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Qu'est-ce qui fonde ce parti pris du pluralisme culturel ?J'ai cherché à mélanger différentes esthétiques comme le réalisme à la française, la truculence italienne et le théâtre concret post-brechtien par exemple. L'île est un théâtre. L'île est une illusion, pour tous les personnages et, en particulier, pour Miranda qui tombera amoureuse d'une marionnette, et qui, par conséquent, va découvrir la sexualité avec un leurre... Ce n'est qu'à la toute fin qu'elle comprendra que tout cela n'était qu'une mise en scène organisée par son père. La relation père-fille occupe une place centrale dans ce spectacle. Prospero dit littéralement « je fais tout cela pour toi, ma fille » mais les enfants doivent-ils payer les fautes des pères et porter le poids de leurs traumatismes ? Avec cet effet de lecture, j'ai voulu également suggérer l'idée que tous les personnages sont pris dans une « tempête de chambre », dans un espace mental. Tous sont, au fond, manipulés par un Prospero qui incarne ce que, dans Le proche et le lointain, Richard Marienstras appelle «le machiavélisme du bien ». Du coup, on se trouve en présence de schémas qui sont presque de l'ordre de la récurrence schizophrénique, d'une forme de folie... En imaginant cette nouvelle Tempête, j'ai pensé à L"île du docteur Moreau de Wells et à L'invention de Morel de Bioy Casarès. Peu à peu m'est venue l'idée d'un homme enfermé en lui-même : c'est pour cette raison que j'ai tenu à ce que Prospero soit aveugle - ce qui nous rapproche de Fin de partie - et que tous ses livres soient en braille. Après Beckett et sa relecture de Shakespeare, il fallait nécessairement que Prospero ait « les yeux de l'intérieur ». II en devient plus égocentrique, plus capricieux. Je le vois aussi comme un Faust improbable, lointain cousin de celui de Marlowe, ou encore comme un Merlin l'enchanteur qui improvise tout le temps sans savoir où il va et comment tout cela finira. Prospero n'a pas la maîtrise de sa magie. Sur cette île, située aux confins de la civilisation, « nulle part », tout désir illicite sera révélé. Peut-être que le spectacle finira par ressembler à une Tempête dans l'Ile de la tentation... Mais Shakespeare surpasse tellement tous ces scenarii au rabais! Je m'étais déjà fait la réflexion en montant La Dispute de Marivaux, qui procédait un peu de la même esthétique : on en apprend beaucoup plus sur l'humain, le social, le politique et la nature du désir avec de grands textes qu'avec un obscène dispositif voyeuriste. On a toujours tort d'exclure les poètes. La pièce, dans son texte même, est truffée de chansons, de bourdonnements, de sifflements et bruits divers. Quelle texture sonore voulez-vous donner au spectacle ? II s'agit vraiment, d'un « palazzo mentale » édifié à partir d'un travail très élaboré sur les contrastes, les langues, les sons, les voix mais aussi les sur-titres, dont Ariel a le contrôle et qu'il peut fausser à sa guise... Cela passe aussi par la musique de Vivaldi. J'ai utilisé l'enregistrement d'Europa Galante de Fabio Biondi parce qu'il est très brut, contrasté et coloré, et réserve aussi des moments d'une extrême langueur. Son interprétation de Vivaldi peut nous emmener, après une phase de grande vivacité, vers la mélancolie. Ici il n'y a pas de « happy end ». Le destin nous réserve encore quelques surprises. L île ne nous laissera point croire à des certitudes. Propos recueillis par Jérôme Provençal - novembre 2005 Fragments d'une autobiographie théâtrale De Timon d'Athènes à La Tempête, votre parcours de metteur en scène témoigne d'une attention particulière pour l'oeuvre de Shakespeare. Ce lien avec Shakespeare, affectif autant qu'intellectuel, s'est renforcé récemment, au cours des quelques années que vous avez passées entre la France et l'Italie. Votre «voyage sentimental» dans l’œuvre de Shakespeare semble alors être entré en correspondance avec votre «voyage personnel»... Nous chercherons, dans cette brève conversation, à retrouver les étapes essentielles de ces voyages croisés, et à saisir quelques aspects significatifs de votre approche des textes shakespeariens. Plus que de parler des textes que j'ai mis en scène durant ces années, j'aimerais m'interroger sur un cheminement intime qui a trouvé des résonances et des correspondances très singulières dans l’œuvre de Shakespeare. Au tout début de mon parcours de metteur en scène, ma préoccupation principale tournait autour du rôle de l'artiste, de ce rapport étrange qui lie l'artiste au pouvoir et à la politique. Ce qui m'intéressait, c'était le rapport entre celui qui regarde et celui qui agit. Ce qui revenait à accorder une place essentielle à la réflexion sur le rôle de la mise en scène, et donc du metteur en scène. Et dans cette primauté accordée à la mise en scène, à l'écriture scénique, à la dramaturgie, Shakespeare a été et reste pour moi l'école la plus exemplaire. Effectivement votre théâtre est d’abord un «théâtre de parole». Mais intéressons-nous à l'aspect biographique : cette façon de parler de soi à travers le théâtre... J'ai fait mes études au Théâtre National de Strasbourg, et je me suis formé professionnellement à l'école berlinoise de Matthias Langhoff et Manfred Karge. Là, j'ai appris les exigences d'un théâtre « concret », épique et politique, un théâtre dans lequel le rapport avec le public est fondamental, dans lequel la parole et sa transmission sont l'élément premier. Je n'aime guère les spectacles qui célèbrent la liberté du corps, je les trouve souvent démagogiques. Je suis plus sensible au corps qui balbutie, au corps qui cherche à exprimer ses difficultés à «être» par la parole. Ce sont les conflits qui m'intéressent, la difficulté à communiquer, les empêchements, les infirmités de pâme, le pénible chemin vers la définition de soi. Mais pour revenir à votre question, j'ai effectivement toujours tenté de tenir, à travers mes spectacles, une sorte de journal de bord de mes interrogations de créateur. L'attention à la dramaturgie, et donc au texte et à l'auteur, m'a toutefois permis de garder une distance avec la matière traitée, autrement dit de ne pas imposer mon « autoanalyse» au spectateur... Une des questions qui me préoccupent depuis toujours est celle de la légitimité: qu'est-ce qui fonde la légitimité? J'ai eu une éducation populaire : mes parents m'ont enseigné les valeurs du mérite et du travail. La mesure avec laquelle on peut évaluer et apprécier un homme, c'est le chemin parcouru : voir d'où vous partez et où vous arrivez. Pas en termes de «carrière» ou d'ascension sociale, mais de cohérence. C'est un enseignement qui est resté très important pour moi. Et pourtant, chaque fois que des responsabilités, des «pouvoirs» donc, m'ont été confiés, je me suis toujours senti suspect aux yeux de certains. Suspect de les avoir «usurpés»... Shakespeare dit tout cela très bien. Molière aussi. Dans Le Misanthrope, il raconte magnifiquement l'histoire d'un provincial arrivé à Paris pour faire sa « place au soleil ». La mise en scène de ce spectacle en 1990 a été pour moi l'occasion de réfléchir sur mon existence de provincial confronté à la «cour de Mitterrand»: je détestais Philinte, la raison froide du politique, et je me rangeais du côté d'Alceste, l'atrabilaire amoureux, «l'artiste». C'est donc en m'interrogeant sur ma légitimité à exister en tant qu'artiste que j'abordais la mise en scène... Je retrouverai plus tard ces préoccupations en mettant en scène Othello (2001): la question clef de l’œuvre n'est pas tant la jalousie, que le doute sur l'identité, sur la légitimité. Othello est un étranger: il porte sur son corps les signes de sa non-appartenance à la classe des privilégiés. Sa jalousie n'est que la conséquence de son altérité. Pourquoi épouse-t-il Desdémone? Peut-être, simplement, parce qu'il veut devenir vénitien, parce qu'il veut être accepté, entrer dans le groupe légitimé et reconnu. Ainsi, au fil des années, l'identification avec certains personnages apparaît naturellement: j'ai mis en scène Le Misanthrope du point de vue d'Alceste, Timon d'Athènes du point de vue de Timon, Faust du point de vue de Faust... De la même facon, j'ai mis en scène Othello du point de vue d'Othello et non de celui de lago parce que, contrairement à ce que l'on pense, le héros c'est Othello. Les grands acteurs, et parmi eux Orson Welles, ne s'y sont pas trompés, ils ont choisi d'interpréter le rôle d'Othello parce que l'axe, le centre et l'enjeu de cette tragédie c'est lui. lago est le virus et Othello la maladie. Le même type de rapport s'établit dans Tartuffe: Orgon est la maladie et Tartuffe le parasite. C'est pourquoi j'ai abordé Othello et Tartuffe comme s'il s'agissait d'un diptyque : mon parcours shakespearien a été, de loin en loin, enrichi par des textes d'autres auteurs, textes liés entre eux, comme s'ils se faisaient écho l'un à l'autre... Vous avez déjà fait allusion à votre expérience italienne. Une présence de plusieurs années, marquée par des travaux plutôt importants dans votre parcours. Certains sous le signe de Shakespeare, avec des épisodes marquants, comme ta mise en scène de La Tempête dans le splendide Teatro Farnèse de Parme... Mon entrée dans le 21e siècle a coïncidé avec mon départ de la France pour l'Italie et le désir d'une trilogie, d'abord imaginaire, et qui trouva matière à se concrétiser à travers trois réalisations : Macbeth, Othello et La Tempête. Macbeth a été ma première « pulsion », une plongée dans les thèmes qui m'émouvaient alors, comme la relation au pouvoir, l'affirmation de soi, l'usurpation... Le deuxième volet, avec Othello, m'a servi à approfondir le thème du doute : le doute qui mine la joie de se réaliser dans ses choix, professionnels, amoureux, familiaux... Et puis, j'en suis arrivé à La Tempête, un « canevas d' «improvisations» à partir d'un projet de « machiavélisme du bien ». Prospero veut rétablir la légitimité de sa fille Miranda. Les spectres des ennemis, les fantômes traumatiques du passé reposent la même question sous des formes différentes : « les enfants doivent-ils payer pour les doutes, les erreurs et les problèmes de leurs parents?». Des passages graduels, une plus grande introspection et peut-être une autoanalyse systématique ont accompagné les premières étapes de votre parcours à travers l'oeuvre de Shakespeare. Mais avec la mise en scène de Peines d'amour perdues ; au théâtre Carignano de Turin, quelque chose semble changer: j'ai le souvenir d'un spectacle très joyeux, vivant, plein d'espoir. Dans le climat suggéré du cinéma des années cinquante, on percevait aussi un arrière-goût amer, la conscience de ta réalité, des douleurs du monde. Il me semble donc qu'il s'est produit en vous, durant ces années italiennes, une évolution considérable: de la cécité de Prospero, au théâtre Farnèse, à l'allégresse juvénile de Peines d'amour perdues. Parlons de cette renaissance de l'humour, de l'esprit... C'est vrai, on perçoit une sorte de tendresse ou de mélancolie dans Peines d'amour perdues... Les personnages masculins veulent constituer une «académie dédiée à l'austérité de l'étude» coupée du monde, et voilà qu'en face de cette utopie irréalisable, se dresse le désir. Le plaisir de vivre l'instant, de le cueillir, en suivant tes suggestions épicuriennes de Berowne, qui recommande à ses amis de «cesser de renoncer à être eux-mêmes». J'ai connu une période de grand bonheur en Italie, ma «renaissance italienne». J'arrivais de France avec mes blessures, et la mise en scène de La Tempête dans l'atmosphère magnifique du Théâtre Farnèse de Parme, m'a redonné une grande confiance en moi. Le Farnèse restera, pour toute ma vie, un lieu de pèlerinage, un complice généreux. Au moment où je montais la pièce, je réfléchissais sur mon rôle de père depuis que mes enfants, un jour, m'avaient demandé: «mais qu'est-ce qu'on fait ici?». J'étais comme le Duc de Milan, sur une île, entre parenthèses. Je ne pensais pas que je retournerais en France. C'était la première fois que je ne posais plus de questions à mon père. Les grandes questions -sur le pourquoi de notre naissance et de notre lutte pour exister-, c'étaient mes enfants qui me les posaient. Et pourtant, votre Prospero tâtonnait dans la nuit de sa cécité... La Tempête parle de la mort : Prospero est un artiste, qui connaît les limites de son art, mais aussi les limites de l'être humain. Il est loyal. Il renonce à sa quête obsessionnelle, et peut-être se dirige-t-il vers la mort avec une forme de sérénité... Dans Peines d'amour perdues aussi, la mort est acceptée, et racontée par Shakespeare comme une naturelle continuité de la vie: un retour au réel après le "jeu". Comment s'organise le travail des acteurs, durant les répétitions? Quel travail faites-vous habituellement sur le texte et sur la mise en scène? Quel est, en somme, votre rapport aux acteurs? Je ne fais presque plus de travail «à la table ». J'utilise les répétitions à la table comme un premier espace scénique, comme un espace pour rechercher ensemble et «apprendre à lire». Au début, je ne parle pas de personnages, mais seulement d' «êtres» qui ont existé dans un passé quelconque, et dont il ne reste que des paroles écrites: nous n'avons pas de photos, pas de vidéo et ne savons pas a quoi ils ressemblent. Nous ne connaissons d'eux que les paroles qu'ils ont prononcées dans des situations déterminées. Aussi essayons-nous de mettre le texte au centre de la table pour chercher à le comprendre, pour élaborer des hypothèses. Je demande aux acteurs: « comment se substituer à une personne qui a "disparu", tout en respectant une forme de crédibilité?». J'essaie toujours de faire un travail à ta recherche du sens et de la crédibilité. J'évite la déclamation. J'aime la langue qui se tait, bien construite, une langue parfaitement compréhensible mais en même temps un peu cachée. Je ne crois pas à un travail d'explication à la table, mais plutôt à une recherche de la crédibilité du dire, de la voix, du regard. Comme disait Jouvet: «Comprendre c'est commencer par dire». A ce propos, quelle différence linguistique discernez-vous entre le travail en France et en Italie? C 'était intéressant de travailler dans une langue qui n'était pas la mienne : cette situation qui aurait pu sembler problématique a été pour moi extrêmement stimulante. Au contact d'une «langue sœur», mon oreille, même quand elle ne comprenait pas immédiatement le sens, comprenait viscéralement, organiquement N'ayant pas une compréhension directe, je n'avais pas la tentation d'illustrer et, paradoxalement, je comprenais mieux: mon approche était une approche brechtienne. Dans certaines situations, j'imagine que je «coupe le son» et que j'observe une scène, muette, comme à travers une fenêtre. Ou bien, d'autres fois, je ferme les yeux pendant les répétitions. Les acteurs s'en aperçoivent, peut-être qu'ils s'en plaignent, mais pour moi c'est comme tout voir d'une autre manière, c est à dire en écoutant. Ce sont deux méthodes possibles: ne pas voir et écouter, ou bien voir et ne pas entendre. Mais dans les deux cas, les situations m'apparaissent claires, immédiates, compréhensibles. Strindberg, en se promenant dans la rue, observait ce qui se passait à l'intérieur des maisons. C'est une manière de comprendre la vie, de saisir l'universalité de l'homme. En particulier dans les moments de crise: les gestes changent, les paroles aussi, mais le processus organique - d'une conversation, d'une dispute - est partout le même. L'expérience italienne m'a appris que les acteurs y sont «immédiats », celle avec les Allemands que les comédiens « racontent»; les Français - trop souvent - « récitent ». Les Italiens « cherchent à être » et c'est pour cela que j'adore le théâtre italien, que j'aime travailler avec les acteurs italiens. Dans cette nouvelle version de La Tempête, j'essaie de travailler avec les particularités des trois langues que j'ai traversées. À l'intérieur d'un même contexte, je fais référence à des pratiques théâtrales différentes: j'utilise les techniques du théâtre épique allemand pour les marionnettes, la fraîcheur lumineuse des acteurs italiens pour les personnages comiques, le pragmatisme et la rationalité des acteurs français. J'essaie de créer un mélange entre les techniques et l'histoire du théâtre dans ces trois pays. |
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