Propos et textes recueillis, traduits et annotés








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Nine.  Je fus déconcerté, un peu vexé. Après tout, j'avais été le premier à trouver ce titre !

 Nueve  est ma seconde partition à imposer des distances spatiales entre les instruments. La première avait été  Erotica,  pièce strictement docécaphonique, une fantaisie pour quintette de bois, dont les membres étaient disposés autour des auditeurs, et une voix de soprano, chantant en coulisses (sans texte !). Je l'avais écrite pour Carole Farley, ma future épouse, tout juste diplômée de l'Indiana University et prête à partir continuer ses études en Allemagne.

Je n'ai jamais compris pourquoi, lorsque les instruments étaient ensemble,  Erotica  ne fonctionnait pas. Il fallait une bonne distance entre eux pour que l'œuvre prît toute son ampleur et sa signification. C'était magique ! Pour l'enregistrement (chez RCA) effectué par l'Australian Wind Virtuosi, les techniciens de l'Australian Broadcasting Commission recréèrent l'illusion par une habile disposition des micros. La partie de soprano ne peut être chantée que par une cantatrice qui possède un diapason parfait. D'abord parce qu'elle est éloignée, en coulisses, ensuite parce que la plupart du temps, il y a une différence d'un demi ton seulement entre la soprano et la flûte.

Les expériences spatio-musicales, que j'effectuais avec mon Concerto pour Contrebasse, me furent un tremplin pour celles de ma création suivante, un concerto, mais cette fois-ci pour harpe et orchestre de chambre, que j'intitulais  Colores Mágicos . C'est un des membres de l'orchestre de Cleveland qui m'avait présenté Stanley Elliott, inventeur d'un appareil appelé Synchroma. Une extraordinaire structure-objet, ressemblant à un poste de télévision, qui « écoutait », en quelque sorte, la musique et la transformait en images éclatantes de couleurs sans cesse changeantes, projetées sur un écran. Cette étrange machine réagissait aussi bien au volume sonore qu'à la vitesse des sons, ou à la tonalité. Elliott avait aussi inventé une autre machine, plus petite, dans laquelle on glissait des plaques photographiques et des images abstraites kaléidoscopiques. Au moment où la musique démarrait, les images prenaient vie et suivaient la musique. Un procédé fantastique !

C'est le colonel Samuel Rosenbaum de Philadelphie qui m'avait commandé ce concerto destiné à son épouse, la harpiste Edna Phillips (29). Il avait, peu auparavant, été le commanditaire du Concerto pour Harpe de Ginastera. Composer cette partition fut pour moi plus qu'une expérience, une véritable aventure, excitante, passionnante. J'œuvrais dans de nombreux domaines : multi-media, utilisation originale de l'espace, dodécaphonisme.

C'était donc une suite de variations, sans barres de mesure, où les sons déclenchaient des effets visuels surprenants grâce au Synchroma. La harpe soliste était seule présente sur scène, l'orchestre de chambre prenant place dans la fosse, comme pour un opéra. Les images étaient projetées sur le fond de la scène, la harpiste toute vêtue de blanc devenant écran vivant pour la petite machine, son jeu donnant vie aux images qui y étaient pré-introduites. La première prit place dans le cadre du Festival Musical Inter-américain de Washington.

Carole Farley chanta valeureusement, en coulisses, la vocalise qui ouvre dans une atmosphère mystérieuse la partition.

La harpiste Heidi Lehwalder (30), choisie par Rosenbaum, remplaçait Edna Phillips qui venait d'arrêter sa carrière, et moi au pupitre. Succès immediat ! Rosenbaum était aux anges, mais me mit en garde à propos de partition future qui dépendrait d'une telle machine. Et il avait raison. Nombreuses furent les exécutions qui durent être annulées parce qu'Elliott exigeait des cachets énormes pour l'usage de ses machines qu'on ne pouvait obtenir que s'il opérait en personne. Ces appareils ne furent, curieusement, pas commercialisés. On s'en servit quelques fois dans des discothèques ou des centres de congrès, mais ils tombèrent vite aux oubliettes.

Colores Mágicos connut une seconde vie quand Gerald Arpino (31) en fit un ballet qu'il titra Orphée + Lumière. C'est lui-même, chorégraphe vedette du fameux Joffrey Ballet, qui m'en informa, m'appelant (de New York) à Strasbourg, où je séjournais avec ma famille, à huit heures, un matin de Noël (il était deux heures à New York !) Il m'expliqua qu'il était en train d'envelopper ses cadeaux de Noël quand le rouleau de ficelle argentée roula sous le lit. Il se pencha pour le ramasser et découvrit une bande magnétique qui gisait là depuis belle lurette ! Il l'écouta, trouva la musique fascinante, et décida d'en faire un ballet. Le seul nom sur la bande était celui de Jean Dalrymple (32). Il l'appela en pleine nuit et elle lui expliqua qu'il s'agissait de mon Concerto pour Harpe et qu'elle lui avait donné la bande des années auparavant.

Jean Dalrymple me considérait comme son troisième José. Les deux premiers avaient été José Iturbi (33) et José Ferrer (34), un quatrième, José Limón (35) aurait, peu après, lui aussi sa place.

Arpino brûlait d'impatience et voulait que j'augmente la durée de ma partition (douze minutes) pour en faire un ballet en un acte. C'est à dire de près de vingt-cinq minutes. Je lui répliquais que j'étais enchanté de sa proposition mais que mon Concerto était néanmoins complet et achevé ! Qu'il était une entité et qu'on ne pouvait rien y ajouter. De retour à New York, je tentai malgré tout de relever cet impossible défi et j'augmentai la partition jusqu'à vingt-trois minutes.

 Orphée + Lumière  fut une réussite complète.

Sa genèse avait été traumatisante. Pendant la répétition finale, j'observai du piano, avec stupéfaction, les danseurs continuer d'évoluer plusieurs minutes après la fin de ma musique. Devant mon étonnement, Arpino me dit : « Pourriez-vous maintenir la dernière note deux minutes de plus ? » Je me ruais dehors, Arpino à mes basques, s'excusant et me proposant de réduire la fin de sa chorégraphie afin qu'elle colle parfaitement à ma partition déjà considérablement augmentée. Je revins, à mon corps défendant mais avec l'approbation des danseurs qui me dirent avec sincérité et spontanéité : « Si vous le laissez faire, il ajoutera vingt minutes de plus. Grâce à vous ça va être bien plus concis maintenant ! ».

Ce qui me surprit le plus, c'est que la chorégraphie, autant que j'ai pu le comprendre, n'avait aucun rapport avec la musique. J'aurais remplacé mon Concerto par une fugue de Bach, le résultat eut été absolument le même. Et, apparemment, cette dichotomie était intentionnelle, Arpino ne cherchant jamais à imiter, illustrer ou suivre la partition.

L'argument de son ballet me laissa perplexe. J'acceptai de diriger la première au City Center (New York). Il apparut qu'il s'agissait d'un spectacle à symbolique homosexuelle, vaguement basé sur la légende d'Orphée. Qu'est-ce que l'homosexualité évidente dans le ballet avait à voir avec Orphée ou mon pauvre concerto, je ne l'ai toujours pas compris.

Ce fut une soirée mémorable, à tous points de vue. Arpino respecta quelques unes des obligations scéniques de mon Concerto, plaçant la harpiste sur le côté de la scène non loin des danseurs, l'orchestre étant dans la fosse.

La voix (off) avait été pré-enregistrée et il était convenu entre Arpino et moi qui dirigeai, de démarrer sans rideau, juste par une lente montée des lumières. Je devais me glisser, invisible, jusqu'au podium, afin d'éviter les applaudissements intempestifs. Comme les lumières commençaient à éclairer la scène, la voix de la soprano se fit entendre. Mon signal pour me rendre dans la fosse était une lampe verte. Qui ne s'alluma jamais ! J'entendis, totalement paniqué, la voix et les pas des danseurs sur le parquet de la scène ! Quelque responsable de la régie avait perdu la tête !

Je me ruai jusqu'au podium, donnant de droite et de gauche, à la volée, mes indications jusqu'à ce que je sois en face des musiciens. Malgré les excuses de l'équipe technique après coup, mon cœur continua longtemps de battre deux fois plus vite qu'à l'ordinaire !

Mme Peer considérait, elle, les « premières » comme celle-ci avec respect et sérieux. Elle avait invité les dirigeants de ses agences à y assister. Elle les avait fait venir aussi bien de Santiago, de Sydney que de Hambourg. Elle était arrivée de Los Angeles avec son nouvel époux. La soirée se termina par un souper dans une discothèque qui venait d'ouvrir, celle de Régine. Le lieu le plus bruyant du monde. Je fus toutefois très touché de ses attentions et de son sincère intérêt. Le Joffrey Ballet partit en tournée avec Orphée à travers les Etats-Unis et l'inscrivit à son répertoire plusieurs saisons d'affilée.

Malgré le succès, tant au concert qu'en ballet, de  Colores Mágicos, composer passa pour moi au second plan. J'acceptai toutes les invitations à diriger qu'on me proposait. Je fis des tournées annuelles en Pologne. J'y restais des mois, conduisant tous les orchestres du pays jusqu'à ce que je me trouve en face de l'orchestre de Katowice, le meilleur de tous. Je laissais alors tomber tous les autres. C'est avec lui que je dirigeai, seul, une semaine seulement avant de l'enregistrer avec le London Philharmonic, la Quatrième Symphonie de Charles Ives. La bande vidéo de cette exécution fut diffusée sur les chaînes de télévision américaines, des dizaines de fois, par l'intermédiaire du NET (qui officiait avant PBS).

La seule œuvre que j'écrivis, pendant cette période, fut une commande de l'Université Autonome de Mexico :  Preludio Fantástico y Danza Mágica  pour cinq percussionnistes solistes. J'essayai de retrouver le succès de ma Symphonie pour Percussion, elle aussi pour cinq musiciens. Mais dans le Preludio, le langage est plus élaboré, plus original. J'usais pour la première fois de graphiques qui pouvaient être interprétés au hasard, par chaque instrumentiste (technique aléatoire).
8. C’est votre rencontre avec George Marek, qui est à l'origine

de votre retour à la composition….
Les premières pièces que j'écrivis, apres des années de silence, furent très courtes : George et Muriel,  Dorothy & Carmine, etc. Quand on me commanda un Concerto pour violon, j'étais fin prêt pour une partition plus personnelle, plus profonde, plus consciente.

Je n'éprouvai plus aucune appréhension. Les contraintes ayant disparu, je pus dorénavant faire ma musique. Qu'est-ce que ma musique ? Quels sont les compositeurs qui ont présidé à ma formation, qui m'ont influencé ? Honnêtement, je ne peux répondre à cette question. Tout simplement parce que je n'en sais rien. Certaines influences sont subliminales, indépendantes de notre volonté, procèdent de réminiscences (souvenirs imprécis d'une tonalité affective). Ce que je sais, c'est que j'ai été très marqué par la musique slave et également par la musique française. Mais il est aussi évident que deux de mes œuvres (Partita et Sonate pour piano) montrent une nette influence de la musique latino-américaine, assimilée depuis mon plus jeune âge. Sans prétention et objectivement, je pense que je possède mon propre langage, mais qu'on peut y déceler des influences diverses comme chez tous les compositeurs de tous les temps. Certaines de ces influences résultent d'un vrai puzzle. Un exemple : dans ma  Suite Canina  pour trio à vents, j'ai écrit de véritables séquences à la manière de Charles Ives, et ce bien avant d'entendre la moindre de ses compositions. Avant même de connaître son existence. Ma suite montre, de façon inconsciente, une envie passionnée d'aller vivre et étudier aux Etats-Unis. J'y inclus quelques marches militaires célèbres, parfois en contrepoint les unes des autres, tout comme le faisait Ives, et avec la même touche d'humour que lui ! Il y a là pure intuition, totale coïncidence. Et même mystère si l'on songe qu'à l'époque je n'avais pratiquement aucune connaissance de la musique contemporaine, quelle qu'elle soit !

Le silence créateur se rompit à l'occasion du soixantième anniversaire de mariage de George et Muriel Marek. J'avais rencontré George lors d'une promenade sur la plage de Seaview à Fire Island, un de leurs lieux de vacances privilégiés. Il avait, des décennies durant, été l'un des dirigeants de R.C.A.. Il avait pris sous contrat et travaillé avec maints artistes de stature historique (Reiner, Heifetz, Toscanini, Rubinstein, Monteux, etc). Il venait de prendre sa retraite. Nous devînmes tout de suite amis.

Dans le même temps et sous le patronage de l’Université de Miami, j'étais en train d'organiser un nouveau festival. Le dynamique professeur de contrebasse de l'école de musique, Lucas Drew, désirait que le festival passe commande, à un grand nombre de compositeurs, de partitions destinées à son instument, y compris moi-même. Je combinais son projet et le mien, cadeau d'anniversaire à mes nouveaux amis, les Marek, en composant  George et Muriel , pour contrebasse, ensemble de basses, et chœur.

La première, bien évidemment dans le cadre du festival, fut un tel succès, que je me sentis réellement renaître en tant que compositeur. L'année suivante, pour un couple de personnes âgées que j'adorais, et qui avaient décidé enfin de se marier, j'écrivis  Dorothy & Carmine !  pour flûte solo et cordes.

Je suis très content de cette petite pièce, dans laquelle j'expérimentais, une fois de plus, les « sons en mouvement » en faisant marcher le flûtiste depuis la salle, au milieu du public, jusqu'au fond de la scène où il disparaissait, alors qu'un second flûtiste jouait l'écho fantôme derrière le public, cependant que lentement s'éteignaient les lumières.

Là encore, le succès fut au rendez-vous. Je composai un troisième morceau de ce type, lui aussi cadeau de mariage, en l'occurrence celui du violoniste Michael Guttman (36). Une courte pièce, pour violon seul, intitulée  Michael et Emmanuelle . Je fis, par la suite, de nombreux enregistrements avec Michael Guttman. Notamment les concerti de Dvořák, de Bloch, d'Hindemith. J'avais d'abord connu ses parents, grâce à Jean-Pierre Rampal (37), à l'issue d'un de nos concerts. Après un silence de huit ans, c'est à la demande de Guttman que j'écrivis, avec fureur, un Concerto pour violon.

Il avait eu l'idée, brillante, de faire un disque intitulé Les Quatre Saisons (pas celles de Vivaldi !). Il avait été élève de León Ara, gendre de Rodrigo (38), avec qui il avait étudié le Concierto del Estío (Concerto d'été) pour violon et orchestre, composé par Rodrigo en 1943, quelques années après son triomphal Concierto de Aranjuez (pour guitare) écrit, lui, en 1939. Il existait un Concertino de Printemps dû à Darius Milhaud. Manquaient l'automne et l'hiver. J'exposais le problème à toutes les personnes que je rencontrais et c'est le critique Robert Matthew-Walker qui suggéra de prendre la pièce de salon, Automne, de Cécile Chaminade (39) que nous fîmes orchestrer par mon ami Paul Uy (40) de Bruxelles.

Les compositeurs sollicités n'étaient pas disponibles avant plusieurs années, et c'est à moi qu'échut la tâche de composer le Concerto d'Hiver. Je disposais de quatre semaines pour l'écrire, car le Royal Philharmonic Orchestra (Londres) avait été loué (par ASV Records) afin d'enregistrer les quatre pièces à des dates très précises. Je commençai à l'écrire à Miami, le continuai à Londres, pendant une tournée, et le terminai à Bloomington (Indiana) où j'étais invité à diriger le merveilleux petit orchestre de chambre de l'Ecole de Musique.

J'étais très excité d'entendre le résultat. La création mondiale prit place au Lincoln Center de New York, Guttman étant accompagné par le New Jersey Philharmonic dirigé par Lawrence Smith (41), dernier concert de la série « Absolut ». Ce fut là aussi un énorme succès. Mon Concerto fut joué ensuite à Florida par le Miami Chamber Symphony, à Londres par le Philharmonia Orchestra, à Madrid par l’Orquesta Sinfonica Nacional.


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