprises capitalistes, on utilise le langage confucéen de la loyauté pour favoriser une assimilation entre la bonne santé de l'entreprise et celle de l'Etat. La reconstruction du pays complètement dévasté et dépendant des aides internationales, les plans économiques drastiques pour revitaliser l'agriculture et l'industrialisation rapide du pays qui a provoqué un exode rural massif ont modifié radicalement la vie des Coréens. En Occident, on parle de "miracle", mais en réalité, il s'agit d'« années de travail, de sacrifices, de sueur et de sang versés par un peuple qui veut s'en sortir mais n'a guère le choix puisque toute velléité de rébellion est aussitôt étouffée dans l'œuf. La Corée est mise au travail »78 par les dictateurs, à commencer par Park Chung-hee. Celui-ci veut reconstruire un pays puissant, et suit alors le modèle du Japon tout en utilisant certaines valeurs confucéenne (comme la loyauté) afin que le peuple suive. Ainsi, entre les modernisations imposées par les Japonais (réseau ferroviaire et routier par exemple) et les actions menées d'une main de fer par le président Park, la Corée est lancée sur la route de la modernisation, et du capitalisme (surveillé par l'Etat). L'urbanisation a beaucoup changé les structures sociales coréennes, la traditions restant bien plus vivace à la campagne. Dans les villes, le gouvernement tâche de conserver les traditions visibles, les rites, comme quelque chose que l'on conserverait dans un musée, en guise de mémoire. En réalité, non disposé à assumer la tradition elle-même, l'Etat continue d'utiliser indirectement (car on continue de considérer la tradition confucéenne comme un obstacle à la modernité) certaines valeurs, toujours les mêmes : la loyauté et la piété filiale. L'Etat se montre (très) autoritaire, et paternaliste. Les leaders politiques coréens ont donc une attitude ambivalente face au confucianisme. Ils rejettent d'une part, sur le modèle du président Park, tout ce qui dans la tradition est considéré comme une perte inutile de temps et d'argent, ce qui est un frein au développement économique, mais utilisent d'une autre part certaines valeurs confucéenne à leurs propres fins ainsi qu'à celles du pays. Park Chung-hee, dans son discours de 1962 adopte le langage des progressistes du début du siècle, et suit les critiques de HyÒn. La vision officielle du confucianisme n'a pas beaucoup évolué ce de fait. Ses successeurs suivent eux aussi ces idées et la ligne de conduite du pays qu'il avait adoptée. Selon Robinson, l'un de ses successeurs, Chun Doo Hwan, se montre plus sophistiqué dans son observation de l'héritage confucéen, et estime que la discipline et l'intérêt publique font partie des bons aspects légués par la tradition qu'il considère comme la base de la culture coréenne. De ce fait, pour lui, nier l'assise spirituelle de la culture coréenne sous prétexte de développement économique et de sécurité nationale est une erreur. L'analyse du président Chun des excès de la Corée étaye parfaitement ces arguments : « The prevalence of toadyism, a blind admiration for all things foreign, a pervasive notion that money is everything, unbridled egoism and the like is indicative that for some, at least, spiritual and cultural interests have taken a back seat to monetary ones. We must rectify perversion and confusion in values… only then can a new era be forged. » En fait, ici, Chun argumente dans un sens différent, il présente le confucianisme comme un moyen de préserver la culture coréenne des excès provoqués par le "progrès amené par l'Occident. Ainsi, la présence des Occidentaux (surtout américains) sur le territoire confronte plus fortement le pays aux idées occidentales, ce qui ouvre une nouvelle vision du confucianisme, comme morale pouvant sauver la société coréenne de ses dérives. Quoiqu'il en soit, pour les différents gouvernements militaires qui se sont succédés, le principal, en tant que guide du peuple coréen, est que celui-ci adhère aux idées qui supportent la solidarité nationale et le développement économique. L'attitude officielle face au confucianisme reste donc ambivalente, d'ailleurs, il est même écrit dans un livre édité par le gouvernement que le confucianisme a disparu de la scène historique de Corée en 1910, avec la disparition du royaume de Chosòn, ensuite, il n'était plus doctrine d'Etat. Cependant, ils ajoutent qu'il reste vivace dans les mœurs, les us et les coutumes coréens. Des lois ont été édictées afin, par exemple, d'améliorer la position des femmes dans le pays, qui suivant la tradition coréenne était sous tutelle masculine, cependant, la vie quotidienne des Coréens reste profondément marquée par la tradition confucéenne. Malgré cela, à cause de la partition du pays et de la menace nord-coréenne, l'aspect humaniste et pacifiste du confucianisme est mis à mal, une importance grandissante est donnée à la protection militaire (entre autre avec l'instauration d'un service militaire obligatoire assez long). Certes, les intellectuels sont toujours considérés comme faisant partie de l'élite sociale, l'éducation de masse ayant plus ou moins supprimé l'illettrisme et favoriser un grand nombre de diplômés, mais les militaires ne sont plus systématiquement considérés comme inférieurs. De plus, du fait de l'incroyable développement économique de la Corée, la force de travail est elle aussi valorisée, en particulier son côté volontaire. Les valeurs traditionnelle du confucianisme du travail assidu, de la diligence et de l'autodiscipline, de même que la piété filiale, et par conséquent du respect de la hiérarchie et l'obéissance à l'autorité, ainsi que la confiance entre amis ont permis un développement positif des ouvriers et des cadres. La loyauté des travailleurs coréens envers leur entreprise et de manière plus générale envers leur pays a permis ce développement économique particulièrement rapide de la Corée qui est passée du statut de pays dépendant des aides internationales dans les années 1950, à celui de puissance économique quasiment incontournable au niveau mondial. Ces valeurs confucéenne qui ont permis un tel développement économique de la Corée est nommé "puritanisme confucéen" par certains chercheurs, suivant le modèle établit par Weber à propos du protestantisme en Europe dans son ouvrage L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme. Concluons en rappelant que le confucianisme a été très critiqué durant le XXe siècle, par souci de bien différencier la Corée moderne de la dynastie des Yi qui n'a pas su préserver son peuple de l'occupation japonaise. Cependant, bien qu'étant altérée, la tradition confucéenne reste vivace, surtout des rapports interpersonnels que ce soit au sein de la famille (dans la sphère domestiques et privée) ou dans la société en général (sphère privée et publique). Donc, bien qu'il ne soit plus présent au premier plan, il continue de marquer l'arrière plan social du pays, et ce, malgré la modernisation et l'ouverture à d'autres philosophies. Notons enfin, à titre de clin d'œil, que le confucianisme – bien qu'étant à la base une éthique, une morale profondément liée à la société, et régissant aussi bien les milieux économique que politiques et sociaux de la société – a été officiellement organisé « comme une Eglise, avec un chef spirituel, le chongjòn, supervisant un nombre actuel de 935 yurim, « officiels » confucéens. Cette restructuration s'accompagne d'une réhabilitation des rites annuels : le 10 mai en l'honneur des Sages et le 28 septembre à l'occasion de l'anniversaire de Confucius. »79 2.3. Rapports interpersonnels au sein de la société coréenneOn peut difficilement s'intéresser à une société sans étudier les rapports inter personnels, d'autant plus lorsque la société en question est confucianisée et donc hiérarchisée. Le confucianisme prône des rapports harmonieux de l'Homme avec la Nature, mais aussi des hommes entre eux en tant qu'individus complémentaires. Comme l'écrit Park Pyòng-Yòn « le confucianisme a pu imaginer une organisation fonctionnelle du monde telle que, si chaque individu exécute bien le rôle qui lui est imparti, il est en mesure de réaliser l'harmonie parmi les hommes, harmonie sociale qui est en même temps en adéquation avec les lois de l'Univers. »80 Notons que, de plus, les Coréens ne se définissent pas comme une somme d'individus indépendants les uns des autres. Une part importante de leur identité est constituée par leurs groupes d'appartenance, les principaux étant leur pays et leur famille, et traditionnellement, on peut dire que leur classe sociale en était un aussi. La société coréenne a eu, durant une longue période de son histoire, une hiérarchie sociale très stricte, mais les dirigeants, ainsi que les intellectuels, ne s'adonnant qu'à leur activité principale, savaient qu'ils avaient besoin des tranches inférieures de la société pour vivre et se nourrir par exemple. C'est en ce sens que doit s'entendre la complémentarité des rapports malgré la verticalité de ceux-ci. Jusqu'à la guerre qui a opposé Japon et Corée, il y avait quatre classes sociales situées en dessous du roi :
En 1894, cette échelle sociale a été abolie officiellement, dans un souci coréen de se débarrasser de l'ancienne influence chinoise et lancer une réforme générale. Cependant, dans les faits, le langage comportant différents niveaux honorifiques d'adresse, l'attitude des Coréens dans les relations interpersonnelles évolue peu à l'époque. D'ailleurs, encore aujourd'hui, le mot yangban est encore utilisé car on nomme ainsi les personnes riches ou ayant une haute position dans la société. Les Coréens ont adopté les principes confucéens des Trois Liens et des Cinq relations. Notons en outre que le confucianisme donne une place prépondérante à la famille qui se trouve alors être le lieu où les principes confucéens peuvent être mis en pratique, et de ce fait est la référence en ce qui concerne les rapports interpersonnels. Les relations au sein de la famille sont les relations de base dans la société, et les valeurs de la famille sont celles de la société. En effet, c'est au sein de la famille que se fait la socialisation de chaque individu, que chacun apprend à régir sa vie de façon vertueuse et en harmonie avec les autres ainsi qu'avec l'univers. Comme l'écrit Lee Kwang Kyu dans son article "Confucian Tradition in the Contemporary Korean Family" : « In a word, Confucianism is a family-oriented religion, philosophy, and social ideology governing behavior from birth to death. » (p. 250). La famille étant l'unité de base de la société, il n'est pas étonnant que la piété filiale, principe qui régit les relations père-fils, serve de modèle aux autres relations existant dans la famille, et par extension aux relations interpersonnelles dans la société dans son ensemble. Celui-ci sert de référence dans l'attitude à tenir face à un "supérieur" dans la hiérarchie sociale ou alors face à une personne plus âgée. Cette valeur prime d'ailleurs sur toute autre, même sur la loyauté due au roi et au royaume, ou encore au pays. Pour aller plus loin, Crane82 va jusqu'à écrire que si la piété filiale disparaissait, la société coréenne plongerait dans le chaos et perdrait toute unité. Le (néo-)confucianisme établit une hiérarchie sociale assez stricte et verticale bien qu'insistant sur la complémentarité des individus plutôt que sur un rapport supérieur/inférieur. Le modèle principal de ces rapports interpersonnels verticaux est celui induit par la piété filiale comme nous l'avons dit. On doit un respect sans borne à son père, encore plus à son grand-père ou ses ancêtres. Par extension, on doit agir avec déférence face à une personne plus âgée ou encore qui se trouve "au-dessus" dans la hiérarchie sociale comme le président (ou le roi selon l'époque), un professeur, un supérieur hiérarchique au sein d'une entreprise, etc. La piété filiale étant placée au cœur des relations interpersonnelles, il semble pertinent de nous attarder sur ce sujet. Pourquoi cette relation particulière d'un enfant face à ses parents est-elle si importante ? Comme nous l'avons vu dans le cas de la Chine, cette relation peut donner l'impression à un observateur extérieur d'être à sens unique, c'est d'ailleurs ce qui ressort dans les écrits sur la famille traditionnelle (de la dynastie Chosòn à la période pré-industrielle), mais ce n'est vraisemblablement pas tout à fait le cas, encore moins aujourd'hui. En effet, bien que toujours vivace, la piété filiale a perdu un peu de son influence. Malgré cela, dans cette partie, nous ne parlerons ici que les devoirs qu'un fils (enfant) a envers son père (ses parents) et nous contenterons d'évoquer sommairement ceux qu'un père a envers son fils. Notons d'abord qu'en Corée comme en Chine ou dans tout autre pays suivant la morale confucéenne, un enfant a une dette insolvable envers ses parents qui lui ont donné un corps dont il doit prendre soin. Il existe un dicton traditionnel coréen qui illustre parfaitement cette affirmation : « Le moindre de tes cheveux est un cadeau de tes parents que tu dois respecter comme tu les respectes eux-même »83. De plus, les parents se chargent de son éducation, le nourrissent, prennent soin de lui, ce qui le rend encore plus redevable. De ce fait, quoiqu'il entreprenne, un "enfant" fait très attention d'agir de façon honorable afin de faire honneur à ses parents ainsi qu'au nom qu'ils lui ont transmis. C'est en effet l'une de ses tâches que de faire honneur au nom qu'il porte, car ainsi, il fait honneur à ses parents, à sa famille entière, mais aussi à ses ancêtres. Il existe plusieurs moyen de faire honneur à son nom, comme intégrer des écoles prestigieuses ou encore faire un bon mariage. Quoiqu'il en soit, les enfants, et en particulier le fils aîné, doivent faire soumettre à l'approbation de leurs parents leurs projets et se soumettre à leur décision. Comme l'écrit Crane dans son chapitre sur les relations interpersonnelles « the ties of family are strong and controlling. When threatened, the family unites to meet a hostile world. The family name and welfare are more important than individual wants or needs. »84 Mais la plus forte charge, en ce qui concerne la piété filiale, repose sur le fils aîné. En effet, c'est lui qui devra, avec son épouse, s'occuper de ses parents une fois que ceux-ci seront trop âgés pour continuer à subvenir à leurs propres besoins. Traditionnellement, le fils aîné s'installait avec sa famille (sa femme et leurs enfants), dans la demeure familiale dont il héritait à la mort de son père, il devenait ainsi le chef de famille. De nos jours, près de 90% de la population vit en zone urbaine. Les garçons, une fois leur service militaire accompli, n'ont pas envie de retourner à la campagne et cherchent alors du travail en ville afin de s'y installer. Les filles quant à elles viennent aussi en ville où différents types d'emplois leurs sont proposés, les moins éduquées se retrouvant souvent à travailler à l'usine. Leurs parents, s'ils viennent de la campagne, n'arrivent en général pas à s'accoutumer à la vie à la ville et restent dans leur village où ils ont leurs habitudes ainsi que les personnes qu'ils connaissent. les réseaux d'entraide sont assez développés en zone rurale. C'est seulement lorsqu'ils sont trop âgés pour continuer à travailler dans les champs ou encore à la mort de l'un d'eux qu'ils se résolvent à s'installer en ville, chez leur fils aîné (en règle générale). On commence à rencontrer des cas où les parents âgés s'installent chez l'enfant de leur choix, voire même leur fille, mais ce dernier cas de figure est encore très rare du fait de la longue tradition patriarcale et patrilinéaire en Corée. C'est aussi le fils aîné qui a l'honneur et le devoir de se charger du culte des ancêtres, ces rites étant les plus important dans la vie familiale. En fait, c'est le fils aîné de la famille souche qui prend en charge le culte des ancêtres ; il doit s'occuper de rendre un culte à ses parents mais aussi aux parents auxquels sont père rendait un culte. Ainsi, chaque année, toute la famille (famille souche et branches cadettes) se réunissent au caveau familial, et le chef de famille (le fils aîné dont il est question) préside les rites faits en hommage à ses parents, grands-parents et ainsi de suite jusqu'à la quatrième génération. De ce fait, on peut affirmer que le culte des ancêtres est étroitement lié à la piété filiale, comme l'écrit Kim Young-soo : « It has long been believed that being careful and sincere in the performance of ancestral rites is identical with showing filial piety to parents. Conducting ancestral rites poorly will incur punishment and shame. »85 De plus, ceci permet qu'anciens (ancêtres) et descendants se sentent mutuellement dépendants. Comme nous l'avons dit, le culte que l'on rend chaque année aux ancêtres, rassemble tous les membres de la famille, ainsi, il permet de resserrer les liens familiaux qui de nos jours ont tendance à être un peu plus difficiles à maintenir du fait de l'éclatement géographique. En effet, les familles sont dorénavant plutôt de type nucléaire du fait de l'urbanisation. Nous avons évoqué les réseaux de relations au sein des villages, ceux-ci sont très importants. Il s'agit de réseaux d'entraide et de soutien. Tout le monde connaît plus ou moins tout le monde dans le village rural. Les relations interpersonnelles dans les villes sont assez différentes. En effet, la densité de population en ville est plus importante qu'à la campagne, cependant, les personnes rassemblées là viennent d'horizons différents, et n'entretiennent que des rapports superficiels de voisinage, voire pas de rapport du tout. En effet, certes le niveau et le confort de vie a augmenté, mais le travail est bien plus prenant et les citadins n'ont pas le temps de créer des liens sociaux durables avec leurs voisins, d'autant moins que la mobilité géographique est assez grande. Dès qu'une meilleure opportunité d'emploi se présente ou que le travail l'exige, l'individu concerné change de quartier ou d'appartement, quoi qu'il en soit, de zone résidentielle. Au final, comme l'écrit Lee Kwang-kyu, les familles urbaines ont sans doute un plus grand nombre de voisins "physiques" mais ont très peu de voisins "sociaux". En fait, les réseaux sociaux se tissent dorénavant plus aisément lors des études universitaires ou au travail, et se maintiennent du fait de la loyauté entre amis, envers l'université que l'on a fréquenté ou encore envers l'entreprise dans laquelle on travaille. Par exemple, lors de la recherche d'un stage ou d'un emploi, se trouver être ancien de la même université que son éventuel futur supérieur, surtout lorsqu'il s'agit des plus prestigieuse comme l'Université nationale de Séoul ou l'Université de Yonsei, joue évidemment en la faveur du candidat au poste. Il semblerait que cela favorise immédiatement une sorte de connivence entre les deux individus en présence. Lors de mon terrain à Séoul durant l'été 2002, une amie m'a expliqué qu'elle avait été immédiatement mise à l'aise par son futur supérieur, qui lui a fait comprendre que venant de la même université que lui, il appuierait sa candidature ; il l'a fait, et elle a ainsi pu travailler durant l'été dans cette entreprise. Les liens qui unissent des "anciens" font que lorsque que l'un deux a besoin d'aide, il peut la demander à un ancien camarade de promotion plus fortuné que lui. Si celui-ci refuse son aide, c'est considéré comme une trahison envers l'école mais aussi l'ordre des choses. De plus, le lien qui les unit est aussi valable pour leurs enfants, ainsi, lorsqu'un enfant cherche du travail, son père peut demander un petit coup de pouce à un ancien de sa promotion ou de son université. Les rapports interpersonnels en Corée restent très imprégnés par le confucianisme, bien que celui-ci ait été altéré par le temps, l'introduction plus ou moins brutale de philosophies et modes de vie étrangers ainsi que la "modernisation" du pays. On le retrouve toujours dans les rapports familiaux, ainsi qu'entre amis ou même dans la vie sociale en général. Bien que le nombre de formes honorifiques dans la langue coréenne ait fortement diminué, celui-ci est un bon miroir de cet état de fait. Mais il faut aussi être attentif à l'attitude du locuteur qui valide ou invalide le respect qu'il montre dans sa manière de parler. L'âge des interlocuteurs ainsi que leur situation sociale restent très important pour savoir quel niveau de langage utiliser, ce qui montre bien que la verticalité des rapports interpersonnels est toujours présente bien qu'un peu moins stricte. Un jour, j'ai choqué un Coréen, qui avait passé deux années en France, lorsque que je lui ai dit que j'appelais toujours ma mère "maman". Pour lui, étant donné notre âge, c'était inconcevable. D'après lui, ce terme d'adresse ("òmma" en coréen) n'est utilisé que par les enfants, une fois passé un certain âge on utilise plus volontiers "òmòni" (plus ou moins équivalent à "mère" en français). Et j'ai constaté que ceux de mes amis coréens qui m'ont dit appeler leur mère òmma font systématiquement une remarque ensuite comme quoi ils sont sans doute un peu trop âgés pour utiliser ce terme, mais que c'est comme ça. Donc on ressent une certaine gêne lorsqu'on leur fait "avouer" la façon dont ils appellent leurs parents. Peut-être est-ce considéré comme un manque de piété filiale et de respect ? Quoiqu'il en soit, le second cas semble le plus répandu aujourd'hui dans les jeunes générations, et en règle générale, tous utilisent des formes verbales "polies", différentes de celles qu'ils utilisent avec leurs amis du même âge ou les enfants. Peut-être cette utilisation d'un terme d'adresse moins formel illustre-t-elle une envie de changement de la part de ces générations, d'une diminution des contraintes qui semblent anachroniques, déplacée en ce début de XXIe siècle. Elle me semble bel et bien refléter l'évolution de la piété filiale vers une relation légèrement plus équilibrée, d'une diminution sensible de l'autorité paternelle laissant plus de latitude aux enfants dans l'expression de leurs souhaits. Mais nous étudierons ceci plus en détail dans la suite de ce travail. |
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