Le personnage dans Le Ravissement de Lol V. Stein
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| Le personnage dans Le Ravissement de Lol V. Stein Eléments d’introduction (+ conseils méthodologiques) Formulation de l’énoncé : « le personnage », ce n’est pas « les personnages ». Sujet implique l’étude des personnages, mais ne s’y réduit pas. Pour problématiser un tel énoncé : à votre niveau, il est difficile d’élaborer une seule question générale à laquelle le développement va répondre, comme on doit s’efforcer de le faire dans un sujet de dissertation. Mais vous pouvez toujours faire le tour de la question en développant 2 ou 3 axes fondamentaux, lesquels seront soumis à discussion dans les sous-parties. Pour autant, il n’est pas impossible de poser 1 problématique, même si pour cela il faut avoir une certaine expérience du raisonnement type dissertation, et une connaissance solide de l’œuvre. (Pour aider à l’analyse : voir commentaire de M. Borgomano p. 82 à 103 notamment) Ce qui permettait d’aborder de manière approfondie la question (et qui doit figurer dans l’intro comme une analyse de sujet) : évoquer ce qui a trait à la notion de « personnage » en littérature. Dire notamment que selon une perspective réaliste (mimétique), le personnage a beau être un être de fiction, un être de « papier » (en cela il n’est pas une personne), le romancier et le lecteur lui confèrent généralement un degré de réalité, une certaine épaisseur qui fait illusion. A ce propos, il faudra donc s’interroger sur le type de réalité qui est accordé à Lol V. Stein notamment, voir à quel point c’est une personnage qui est consistant ou non. au point de vue strictement narratologique, il faut aussi envisager le personnage comme étant au cœur d’un système complexe de relations, comme ayant une ou plusieurs fonctions par rapport aux autres personnages et par rapport au récit. Pour étudier cela, se fonder sur le « schéma actanciel » de Greimas. En appliquant cette grille de lecture, on pourra voir à quel point le récit repose sur une structure simple ou au contraire complexe. insi voir que, selon le type d’actualisation du personnage mise en œuvre, il se dégage toute une conception non seulement du roman, mais aussi du romanesque (« roman »= une forme; « romanesque »= une thématique). Le traitement du personnage est un des points nodaux qui témoigne de la dimension romanesque d’un texte, ou au contraire de sa veine anti-romanesque. De là, on peut avoir une problématique assez solide. Problématique : en quoi le traitement du personnage dans Le Ravissement de Lol V. Stein témoigne d’une perpétuation de la tradition du roman et du romanesque, ou au contraire, de leur subversion ? I Stéréotypie du personnage ? A. Un monde bourgeois mais qui implose: Là, on peut faire la liste des personnages et dire en quoi ils appartiennent à la classe de la bourgeoisie aisée. Famille de Lol. : père professeur à l’université, grande maison ; mari Jean Bedford : ingénieur dans l’aviation et violoniste Pierre Beugner et Jacques Hold : dans le corps médical Tatiana : ne travaille pas ; temps libre comme Lol Michael Richardson : un rentier (presque au-delà de cette classe ; figure du dandy) Anne-Marie Stretter : à vérifier, mais a priori femme riche Lieux aussi qui connotent la richesse de la bourgeoisie et leur occupations : station balnéaire de T. Beach et son casino Une société où pèsent les apparences, le on-dit, la pression sociale, les explications rapides et rassurantes aux événements qui dérangent l’ordre quotidien – la maladie de Lol notamment Mais, sous ce bon ordre apparent, une implosion latente: Lol est la fille de bonne famille qui devient folle à cause de la rupture scandaleuse de ses fiançailles par M. Richardson. C’est aussi une femme bourgeoise, mariée, ayant 3 enfants, qui erre dans la ville sans but avouable, qui suit des amants, qui se fait presque voyeuse, que l’on trouve couchée dans un champ de seigle (en cela, elle passe de la civilité mais aussi de l’hypocrisie sociale au monde des pulsions refoulées, aux éléments plus naturels etc.) Voir aussi qu’on dit d’elle qu’elle est de « l’autre côté du fleuve » (cf Ravissement p. 42 ) Lol incarne et condense donc le craquement de ces « glaces de l’hiver » (cf Ravissement p.34) qu’est l’ordre du monde bourgeois : sous sa manie de l’ordre, des apparences impeccables (cf Ravissement p. 33-34 et commentaire p. 90), se cache un anti-conformisme explosif B. Quel degré de réalité pour les personnages du Ravissement? à quel type d’illusion référentielle avons-nous affaire ? Si l’illusion référentielle est proportionnelle à l’attention portée, par le romancier, à la description de l'environnement, du contexte du personnage, ainsi qu'à son portrait physique et moral, Le Ravissement opère un pas de côté (cf p. 84 du commentaire: au sein même de l’œuvre de Duras, il est rare que l’on fasse si peu cas de la société qui entoure les personnages). Ici, l’environnement des personnages est donc très peu développé. S’il y a épaisseur du personnage : pas dans son cadre de vie. De la même manière, les attributs traditionnels qui font l’identité du personnage sont peu évoqués, ou de manière déséquilibrée selon les personnages. A.-M. Stretter et Tatiana sont décrites physiquement (voir p. 93 du commentaire) mais très peu moralement. Au contraire, Lol est surtout décrite moralement, et très peu physiquement. Quant aux autres personnages, ils sont plus ou moins effacés, sans caractéristiques particulières. (voir aussi remarque faite dans l'explication de l'incipit : la fiche signalétique comme machinerie défaillante.) On n’a donc pas les repères habituels qui nous permettent de « donner vie » à ces personnages comme on le fait dans d'autres romans plus classiques. Ce qui compte dans ce texte : ce qui est sous les masques, hors hypocrisie (voir l'étymologie du terme : hypocrite en grec= acteur). Ici, il s’agit de toucher à la vérité subjective socialement refoulée et d’interroger quelles sont les limites de l’identité – interrogation qui est d'autant plus vive par la mise en oeuvre de la folie qui déstabilise nos représentations. II Une société renverséeA Les derniers seront les premiers Lol la folle moins que rien, fade, silencieuse, passive, absente, étrangère à elle-même et aux autres, la dormeuse debout etc : ce personnage sans consistance, cet anti-personnage est non seulement au cœur du récit, mais s’en avère le moteur. C’est elle qui met en place la triangulation avec Hold et Tatiana (voir sc de la soirée chez Lol p. 88-110) où elle est un vrai metteur en scène, l’air de rien. A l’inverse : Tatiana et J. Hold passent du statut d’amants libres (ce qui laissent entendre qu'ils agissent leur vie) à celui de pions dans le désir de Lol. De sujets, ils deviennent des objets aliénés. Remarquable que cette dynamique d'ordre inverse est globalement représentative des textes de Duras (voir notamment Détruire dit-elle, voir aussi que la plupart de ses personnages principaux sont, dans la société « réelle », des figures de « dominés »: le Juif, la femme, l'enfant, l'immigré...) conseil cinéma à ce propos: Persona de Bergman (1966) – de nombreux points communs avec le Ravissement B Quel schéma actanciel ? Le personnage, c'est aussi une des fonctions essentielles dans un récit. Pour mieux comprendre comment le récit est organisé (et en cela quelles lectures on peut en faire), il est toujours intéressant d'appliquer le schéma actanciel de Greimas (Le schéma actanciel dégage les rapports de force qui s'établissent entre les personnages, et donc font avancer l'action. On distingue trois catégories actancielles : la relation sujet — objet ; la relation destinateur — destinataire ; la relation opposant — adjuvant. Le sujet est le héros de la quête ; l'objet est "ce qui, celui qui, celle qui" est convoité : l'objet de la quête. Entre existe donc une relation de désir. Le destinateur est "ce qui, celui qui, celle qui " souffre d'un méfait ou d'un manque et désigne quelqu'un pour le réparer : le destinataire. L'opposant est donc ce qui fait obstacle à la quête du sujet, tandis que l'adjuvant est ce qui la favorise. )  On peut alors essayer de voir quelles sont les différentes configurations possibles dans Le Ravissement, selon le personnage que l'on met à la place su sujet. Voir en cela que si narrateur au début dit qu'il « prend » Lol (p. 14) – donc il est sujet, elle est objet – finalement, c'est lui qui se retrouve pris par elle (p.112). Mais ce qui semble le plus intéressant dans ce texte, c'est que nous n'avons pas tant à faire à la quête d'un objet de désir (à un objet qui serait la métonymie du désir), mais à la quête du désir même comme objet, sans détour. III Au-delà du romanesque A Esthétique du creux bien sûr, le traitement du personnage dans le Ravissement participe bel et bien du romanesque: primauté du registre de la passion: nous avons des personnages qui aiment, qui souffrent, qui souffrent d'aimer (et qui aiment souffrir), que la mort touche (même si c'est symboliquement). A.-M. Stretter est le stéréotype parfait de la femme fatale (cf commentaire p. 41, 43 à 45) Tatiana aussi, quoique dans une moindre mesure, M. Richardson le stéréotype de l'amant idyllique. Mais au fond, au-delà de ce premier niveau de lecture, ce qui compte, c'est le vide, l'opacité, l'ignorance qu'incarne Lol, et qui touche aussi Jacques Hold, (donc la voix narrative). B Le personnage : un être de parole « persona », en latin = le masque à travers lequel la voix est amplifiée (per-sona) dans ce texte, le personnage n'est pas important pour son image, mais pour ce qu'il dit, et surtout pour la manière dont il « est dit » ainsi, Lol existe à travers ce qu'en dit Jacques Hold, qui lui-même se fonde sur les paroles des autres (notamment le « on » négativant) Hold lui-même: un personnage, mais d'abord une voix – dans le texte, se pose d'abord comme une voix, ce n'est qu'à mi-parcours qu'il dévoile son identité remise en cause des catégories traditionnelles qui permettent de définir un personnage: ici on le relève pour ce qu'il est avant tout, c'est-à-dire un être de discours. Ccl: avec Le Ravissement on rejoint des préoccupations récurrentes au long du XX°s: la représentation du personnage ne va plus de soi, on s'interroge sur son degré de réalité, ce qui fonde son existence. Remise en cause très développée dans le Nouveau Roman (voir pour cela l’Ère du soupçon de N. Sarraute), mais déjà au début du siècle, chez Virginia Woolf par exemple, où l'on ne cherche pas à représenter le personnage par son statut social et par son caractère, mais en rendant compte de la myriade d'impressions qui le traversent. |
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