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Sport, Santé et Préparation Physique N° 72 Lettre électronique des entraîneurs du Val-de-Marne SEPTEMBRE 2009 … Université Paris 12 – Conseil général du Val-de-Marne …Sommaire de ce numéro : LES PARADOXES DES ISCHIO-JAMBIERS Complément de l’article de Frédéric Aubert paru dans la revue SSPP n°24 de juin 2009 Les paradoxes des Ischio-jambiers Frédéric AUBERT, professeur agrégé d’EPS / INSEP Telle une erreur de casting, les ischio-jambiers (muscles de la loge postérieure de la cuisse) ont un rôle prépondérant dans la course de vitesse, alors que leur physiologie musculaire y semble contraire. En effet, la préparation de ce groupe musculaire pour la course de vitesse se heurte à des caractéristiques fonctionnelles inadaptées, lesquelles peuvent expliquer la fréquence des lésions rencontrées pour nombre de sportifs dans la pratique du sprint :
![]() ➥ Muscles de la statique, les ischio-jambiers ont une vitesse de contraction lente car ils contribuent à l’équilibre et au maintien de la station debout chez l’homme (activité tonique à contractions lentes) . ➥ Muscles longs “pennés”, leur structure en chevron se compose de très nombreuses fibres courtes dont la variation de longueur est potentiellement faible ; de plus, leur forte composante en tissus conjonctifs (demi-membraneux, demi-tendineux) expliquerait leur propension à se raccourcir ou se raidir. ➥ Muscles bi-articulaires (extenseur de la hanche/fléchisseur du genou (1), ils sont soumis à des tensions brutales voire surprenantes. Ils dépendent donc du gainage abdominal pour réaliser correctement le cycle de la foulée. Depuis ces constats physiologiques, on pourrait déjà organiser le renforcement des ischios-jambiers. Or, l’analyse des électromyogrammes durant la foulée de sprint fait apparaître (2) : • que l’activité des Ischio-jambiers intéresse plus des 2/3 du temps de cycle complet de la jambe, et ne se limite pas au seul retour du pied sous la hanche, ni à son freinage avant l’appui. • en conséquence, que l’activité musculaire des Ischio-jambiers est polymorphique, c’est-à-dire qu’ils sont soumis à plusieurs rythmes et régimes de contractions pour couvrir le cycle de la foulée ; • la phase d’appui antérieure à la verticale du bassin est critique au plan biomécanique: elle recouvre le travail des quadriceps sous la charge de mise en tension, et sollicite le gainage du bassin pour un travail dit “en course longue” (contraction sous étirement aux deux extrémités des insertions) ; cette phase, en 1/10 de sec., est prise en sandwich entre le travail excentrique de fin de cycle (extension du genou et freinage du pied pré appui) et le travail concentrique pour le retour du pied post-appui. Au total, la contribution des Ischio-jambiers est nettement prédominante sur celle des quadriceps, ce qui confirme l’analyse fonctionnelle de la foulée (3 & 4) selon laquelle, au-delà du départ, on ne pousse pas sur un appui de course mais que l’on rebondit depuis l’organisation d’une mise en tension musculaire suivie d’un renvoi d’étirement des structures élastiques du muscle : comme on le sait, l’appui du sprinteur lancé est de nature pliométrique. ![]()
Hors pratique sportive, I. A. Kapandji avance que “la puissance globale des fléchisseurs du genou est de 15 kg/m, soit un peu plus du tiers de celle du quadriceps”(1). On comprend que pour la course, la relation ischio-jambiers /quadriceps soit plus de la synchronisation que de l’antagonisme, car la partie serait perdue d’avance. L’équilibre fonctionnel entre ces deux groupes musculaires n’est pas du domaine de la force maximale mais un problème de rapport de couple fléchisseurs/extenseurs, en fonction de la vitesse angulaire : flexion du genou dans le retour du pied vers l’avant et extension du genou lors de la projection freinée du pied vers l’avant puis le sol. Chez les sprinters, les valeurs enregistrées dans les rapports de couple pour des efforts isocinétiques (à vitesse constante) sont les suivantes : - à une vitesse angulaire lente de 60°/sec., les ischio-jambiers n’atteignent que 60 % de la force du quadriceps. - A 180°/sec., bien que les deux groupes musculaires perdent de leur force, les ischio-jambiers se hissent à 70 % des valeurs du quadriceps. Ainsi, chez le sprinteur, plus la vitesse de travail augmente moins les ischio-jambiers perdent de force, et plus ils soutiennent la comparaison avec les quadriceps. - A des vitesses angulaires de 240° à 300°/sec., c’est l’adaptation des ischio-jambiers à la fréquence gestuelle qui équilibrera le rapport de force.
Qu’on se le dise : à l’issue d’un footing d’échauffement, les ischio-jambiers se refroidissent par effet de shunt des vaisseaux sanguins. Le footing est donc antinomique de l’échauffement pour la vitesse, puisque les ischio-jambiers n’y sont pas ou peu sollicités. Dès 1964, un article soviétique traduit dans un document I.N.S. (5) nous informait des risques encourus par les ischio-jambiers à l’issue d’un échauffement irrationnel au regard de leur physiologie particulière : une course lente de 5 à 10 minutes n’élève la température de ces muscles que de 0°2 (elle peut chuter chez certains sujets), en réponse à leur faible sollicitation pour ce type d’effort. Dès lors, la pratique d’étirements immédiatement après, puis celles d’exercices d’accélérations courtes ne font qu’accuser, à ce moment de l’échauffement “l’hypertension des Ischio-jambiers qui, telle une excitation inadéquate, provoque un rétrécissement des vaisseaux sanguins, spasme vasculaire à l’origine d’une légère baisse de température locale”. La réponse des auteurs (5) préconise un jogging par déroulement de tout le pied (attaque du talon pour mise en tension excentrique des Ischio-jambiers), précédé d’exercices dynamiques d’adaptation des ischio-jambiers pour les préparer aux tensions de freinage de la jambe libre (ex.: talon-fesse lentement à plat ventre ou debout avec élastique). Alors peuvent suivre les étirements et les exercices de course, puisque l’adaptation vasculaire ira croissante. Pour notre part, nous proposons l’usage des gammes de course à vitesse et fréquence gestuelle lentes, tout d’abord. Les gammes de courses doivent avoir comme objectif premier l’échauffement des groupes et loges musculaires impliquées dans le sprint. Dans un second temps, ces mêmes exercices sont repris au titre de routines techniques. Cette distinction est essentielle dans la conduite d’un échauffement. 4) Des tensions musculaires différentielles lors de la course. Plus encore que dans le sprint, dans l’activité du joueur de sport collectif, les trois chefs bi-articulaires des ischio-jambiers ne sont pas soumis en même temps ni aux mêmes tensions lors des différentes séquences de courses. Les insertions sous le genou (interne en haut du tibia, ou externe sur le péroné, et les plans respectifs des ischio-jambiers dans la loge postérieure de la cuisse nous rappellent que l’implication fonctionnelle de notre musculature n’est pas uniforme au plan segmentaire. Ainsi, par exemple, au cours d’un démarrage, suivi d’une course en virage, puis d’un freinage ou d’une inversion (course en arrière), on peut imaginer l’activité “différentielle” assurée par l’ensemble de la musculature, pour que le coureur réalise ces différentes phases avec équilibre dans ses placements (sa géométrie de course), fluidité dans ses enchaînements d’appuis (maîtrise rythmique). Au niveau des ischio-jambiers, cette activité différentielle nous a été évoquée par certains kinésithérapeutes du sport : • les glissements aponévrotiques dans les plans superficiels et profonds de la loge, consécutifs aux lignes de forces excentrées ou aux différents porte-à-faux articulaires, varient d’une foulée à l’autre, d’une jambe sur l’autre (course en virage) et engendrent des variations de longueurs de travail et de tensions musculaires des différents chefs. Ces phénomènes exigent une adaptation fonctionnelle présentée plus bas. • au niveau des étirements des ischio-jambiers, varier l’orientation du pied (interne/externe, flexion/extension) afin d’appliquer des tensions aux différents niveaux et plans des corps musculaires ; • concernant les talon-fesses d’échauffement, la combinaison “quadri forme” des positions du pied (interne/ externe, flexion/extension), visera la mise en température du groupe musculaire de façon plus complète. On y ajoutera un placement évolutif de buste, du plus penché au plus vertical, variation gérée par le bassin qui ira de l’antéversion (fesses en arrière) à la rétroversion (abdomen rentré) pour jouer sur les longueurs de travail ; ![]() • pour les exercices de renforcements musculaires, les mêmes variations d’orientations complèteront des mouvements qui n’intéressent souvent qu’un seul axe ; • les courses en virage sont réalisées dans les deux sens, en entrée comme en sortie de virage.
Dans la pratique, nous constatons souvent que les ischio-jambiers sont les muscles oubliés des programmes de renforcement musculaire. En réponse à leurs paradoxes physiologiques évoqués précédemment, il faut accéder au concept d’entraînement des ischio-jambiers pour les préparer à supporter les contraintes du sprint : - les entraîner à la vitesse gestuelle (activité physique à haute fréquence), leur apprendre la fréquence cyclique. - effectuer des étirements systématiques après l’effort, pour restituer leur longueur initiale et les “dé-spasmer” post-exercice. - veiller à la rétroversion du bassin (comme point fixe) pour assurer la coordination intermusculaire qui “pilote” le circuit de pied, comme le sprinter peut le faire au travers de ses gammes de course. - les faire travailler en utilisant tous les régimes de contraction. ![]() ![]() Ainsi, une procédure pragmatique de préparation des ischio-jambiers peut s’articuler de la façon suivante : 1 - Démarrer tout renforcement par du talon-fesse “quadri forme” comme échauffement local préalable au travail : I- pieds en canard, II- pieds rentrés, III- cheville en flexion puis, IV- en extension, pour concerner les différents chefs du groupe musculaire et à différents niveaux). Ce protocole est une mise en température du groupe musculaire de façon plus complète 2 - Restituer les longueurs musculaires après chaque exercice de renforcement : étirements post-effort systématiques). 3 - Si l’on utilise le “banc à ischio”, le travail d’une jambe isolée après l’autre est le gage d’un équilibre dynamométrique droite/gauche. De plus, le travail alterné jambe tendue/jambe fléchie sous la charge, replace l’effort dans une coordination intermusculaire propre à la course. A cet appareil au début, les ischio-jambiers montrent toute leur faiblesse : les charges y seront très légères (10 à 15 kg). ![]() 4 - Le travail concentrique (6) précède celui de l’excentrique (freinateur en allongement) pour assurer au muscle une température nécessaire aux exigences du régime excentrique. 5 - Compléter le travail de force des ischio-jambiers par des séries de talon-fesse rapides (en accélération), afin de replacer ce groupe musculaire sous haute fréquence de contractions 6 - Enfin, le travail pliométrique des ischio-jambiers est obtenu dans les gammes de course réalisées en qualité et à haut niveau d’intensité : course en jambes tendues (ciseaux ou pas d’oie), course en rebond d’appuis (pas de sioux ou des indiens) pour lesquelles la puissance des rebonds passe par le gainage du bassin et une juste coordination intra comme intermusculaire. A cet appareil au début, les ischio-jambiers montrent toute leur faiblesse : les charges y seront très légères. ![]() ![]() ![]() A propos de la fatigabilité des ischio-jambiersLes ischio-jambiers supportent mal le travail en état de fatigue et ils accusent rapidement des problèmes de récupération locale, lorsque les séances intenses se succèdent au sein d’un même microcycle (comme en stage de reprise, ou stage de préparation intensive). Il est donc acquis que la pratique du sprint suppose un relatif état de fraîcheur. Dans ce domaine, les procédures de récupérations actives (aérobie en fin de séance, étirements de retour au calme et massage si possible…) permettent l’enchaînement de séance souvent mieux que le seul repos passif. Par ailleurs, en plus de proscrire toute séance ou effort anaérobie lactique précédant (la veille ou dans la séance) un travail de vitesse, il faut porter la réflexion sur les déviations et agressions de la région sacro-lombaire susceptibles de provoquer des spasmes et contractures des ischio-jambiers, en “résonance” depuis des racines nerveuses (nerf sciatique notamment) pincées ou irritées. C’est pourquoi, concernant la réalisation des exercices pliométriques (bondissements, sauts de haies, etc.), il faut non seulement s’assurer de la tonicité abdominale des sportifs, mais vérifier la qualité et la justesse des réalisations (alignements, gainage et forme de contact avec le sol). Faute de quoi, il est préférable d’évacuer tout travail pliométrique important la veille d’une séance de vitesse ou précédant ce type d’effort dans la même séance. Dans le même ordre d’idée, soulignons qu’il est risque de faire réaliser aux joueurs des séries de sprint plat après un travail de pliométrie au sein d’une même séance… En conclusion, considérons que les paradoxes physiologiques de nos ischio-jambiers sont un héritage de notre érection à la station debout et du statut de bipède de l’espèce humaine. Diminuer les risques de blessure chez le sportifs dans la pratique du sprint relève d’un refus de la fatalité et d’une réponse adaptative : l’entraînement des ischio-jambiers est une préparation physique locale, et spécifiée à ce groupe musculaire, et répondre à des contraintes que ne connaissent pas les quadrupèdes. Bibliographie pour en savoir plus(1) - Physiologie articulaire, fascicule 2, membre inférieur. I.A. Kapandji ; éditions Maloine S.A. 1975. (2) - “Relative activity of hip and knee extensors in sprinting” by K. Wiemann & G. Tidow. In NSA by IAAF 10:1; 29-49, 1995. (3) - “Analyse fonctionnelle du mouvement”. A. Piron, Dossier Formation - Athlétisme FFA - Revue EPS 1988. (4) - “Les courses de vitesse et de haies”. Equipe technique Sprint/Haies FFA ; Entraîneur Fédéral, FFA /AEFA 1994. (5) - “La mise en train : son action contre les accidents musculaires”, Liev Masterovoy ; Liëgkaya Atletika (URSS) n°9 - Septembre 1964. Document INS n° 560, traducteur M. Spivak. (6) - “Hamstring injuries in sprinting - The role of eccentric exercise.” by P. Stanton & C. Purdam, in The Journal of Orthopaedic and Sports Physical Therapy - Vol. 10 n°9 March 1989. Utiliise Coordinateurs SSPP : Thierry Maquet : Université Paris 12 – thierry.maquet@sfr.fr Sophie Daudet Taupin/Corinne Bouvat : Service départemental des Sports - Conseil général du Val-de-Marne - 2, rue Tirard - 94000 Créteil Tél. 01.43.99.73.92 / Fax : 01.43.99.73.96 / e-mail : sds@cg94.fr |