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IV. La perception de la science par le "public" Le débat sur l'éducation se double d'une interrogation sur les connaissances réelles du "public" en matière scientifique. Ceci traduit une inquiétude profonde sur l'efficacité de l'enseignement des sciences. La désaffection, à partir de l'âge de 12-13 ans, d'une large majorité d'élèves pour les sciences semble être un phénomène observé dans tous les pays développés [5] [6]. Aussi, de très nombreuses enquêtes ont été conduites pour "mesurer" le savoir des gens et un très grand nombre de réflexions échangées par les spécialistes à l'occasion de congrès, de colloques, à travers des revues spécialisées ou par l'intermédiaire de groupes ad hoc. On en trouvera des détails dans la seconde partie de ce rapport. En Grande-Bretagne, la Royal Society a encouragé la création du COPUS (Committee for the Public Understanding of Science) [7] [8]. La Commission européenne (DGXII) a soutenu des travaux de réflexion. La NSF (National Science Foundation) accompagne les efforts des sociétés savantes américaines [9] [10] [11]. Autour de ce problème se rencontrent des personnalités du monde académique intéressées par l'enseignement des sciences : des médiateurs, journalistes ou producteurs de films, des muséologues spécialisés dans les sciences, les techniques ou les musées pour enfants, ainsi que quelques scientifiques vulgarisateurs, ou même des philosophes. Livres, articles et rapports sont très nombreux. Le débat sur l'enseignement formel des sciences se double d'une tentative d'appréciation du rôle que devraient ou que pourraient jouer les musées, la presse et la télévision, dans l'information du "public", ce que l'on appelle désormais "l'éducation scientifique informelle". La situation, en France, sera détaillée dans les autres parties de ce travail. V. La vulgarisation scientifique comme mission pédagogique Des très nombreux travaux anglo-saxons dans le domaine du "public understanding of science", on peut extraire un certain nombre d'éléments de base. Tout d'abord, un classement des acteurs pour définir leur nature et repérer leurs idéologies dominantes. John Ziman [12], professeur de physique anglais qui a beaucoup étudié l'interface science-public, reconnaît quatre groupes différents. D'abord le public général, c'est-à-dire les personnes qui n'ont pas d'intérêt professionnel pour la science, pratiquement pas de connaissances et pas forcément le goût d'en acquérir. Ensuite, le public intéressé, qui est curieux des sciences par goût ou parce que cela fait partie du métier. On considère aussi comme acteur la communauté scientifique, dont nous avons dit plus haut que la grande majorité des membres était absorbée par son sujet d'étude. Quelque part entre ces trois "masses" d'importance numérique très inégale se situerait la galaxie diverse des médiateurs scientifiques et des "métascientifiques" (souvent des philosophes ou des penseurs en vue), qui offrent au public des points de vue sur la science et son importance sociale. Ces quatre catégories manieraient des idéologies différentes et contradictoires. Le groupe des savants se fait du public général l'idée d'une masse d'ignorants qu'il conviendrait d'éduquer au moins un peu (essentiellement pour qu'ils puissent admirer le travail scientifique et technique et donc soutenir ceux qui le font...). C'est ce que John Ziman appelle le "deficit model". Les chercheurs ont aussi souvent une très mauvaise opinion des médiateurs, considérés par beaucoup comme des fantaisistes soucieux avant tout du spectaculaire et capables de trahir dans leur présentation l'exacte nature du travail scientifique. Les médiateurs eux mêmes considèrent que les savants ne savent pas parler simplement de leur travail et qu'en conséquence, ils ont besoin d'être "traduits". Le public général est, lui, partagé entre le sentiment que les chercheurs sont des bienfaiteurs de l'humanité et le soupçon que ce sont des apprentis-sorciers imprudents, capables de faire n'importe quoi et qui manquent de morale et de sens éthique (et certains leur reprochent en plus d'ignorer les "vrais" problèmes, c'est-à-dire les extraterrestres et la transmission de pensée...). Le public intéressé est, de son côté, plutôt sensible aux progrès techniques, aux instruments qu'il peut utiliser (par exemple les ordinateurs), ou aux nouveaux remèdes ou techniques médicales (comme le scanner). Enfin, les médiateurs expriment souvent des idéologies, notamment celle du progrès, ou accompagnent des tentatives de correspondances entre science et religion (certains récits "de création" des astrophysiciens notamment), ou cherchent à piquer la curiosité du public ou à l'étonner (stratégie "spectaculaire") alors que les métascientifiques discutent de la place et du rôle de la science dans la société, en particulier du point de vue du droit à dire la vérité et à appliquer la logique scientifique comme règle absolue universelle qui s'imposerait à tout. Cette approche "analytique" des partenaires de l'opération "diffusion de la culture scientifique" (le terme anglais "public understanding of science" est mieux approprié) appartient nettement à la route de l'éducation dans la mesure où elle s'efforce de délimiter un champ pédagogique, un champ d'interventions rationnelles pour améliorer la qualité et l'abondance des contacts entre ces partenaires. C'est la vision la plus commune du problème. Elle est très bien résumée par le premier paragraphe du compte-rendu de Florence Landre sur l'exposition "La science pour tous", présentée au Musée d'Orsay à Paris du 15 Mars au 12 Juin 1994, publié par le supplément 1995 de l'Encyclopedia Universalis [13] : "Il est admis, aujourd'hui, que le progrès et le mieux être de nos sociétés sont largement tributaires des résultats de la recherche fondamentale et appliquée; encore faut-il que les politiques, et donc les citoyens dont ils sont les représentants, en comprennent la nature et les enjeux. Dans cette optique, il est indispensable que soit rendu intelligible au plus grand nombre, dans un langage clair, le discours codé des savants et que les résultats de leurs travaux soient divulgués et explicités." Le nécessaire volontarisme de l'effort de vulgarisation est ici clairement souligné et on remarque l'appel à "un langage clair", c'est-à-dire à une traduction, à une épuration, à une simplification dont on assume qu'elle ne fera pas perdre le sens ("la nature et les enjeux"). Or, que faire si les mots les plus simples, les plus élémentaires du "discours codé des savants" ne sont pas compris ? Ce que le public comprend de la science a fait l'objet d'études quantitatives. Le Professeur Jon Miller (politologue) a entrepris à l'Académie des Sciences de Chicago (en fait un petit musée de sciences naturelles) de rassembler toutes les informations produites sous forme d'enquêtes à l'échelon mondial et d'en faire la synthèse au sein de son "International Center for the Advancement of Scientific Litteracy" [14]. L'idée est de focaliser l'action éducative sur le type d'informations que le citoyen doit acquérir pour être capable de juger des questions techniques qui se posent à la société dans une démocratie. La mesure de la capacité d'appréhender la science (scientific litteracy) a été développée à partir de trois critères. Le premier est basé sur la compréhension des concepts et des termes scientifiques de base. Pour cela, on pose des questions aux personnes d'un échantillon représentatif de la population.("le soleil tourne-t-il autour de la terre ?", "les électrons sont-ils plus petits que les atomes ?", etc...). Plusieurs groupes de recherche académiques et des Institutions comme la Commission européenne ont effectué des tests de ce genre pour mesurer le niveau de connaissances ou du moins celui de la compréhension du sens de termes élémentaires. En général, moins de 40% de la population répond correctement à la moitié de ce genre de tests (y compris pour le soleil : comme au temps de Laplace, il y a toujours environ 30% d'indécis...). Le second critère repose sur un minimum d'appréciation de la nature logique du raisonnement scientifique (avoir le sens par exemple du rapport entre les causes et les effets et savoir, entre autres, si l'astrologie est une science ou pas). Le nombre de personnes qui passent ce test est de 10 à 15% seulement. Le troisième élément d'appréciation est une évaluation de la compréhension de l'impact des sciences et des techniques sur la société avec des questions du genre : "à votre avis la radioactivité est-elle seulement produite par l'action de l'Homme ?", ou "qu'est ce qu'un logiciel ?". Là, 25 à 30% des personnes interrogées donnent des réponses satisfaisantes. La combinaison des trois critères conduit à un indice quantitatif de capacité à saisir les sciences (scientific litteracy). En 1990, 6,9% de la population des Etats-Unis (enquête sur 2000 personnes) répondait à ce critère, en 1992, 6,5%, et pour la Communauté européenne en 1989 (enquête sur 11000 personnes), l'index tourne en moyenne autour de 4,4%. On peut donc considérer que la très grande majorité de la population européenne est "illettrée" en matière scientifique. Ces mesures renforcent nettement l'idée que la masse est largement ignorante (en accord avec le "deficit model" anglo-saxon). Naturellement, dans le détail, le "niveau" dépend de l'âge et de la position sociale et économique (mais, en Europe, seulement 18% des mâles âgés de 35 à 54 ans ayant fait des études universitaires ont des idées claires sur la science ...). La capacité de saisir effectivement le sens du discours scientifique doit être considérée comme distincte de l'intérêt porté aux questions scientifiques, les enquêtes montrent qu'environ 25% de la population se déclare intéressée par ce qui arrive dans le monde scientifique et technique. On trouvera d'autres détails sur ce sujet dans la deuxième partie de ce Rapport, "L'état des lieux", dans le chapitre consacré à l'évaluation de la perception de la science par le public, qui fait plus spécifiquement référence à la situation française actuelle. Une nouvelle enquête, construite sur des bases voisines de celles de 1989, a été conduite en 1992 par la Commission européenne (DG XII) en liaison avec le programme "Eurobaromètre" de la DG X, un outil d'étude de l'opinion publique à travers les différents pays de la Communauté. 13000 personnes ont été interrogées sur leur compréhension de questions liées à la science et à la technique, en particulier en rapport avec l'environnement, et sur leur attitudes vis à vis de la recheche scientifique, de la technique etc... Les résultats sont publiés en détail, pays par pays, dans une brochure : "Europeans, Science and Technology Public Understanding and Attitudes" by INRA (Europe) and Report International, June 1993 (EUR15461) 232 pp. Les données brutes sont disponibles à Zentralarchiv für Empirische Sozialforschung, Köln Universität. En 1992 76% des Européens pensent que la science et la technologie rendent la vie plus facile (contre 73% en 1989) et 33% estiment que la connaissance scientifique n'a aucune importance pour la vie quotidienne (contre 37% en 1989), mais 55% trouvent que les choses changent trop vite à cause de la science (58% en 1989). Il semble donc que l'image de la science se soit améliorée en Europe. Le métier de chercheur vient immédiatement après celui de médecin dans la liste des professions qui inspirent le plus de respect au citoyen européen. VI. La vulgarisation scientifique comme composante du spectacle On a beaucoup discuté ce type d'analyse, en particulier la notion d'illettrisme qui a une connotation élitiste [15], mais on reste toujours dans un schéma éducatif dans lequel il faut souhaiter que les gens apprennent des notions justes. Or, d'autres auteurs soutiennent que c'est plutôt par la route du spectacle que la science pénètre dans la société et que c'est dans ces termes là que se posent les vrais problèmes, en particulier ceux qui suscitent des réactions émotionnelles. Spencer R. Weart, historien de l'American Institute of Physics, a notamment publié une étude intitulée "Nuclear Fear (a history of images)" [16] qui retrace l'historique de la pénétration des concepts et des images associés à la radioactivité et au nucléaire dans la société depuis le début du siècle. Depuis le début du XVIIème siècle, le monde scientifique et ses productions sont constamment observés par des professionnels qui espèrent en tirer des éléments susceptibles d'attiser la curiosité du public et donc d'améliorer la vente de leur marchandise. Parmi eux, depuis toujours, les journalistes et les entrepreneurs de spectacles populaires (de la lanterne magique -1663- au Futuroscope). Ce qui est scientifique et savant est aussi un bon moyen de "réclame", c'est-à-dire qu'il permet de se référer à une autorité pour garantir la qualité, l'intérêt ou la nouveauté d'un produit. Les publicitaires font fréquemment appel à la référence scientifique. Il y a dans la fête foraine une évidente composante scientifique [17]. A la fin du XIXème siècle, les manèges ont fait la propagande de l'électricité. Les "Palais de la Curiosité", les baraques d'illusion, ont offert aux foules des attractions basées sur le cinéma, les Rayons X, les phénomènes électriques, les tubes à décharge de Geissler, ainsi que des collections impressionnantes de cires anatomiques. Le cabinet du Docteur Spitzner (1856) proclamait : "la science n'est pas un jeu ! De la propager est le devoir de tout homme scientifique". Aujourd'hui, les forains de la Foire du Trône utilisent les techniques aéronautiques et spatiales pour harnacher leurs clients dans des attractions mécaniques étourdissantes qui ont remplacé les chevaux de bois (et qui contribuent à donner de la science et de la technologie une image de puissance virile...). La radioactivité a été médiatisée dès sa découverte et connue du grand public bien avant que le système scolaire ne l'explique (mais aujourd'hui, un siècle après, est-elle vraiment au programme des écoles ?). Les journalistes y voyaient le grand rêve de l'alchimie enfin réalisé. Les "rayons" ont longtemps été considérés comme bénéfiques (peut-être à cause de l'association inconsciente avec l'imagerie religieuse traditionnelle). Weart montre que c'est l'apparition du "rayon de la mort" dans les bandes dessinées ("comics") des années 1920 qui a commencé à brouiller cette image, qui plus tard sera transférée au laser. Les vulgarisateurs des années 1900 (notamment le célèbre Gustave Le Bon), ont tout de suite vu le parti qu'ils pouvaient tirer des découvertes contemporaines en exploitant l'image mythique du "génie dans la bouteille". Avec l'atome, l'homme pouvait disposer d'une énergie extraordinaire s'il trouvait le moyen de la libérer de la matière. Les romanciers à la recherche de thèmes ont été séduits par ces récits et ont tout de suite extrapolé : on trouve la première description de quelque chose qui ressemble à une bombe atomique dans le roman d'Anatole France de 1907, "L'Ile des Pingouins", et le terme "bombe atomique" lui-même sera forgé par H.G. Wells pour un roman publié en 1913. L'étude très détaillée de Spencer R. Weart expose la manière dont une découverte capitale passe dans la culture jusqu'à bouleverser l'imaginaire et induire les conséquences émotionnelles que l'on sait, alors qu'aujourd'hui comme hier, la très grande majorité du public ne sait pas exactement ce qu'est la radioactivité. On en déduit que c'est l'ensemble des médias, des journaux à la publicité en passant par l'audiovisuel, qui font réellement passer les résultats scientifiques dans la culture, mais naturellement pas sous une forme acceptable pour les scientifiques comme pour les pédagogues. La forme en question est une forme littéraire. Ce que les journalistes scientifiques ou les concepteurs d'émissions de télévision extraient du monde scientifique, ce sont des éléments qui peuvent s'insérer dans l'un ou l'autre des nombreux procédés littéraires qui assurent l'intérêt d'un récit. En général, il s'agit du répertoire des situations, des personnages, des lieux, des décors, des temps, et des thèmes mythiques conventionnels qu'exploitent les récits folkloriques, les contes, les légendes, les fables, les anecdotes, les gestes épiques, etc... Une analyse détaillée peut être trouvée dans l'article [18]. La science fournit à ce cadre ancien des habits neufs, des personnages nouveaux, etc... Ces ressorts littéraires éprouvés [19] permettent de maintenir l'intérêt du lecteur ou du téléspectateur et sont susceptibles d'exciter puissamment l'imaginaire et de créer d'authentiques émotions, en particulier par l'évocation de ce qui se rapporte charnellement au corps. Les bons journalistes scientifiques (ceux des grands quotidiens parisiens par exemple) exploitent au fil d'une histoire une succession de ces procédés littéraires [20]. Les principaux thèmes tournent autour des récits de création (astrophysique, préhistoire, ...), des aventures des chercheurs dans des "déserts" (océans, forêts, régions polaires), des animaux supposés proches de l'homme (totems !) comme les dauphins, etc.. Si bien que seulement une partie de la science est couverte par ce type de vulgarisation : celle dont l'activité se prête à la mise en récits. Le reste, comme la chimie, plus difficile à encadrer dans une forme littéraire, est plus ou moins ignoré. Très souvent relayée par les romanciers (Jules Verne !) cette forme de littérature populaire est un vecteur efficace de diffusion des connaissances puisqu'elle permet d'apprendre des choses dans le cadre d'une activité plaisante et excitante pour l'imaginaire. Le langage est un élément fondamental dans la réussite de ces exercices de vulgarisation pour adultes qui passent à travers la grande presse ou les livres à succès. Les auteurs sont souvent des savants médiatiques ou médiatisés. L'accroche de l'attention du public se fait à travers des mots-phares. Ceux-ci sont souvent empruntés au langage scientifique primaire. Ils ont été choisis pour leur pouvoir d'évocation, pour leur richesse sonore, ou pour leur capacité de multiplier les facettes d'un problème ou de s'associer à des images. Ce sont des mots d'une nature poétique, ils sont flous, ils captent l'attention de l'imaginaire. Ils peuvent alors connaître à travers l'opinion publique des fortunes fulgurantes. C'est le cas des fractales, des trous noirs, du vide, du chaos, des quarks, etc... Un certain nombre de mots scientifiques d'origine sont devenus eux-mêmes des termes poétiques ou romanesques utilisés comme tels (galaxie ou dinosaure par exemple). Nombreux sont ceux qui manipulent dans les conversations mondaines des concepts comme la théorie des supercordes, le principe d'incertitude, les attracteurs étranges, la mécanique quantique, sans avoir aucune idée réelle de ce que ces termes signifient ! Mais leur emploi signale l'intérêt du locuteur pour les "mystères" de l'Univers (une forme de référence au savoir qui exprime maladroitement le sentiment confus que la science s'est substituée aux récits religieux pour offrir une explication de la nature du monde...). Les phénoménologues contemporains [21] savent qu'un langage est d'autant mieux accepté qu'il est plus flou et permet de placer du sens entre les mots. Le grand défaut du langage scientifique est en effet sa précision qui exclut toute interprétation latérale, sauf quand il y a collision des termes avec le vocabulaire ordinaire. La littérature enfantine, surtout celle qui s'exprime par la bande dessinée, présente rarement des contenus scientifiques effectifs (sauf dans les histoires d'animaux ou dans les récits d'exploits spatiaux ou sous-marins), mais les héros les plus familiers aux enfants ont souvent des activités de type scientifique. Là sont manipulés des archétypes, comme celui de l'apprenti-sorcier, qui renvoient naturellement à la thématique des contes et légendes, mais dans un contexte moderne. Les enfants sont ainsi nourris très tôt de clichés dont on peut constater parfois qu'ils dominent aussi l'opinion publique (ils reflètent évidemment les points de vue des concepteurs de ces "comics"). On a par exemple étudié le cas de la chimie [22], très souvent pratiquée sous une forme burlesque par les héros bons ou mauvais des bandes dessinées, signe que cette science est associée à une forme de pouvoir. On y voit se dessiner l'image d'un art entièrement orienté vers les transformations, non pas seulement de la matière, mais surtout du corps et des comportements (les philtres...). La réussite dépend de la lecture attentive de grimoires - le langage codé des chimistes - dont le mode d'emploi entraîne la faute à l'origine des aventures du héros, comme dans les contes traditionnels [23] [24] [25]. Donc, bien avant que l'école n'en aborde l'étude, il y a des disciplines scientifiques dont l'image est toute formée. Au centre de ces histoires, il y a l'image du savant. Celle-ci est un archétype littéraire depuis le début du XIXème siècle, en gros depuis la publication du roman de Mary Shelley "Frankenstein" en 1817 [26]. Mais bien avant, les formes médiévales du savoir, notamment l'alchimie, s'étaient incarnées dans des personnages de théâtre, comiques ou tragiques. Si le Docteur Faust "réel" a, peut-être, vécu en Allemagne vers 1480, il fait sa première apparition littéraire dans un texte de 1587 avant de monter sur les planches à Londres dans la comédie de Christopher Marlowe en 1604. Une figure du savant est formée - machiavélique, diabolique, sournoise, distraite, ou innocente parce que manipulée -, et elle va accompagner un très grand nombre d'intrigues, du roman à la science-fiction au cinéma jusqu'au "sitcom" télévisé, et aujourd'hui au CD-Rom et aux jeux interactifs. Et cette image est en général négative. Il y a relativement peu d'images positives très médiatisées du savant, à l'exception d'Einstein, de Marie Curie et de Pasteur (les anglo-saxons remplacent celui-ci par Newton...). Par contre, abondent les maniaques, les obsédés de leur recherche (jusqu'à oublier père mère et famille), les assoiffés de pouvoir, les distraits dangereux capables de faire exploser la planète, bref la panoplie des savants fous, quelquefois adoucie par l'image d'un doux et discret Tournesol. Ces caricatures correspondent évidemment à l'idée que se font du système scientifique les auteurs d'oeuvres populaires de grande diffusion, mais elle est partagée par une grosse fraction de la population comme le montrent certaines enquêtes sociologiques ou l'étude de l'image des savants chez les écoliers [27] [28] 29] qui, y compris les filles, les voient surtout comme des mâles âgés, chauves ou très chevelus, travaillant tout seuls dans leurs laboratoires à faire des expériences secrètes dangereuses (un cliché sorti tout droit des bandes dessinées....). Il ressort de cette imagerie que l'opinion publique croit la communauté savante incapable de communiquer avec le commun des mortels et qu'elle la soupçonne de ne pas avoir beaucoup de qualités morales et même d'être capable par son arrogance et sa négligence de mettre les gens et la planète en danger. Ce stéréotype est conforté par des attaques de nature politique contre des réalisations technologiques (comme l'énergie nucléaire). Des écrivains plus soucieux d'exactitude descriptive, plus naturalistes, ont cependant donné des laboratoires, de la vie des savants et de leur qualités morales, des images plus exactes et plus sympathiques, tout en conservant la fascination pour l'homme comme héros en proie quelquefois à des tourments indicibles et que l'on doit respecter [30]. L'image négative des savants est évidemment une réalité qui rend difficile le projet pédagogique de la vulgarisation puisque celui-ci exige un effort qui sera fatalement refusé par ceux que la science révulse, c'est-à-dire précisément ceux qu'il faut convaincre. Un très grand nombre de personnes de culture presque exclusivement littéraire, influencées par l'image qu'en donne principalement la romance sous toutes ses formes écrites et télévisées, ont donc tendance à afficher une grande méfiance, sinon du mépris et du dédain, vis à vis de la science et de la technique. Ce phénomène décrit par C.P. Snow dans son fameux ouvrage sur les deux cultures [31] caractérise peut-être avant tout un clivage élitiste spécifique à la petite minorité très bruyante qui compose les milieux intellectuels dominants du 20ème siècle, parce que la technologie apprivoise plutôt ceux qui l'utilisent réellement de leurs mains. Il y a un domaine où la science apporte des plaisirs positifs aux foules, c'est lorsqu'elle permet d'inventer des spectacles nouveaux, des sensations nouvelles. On a déjà mentionné le rôle de la technologie dans la formation des cultures. La science fondamentale a accouché très tôt d'instruments qui ont permis une rénovation radicale de la technologie des spectacles [32]. Christian Huyghens, savant hollandais au service de la France, découvreur célèbre des anneaux de Saturne, a, à peu près à la même époque (dans les années 1660), inventé un dispositif de projections d'images, d'ailleurs animées, qui était le prototype de la lanterne magique. Conscient de l'usage puéril qui pouvait être fait de l'engin, il a refusé, malgré les prières de son père, d'en faire la démonstration à Louis XIV. La raison profonde était qu'il y avait à Rome, autour du Père jésuite Kircher, une bande de savants qui "s'amusaient" à fabriquer toutes sortes d'illusions avec des instruments d'optique de façon à étonner le public (et les prélats pontificaux ...). Descartes, Gassendi, et les autres, pensaient beaucoup de mal du Père Kircher... et Huyghens ne voulait pas se compromettre dans une activité du même genre ... On reconnaît là un trait caractéristique de la société des savants qui perdure jusqu'à nos jours : la reconnaissance ne peut être obtenue que par l'approbation des pairs dans le respect des règles de la communication... En dépit des précautions de Huyghens, la lanterne magique s'est rapidement répandue dans toute l'Europe, fondant ainsi l'habitude de se réunir en groupe dans une salle sombre pour voir soudainement apparaître une image sur un mur. La contemplation collective d'une même image commençait. Les premières images colportées jusqu'au fond des campagnes avec la lanterne magique étaient moralisatrices, édifiantes ou destinées à effrayer ; elles sont devenues ensuite des sources d'informations (sur les pays lointains), et au XIXème siècle, une importante composante du dispositif pédagogique informel, avant d'être supplantées par le cinéma. A côté de l'image, la science des commencements (avant 1800) a contribué aux distractions par les attractions électriques et magnétiques, amusements de foire très populaires que ne dédaignait pas la bonne société dans le cadre de démonstrations privées ou de cours mondains, comme ceux de l'Abbé Nollet [33]. Une véritable industrie artisanale de la machine scientifique de salon était d'ailleurs apparue à Paris et à Londres. Les artistes étaient particulièrement intéressés par les machines optiques qui permettaient la reproduction exacte de vues (voir les oeuvres de Canaletto). Les professeurs des Beaux Arts s'intéressaient beaucoup d'une part aux théories de Newton sur la couleur, d'autre part aux expériences médicales concernant la physiologie de l'oeil. Ils incorporaient ces résultats de la recherche dans leurs cours et beaucoup d'artistes, notamment Chardin [34], en ont été influencés. L'immense curiosité de la société du XVIIIème siècle pour les machines, les procédés, les métiers, est bien traduite par le projet de l'Encyclopédie. En même temps, la curiosité pour les sciences s'incarnait dans des livres de vulgarisation fréquemment réédités, comme le "Spectacle de la Nature" de l'Abbé Pluche ou "le Newtonianisme pour les Dames" de Francesco Algarotti. La facilité avec laquelle la science s'insère dans la société à cette époque est due d'une part à l'inexistence d'un courant éducatif formel qui puisse apporter une image rébarbative du savoir scientifique (on n'enseigne pas les sciences dans les Universités françaises, à l'exception de la chimie à l'Université de Montpellier, mais seulement au Collège des Quatre Nations et dans les écoles techniques d'ingénieurs créées par les Ministres de Louis XV) et d'autre part, à l'attrait nouveau que les procédés scientifiques apportent au spectacle (qui culminera avec la présentation à Paris, en pleine Terreur, au printemps 1793, des fantasmagories de Robertson, inventeur du travelling). Pourtant, un certain nombre d'intellectuels, et non des moindres, commencent à critiquer vigoureusement la science et la démarche scientifique ... |
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