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XXIème Conférence de l’AIMS – Lille, du 4 au 6 juin 2012 Le management des compétences dans les TPE innovantes : quel modèle stratégique dominant ? Sabrina LOUFRANI-FEDIDA Maître de Conférences en Sciences de Gestion Université de Nice-Sophia Antipolis (UNS) Laboratoire GREDEG UMR 7321 UNS-CNRS 250 rue Albert Einstein 06560 Sophia-Antipolis Courriel : sabrina.loufrani@unice.fr Bénédicte ALDEBERT Maître de Conférences en Sciences de Gestion Université de Toulouse Laboratoire LERASS – ORGANICOM 115 C route de Narbonne – BP 67701 31077 Toulouse Courriel : bene.aldebert@gmail.com Résumé Cette communication vise à mieux comprendre la construction et le développement des compétences dans les TPE innovantes. La plupart des travaux en management, que ce soit en GRH, en management stratégique, en management de l’innovation ou en entrepreneuriat, s’attache davantage à identifier et à cartographier les compétences nécessaires pour développer une innovation qu’à comprendre la dynamique de management stratégique de ces compétences. En outre, ce sont davantage les grandes entreprises qui intéressent les chercheurs plutôt que les entreprises de petite taille. Ces constats sur le manque de travaux sur le lien entre management stratégique des compétences et TPE innovantes nous ont conduit à poser deux questions de recherche : comment émergent et se développent les compétences dans les TPE innovantes ? Quel est le modèle dominant de management stratégique des compétences dans les TPE innovantes ? Afin d’apporter des éléments de réponse à ces questions, notre recherche, de type exploratoire et de nature inductive, repose sur une démarche qualitative, centrée sur l’étude de cas longitudinale d’une TPE touristique, l’entreprise H2H (Hotel2Hotel). Le résultat majeur de notre travail est de formuler la nouvelle proposition théorique suivante : dans les TPE innovantes, le modèle mixte ne serait pas une troisième voie de relations (entre stratégie et compétences) aux deux autres (modèles émergent et déduit), mais une façon de combiner, temporellement, les deux. Mots clés : management des compétences, relations entre stratégie et compétences, TPE innovantes, secteur touristique Le management des compétences dans les TPE innovantes : quel modèle stratégique dominant ? Introduction « Compétence, que n’a-t-on déjà dit et écrit en ton nom. (…) La même exclamation pourrait être faite au sujet des pratiques concrètes : que n’a-t-on déjà fait et mis en place au nom de la compétence ! ». C’est en ces termes que Defélix (2003) commence l’un de ses articles relatifs à la gestion des compétences. Toutefois, en analysant de plus près les nombreux travaux et terrains de recherche investigués pour comprendre le management des compétences dans les organisations modernes, nous remarquons, à l’instar d’autres auteurs (Aubret et al., 2002 ; Loufrani-Fedida, 2007 ; Le Boulaire et Retour, 2008), que ce sont traditionnellement les grandes entreprises qui sont montrées en exemple, telles que Usinor, EDF-GDF, IBM, Hewlett-Packard, STMicroelectronics, Schneider Electric, Renault ou encore les grandes banques. Quid des Petites et Moyennes Entreprises (PME), alors même qu’elles sont considérées comme un atout indispensable à la dynamique économique, puisqu’elles représentent 99% de la totalité des entreprises dans l’Union Européenne et en France, employant plus de 67% de la population active en Europe et plus de 61% en France (Source Eurostat, 2009). Dans le cadre de notre recherche, nous souhaitons investiguer la question de la construction et du développement des compétences dans un contexte encore plus spécifique que les PME, et très peu étudié : les TPE1 innovantes. En particulier, nous avons constaté que la plupart des travaux en management, que ce soit en gestion des ressources humaines (GRH), en management stratégique, en management de l’innovation ou en entrepreneuriat, s’attache davantage à identifier et à cartographier les compétences nécessaires pour développer une innovation, qu’à comprendre la dynamique de management stratégique de ces compétences. De plus, ces compétences sont très souvent considérées comme des leviers de mise en œuvre des stratégies et non comme des composantes de ces dernières. Aucune étude, à notre connaissance, ne traite spécifiquement de la dynamique des compétences dans la mise en œuvre d’un processus d’innovation dans une TPE. Or, les TPE innovantes évoluant aujourd’hui dans des environnements de plus en plus concurrentiels et changeants, il est important pour elles de s’interroger sur la dynamique de construction et de développement de leurs compétences, plutôt que sur leur simple identification. L’entreprise n’est pas seulement un système de compétences. Elle est également et surtout un espace qui a pour fonction essentielle de gérer les compétences existantes et de les faire évoluer. En effet, c’est bien par la production continue de compétences que l’entreprise se donne un véritable avantage concurrentiel. Partant de ces constats, l’objectif de cette communication est d’améliorer la compréhension du management (identification, construction et développement) des compétences dans les TPE innovantes, et ce, en mettant en évidence le modèle dominant des relations entre stratégie et compétences. En d’autres termes, nous cherchons à apporter des éléments de réponse aux questions suivantes : Comment émergent et se développent les compétences dans les TPE innovantes ? Quel est le modèle dominant de management stratégique des compétences dans les TPE innovantes ? Pour ce faire, notre recherche, de type exploratoire, repose sur une démarche qualitative, centrée sur l’étude de cas longitudinale d’une TPE innovante dans le secteur touristique, l’entreprise H2H (Hotel2Hotel). Nous avons choisi de mener une étude empirique sur un secteur reconnu comme faiblement intensif en R&D et pourtant reconnu comme dynamique en termes d’innovation : l’industrie du tourisme (Decelle et Tassin, 2005). En particulier, grâce aux technologies de l’information et de la communication (TIC), l’entreprise H2H a créé un service de réservation entre hôteliers, tout à fait original pour le marché. Dans le cadre de notre recherche, l’étude de cas H2H est de nature inductive, avec pour objectif de formuler une nouvelle théorie, qui nécessitera des vérifications et validations ultérieures. En s’appuyant sur des travaux majeurs mobilisant une approche inductive (Brown et Eisenhardt, 1997 ; Gioia et al., 2010), nous avons choisi de structurer cette communication en quatre parties. Dans une première partie, nous présentons une synthèse de la littérature sur le management des compétences dans les TPE innovantes. Cette partie nous permettra de définir les concepts clés de notre recherche, ainsi que de présenter les résultats majeurs et les principaux gaps théoriques sur le phénomène étudié. La deuxième partie détaille, quant à elle, la méthodologie que nous avons mise en œuvre pour répondre à nos questions de recherche. La troisième partie expose les analyses empiriques et les principaux résultats de notre recherche. Enfin, la quatrième partie propose une discussion de ces résultats au regard de la littérature existante. 1. LE MANAGEMENT DES COMPETENCES DANS LES TPE INNOVANTES Dans cette première partie, après avoir présenté et défini les concepts clés de notre recherche, à savoir notre objet de recherche – le management des compétences (1.1) et notre champ d’investigation – les TPE innovantes (1.2), nous proposons de nous intéresser à la littérature spécifique sur le management des compétences dans les TPE innovantes (1.3). 1.1. Le management des compétences Depuis les années 1990, le concept de compétence suscite un intérêt croissant auprès des chercheurs et des praticiens, en raison, probablement, du caractère transversal de cette thématique. Si les typologies en matière de compétences sont nombreuses, la déclinaison du concept autour de quatre niveaux distincts n’en demeure pas moins assez consensuelle dans la littérature spécialisée (Retour, 2005 ; Retour et al., 2009). Les chercheurs s’accordent ainsi à reconnaître l’existence de quatre axes d’analyse selon que les compétences sont observées au niveau individuel, collectif, organisationnel ou environnemental. Le niveau individuel regroupe la compétence individuelle (CI), stricto sensu, c’est-à-dire celle rattachée à une personne, quel que soit l’endroit où elle est mise en action (y compris dans ses activités extraprofessionnelles) et la « compétence professionnelle » exercée, pour sa part, exclusivement dans les situations de travail. Symptomatique des thématiques non stabilisées, le foisonnement des définitions en matière de CI n’est pas pour aider le chercheur ou le praticien à s’y retrouver. Néanmoins, c’est encore le triptyque, résonnant comme un slogan, du « savoir, savoir-faire, savoir-être », qui représente, dans la pratique, l’une des définitions de la CI la plus répandue (Courpasson et Livian, 1991 ; Durand, 2000). Dans cette perspective, l’objectif de la GRH est d’obtenir des salariés les meilleures CI, c’est-à-dire les meilleurs niveaux de savoirs, savoir-faire et savoir-être exigés pour chaque emploi. Les leviers qu’il convient alors d’actionner reposent principalement sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), le recrutement, l’évaluation, la rémunération, la formation, la gestion des carrières et enfin la mobilité inter-métiers, concourant, conjointement, à instrumentaliser largement la gestion des CI (Defélix, 2003 ; Roger, 2004 ; Retour, 2005). De leur côté, les compétences collectives (CC) résultent de la combinaison des CI dans un collectif de travail ou dans une équipe. Plus exactement, elles proviennent de la capacité de ce collectif à faire face à des situations qui ne pourraient être assumées par chacun de ses membres individuellement (Bataille, 2001). Cette idée selon laquelle les CC prendraient naissance dans l’interdépendance des CI se retrouve aussi chez Le Boterf (2000) qui estime que la CI ne devient intéressante que dès lors qu’elle sait composer avec la compétence d’autrui. C’est pourquoi, la question des CC apparaît bien souvent dans le cadre des équipes projets2, des équipes opérationnelles autonomes ou semi-autonomes, ou, de façon plus informelle, lorsque des groupes émergent autour d’un objectif professionnel commun. Toutefois, malgré la complexité qui entoure la notion de CC et le fait qu’elle demeure « le parent pauvre » des recherches portant sur la gestion des compétences (Retour et Krohmer, 2006, p. 150), nous retiendrons l’idée que la CC possède quatre attributs : un référentiel commun, un langage partagé, une mémoire collective et un engagement subjectif. Concernant le troisième niveau des compétences, il renvoie aux compétences dites organisationnelles (CO) et s’appréhende traditionnellement au niveau de l’entreprise dans sa globalité. Dans cette optique, la notion de compétence désigne alors « la capacité d’un ensemble de ressources à réaliser une tâche ou activité » (Grant, 1991, p. 119) et implique « la mise en place de schémas complexes de coordination entre des personnes et entre des personnes et d’autres ressources » (ibidem, p. 119). Pour le dirigeant, l’intérêt de l’identification des CO consiste à sélectionner celles qui sont ou seront stratégiques pour la firme, c’est-à-dire celles susceptibles de conférer à l’organisation un avantage concurrentiel3. Autrement dit, la CO correspond à ce que l’entreprise « sait faire » ou encore à son savoir-faire en actions (Meschi, 1997 ; Tywoniak, 1998) avec, notamment, un regard particulier sur les processus organisationnels qui la structurent. Dans le prolongement des travaux du modèle des ressources et compétences (MRC) (Wernerfelt, 1994 ; Barney, 1991 ; Grant, 1991), des recherches se sont intéressées au concept de capacité dynamique (Einsenhardt et Martin, 2000 ; Teece, 2007). Ces recherches partagent un point d’ancrage commun fort : le concept renvoie à l’idée centrale de changement, soulignant l’intentionnalité des acteurs dans le développement de la base des ressources et compétences de la firme. Depuis peu, il est possible d’identifier un quatrième niveau d’analyse : celui des compétences dites inter-organisationnelles ou environnementales (CE). Celles-ci prennent naissance hors des frontières de la firme, dans le cadre de ses stratégies de coopération (lors de partenariats d’impartition ou d’alliances) ou dans les réseaux qu’elle a pu tisser. Selon les termes de Retour (2005), ces CE font alors référence aux compétences détenues par des entités ou des acteurs hors du contrôle direct de l’entreprise (fournisseurs, clients, laboratoires de recherche, etc.) et, il est admis aujourd’hui que leur mobilisation peut modifier sensiblement la gestion des compétences disponibles en interne à l’entreprise. Sous-jacent à ce niveau d’analyse de la compétence en émergence, nous trouvons la question classique des choix d’impartition de l’entreprise, symbolisée par la fameuse question : faire ou faire faire ? Il s’agit ainsi de déterminer quelles sont les compétences qui seront mobilisées en interne et celles qui seront mises en œuvre à l’extérieur de l’entreprise. Ce niveau d’analyse commence à être étudié par les chercheurs en GRH et en stratégie dans le cadre des stratégies de coopération. En effet, levier de création et de transfert de connaissances, la coopération permet l’accès aux compétences du partenaire afin de faire émerger de nouvelles compétences communes (Quélin, 1997). Pour notre part, et en nous appuyant sur les travaux des auteurs suscités (Meschi, 1997 ; Durand, 2000 ; Le Boterf, 2000 ; Defélix, 2003 ; Retour, 2005 ; Retour et al., 2009), nous comprenons la notion de « compétence » comme étant la capacité d’un individu, d’un collectif de travail ou d’une entreprise, à mobiliser et à combiner des ressources (connaissances, savoir-faire et comportements), en vue de mettre en œuvre une activité ou un processus d’action déterminé. Cette définition présente l’intérêt de décrire à la fois la nature et les conséquences de la compétence. De là, nous considérons, à l’instar d’Aubret et al. (2002), que la notion de management des compétences désigne l’ensemble des actions managériales engagées par une (ou des) organisation(s) afin de les gérer et de les développer, au moyen de l’un des deux modes d’apprentissage que sont l’exploitation et l’exploration4 (March, 1991). Aussi, dans le cadre spécifique des TPE innovantes, nous sommes conscients que les quatre niveaux d’analyse de la compétence sont susceptibles de se confondre, étant donné les différentes proximités caractérisant ces entreprises de petite taille. 1.2. Caractéristiques des TPE innovantes Pour ce qui est de l’entreprise innovante d’une manière générale, de nombreuses caractéristiques ont été avancées pour la définir. En particulier, nous retenons les travaux d’Allegret et Dulbecco (1998) pour lesquels, les entreprises innovantes se confrontent volontairement à l’incertitude ; elles se lancent dans un processus qui n’est pas instantané mais sujet à des délais ; et enfin, les engagements qu’elles mettent en œuvre ont une nature irréversible. Concernant les TPE innovantes, elles semblent avoir des caractéristiques contradictoires à l’égard de l’innovation. D’un côté, elles détiennent des prédispositions favorables à l’innovation en termes d’adaptation et de réactivité, et, d’un autre côté, leur manque de ressources et de compétences semblent handicaper leur capacité à prendre des risques et à innover. Selon Hausman (2005), la littérature sur l’innovation5 des PME reste assez floue et controversée lorsqu’elle aborde la capacité et les spécificités des PME innovantes. Nous constatons également que peu de travaux relatent de la spécificité de la TPE innovante. Seuls les travaux de Aldebert et Loufrani-Fedida (2010) adaptent l’analyse de Torrès (2004, 2007), relative à la PME au contexte spécifique de la TPE innovante. En effet, Torrès (2004, 2007) définit la spécificité des TPE comme une recherche protéiforme de la proximité, que ce soit au sein de l’entreprise comme dans ses relations avec ses clients, fournisseurs et autres partenaires. Nous souhaitons ici rappeler les cinq caractéristiques majeures des TPE innovantes selon Aldebert et Loufrani-Fedida (2010) :
Pour résumer cette section, nous retiendrons que les caractéristiques qui paraissent fondamentales pour le développement d’innovation dans les TPE sont le rôle et la personnalité du dirigeant, sa capacité à saisir des opportunités, son insertion dans un réseau social fort et sa capacité à déployer ses connaissances. Après avoir défini les concepts clés de notre recherche (management des compétences et TPE innovantes), nous proposons à présent de nous intéresser à la littérature spécifique sur le management des compétences dans les TPE innovantes. |